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Critique de film
Le film
Affiche du film

Comanche Station

L'histoire

Recherchant incessamment son épouse capturée voici plus de dix ans par les Indiens, Jefferson Cody (Randolph Scott) sillonne désormais l’Ouest américain ; en attendant de tomber sur sa femme, il libère les autres captives blanches dont il croise la route. Ce jour, en échange d’armes et de tissus, il obtient la libération par les Comanches d’une de leurs captives, Nancy Lowe (Nancy Gates), faite prisonnière lors de l’attaque d’un convoi un mois auparavant. Sur le chemin du retour, Cody et Nancy rencontrent un groupe de trois hommes fuyant une bande d’indiens faméliques ; un groupe composé de Ben Lane (Claude Akins), leur chef, ainsi que de ses hommes de main, Frank (Skip Homeier) et Dobie (Richard Rust). Lane apprend à Nancy que son mari (Dyke Johnson) a promis une alléchante récompense de 5 000 dollars à quiconque la lui ramènerait morte ou vivante. Bien que Cody affirme à la jeune femme ne pas avoir eu connaissance de cette prime, elle n’en croit pas un mot et perd la confiance et la gratitude qu’elle avait conçu à l'égard son sauveur. Quant à Lane, il ne cache pas à ses acolytes qu’il envisage plus tard de se débarrasser de Jeff et de Nancy. Au sein de cette association de fortune, les tensions augmentent alors qu'ils approchent de leur but, d'autant plus qu'un groupe d'Indiens est toujours à leurs trousses…

Analyse et critique

Toutes les collaborations cinématographiques prennent fin un jour ou l’autre ; lorsqu’elles furent fabuleuses, il est évidemment triste d’en visionner le dernier maillon. Après avoir quitté à regrets la trilogie cavalerie de John Ford au début des années 50 ainsi qu’au milieu de cette même décennie l’inégalable corpus de westerns d’Anthony Mann avec James Stewart, voici l’ultime œuvre de la sublime suite de westerns qui a fait se côtoyer le réalisateur Budd Boetticher et le comédien Randolph Scott durant cinq ans. Comanche Station est donc le dernier d’une série de sept parmi les plus purs et géniaux de l’histoire du genre constituée par Sept hommes à abattre (Seven Men from now), L’homme de l’Arizona (The Tall T), Le Vengeur agit au crépuscule (Decision at Sundown), L’aventurier du Texas (Buchanan Rides Alone), La Chevauchée de la vengeance (Ride Lonesome) et enfin Le Courrier de l’or (Westbound). Cet ensemble ayant atteint de tels sommets, on peut affirmer que même les plus faibles d’entre eux, comme par exemple le dernier cité, peuvent néanmoins prétendre faire partie des plus réjouissants fleurons du genre. Comanche Station, son film le plus ascétique, son film le plus ‘bressonien’, son film le plus pessimiste, ne vient pas rabaisser la qualité de la série, achevant d’en faire au contraire l’une des plus abouties et cohérentes de l’histoire du western !

Quatre hommes, une femme, quelques figurants indiens, une cabane, aucun intérieur. Voilà sur quel minimalisme concernant les éléments physiques repose ce film au très petit budget et à la durée très courte. Les enjeux dramatiques sont également parfaitement clairs dès le départ : un homme solitaire a récupéré une femme captive des indiens et la reconduit à son époux ; en cours de route ils tombent nez à nez avec un groupe de trois hommes poursuivis par des indiens suite à leur volonté de s’emparer de cette même femme dans leur campement. On apprend alors que le mari a offert une forte prime à qui lui ramènerait son épouse morte ou vive. On imagine aisément suite à cette situation de départ bien posée les tensions qui vont se créer au sein du groupe prêt à imploser à tout moment, tension accentuée par le fait que nous savons que les indiens ne sont pas loin et qu’ils peuvent attaquer d’un instant à l’autre. L’intrigue ne prendra aucun chemin de traverse et filera tout droit jusqu’à son final. Devant un tel dépouillement de l’histoire, les auteurs décideront de s’appesantir en revanche sur les personnages, leur quotidien, leurs états d’âme, leurs évolution et leurs revirements. Le sauvetage de Cody par Ben Lane est par exemple une idée géniale, contrant tous les cynismes, mettant à l'inverse en exergue le sens de l’honneur même chez les pires crapules ; si Boetticher est un peu le précurseur du western italien, cette séquence prouve que moralement il s'agit quasiment de son contraire. Une histoire donc simplissime mais jamais simpliste, comme toujours avec Budd Boetticher : au point de vue de l'écriture, nous nous trouvons donc devant une construction du récit exemplaire au sein d’un découpage touchant à la perfection.

A la lecture du pitch, on peut remarquer de fortes similitudes entre l'intrigue de Comanche Station et celle de Ride Lonesome (La Chevauchée de la vengeance). Dans ces deux westerns jumeaux, on y trouve un petit groupe de personnes disparates réunies pour la circonstance, qui doit en reconduire une autre à un endroit précis tout en étant poursuivi par un autre groupe, ici des hors-la-loi, là une tribu indienne. Encore un splendide scénario de Burt Kennedy (qui affirme que le cinéaste s’y est énormément impliqué aussi), qui opère des variations sur des thèmes similaires d'un film à l'autre, la différence principale étant que le final poignant de ce film se révèle bien plus pessimiste que celui du précédent ; Jefferson Cody, comme Ben Brigade, se retrouve seul mais alors que Ben a enfin pu évacuer ses démons et regagner sa sérénité, Jefferson, mû par son idée fixe et illusoire, doit partir de nouveau pour cette quête inaccessible à la recherche de sa femme après qu’il ait compris qu’il ne pourrait pas remplacer cette dernière, probablement morte, par celle qu’il vient de ‘rendre’ à son mari (final sublime dont je ne vous dévoilerais pas l’idée géniale qui vient nous surprendre à la dernière minute). Quant à ses ‘compagnons’ de voyage, ils auront tous été tués avant la fin du périple alors que dans Ride Lonesome ils se dirigent tous vers une vie enfin paisible. Les ressemblances entre les deux films se situent également au niveau des paysages que traversent les personnages à tel point que le cinéaste réutilise même l’arbre aux pendus du western précédent, mais cette fois au milieu d’une étendue d’eau. Les thèmes et variations n’existent pas uniquement avec Ride Lonesome mais également avec The Tall T (le seul sourire que l’on voit apparaitre sur le visage plus que jamais renfrogné de Randolph Scott se fera jour lors de la séquence de ‘dressage’ du mulet ; une scène identique avec cadrages similaires était présente durant le premier quart d’heure de L’Homme de l’Arizona, avant que le film ne plonge irrémédiablement vers la noirceur la plus totale) ainsi qu’avec le premier western de la série, le sublime Sept hommes à abattre, le règlement de comptes final se déroulant exactement au même endroit dans les deux films, au milieu de la même ‘arène’ et derrière les mêmes anfractuosités de rochers.

Hormis l’impassible et taciturne Jefferson Cody, homme de l’Ouest honnête mais fatigué, s’accrochant à ses rêves sans trop y croire (interprété par Randolph Scott, le visage de plus en plus sévère et buriné, avec toujours autant de classe et de charisme), ses compagnons d’infortune parlent énormément de leurs regrets et espoirs ; ils nous deviennent ainsi rapidement très familiers et même touchants, y compris celui interprété par Claude Akins qui n’a pourtant pas vraiment le beau rôle, ne cachant pas à ses coéquipiers qu’ils devront tuer à la fois Cody et Nancy pour s’accaparer seuls la prime sans que la femme puisse dévoiler leur sordide méfait puisque le mari est prêt à payer même pour que son épouse soit ramenée morte. Les trois bandits possèdent cependant certaines valeurs morales et pensent qu’avec la prime, ils pourront repartir de zéro tout en étant conscients qu’il n’est pas facile de survivre par l’honnêteté dans cette époque dominée par la violence ; ils en feront d’ailleurs les frais et leurs disparitions (malgré les noirs desseins qu’ils avaient) ne nous réjouit pas du tout, chacune leur tour au contraire nous serrant la gorge comme s'il s'agissait d'une tragédie. Quel génie de la part des auteurs de nous rendre des tueurs sans scrupules aussi attachants en si peu de temps ! Quelle justesse et quelle intelligence dans la description psychologique de ses ‘Bad Guy’ conscients de l’être, clairvoyants dans le fait de savoir côtoyer la mort au quotidien mais très pragmatique en se disant qu’ils ne sauraient ni ne pourraient faire autre chose pour gagner leurs vies. Néanmoins, une lueur d’espoir vient à nouveau nous émouvoir lorsque Cody propose à Dobie de le prendre à son service une fois leur mission terminée ; à ce moment là, le jeune hors-la-loi se rend compte que la bonté peux exister et que d’autres chemins lui sont non seulement possibles mais ouverts. Malheureusement, ce constat lui viendra trop tard...

Une très belle description des quelques protagonistes de l’intrigue (qui sont au nombre de cinq, comme dans The Naked Spur - L'appat d'Anthony Mann avec qui il possède de nombreux points communs) au sein d’un scénario absolument parfait. Malgré de très longues plages de dialogue et la très courte durée du film, le cinéaste a le temps de nous concocter quelques énergiques et intenses scènes d'action (l’attaque brutale du relais) et de se laisser aller à filmer de longues minutes de chevauchées à travers des paysages désertiques ou sauvages par l’intermédiaire de lents plans séquences composés de splendides panoramiques horizontaux utilisant à la perfection le large rectangle du cinémascope. Encore plus épuré que tous ses autres films, quasiment ascétique de par sa volonté à faire table rase de tout pittoresque, Comanche Station est moins immédiatement jouissif que le précédent mais son final poignant d’une profonde humanité (le regard de Randolph Scott est quasiment aussi émouvant que celui de Robert Forster à la fin de Jackie Brown de Quentin Tarantino) fait vite oublier que l'on a failli s'ennuyer quelques secondes. Nous ne l'aurions pas pu, d’ailleurs, devant une mise en scène aussi rigoureuse et limpide, une partition aussi magnifique signée Mischa Bakaleinikoff (que ce soit au travers du thème principal ou du thème romantique) et des paysages aussi bien mis en valeur. Sans bien évidemment oublier un casting de premier choix pour cinq personnages tous aussi bien écrits et croqués les uns que les autres, Randolph Scott en tête, fort bien accompagné par la charmante Nancy Gates et des trois bandits interprétés à la perfection par Claude Rains, Skip Homeier et surtout le très touchant Richard Rust dans la peau de l’outlaw qui est prêt à changer de vie suite à sa conversation avec Cody.

Et Boetticher de conclure son corpus westernien avec Randolph Scott sur un travelling latéral de presque une minute sur le comédien à cheval en contre-jour au fond d'un immense plan d'ensemble, qui disparait lentement pour la dernière fois d'un de ses somptueux western. L'acteur ne remontera en selle que pour le sublime et crépusculaire Ride the High Country (Coups de feu dans la Sierra) de Sam Peckinpah avant de mettre fin à sa discrète, très belle et prolifique carrière. Avant son baroud d’honneur à la fin de son dernier film, il nous aura déjà montré dans Comanche Station la rectitude morale de son personnage exemplaire, véritable archétype du cow-boy hollywoodien mythique, sorte de chevalier de la table ronde du Far-West. Alors qu’il discute en pleine nuit avec la femme qu’il a délivrée des Indiens, elle lui demande : "If you had a woman taken by the Comanche and you got her back... how would you feel knowing ?" en lui faisant comprendre qu’elle aurait été violée par ses ravisseurs. Jefferson répond : "If I loved her, it wouldn't matter." "Wouldn't it ?" rétorque-t-elle. Sur quoi il termine plus affirmatif et convaincu que jamais "No ma'am, it wouldn't matter at all !" Belle leçon de tolérance et d’amour, questionnements moraux passionnants au sein d’un western aussi brillant que sobre, aussi intelligent que concis, le plus désespéré de la série ! Un travail d’orfèvre, une fois de plus !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 janvier 2009