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Critique de film
Le film

Fata Morgana

L'histoire

Un voyage dans le désert africain, une légende en trois temps (« La Création », « Le Paradis », « L'Âge d'or ») sur la naissance de l’homme, une quête des mirages.

Analyse et critique

« Monsieur le docteur, avez-vous déjà aperçu quelque chose de la nature double ? Quand le soleil est à midi et que c’est comme si le monde prenait feu, une fois une voix effrayante m’a parlé ! » (Woyzeck de Büchner)

Dès ses 14 ans, Herzog ne cesse de voyager. C'est un besoin pour lui, une nécessité qu'il décrit comme « une quête désespérée de quelque chose. Une quête d’un endroit idéal ou d’une utopie, de paysages dans lesquels on peut vivre dignement ». Fata Morgana est l’une de ces quêtes. Herzog a déjà parcouru l’Afrique à dix huit ans, partant de l’Egypte et se rendant jusqu'au au sud du Soudan avec l'intention de passer au Congo où vient d'éclater à Léopoldville une crise d'une rare intensité. Il veut aller là bas pour comprendre comment un pays, un peuple, peut sombrer dans l'horreur, la barbarie (on parle de cannibalisme, de viols, de tortures et de meurtres) et peut-être aussi comprendre quelque chose de la folie nazie dans laquelle son pays a plongé. Mais Herzog n'atteint pas le Congo et tombe malade à Djouba, dans le sud du Soudan. Il délire, manque d'être emporté par la maladie, est dévoré par les rats (il porte une cicatrice de morsure au visage). L’écrivain Ryszard Kapuscinscki lui dira peu après qu’il a eu de la chance, que personne n’est revenu vivant du Congo. La violence physique de ce voyage et le fait de ne pas avoir pu apporter de réponse à ses interrogations marque profondément Herzog qui entretient dès lors un rapport très particulier au continent Africain, une relation très différente de celle qu’il a pu développer avec les pays d'Amérique du sud par exemple. Des films qu'il tourne en Afrique (Les Médecins volants de l'Afrique de l'Est, Cobra Verde, Wodaabe, Echos d’un sombre empire) se dégage souvent un sentiment de malaise, ou du moins une incompréhension profonde et assumée de cet univers.

Ryszard Kapuscinscki (qui est correspondant permanent en Afrique pour l'Agence de Presse Polonaise à partir de 1962) et Herzog développent un projet de film de science fiction qui se déroulerait en Afrique. Lorsque Herzog part en repérage dans le désert, il est possédé par la puissance des lieux et ne peut plus qu'abandonner un scénario qui lui semble d'un coup complètement futile (l'idée de la découverte d’une planète qui se révèle être finalement la Terre reviendra cependant dans The Wild Blue Yonder en 2005). Le projet se redéfinit ainsi complètement au contact de l'Afrique et devient Fata Morgana, expérience cinématographique hors norme où Herzog souhaite capter la substance du désert et parvenir à traduire en langage cinématographique sa force et son mystère. La réussite de l'entreprise est telle que si Fata Morgana n'est pas à proprement parler un récit de science-fiction, le spectateur a bel et bien au final le sentiment d'arpenter une planète inconnue sur laquelle l'homme viendrait de poser pied.

Débuté en 1968, le tournage s’étale sur trois années. L’équipe, constituée de quatre personnes, se rend Kenya, en Ouganda puis en Tanzanie (ancien Zanzibar) où Herzog souhaite filmer Jon Okello, ancien général Mau-Mau qui, à la tête d’un groupe armé de trois cent hommes, a renversé en 1964 le sultanat installé par le Commonwealth l’année précédente. Mais Okello est alors emprisonné et Herzog, inquiété par les autorités, doit abandonner cette idée. Les discours d’Okello inspireront les paroles d’Aguirre quelques années plus tard. L’équipe traverse ensuite le Sahara algérien, les montagnes de Hoggar, le Niger. Herzog choisit pour y filmer la saison la plus chaude car c'est la plus propice pour filmer les mirages. Mais c'est aussi la saison la plus dangereuse à cause des pluies, des coulées de boues et des tempêtes de sable. Il se rendent en Côte d’Ivoire où un homme prétendant être Jésus Christ a construit une cathédrale dans une lagune (Herzog y enregistre les chants d’une procession qu’il utilisera dans Les Nains aussi ont commencé petits) puis gagnent le Cameroun où ils sont arrêtés. Le passeport du chef opérateur Jörg Schmidt-Reitwen indique seulement Reitwen, qui se trouve être le nom d’un allemand condamné à mort par contumace pour avoir participé à une tentative de coup d’Etat. Ils sont jetés en prison, dans une geôle de trente mètres carrés où croupissent une soixantaine de détenus. Ils assistent à des scènes de torture, à la mort d’un homme tombé dans le coma et dont le cadavre reste deux jours dans la cellule avant d’être retiré. Relâchés, Herzog et Schmidt-Reitwen poursuivent seuls le tournage. Epuisés - Herzog est atteint de paludisme, Schmidt-Reitwen de bilharziose-, ils tournent le film comme prisonniers d'un songe dont ils n'arriveraient pas à se détacher. La fin de Fata Morgana est ajoutée plus tard par Herzog à partir d'images prises pendant le tournage des Nains aussi ont commencé petits à Lanzarote, dans l'archipel des îles Canaries.

Les Paysages

Les paysages chez Herzog sont sans commune mesure avec ceux que l’on voit habituellement au cinéma, ces derniers tenant le plus souvent de la carte postale publicitaire, de l'exotisme ou encore d'un esthétisme de la misère. Il est étonnant de constater à quel point on reconnaît immédiatement les paysages filmés par Herzog : ils ont une qualité propre, quelque chose de profond, de sourd, d’indéfinissable. Ils portent une fulgurance poétique qui résonne en nous, qui réveille des choses enfouies, qui nous parle de l'intérieur. On est ainsi souvent saisi par l’impression qu'un paysage nous est familier, que l’on en possède la connaissance sans le savoir, comme si le cinéma d’Herzog fonctionnait sur un principe du déjà-vu. Très peu de cinéastes savent ainsi capter la substance d'un paysage, donner à ressentir non pas ses limites physiques mais sa frontière invisible, sa frontière imaginaire. Ce qui intéresse Herzog, ce n’est pas la réalité d'un paysage mais ce qu’il éveille en nous, ce qu'il provoque comme sensation. Cet art est particulièrement sensible dans un film comme Le Pays où rêvent les fourmis vertes, et bien sûr Fata Morgana.

« Ce que je recherche dans les paysages en général, c’est un endroit décent pour l’homme » : filmer un paysage correspond pour Herzog à la recherche d’une terre pour l’homme. Une recherche qui aboutit au constat amer que cette possibilité d’une terre d’accueil est du domaine de l’utopie. Dans ses films se succèdent des paysages désolés (Les Nains aussi ont commencé petits, La Soufrière…) ou hostiles (Aguirre) qui ne laissent guère de place pour l’homme. Il y a des territoires où l’homme aurait pu vivre mais qui sont corrompus, détruits par lui (Fata Morgana, Le Pays où rêvent les fourmis vertes…). Mais ce constat d’une Terre qui rejette la présence humaine est absolument nécessaire pour que l’homme puisse commencer à appréhender réellement quelle est sa place au monde. « Le monde croule, tout croule, s’écroule… je deviens léger » dit le berger Hias dans Cœur de verre. Peut-être montre t-il le chemin : si une osmose est impossible entre l’homme et la terre, entre l’homme et la nature, alors il faut faire comme Hias, accepter de ne pas en faire partie et se situer ailleurs au lieu de courir les chimères, les mirages.

Pour la scène d’ouverture montrant une succession d’avions atterrissant, Herzog filme huit fois cette action à l’aéroport de Munich, entre cinq heures du matin et deux heures de l’après-midi, toujours avec le même cadre et la même position de l’avion dans celui-ci. De plan en plan, les choses changent, évoluent simplement parce que la lumière n’a plus la même qualité et que la température augmente. Dans le dernier plan, l’avion ressemble à un oiseau géant baigné de flammes, la piste d’atterrissage devient liquide et l’air semble palpable, tangible. Le réel (un avion, le tarmac) s’est transformé en vision, en mirage. Un « oiseau de rêve » naît du concret. Cette ouverture magnifique porte le projet de Fata Morgana, Herzog ayant le désir de filmer des mirages car ils sont pour lui une image parfaite de la transformation du réel en réalité. Un mirage n’est pas une hallucination, c’est un effet d’optique, une vision décalée du monde qui symbolise à merveille le cinéma d’Herzog.

Cette perception du monde qui se transforme en fonction de lois physiques, optiques mais aussi en fonction de l’état intérieur de celui qui l’arpente est quelque chose qui fascine profondément Herzog. Pour le cinéaste, il y a un réel, mais une infinité de perceptions de ce réel. Un paysage chez Herzog n’est pas quelque chose de figé. Ainsi, dans Fata Morgana, le désert devient un océan immobile ou une figure féminine. L’image que nous nous faisons de ce lieu (si nous ne l’avons pas physiquement expérimenté) est distordue. On est d’abord saisi par le sentiment de ne pas être en phase avec le paysage qui nous est montré pour finalement toucher quelque chose de sa substance profonde, substance qui ne tient pas qu’aux seules caractéristiques physiques mais aussi, et surtout, à ce qu’il provoque en nous : un fond commun de l’humanité qui se réveille - quelque chose de l’ordre du primitif, de la mémoire collective – mais surtout quelque chose de notre rapport intime au monde.

Un long travelling donne à des dunes l’apparence d’un corps de femme. Des images incroyablement sensuelles, tactiles, des images de ventres et de maternité entièrement fabriquées par Herzog, conditionnées par le rythme, les cadres et la puissance d’un chœur féminin chantant La Messe du couronnement de Mozart (1). Pour filmer cette scène, Herzog a au préalable ratissé une piste le long des dunes afin de lui permettre de circuler sans heurt en voiture. Ainsi, le rythme du travelling dépend de la vitesse à laquelle il conduit le véhicule sur la piste, l’image restituant directement les sensations du cinéaste au moment où il est dans l’acte de filmer. Ce que l’on voit, c’est une mise en scène du réel, c’est la vision qu’a Herzog du désert, c’est une image mentale. Il y a toujours, très présente, cette idée que le documentaire devrait être un témoignage, une vision brute de la réalité qui interdirait de fait toute mise en scène de la nature ou des hommes. Pour Herzog, comme pour tous les grands cinéastes dits « documentaires » (Rouch, Flaherty, Perrault…), le documentaire est une fiction, c’est le récit d’un homme (le cinéaste) et de son rapport au réel. Et c’est pourquoi ce travelling est l’une des plus belles séquences que le cinéma nous ait donné à voir, à ressentir : nous ne contemplons pas ici la majesté du désert mais un monde intérieur.

Herzog tourne Fata Morgana au jour le jour, sans image de ce que sera le film fini. Celui-ci se crée naturellement, s’impose à lui. Il ne pense pas, ne construit pas mais se laisse guider, mettant simplement ses sens en éveil et essayant de capter cinématographiquement ce qu’il voit et ressent. Il réalise le montage dans les mêmes conditions, se laissant porter par le rythme intérieur des images qu’il a ramenées, par les rimes et les résonances qui se font jour. Ce film est tout entier une projection intérieure d’Herzog, à tel point que le cinéaste craint de le diffuser car pour lui c’est comme se montrer nu, se livrer entièrement : « Fata Morgana était si fragile, si proche de ce que ressentais profondément, que je n’osais pas le montrer ». Le film reflète tellement son rapport à la terre, au monde, à la vie, aux paysages qu’il est pour lui son œuvre la plus intime et personnelle.

Solitude

Herzog est un cinéaste profondément solitaire, isolé aussi bien dans sa profession que dans la réception critique et publique de son oeuvre. Herzog est issu de la classe populaire, il a été ouvrier, travaillant pour financer ses études ou ses premiers films. Dans le paysage du renouveau du cinéma allemand, il avait tout pour séduire une critique majoritairement à gauche, or, en ne se conformant pas à ce que l’on attendait de lui, il a subi un véritable ostracisme. Herzog est le plus souvent jugé comme un cinéaste apolitique, détaché des questions sociales, voir de l’humain, un cinéaste égocentrique et mégalomaniaque. C’est qu’Herzog rejette ce cinéma militant sûr de ses idées et de son bon droit. Pour lui, se confronter au monde c’est forcément aller contre toute vision simplificatrice mais surtout aller contre sa propre vision des choses. C’est remettre en cause ce que l’on pense savoir. C’est ainsi que son œuvre est devenue au fil du temps l’une des photographies les plus riches et pertinentes de l’état du monde. On pourra découvrir ses films dans cinquante, cent, deux cents ans, ils feront partie de ces oeuvres qui témoigneront d’une époque, qui apporteront des traces vivantes du passé. C’est un cinéma politique qui accepte la complexité du monde, qui s’oppose au militantisme, à la démonstration, au ton professoral ou moralisateur. Mais cet isolement est aussi quelque chose qu’Herzog entretient, prolongeant dans sa vie d’artiste et d’homme public (voir la manière dont il maîtrise ses interviews) cette expérience de la solitude qu’il recherche dans les voyages, les marches solitaires, le désert de Fata Morgana. Cette solitude (qui est aussi celle du cinéaste, abandonné par toute son équipe, dernier à croire qu’il est possible de hisser un bateau en haut d’une montagne) lui est absolument nécessaire pour expérimenter le monde, pour le sentir et nourrir en retour son œuvre de cinéaste.

Une phrase de Robert Walsen clôt L’Extase du sculpteur sur bois Steiner : « Il faudrait que je sois absolument seul au monde, sans âme qui vive autour de moi. Pas de soleil, pas de civilisation. Moi, tout nu, sur un grand rocher et pas de tempête, pas d’argent, pas de rue, pas de banque, pas de temps et pas un souffle. Alors, sans doute, je n’aurai plus d’angoisse ». L’alpiniste Reinhold Messner ne dit pas autre chose dans Gasherbrum lorsqu’il explique qu’il a besoin de ressentir « une solitude plus grande que dans une pièce vide ». Dieter Dangler (Little Dieter Needs to Fly et Rescue Dawn) et Julianne Koepke (Les Ailes de l’espoir) errant dans la jungle incarnent la solitude, mais ce sont tous les films d’Herzog qui sont traversés par ce sentiment. Il met en scène des personnages qui se retrouvent seuls avec leurs rêves ou leurs fantasmes (Stroszek, Kaspar, Fitzcarraldo, le berger Hias, Aguirre, Woyzeck, Cobra Verde - « le solitaire des solitaire »), la présence de Bruno S. et de Klaus Kinski soulignant encore cette sensation de solitude, les deux acteurs la portant profondément ancrée à même leurs corps. Et il y a la façon dont Herzog filme les paysages (ceux de Fata Morgana, des Nains aussi ont commencé petit, de Signes de vie…), nous renvoyant à notre propre expérience de la solitude qui est celle de notre existence et de notre vie sur terre. Nous sommes tous, intrinsèquement, seuls. Mais la solitude est aussi, avec l’extase, la seule manière de transcender notre existence. Chez Herzog l’existence est une prison, le corps est une prison (nous le verrons dans la quatrième partie de ce dossier), la Terre est une prison.

Terre Corrompue

Fata Morgana montre un monde qui n’est que gâchis. Tout est désolation, destruction, corruption. Cette idée du gâchis est omniprésente dans le cinéma d’Herzog : dans Wodaabe, les (autoproclamés) « hommes les plus beaux du monde » sont amenés à vivre sur les déchets de la plus grande usine d’extraction d’uranium au monde ; dans The Wild Blue Yonder, un extra-terrestre raconte comment son peuple a tout gâché en détruisant les promesses offertes par le monde qu’ils ont découverts. Chez Herzog, il y a des paysages sublimes, mais ils ne sont plus que des visions utopiques. Il y a chez lui une vision clairement écologique d’une nature détruite par la folie des hommes, mais son cinéma dépasse cette seule idée. Pour lui, dès l’origine, la Terre n’est pas faite pour accueillir l’homme. Elle est soit trop belle et inaccessible, soit trop dangereuse et vorace. Et la violence qu’exerce l’homme sur la nature vient aussi de son incapacité à vivre sur cette Terre, de la douleur à en être prisonnier. Il exerce contre elle une vengeance aveugle pour répondre au profond sentiment de frustration ressentie face aux limites de son corps, aux faibles possibilités qui lui sont offertes alors que se déploie autour de lui des beautés inaccessibles.

Fata Morgana, divisé en trois chapitres (« La Création », « Le Paradis », « L’Âge d’or ») raconte cette histoire. Le commentaire de la première partie est tiré du Popol Vuh (2), un texte sacré des indiens du Guatemala (les Quichis) datant du XVIème siècle. On y retrouve l’idée - récurrente chez Herzog – que, dès sa création, le monde est fait d’erreurs et qu’il porte dès l’origine la catastrophe en lui. Dans le Popol Vuh, la création est une succession d’échecs : les Dieux doivent s’y prendre à plusieurs fois, exterminant à plusieurs reprises la race humaine pour tout reprendre à zéro (3). La première partie nous montre un monde vierge, nu et désert. Puis, petit à petit, apparaissent des ruines de voitures, des déchets, des restes d’usines. Et c’est seulement après que l’on découvre un enfant et des animaux. Ici, l’activité humaine préexiste à l’humain, ordre inversé qui nous soumet l’idée que c’est notre activité qui nous détermine (sans tout ce que l’on fabrique et agite nous ne serions rien) et qui pose cette idée de cycle (les déchets que nous voyons sont ceux de la précédente génération d’humains). Les hommes affluent, s’installent, des villes se construisent sur une musique entraînante de pop psychédélique. Puis les Dieux rasent le monde, l’humanité est réduite en poussière et le film revient aux paysages nus et aux chœurs féminins qui l’ouvraient. Une autre image revient, celle d’une forme incertaine, noyée dans la chaleur de l’air et qui semble tourner indéfiniment en rond, nous ramenant à l’idée de cycle, d’éternel recommencement et à l’absurde de nos existences.

Les textes des parties suivantes (auxquels Lotte Eisner offre sa voix) sont écrits par Herzog alors qu’il découvre les images du film en salle de montage. « Le Paradis » s’ouvre sur un aveugle, médaille militaire bien visible, qui prononce les premiers mots du film. Les mélodies de Leonard Cohen et les images d’Herzog décrivent un Paradis triste, mélancolique, ennuyeux. Les humains qui l’habitent vaquent à des occupations qui nous paraissent sans finalité. Les gestes et les actions étant séparés de leurs contextes, rien ne fait sens. Les vies sont mécaniques, absurdes et inutiles.

Vient ensuite « L’Âge d’or ». La paix règne nous annonce le narrateur. La guerre est morte, tout le monde est heureux. Et les images se font encore plus absurdes : un improbable couple de musiciens, des personnes jouant dans un paysage lunaire, un plongeur et sa tortue… Les Dieux qui n’ont cessé de recommencer leur ouvrage, tout ce chemin parcouru pour en arriver là ! Et ce monde, cet Âge d’or, c’est celui où nous vivons. La forme mystérieuse du début, maintenant nettement visible (c’est une voiture), cesse de tourner en rond et épouse une ligne droite. Les Dieux sont satisfaits ou peut-être sont-ils simplement lassés. Toujours est-il que ce monde est celui des hommes. Et c’est un monde absurde, désolé et triste… une prison.

Fata Morgana, malgré la noirceur de son propos, est un film très calme et serein où Herzog se plaît à capter la poésie profonde des paysages. Il y a dans ce film l’idée d’un monde derrière le monde. Devant nous se dressent des territoires marqués par la décrépitude et la corruption, mais derrière ces images de gâchis, on peut encore deviner les traces d’un monde premier, pur, dorénavant accessible seulement par les visions, l’imagination, les rêves… et les mirages.


(1) Un autre travelling, magnifique, sur un camp militaire abandonné est porté par la « Leçon des ténèbres » de Couperin. Ce morceau donnera son titre à un autre film d’Herzog qui est comme une suite écho de Fata Morgana. Les premières apparitions d’usines, alors que le film nous projette à l’aube de l’industrialisation, évoquent ces images de puits en feu qui hanteront Leçons des ténèbres.

(2) Florian Fricke, qui participe à la musique du film, créera son groupe Popol Vuh, quelques années plus tard.

(3) Dans Fitzcarraldo, on explique que les indiens appellent la forêt Cayahuari Yacu, « le pays où Dieu a laissé la création inachevée », la légende racontant qu’une fois l’homme disparu, Dieu reviendra enfin terminer son œuvre.

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Par Olivier Bitoun - le 6 janvier 2010