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Critique de film
Le film

Les Ailes de l’espoir

(Julianes Sturz in den Dschungel)

L'histoire

En 1971, un avion s’écrase en pleine jungle péruvienne. Quatre-vingt douze personnes périssent dans l’accident et seule une jeune fille de 17 ans, Juliane Koepke, survit au crash. Éjectée de l’avion qui est alors à deux miles d’altitude, elle survit miraculeusement. Reprenant connaissance, elle constate qu’elle n’a qu’une fracture à l’épaule et une plaie béante à la jambe - plaie qui fait « comme un canyon » et qui la surprend car elle ne saigne pas. Elle entreprend alors une longue marche à travers la jungle pour trouver des secours. Son périple durera douze jours...

Analyse et critique

Werner Herzog accompagne Juliane Koepke au Pérou, vingt-neuf ans après le crash d'avion dont elle a été l'unique survivante. Ensemble, ils retracent les circonstances du drame, racontent comment elle est miraculeusement sortie indemne d'une chute de deux miles, comment elle est ensuite parvenue à survivre seule pendant deux semaines dans la jungle péruvienne. On découvre une femme déterminée qui ne laisse que très rarement poindre son émotion lorsqu'elle raconte le drame qu'elle a vécu. On sent qu’elle est profondément marquée par cette épreuve, mais qu’à avoir à lutter comme elle a dû le faire pour survivre - puis pour vivre avec cette histoire - elle a érigé une forteresse mentale aux fondations très profondes. Juliane a du déployer une incroyable énergie morale et physique pour surmonter la douleur, la peur, la solitude et la tristesse (sa mère était avec elle dans l’avion) et cette énergie, on la sent encore en elle trente ans plus tard. Même lorsqu’elle se trouve devant un monument dédié aux victimes et où est inscrit ce « Wings of Hope » qui donne son titre au film, elle est moins bouleversée que déconcertée par cet épitaphe qui fait référence à sa survie et qui place dans l'ombre le sort de ces quatre-vingt douze passagers qui n'ont pas eu sa chance.

Herzog s’est intéressé à cette histoire pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il se trouvait justement au Pérou en train de tourner Aguirre au moment du drame et qu’il a bien failli être l'un des passagers de l'avion. Il se trouvait en effet dans le même aéroport que Juliane en cette veille de Noël. Des vols avaient été annulés et les voyageurs se pressaient aux guichets pour obtenir les quelques places à bord des avions restants. Juliane faisait partie des "chanceux" ayant décroché une place pour Lima tandis que Herzog et son équipe se trouvaient contraints d’attendre un vol ultérieur. Mais au-delà de l'anecdote, Herzog a toujours été attiré par les récits de survivants. On pense notamment à Dieter Dangler, aviateur abattu au dessus de la jungle du Laos par l'armée nord-vietnamienne auquel il vient de consacrer un documentaire (Little Dieter Needs to Fly en 1997) et dont il rependra l'histoire dans une fiction, Rescue Dawn, en 2006.


Koepke et Herzog ne cessent tout au long du film d’évacuer ce qui dans un documentaire classique aurait été mis à l’honneur : l’exploit, le courage. Ici, Juliane ne cesse de dédramatiser (les caïmans ne présentent aucun risque, ils fuient à l'approche d'un humain ; les piranhas sont inoffensifs pour peu qu'il y ait un léger courant…), expliquant que si elle a survécu dans la jungle, c’est simplement qu'y ayant vécu jusqu'au moment du drame (son père biologiste a traversé une partie du Pérou à pied, entraînant sa famille avec lui) elle a acquis les bons réflexes. Il n'y a nul héroïsme dans la description d'un périple que Juliane décrit comme une avancée mécanique. La seule chose qui l’inquiète alors est sa plaie à l’épaule, remplie de larves, mais pour le reste, elle avance, sans réfléchir, ne se nourrissant même pas, se protégeant simplement la nuit des intempéries avec quelques feuilles. Le récit qui nous est fait de son aventure est très clinique et le film ne s’attarde guère dessus, ne cherchant à aucun moment le pathos ou le sensationnel.

Des extraits d’une série Z tournée d’après l’expérience de Juliane est d'ailleurs un sujet de rigolade pour le duo : Juliane contre les serpents, les crocodiles, Juliane et son jeune ami chimpanzé… rien de plus éloigné de la vérité que cette délirante fictionnalisation de son histoire. Si Herzog s'attache constamment à donner à cette histoire une dimension humaine, il n’en souhaite pas moins rendre hommage à Juliane et on le sent fasciné par cette personnalité qui, il est vrai, est aussi étonnante que marquante. Il n'est pas anodin que le cinéaste reprenne dans ce film ce passage de Persifal de Wagner qu’il utilise dans ses réalisations lorsque quelque chose de profond se joue en lui.

Comme dans Little Dieter Needs to Fly (et la plupart de ses films), Werner Herzog met en scène deux rêves de Juliane. Ces rêves révèlent la façon dont cette aventure l'a marquée et continue de la travailler. Survivre à un tel drame provoque chez l'individu un maelström d’émotions contradictoires (culpabilité, peur, sentiment d'invulnérabilité...) que le cinéaste essaye de retranscrire ici en donnant corps aux songes.


Si les rêves aident à transcrire le drame de Juliane, il y a dans un même temps comme un voile d'irréalité qui entoure son histoire. Ce sentiment de réalité glissante vient en partie - comme dans Aguirre ou Fitzcarraldo - de la puissance onirique qui émane de la jungle, de son côté vorace et carnassier qui semble capable de tout avaler, même la réalité des choses et des évènements. Ainsi, ils peinent à retrouver des traces du crash, tout semblant avoir été digéré par la forêt. Pas d’arbres écrasés, pas de débris de l’avion, pas de corps... Herzog explique qu’il a dû faire trois expéditions pour enfin retrouver l’endroit où a débuté le périple de Juliane. Et lorsqu'enfin quelques morceaux de l'appareil sont découverts, le cinéaste a le sentiment que « le cauchemar de tant de personnes était devenu tellement concret qu’il était devenu palpable. »

Les Ailes de l'espoir est un film d'apparence très simple mais qui se singularise nettement de la production documentaire classique par la façon dont il aborde son sujet - loin du sensationnalisme qui aurait été ailleurs de mise – mais aussi par l'humour du cinéaste, son goût pour les digressions ou encore les élans oniriques dont il est si friand. S'il n'est peut-être pas l'un des documentaires les plus originaux et personnels du cinéaste, les thèmes qu'il aborde et son style immédiatement reconnaissable font qu'il se situe dans la droite lignée des presque quarante années de cinéma qui l'ont précédé.

Il est d'ailleurs intéressant de constater que le style de Werner Herzog n’a que peu évolué depuis ses débuts, comme s’il restait imperméable aux modes, aux changements de styles qui ont eu lieu en plus de trois décennies. Il met en scène Wings of Hope exactement comme Les Médecins volants en 1969. On a l’impression que Herzog ne voit que très peu de films, qu’il n’est pas au courant de ce qui se fait ailleurs, qu’il est dans son mode de cinéma et qu'il ne se soucie de rien d’autre que de poursuivre son petit bonhomme de chemin sans se soucier de critères esthétiques dont il n’a cure. Outre que la simplicité et l'évidence de son style font que ses films ne sont pas marqués par le temps, cette absence d'influences extérieures assurent à son œuvre - qui atteint aujourd'hui un demi-siècle de longévité - une cohérence thématique et stylistique assez unique dans l'histoire du cinéma.

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Par Olivier Bitoun - le 9 juin 2011