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Critique de film
Le film

Le Relais de l'or maudit

(Hangman's Knot)

L'histoire

1865 dans le Nevada. Après six semaines d’attente dans le désert à la tête d’un petit commando de Sudistes en mission spéciale, le major Matt Stewart (Randolph Scott) attaque un convoi d’or de l’armée adverse. Ils déciment tous les soldats et s’emparent du quart de million de dollars en lingots d’or. Mais ils apprennent avec horreur de la bouche d’un officier nordiste mourant que la guerre civile est terminée depuis un mois et que leur coup d’éclat les transforme ainsi en hors-la-loi. Matt et ses quatre hommes rescapés retrouvent le Capitaine Peterson qui devait prendre livraison du butin ; ce dernier ne les a pas prévenus de la fin officielle des hostilités, pensant pouvoir ainsi s’approprier le magot. Ralph (Lee Marvin) l’abat alors sans sommation. Ils décident de rentrer chez eux au plus vite tout en s’octroyant l’argent qu’ils estiment avoir mérité et en guise de compensation pour la défaite subie par le Sud. Ils réquisitionnent alors une diligence et ses deux passagers - dont Molly (Donna Reed), une infirmière - pour passer inaperçus. Mais malheureusement, un groupe de soi-disant hommes de loi, qui se révèle bien vite être une bande de truands, souhaite à son tour s’approprier le butin. Matt et ses hommes sont vite pris en chasse et trouvent refuge au premier relais de diligence qu’ils trouvent sur leur route. Il est tenu par un grand-père et sa fille dont l’époux et le fils ont été abattus par les soldats confédérés et qui, par ce fait, supportent assez mal cette intrusion. Le blocus et l’assaut du relais commencent alors. Les esprits s’échauffent de part et d’autre ; la tension est au plus haut à l’extérieur comme à l’intérieur du relais...

Analyse et critique

Seule et unique réalisation de Roy Huggins, Le Relais de l’or maudit nous fait regretter que cet homme de cinéma n’ait pas persévéré dans le métier de metteur en scène. Heureusement quelques ouvrages ne l’ont pas oublié, à commencer par le fameux 50 ans de cinéma américain de Bertrand tavernier et Jean-Pierre Coursodon. Dans une petite notule classée à la rubrique scénariste, ils écrivent : « Roy Huggins mérite d’être cité pour la nostalgie qu’il a gardée pour le Film noir. Du thriller il a conservé l’ambiance trouble, les péripéties nombreuses, les points de départs étranges ou originaux, l’ambiguïté morale. » Professeur à l’Université de Californie en 1939 puis ingénieur dans l’industrie pendant la guerre, Roy Huggins se tourne ensuite vers la littérature et écrit trois romans policiers, des nouvelles puis des scénarios tirés d’abord de ses propres ouvrages. Il devient ensuite l’un des scénaristes les plus féconds de la Columbia. Parmi ses travaux citons Gun Fury (Bataille sans merci - 1953) de Raoul Walsh, Three Hours to Kill (1954) d'Alfred L. Werker, mais aussi et surtout l’un des plus beaux films noir romantiques des années 50 (qui arrive presque à se hisser au niveau d'Assurance sur la mort de Billy Wilder) : Pushover (Du plomb pour l’inspecteur - 1954) de Richard Quine avec Kim Novak et Fred Mac Murray. En 1952, il met en scène pour une société indépendante, la Producers Actors, un scénario dont il est entièrement l’auteur : c’est justement le western dont nous parlons ici même, Hangman’s Knot. Marié à l’actrice et ancienne chanteuse de l’orchestre de Xavier Cugat, Adèle Mara (Le Réveil de la Sorcière rouge), Roy Huggins souhaite désormais avoir le contrôle total de ses films à une époque où cette pratique est vue de travers par les gros pontes ; il l'obtint pourtant mais pas en tant que cinéaste mais en devenant scénariste et producteur de séries télévisées fort célèbres comme 77 Sunset Strip, Maverick, Le Fugitif... A partir de 1961, il ne se consacre plus qu’à la petite lucarne.

Et pourtant, ce coup d’essai que représente Le Relais de l’or maudit s’avérait pourtant très concluant. Une excellente série B à l’intersection de deux styles de cinéastes ayant tous deux beaucoup utilisé l’acteur Randolph Scott ; un western qui effectue donc une espèce de transition entre le cinéma de Ray Enright dont il retrouve la vitalité, la simplicité de facture, le sens de l’action, et celui Budd Boetticher, dont il annonce le dépouillement et les descriptions de tensions qui se font jour au sein d’un groupe obligé de se retrouver cloîtré dans un endroit restreint et de partager le quotidien. Peu de temps morts, y compris quand le film d’action du début (utilisant à merveille les paysages rocailleux et impressionnants de Lone Pine) se transforme en "western de chambre à suspense" par la suite, une écriture serrée et tendue ainsi qu’une mise en scène qui, si elle ne brille pas par de quelconques traits de génie, est d’une redoutable efficacité. La scène d’introduction, l’embuscade du convoi, est parfaitement maîtrisée et assez originale, les attaquants se servant surtout de la dynamite pour déstabiliser l’ennemi (dynamite réutilisée à de nombreuses reprises dans le courant du film). Le deuxième morceau de bravoure, la poursuite de la diligence par les truands, est frénétiquement réglé par le cascadeur hors norme qu’est Yakima Canutt (le cascadeur attitré de John Wayne et qui dirigera plus tard la course de chars inoubliable du Ben-Hur de William Wyler). L’ultime grande scène d’action concluant le film se déroule alors que les assaillants tentent d'enfumer les occupants du relais et que ces derniers font une sortie à la faveur d'un violent orage nocturne ; elle décrit l’affrontement entre les deux groupes ennemis. Tournée vraiment de nuit cette fois (alors qu’au début, quelques séquences, faute d’un budget conséquent, furent filmées assez maladroitement en nuit américaine), cette scène est très efficace et très réussie esthétiquement grâce aussi au travail sur la photographie de Charles Lawton Jr. (3h10 pour Yuma).

Mais de l’action bien enlevée sans personnages bien dessinés, cela pourrait être vite rébarbatif surtout quand le film de plein air prend la tangente vers le huis-clos. Roy Huggins, aussi bon scénariste que metteur en scène, le sait très bien qui nous offre une galerie de personnages peut-être pas très fouillée, assez schématique et conventionnelle certes, mais suffisamment intéressante pour qu’on s’y intéresse, voire même qu'on s’y attache. On ne connaît rien de leurs antécédents et une certaine ambiguïté peut alors se faire jour quant au passé de chacun des protagonistes. Matt est le "héros" de cette histoire. Interprété par Randolph Scott dont le visage de plus en plus buriné au fil des ans faisait de lui l’un des cow-boys par excellence du western dans les années 50. Matt représente l’homme viril, dur, mais à la moralité apparemment sans failles, étant toujours prêt à sauver ses compagnons en danger et dissimulant une grande sympathie sous son apparence très austère. L’acteur, futur interprète des meilleurs films d'André De Toth et Budd Boetticher, incarne cet archétype à la perfection, tout en sobriété, son charisme étant largement suffisant pour qu’il n’ait pas à en faire des tonnes. Il prouvera son talent à de nombreuses autres reprises pour finir sa carrière par son rôle le plus touchant, le hors-la-loi vieillissant et touchant de Sam Peckinpah dans Coups de feu dans la Sierra.

Dans les autres rôles, nous trouvons le jeune Claude Jarman Jr., acteur ayant très peu tourné mais qui a marqué de son empreinte nos mémoires de cinéphiles par sa collaboration avec Clarence Brown en jouant le Jody de The Yearling (Jody et le faon - 1946) et le jeune héros du remarquable Intruder in the Dust (L’Intrus - 1949). Il était aussi le fils de John Wayne et Maureen O’Hara dans Rio Grande (1950) de John Ford. Son visage poupin le prédestinait aux personnages timides et ici il interprète Jamie, jeune soldat ayant la tuerie en horreur même en temps de guerre. Dans un premier temps haï par leur hôte, qui a vu partir son fils et son époux tués par les Nordistes, il va progressivement être pris d’amitié par la veuve éplorée. Donna Reed, actrice ô combien émouvante dans Les Sacrifiés de John Ford et surtout dans La Vie est belle de Frank Capra, est ici Molly, une infirmière prise en otage mais qui va soigner les blessés lors du blocus et finir par tomber amoureuse de Matt. Hangman’s Knot marque aussi l’une des premières apparitions marquantes de Lee Marvin, qui devait être opposé deux autres fois à Randolph Scott dans Les Massacreurs du Kansas (The Stranger Wore a Gun) d'André de Toth et dans le justement célèbre Sept hommes à abattre (Seven Men from Now) de Budd Boetticher. Ralph préfigure ici l’extraordinaire Vince Stone du chef-d’œuvre de Fritz Lang, The Big Heat (Règlement de comptes). Pour cerner son personnage, il suffit d’écouter son échange de répliques avec Matt après qu’il a tué un homme de sang-froid et sans aucun remords :

- Matt : « What’s happened to you ? Is it that easy to kill a man ? »
- Ralph : « Well, isn’t it ? What else we've been doing for the past five years ? »

Cette séquence et l’individu incarné par Lee Marvin nous amènent à une petite réflexion sur la violence et les tueries en temps de guerre. De bout en bout, Randolph Scott et Lee Marvin rivaliseront de talent, chacun dans un style bien différent, les rictus de Lee Marvin opposant un étonnant contraste avec le visage de pierre de Randolph Scott.

Ce qui fait la force de ce scénario est que le "mal" ne se situe pas que dans un camp, celui des truands à l’extérieur du relais, mais il gangrène aussi petit à petit les occupants de ce dernier qui se retrouvent tous plus ou moins en conflit à cause soit d’une femme, soit de l’argent ou bien de leurs idées. La rapacité, la cruauté, l’immoralité sont aussi enfermés et couvent à l’intérieur de cet abri de fortune, ce qui nous donne l’occasion d’assister à un pugilat extrêmement violent et réaliste, une tentative de viol, une mort abrupte, etc., sans que les voleurs effectuant le blocus y soient pour quelque chose. Le final qui voit l’incendie du relais, puis le règlement de comptes, est composé non seulement d’un duel entre les deux camps, pour la première fois face à face, mais aussi de la vision des voleurs amenés à s’entretuer par rapacité. Cette violence est atténuée par l’émotion qui voit le jeune Sudiste enfin compris et adopté par les tenanciers du relais et l’amour gagner le pas à la toute dernière image.

En résumé, voici 81 minutes sans temps morts, sans mots en trop, d’une tension quasi constante, sans vraiment d’originalité mais d’une efficacité à toute épreuve. Il ne devrait plaire qu’aux mordus du genre mais ces derniers seront ravis de tomber sur une aussi rare pépite ! Ceux qui ont apprécié Rawhide (L’Attaque de la malle-poste) de Henry Hathaway devraient y trouver pas mal de ressemblances et y prendre tout autant de plaisir.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 janvier 2004