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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Soufrière

(La Soufrière - Warten auf eine unausweichliche Katastrophe)

L'histoire

Herzog se rend sur l’île de la Guadeloupe alors que le volcan de La Soufrière, toujours en activité, menace d'entrer en éruption et de détruire une partie de l’île. Le cinéaste ne veut pas filmer la fureur du volcan mais partir à la rencontre d’une poignée d’habitants qui ont refusé de quitter la Basse-Terre. Herzog veut comprendre pourquoi ils refusent d’être évacués au risque de leur vie.

Analyse et critique

« Dieu tout puissant, envoie nous un tremblement de terre » (Conquête de l’inutile)

La Soufrière est un volcan en activité situé sur l’île de la Guadeloupe. Dès 1975, de nombreuses secousses agitent les sismographes. Une première éruption à lieu en juillet 1976 et tous les spécialistes s’accordent pour annoncer qu'une explosion imminente du volcan est à venir - « une catastrophe inévitable » comme l’indique le sous-titre du film - dont la puissance serait équivalente à celle de cinq ou six bombes atomiques. 75000 habitants sont alors évacués de Basse-Terre vers Grande-Terre et Pointe-à-Pitre.

Herzog lit dans la presse que trois paysans ont refusé d’être déplacés alors que le volcan est supposé se réveiller dans les prochains jours. Dans la journée, il plie bagages et se rend sur place avec Jörg Schmidt-Reitwein et Ed Lachmann. Ils gagnent la ville de Capesterre-Belle-eau, 17000 habitants, complètement désertée. C'est un paysage de fin de monde qui s'ouvre à eux : plus une voiture dans les rues, mais des feux rouges qui fonctionnent encore, une télé allumée et plus personne pour recevoir ses images, quelque vitrines pillées, des animaux qui errent dans la rue... la ville semble s'être vidée en un souffle et Herzog a la chance de filmer une vision d'apocalypse digne de l'ouverture du Jour des morts vivants, et ce sans le moindre effet spécial.


La nuit de leur arrivée, les signes annonçant l'explosion se font plus pressants et les derniers scientifiques quittent la place. Herzog plante une caméra à 35 kilomètres du volcan afin qu'elle soit à l'abri de l'explosion, son déclenchement devant intervenir automatiquement lorsque celle-ci aura lieu. Lui et son équipe retournent ensuite vers la Soufrière, avec dans l’idée que si le volcan explose, ils filmeront tant que possible et enterreront la pellicule afin qu’elle puisse devenir un outil à destination des archéologues du futur. Cette idée pour le moins saugrenue témoigne d'une idée qui court tout au long de son geste documentaire : celle de filmer non pas pour ses contemporains mais pour les générations futures. Plusieurs de ses films sont ainsi fabriqués comme s'ils étaient vus par des hommes venant du futur ou d'une autre planète, instaurant par là un dialogue entre notre époque et le devenir de l'humanité. Une nouvelle façon pour le cinéaste de relativiser l'importance de nos existences, de marquer leur côté éphémère au regard de l'infini de l'univers. On ressent ainsi tout particulièrement dans La Soufrière, mais aussi dans Leçons des ténèbres ou The Wild Blue Yonder, cette fragilité des vies humaines. Mais cette obsession pour les traces à laisser pour les générations futures est certainement aussi due à l’omniprésence dans son imaginaire du fantôme de son grand père archéologue.


Herzog filme longuement la ville depuis un petit avion, et on a l’impression qu’il est en train de filmer sa disparition imminente, qu'il est là pour capter son dernier souffle avant qu'elle ne disparaisse sous la fureur du volcan. Il intercale à ces vues de vieilles photographies en noir et blanc de la ville de Saint Pierre en Martinique, derniers clichés de la ville pris avant sa destruction totale par l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. Une catastrophe qui a laissé 26000 morts derrière elle et seulement deux survivants. Herzog raconte qu'ironiquement, l'un de ces deux rescapés était l’homme le plus mauvais de la ville, un voleur enfermé dans le plus profond cachot de la prison à cause de sa constante rébellion contre les matons. L'histoire est parfois transmise par de biens étonnants messagers...


Herzog et ses deux collaborateurs parcourent ensuite la ville. Passage magnifique où le cinéaste nous immerge dans la ville morte par le biais de ces lents travellings dont il a le secret. Il nous plonge dans une sorte de stase temporelle, nous fait arpenter un monde hors du monde, calme, silencieux, paisible. Un étrange sentiment d’harmonie submerge les trois hommes qui, comme possédés, ressentent le besoin de se rendre à la source de ce silence, au cœur du cratère. Ils montent le long d'une route parsemée de gros blocs de pierre projetés par le volcan mais doivent soudainement rebrousser chemin alors qu’un nuage de souffre descend le long de la montagne. Ils tentent une deuxième ascension qui elle est couronnée de succès et les trois hommes ramènent quelques images qui se révèlent décevantes, très peu spectaculaires. On s'attend à contempler les gorges de l'enfer et l'on a qu'un amas de fumée s'étendant sur une terre grise... la fin du monde a un visage bien trivial.

En redescendant de leur expédition sur la Soufrière, Herzog et ses compères partent en quête de ces hommes dont il a entendu parler dans les journaux. Ils trouvent le premier allongé, dormant tranquillement. Il s'éveille un peu et leur explique tout simplement qu’il attend la mort, qu'il ne va pas se mettre à aller contre la volonté de Dieu. Cet homme paisible et entêté rappelle le vieux muet de Dernières paroles qui lui aussi refusait de suivre les autres et de quitter son île. Herzog ne tarde pas à trouver les deux autres réfractaires, qui ont le même discours, à la différence qu'ils n'en appellent pas à Dieu. Ils n’ont pas envie de mourir, mais considèrent simplement que si leur heure est venue, et bien, qu’il en soit ainsi. On comprend aussi qu’ils sont pauvres et que ce dénuement est pour beaucoup dans leur total abandon au destin. Mais ce qui est particulièrement marquant c'est leur calme, l'absence totale de peur en eux.

On a souvent relevé à propos de ce film la folie d’Herzog et son goût du danger. Il est vrai que le danger, la peur sont des choses qui intéressent énormément le cinéaste. On pense aux médecins volants de l'Afrique de l'Est, à Dieter Dangler (Little Dieter Needs to Fly), Juliane Koepke (Les Ailes de l'espoir), Timothy Treadwell (Grizzly Man) et bien d'autres protagonistes de ses documentaires qui doivent faire face à des événements dangereux, des environnements hostiles ou des situations extrêmes. Ce n’est pas l'exploit qui intéresse Herzog dans ces histoires, mais la façon dont elles lui permettent de mieux comprendre l'homme. Observer comment un être humain réagit à la tension, à la peur, au danger, à l'imminence de la mort dévoile énormément de choses sur la façon dont il appréhende le monde et la vie. Le quotidien ne permet pas de saisir vraiment quel est notre rapport intime à l'existence et c’est en se confrontant à sa finitude que ce rapport se révèle en partie.

Walter Steiner expliquait que la peur n’était en aucun cas un allié lors de ses sauts : la tension, le cœur bâtant à tout rompre paralysant le sportif et lui faisant faire des sauts de débutants. Steiner luttait ainsi constamment contre les dangers physiques des compétitions de sauts à ski et Herzog fait de même, ne recherchant pas plus que son ami le danger ou l’exploit. La démesure de certains de ses projets masquent le fait qu'il est quelqu'un de réfléchi et non un risque tout comme le veut la légende. La Soufrière est en fait le seul film où il est allé au-delà des limites du raisonnable, mais c'est que rencontrer ces hommes répond chez lui à un besoin impérieux de mieux saisir quelque chose de l'essence de l'existence.

On ne peut cependant pas complètement mettre de côté le fait qu'Herzog avait certainement une grande ambition en décidant de risquer sa vie pour tourner ce film, qu'il était persuadé de revenir avec une œuvre grandiose, unique. Mais le fait que le volcan n'explose pas donne au film un aspect pathétique qu'Herzog assume complètement, dont il s'amuse même. Il sait se moquer de ces « conquêtes de l’inutile » dans lesquelles il se lance tout en sachant qu'elles font partie de son cinéma et de sa vie. C'est ainsi qu'il clôt son film en en modifiant le sous-titre : « un documentaire sur une catastrophe inévitable qui n’a pas eue lieue ».

A la fin du film, Herzog explique que dans ses souvenirs, l’image du volcan disparaît déjà. Ce qui reste, c’est l’image de ces trois hommes restés sur place et qui ont accepté l'idée de disparaître. Le côté grandiloquent du film – l'éruption - n'a au final guère d'importance, ce qui compte vraiment ce sont ces humanités au bord de l'oubli.

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Par Olivier Bitoun - le 16 septembre 2010