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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Médecins volants de l’Afrique de l’est

(Die fliegenden Ärzte von Ostafrika)

L'histoire

Ce documentaire suit une association de médecins œuvrant en Afrique. Pilotant de petits avions, ils sillonnent un territoire grand comme l’Europe centrale pour intervenir sur une opération complexe, prêter main forte à un centre de soin isolé ou apporter une aide médicale à des régions qui n’ont aucune infrastructure ou personnel soignant. Huit de ces médecins témoignent de leur travail devant la caméra d'Herzog.

Analyse et critique

Les Médecins volants de l'Afrique de l'Est est le premier d’une longue série de films documentaires qu'Herzog réalisera tout au long de sa carrière. S’il propose au fil de ces films un passionnant témoignage sur l’état du monde (en multipliant les lieux de tournage et en abordant un vaste panel de sujets), ce n’est d’évidence pas ce qui le motive en premier lieu dans ce geste documentaire. Herzog ne se positionne jamais comme un observateur portant un regard neutre sur les choses, il s’inclue dans ses film, y intervient physiquement ou par le biais d'une voix off. Vérité, témoignage, neutralité, objectivité... tous ces qualificatifs associés au « cinéma vérité », Herzog les rejette. Il fictionnalise, il met en scène le réel.

Le cinéaste suit ici le travail de huit médecins allemands et anglais qui interviennent au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie à bord de petits avions qu'eux mêmes pilotent. Depuis leur base de Nairobi, ils opèrent dans un périmètre correspondant à trois heures de vol. Ils viennent ponctuellement seconder un centre hospitalier pour une opération complexe (un médecin de Menheim raconte comment il a mené une opération pendant deux jours pour reconstruire le visage d'une femme attaquée par un animal sauvage), prêter main forte à un centre de soin (comme soigner de multiples blessés suite à un raid meurtrier mené par une tribu contre une autre,) ou plus régulièrement apporter une aide médicale à des régions qui n’ont aucune infrastructure ou personnel soignant.

Le docteur Michael Wood est ainsi chargé de mener la construction d'une piste d’atterrissage dans une vallée où se trouve une ville isolée n’ayant aucune structure d'accueil pour les malades. Aucun trafic aérien n'existe car les vents contraires qui balaient la vallée font qu'il est réputé impossible d’y atterrir. Wood se charge lui-même de vérifier la véracité de ces dires. Après avoir dégagé l'espace nécessaire (une scène qui reviendra dans Le Pays où rêvent les fourmis vertes), il monte dans son avion et tente – et réussit - un atterrissage. Il y a une fascination évidente d'Herzog pour ces médecins qui se confrontent directement à la réalité du terrain, qui ne s'arrêtent pas au constat superficiel des situations et décident d'agir.

Ailleurs, un camion avec une petite chambre d’opération et des rayons X a été fabriqué afin de sillonner le désert Masaï. Contrairement à ce qu'ils attendaient, convaincre les Masaï de se faire ausculter ne s'est pas révélé difficile, en revanche leur faire monter les trois marches menant au camion s'est avéré être une véritable épreuve. En effet, la notion d’escalier n’existe pas dans leur culture, et Herzog rapporte des images stupéfiantes de ces hommes et femmes qui gravissent les marches avec moult précautions, comme s’ils étaient sur un fil tendu au dessus d’un précipice. Cette scène très simple est profondément herzogienne par la façon qu'elle a de montrer que chaque civilisation appréhende le monde à sa manière, que la réalité n'est pas la même pour tous. Une expérience filmée par Herzog travaille sur ce même thème : les participants doivent repérer un œil isolé sur une première image puis montrer sur une seconde image, qui représente un être humain dans son entier, l’endroit où se situe cet œil. Beaucoup échouent et Herzog montre ainsi que chaque civilisation a ses propres repères, que « eux et nous voyons très différemment une même chose ». Cette idée d'un même réel menant à des réalités différentes en fonction de la culture ou du passé de chacun, est une des grandes constantes qui explique le cinéma d'Herzog.

Herzog porte un intérêt tout particulier à ces anecdotes qui révèlent le fossé entre l’Occident et l’Afrique, qui montrent combien il est difficile pour ces deux cultures de se comprendre. Toujours il préfère mettre en avant son incompréhension de l'autre plutôt que de tordre une réalité par son regard de cinéaste occidental. Herzog n'est pas un cinéaste qui édicte ou démontre, c'est un cinéaste qui cherche et doute.

Dans ce film racontant la rencontre entre deux mondes, il n'est pas anodin que l'avion ait une place centrale, comme il n'est pas anodin que l'image d'un jeune Kenyan mesurant l'appareil avec sa lance revienne sous une autre forme dans Le Pays où rêvent les fourmis vertes, autre film où Herzog montre l'altérité des cultures. L’avion incarne l'idée de passage, entre la terre et le ciel, entre deux continents, deux pays. Pur objet technologique, concret, fonctionnel, incarnant l'échange et la transmission, il n'en demeure pas moins qu'il puisse être vu comme tout autre chose par des Aborigènes (une fourmi géante) ou par une femme sourde et aveugle (Fini Straubinger dans Pays de silence et d’obscurité). Ce paradoxe qu'Herzog manie admirablement est aussi celui qui gouverne la façon dont on appréhende le bateau de Fitzcarraldo selon que l'on se place du côté de l’aventurier blanc ou de celui de la tribu indienne venue lui porter main forte. Que des choses aussi terre à terre qu’un avion ou un bateau puissent devenir selon sa culture ou son histoire des objets très différents et distincts est quelque chose qui passionne Herzog et qui rejoint sa certitude que coexistent autant de mondes qu'il y a d'individus. Et il y a beaucoup de joie à l'idée que le monde n'est pas unique et uniforme, comme le montre cette scène très gaie où des villageois hilares découvrent pour la première fois un avion.

Malgré des scènes éprouvantes (notamment des images d’opérations sur des blessés) et un contexte africain très dur (les conditions sanitaires déplorables, la famine, les épidémies, les difficultés politiques...) Herzog refuse tout pathos ou sensiblerie. Au contraire, le commentaire qui accompagne le film (lu par Herzog lui-même, le réalisateur prêtant sa voix à la plupart des voix off de ses films) est drôle et enlevé, à l’image de ces médecins qui n’appuient jamais sur l’horreur des situations mais préfèrent évoquer leur mission avec un détachement et un humour qui n'interdit bien sûr en rien un profond humanisme. Herzog rigole à l’idée que le tourisme aéronautique est un hobbie très prisé et très cher en Afrique, et que ces médecins en profitent gratuitement ! A titre d’exemple, nous survolons le lac Nakuru (le « lac rose », couvert d’un million de flamands roses que l’on retrouvera dans Fata Morgana), vision pleine d'ironie, Herzog étant un cinéaste qui refuse toute forme d'exotisme et pour qui l’idée de tourisme est une aberration insupportable. Il s’amuse ainsi en filmant un groupe de hollandais dans un long plan fixe, eux face caméra, souriants et répondants poliment aux injonctions du cinéaste qui leur demande d'avancer ou de reculer dans le cadre, Herzog retournant d'un coup la position du touriste qui devient sous sa caméra un cobaye docile. Un plan qui est une signature du cinéaste (du moins dans ses premiers films) et dont l'absurde revendiqué annonce les images de la dernière partie de Fata Morgana.

Les Médecins volants de l'Afrique de l'Est n'est pas un documentaire larmoyant, didactique ou donneur de leçon, comme il n’est pas une hagiographie destinée à magnifier l'action d'hommes et de femmes sans peur et sans reproches qui seraient prêts à risquer leurs vies pour porter secours aux plus démunis. Herzog souhaite simplement offrir à ses amis médecins volants un témoignage sincère et humain de leur action. Et en profiter pour montrer qu'après des siècles de colonisation et d'exploitation, nous ne faisons que commencer à accepter de communiquer avec l'Afrique et à apprendre d'elle, le respect de l'autre ne pouvant passer que par l'acceptation de la multiplicité des regards et des mondes.

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Par Olivier Bitoun - le 6 janvier 2010