El Paso, ville sans loi (El Paso, 1949) de Lewis R. Foster
PARAMOUNT
Sortie USA : 05 août 1949
Après le nombre de westerns noirs et adultes sortis dans les mois précédents, à la vision d’
El Paso, les spectateurs de l’époque ont du se croire revenu quelques années en arrière, ce film se révélant être délicieusement anachronique pour 1949, totalement désuet par son ton et son style malgré une histoire une nouvelle fois assez sombre. En effet, le film de Lewis R. Foster retrouve une naïveté qui avait un peu déserté le genre et fait bien plus penser à la vague des westerns de série du début des années 40 dans lesquels George Gabby Hayes faisait déjà office de faire valoir comique à ces stars montantes qu’étaient John Wayne ou Randolph Scott. Ici, il s’acoquine avec un nouveau venu dans le genre, John Payne, sans changer quoi que ce soit au personnage cocasse et pittoresque qu’il a toujours tenu. L’histoire proposant plusieurs pistes intéressantes n’allait pas tenir toutes ses promesses à l’écran mais le spectacle allait néanmoins se révéler agréable.

La Guerre de Sécession vient de prendre fin. L’ex-officier confédéré Clay Fletcher (John Payne) reprend son métier d’avocat à Charleston. Il saute néanmoins sur la première occasion d’aller faire signer un document au juge Jeffers (Henry Hull) désormais installé à El Paso pour raison de santé, dans le but de lui demander la main de sa fille, Susan (Gail Russell). Ce qu’il découvre n’est pas bien reluisant : la ville texane est sous la coupe du tenancier d’un saloon, Bert Donner (Sterling Donner) dont le bras droit n’est autre que le shérif local, le véreux LaFarge (Dick Foran). Ils font régner la terreur, s’octroyant les terres des soldats partis au combat leurs épouses n’ayant pas pu s’acquitter à temps des impôts, faisant lyncher ceux qui font mine de se révolter, profitant de la faiblesse du juge déchu devenu alcoolique pour lui dicter des sentences impitoyables. Outré par les procès truqués, par le comportement des notables et par la violence qui règne en ville, il décide, en tant qu’homme de loi, de prendre légalement la défense des fermiers spoliés. Mais après que son futur beau-père se soit fait assassiner suite à un procès qui avait enfin fait innocenter un pauvre paysan tué à son tour, il se transforme en nettoyeur sans concession, faisant subir aux despotes le même traitement que ces derniers faisaient endurer aux pauvres bougres se mettant en travers de leur chemin. Les morts s’accumulent, ce qui n’est pas du goût de Susan qui fait venir le grand-père de Clay. Elle espère qu’il pourra faire entendre raison à son petit-fils d’autant qu’elle ne souhaite pas épouser un homme devenu meurtrier…
«
Si vous voulez vivre, apprenez à tirer » dira-t-on à l’avocat venu à El Paso juste pour demander la main de la fille du juge. Au vu de ce conseil et à la lecture de l’histoire on constate à quel point le film pouvait sembler sombre ; mais comme dit précédemment, il ne se révèle qu’une petite série B sans conséquences dont le ton se révèle finalement assez décontracté. Il faut dire que Lewis R. Foster fut longtemps gagman pour les courts métrages burlesques de Hal Roach avant d’écrire des scénarios et de venir sur le tard à la mise en scène. Parmi ses écrits signalons surtout qu’il est à l’origine du sujet original d’un des chefs-d’œuvre de Frank Capra, le célèbre
Monsieur Smith au Sénat (
Mr Smith go to Washington) et qu’il fournira à René Clair l’idée de sa délectable comédie
C’est arrivé demain (
It Happened Tolmorrow). En tant que cinéaste, il se spécialisera dans le polar et le western de série B,
El Paso étant son premier western et le premier de ses films produits par le duo William H. Pine et William C. Thomas. Leur compagnie distribuée par la Paramount produira la plupart des œuvres suivantes de Lewis R. Foster dont le genre de prédilection deviendra le film d’aventure exotique coloré, John Payne et Rhonda Fleming étant de presque toutes ces escapades. On prénommait Foster ‘le Cecil B. DeMille du budget minuscule’ et il eut pour autre partenaire d’élection, la douce et jolie Gail Russell qu’il se partageait avec l’autre réalisateur qui œuvrait à l’époque quasiment dans le même style de film, Edward Ludwig, auteur du magnifique
Le Réveil de la Sorcière Rouge (
Wake of the Red Witch). En tout cas, le cinéaste eut la cote auprès des cinéphiles français de l’époque, Tavernier et Coursodon écrivant même dans leur première édition sur 30 ans de cinéma américain "
Heureux les cinéphiles qui ont connu Foster" !
Dans
El Paso, on voit apparaître pour une des premières fois celui qui sera une révélation l’année suivante dans la peau du gangster Dix Handley, celui de
Quand la Ville Dort (
Asphalt Jungle) de John Huston, le charismatique Sterling Hayden. Dans ce western, même s’il est le meneur des ‘Very Bad Guys’, on peut dire qu’il s’avère assez transparent, les scénaristes n’ayant pas eu l’air de s’intéresser plus que ça aux méchants du film, aucun d’eux ne nous laissant forte impression. A ses côtés, on retrouve donc Gail Russell, l’une des actrices les plus attachantes du moment, deux ans après son personnage inoubliable dans
L’Ange et le Mauvais Garçon (
The Angel and the Badman). C’est cette même année 1949 qu’on pouvait aussi la voir dans cette merveille méconnue signée Edward Ludwig dont je touchais deux mots le paragraphe juste au dessus. Dans
El Paso, elle n’a pas grand-chose à faire mais arrive pourtant à nous attendrir. Son père, le juge fantoche qu’elle soutient par amour filial, est interprété par le sympathique Henry Hull, déjà de la distribution de
Colorado Territory de Raoul Walsh, surtout connu dans le genre pour avoir été le major Rufus Cobb, journaliste teigneux et râleur dans le dytique
Jesse James /
The Return of Frank James. Si George Gabby Hayes interprète encore et toujours le rôle du vieux grincheux aux cheveux blancs, Mary Beth Hughes se voit octroyer un personnage secondaire tout à fait savoureux, celui d’une ‘voleuse de diligence’ d’un genre tout particulier : alors qu’elle fait route assise aux côtés de ses compagnons de voyage, elle leur propose de garder leur argent prétextant qu’il serait à l’abri en cas d’attaques par des bandits, ces derniers ne s’en prenant jamais aux femmes ; bien entendu, à l’arrivée, avant que les dupés pensent à lui redemander leurs biens, elle s’est éclipsée !

Mais le héros du film est interprété par John Payne. Après avoir été l'un des jeunes premiers des comédies musicales de la Fox auprès de Betty Grable ou Alice Faye, avec El Paso il entre dans une seconde partie de carrière où, cette fois (le veinard) aux côtés de Rhonda Fleming, Gail Russel ou d'autres belles jeunes femmes, il tourne des dizaines de films d'aventures ou westerns de série B dont de nombreux sont réalisés par Lewis R. Foster et Edward Ludwig. L’acteur dont le nom ne dira pas grand-chose à beaucoup, aura pourtant toujours une place de choix dans le cœur des cinéphiles pour avoir été le comédien de prédilection d’Allan Dwan dans les années 50 dans les films qu’il tourna avec le producteur Benedict Bogeaus (nous les aborderons dès 1954). A cause d’un physique assez neutre et un visage quasiment immuable, beaucoup le jugeront fade mais, à l’instar de Randolph Scott, je lui trouve au contraire (dans
El paso, son premier western et après aussi d’ailleurs) une certaine élégance de dandy et un jeu à la sobriété exemplaire, ne tablant jamais sur quelques mimiques ou grimaces que ce soit, ne cherchant jamais à trop en faire. Certains prendront cette forme ‘d'underplaying’ pour un manque de talent ; pour ma part, il me convient tout à fait. En tout cas, John Payne possède une belle prestance dans ce western où il incarne un personnage plutôt complexe tour à tour homme de loi nonchalant ou chef d’une milice n’hésitant pas une seconde à massacrer ses anciens ennemis. Bref, un nouveau venu dans le genre qui s’y coule parfaitement bien.

Alors certes, le film est inégal, bien trop long (98 minutes là où un autre aurait pu le boucler en à peine 70 minutes) et survole de très loin un potentiel de départ qui semblait devoir être plus ambitieux mais son but n’était à priori que de divertir et, sans rien vouloir révolutionner, il le réussit parfois plutôt bien notamment dans la description de ce personnage principal tiraillé entre son éthique et sa soif de vengeance. Si de nombreux westerns avaient déjà évoqués l’après guerre civile, il me semble n’avoir encore jamais vu ces images de soldats disséminés sur la route, leur paquetage sur les épaules, en train de revenir dans leurs foyers ou ces femmes ayant été expulsées de leurs terres pour ne pas avoir pu payer assez vite leurs taxes, campant au bord de la route pour être certain de ne pas louper leur époux de retour des combats. D’autres images assez inédites et en Cinécolor, celle des pendus que l’on redescend de l’arbre en plein jour devant les citoyens vaquant à leurs occupations, ce curieux plan d’un cerf en contre-jour regardant la diligence traverser le paysage ou encore ces paysages calcaires au sein desquels a lieu une poursuite assez efficace au premier tiers du film. Enfin, Lewis R. Foster s’essaie à des trucs de mise en scène qui semblent parfois incongrus, comme le montage de la séquence d’apprentissage au tir au pistolet, mais qui peuvent s’avérer par la même occasion assez enthousiasmants par leur cocasserie même si ce n’était certainement pas le but poursuivi.

De la même manière, le combat final qui se déroule dix minutes durant lors d’une tempête de vent et de sable, s’il s’avère dramatiquement peu efficace le spectateur n’arrivant pas à distinguer grand-chose, nous octroie quelques flagrances plastiques probablement involontaires mais bien présentes telles ces ombres apparaissant subrepticement le révolver au poing ou ces plans redoutablement énergiques de cavaliers en pleine course entourés par un nuage de poussière orangé. Quelques fulgurances, quelques images assez neuves, une histoire assez intéressante et quelques comédiens plutôt bien choisis pour un western de série un peu démodé qui ne devrait plaire qu’aux seuls aficionados.