L'histoire
Quelque part en Angleterre, la jeune Amanda (Susan George) rejoint à la nuit tombée une demeure campagnarde où elle doit garder pour la soirée un garçonnet prénommé Tara (Tara Collinson). Aussi blond que charmant, l’enfant a pour parents un couple aisé formé par Helen (Honor Blackman) et Jim (George Cole) Lloyd. Ceux-ci ont prévu de passer la soirée dans un restaurant situé à quelques kilomètres de là. La paisible soirée que la baby-sitter prévoyait de passer va, en réalité, se muer peu à peu en le plus terrifiant des cauchemars. Sous leurs bourgeoises et rassurantes allures, les Lloyd dissimulent en effet un terrible secret lié au précédent compagnon d’Helen, Brian Halston (Ian Bannen). C’est cette plus que tragique, en réalité, atroce histoire de famille qu’Amanda découvrira bientôt à ses dépens, de même que Chris (Dennis Waterman), le petit ami de la charmante baby-sitter venu faire une visite surprise à sa bien aimée...
Analyse et critique
Réalisé par Peter Collinson, un réalisateur britannique ayant avant tout œuvré dans le cinéma de genre (1), La Peur (édité en vidéo dans la collection Make My Day ! sous son titre original, Fright) semble de prime abord en relever de la plus canonique des manières. Exploitant plus précisément la veine d’un gothique relu à l’aune de la modernité des sixties, La Peur s’impose dans un premier temps comme une combinaison d’emprunts au roman dit terrifiant des XVIIIe/XIXe siècles et au genre cinématographique et contemporain du psycho-killer.
Quant à la première de ces influences, La Peur évoque notamment les classiques et horrifiques récits d’Ann Radcliffe. Une inspiration que manifestent de la plus exemplaire des manières les scènes introductives de La Peur. Si les visions des contours lumineux d’un autocar et de la courte robe d’Amanda évoquent certes le présent (du moins celui des années 1970 débutantes), les premières minutes revêtent bien vite les allures d’un troublant voyage dans le temps. Une fois descendue de l’autocar l’ayant déposée à proximité de la demeure des Lloyd, Amanda s’engage alors dans une balade d’une inquiétante et archaïque étrangeté. Parcourant d’abord un chemin sylvestre transformé en un oppressant tunnel par les effets combinés de la nuit et de la brume, la jeune femme franchit bientôt des grilles tout autant malaisantes, la caméra prenant la peine de s’attarder sur les pointes acérées de la clôture après les avoir amenées au premier plan. Évoquant confusément la mâchoire de quelque formidable et monstrueuse créature, la ferronnerie marque l’entrée du domaine des Lloyd au cœur duquel s’enfonce ensuite Amanda. La jeune femme y découvre bientôt leur maison, dont la haute et ouvragée façade évoque irrésistiblement celle d’un sinistre manoir.
Pas moins inquiétant, l’intérieur de la demeure bientôt découvert par Amanda s’impose en quelques plans comme un espace à la fois labyrinthique et claustrophobe. Sa topographie est rendue encore un peu plus angoissante par une décoration murale mêlant aux visages blafards d’antiques portraits les pointes aigües d’un massacre de cerf. Ces dernières font bien évidemment écho aux semblants de canines géantes hérissant la grille du domaine des Lloyd, achevant de donner l’impression qu’Amanda s’est en quelque sorte jetée dans la gueule du loup... Dans cet espace étouffant et menaçant, les marques de contemporanéité sont rares et ténues, celles-ci se limitant à un éclairage électrique trop chiche pour en chasser toutes les ombres, ainsi qu’à un téléviseur et à un combiné téléphonique tous deux hors d’âge. À mille lieues ou plutôt à des siècles de la modernité des swinging sixities londoniennes, La Peur semble alors avoir fait basculer son héroïne (et son public) dans un passé imaginaire. Celui-là même que Les Mystères d’Udolphe (1794) et L'Italien ou le Confessionnal des pénitents noirs (1797) d’Ann Radcliffe fantasmaient, y mettant en scène de jeunes, charmantes et innocentes héroïnes, sortes d’ancêtres d’Amanda, aux prises comme elle avec d’effroyables mystères tapis dans les obscurs recoins d’imposantes et extravagantes demeures.
Quant au Mal dont la maison Lloyd se fait le classique théâtre, il est quant à lui éminemment moderne, car s’incarnant dans la figure du psycho-killer. [Attention (premier) spoiler] Au terme d’un jeu (narratif) du chat et de la souris, Amanda découvrira en effet que l’ancien compagnon d’Helen - et par ailleurs père du petit Tara - est un dément aux tendances meurtrières. Quelques années auparavant, le très perturbé Brian Halston (Ian Bannen) tenta en effet d’assassiner aussi bien son épouse que son tout jeune fils. Heureusement empêché d’aller jusqu’au terme de sa pulsion homicide, Brian fut dès lors interné dans un asile psychiatrique de la région... jusqu’à ce qu’il parvienne à s’en échapper ce soir même où Amanda est chargée de "baby-sitter" le petit Tara ! Jouant dans La Peur une partition qu’il reprendra l’année suivante dans The Offence, le comédien Ian Bannen inscrit le personnage de Brian dans la lignée des Janus psychotiques de M le Maudit ou de la Nuit du chasseur. Se présentant d’abord à Amanda sous les allures (à peu près) rassurantes d’un salvateur "Docteur Jekyll", Brian se métamorphose bien vite en un véritable "Mr. Hyde". Ne lésinant pas sur les roulements d’yeux préalablement exorbités et les rictus "neuro démoniaques", galopant de part et d’autre d’un spectre vocal allant du chuchotement infantile au hurlement canin, le sur-expressionniste Ian Bannen (suant comme si le film se déroulait à la hauteur de l’équateur) joue à plein la carte de la monstruosité... [Fin du (premier) spoiler]
L’on se gardera cependant de réduire La Peur à un seul croisement de l’univers épouvantant de la Hammer avec celui (entre autres thrillers psychotiques) de Psychose. Semblable en cela à nombre d’autres films dits de genre (2) choisis par Jean-Baptiste Thoret pour sa collection Make My Day !, La Peur s’échappe in fine du cadre dans lequel il semblait pourtant s’inscrire. Au terme du film, spectateurs et spectatrices auront en effet compris que l’atrocité dont il y est question n’est pas d’essence fantastique ou psychanalytique, mais plutôt sociale. [Attention (second) spoiler] Car aussi freak Brian puisse-t-il apparaître du fait de l’interprétation déchaînée d'Ian Bannen, c’est d’un mal d’une terrible banalité dont le personnage se rend à plus d’un titre coupable. Ne se contentant en effet pas (si l’on peut écrire ainsi...) de prendre Amanda en otage après avoir menacé de s’en prendre à Tara si elle lui désobéissait, Brian lui inflige en quelques heures la presque totalité des violences patriarcales. D’abord oralement tourmentée, la jeune femme est bientôt battue, avant que d’être violée lors d’une scène dont l’absence crue de complaisance ne ménage aucun doute quant à la souffrance endurée par Amanda. Enfin, la brute "viriarcale" que n’est rien d’autre que Brian se mue en ce que les faits-divers désignent comme un forcené, lorsque la police ainsi que les Lloyd tentent de se porter au secours de Tara et d’Amanda. Menaçant non seulement de tuer ces derniers, mais aussi Helen devenue elle aussi son otage, Brian sera cependant in extremis empêché de se rendre coupable d’infanticide et de féminicide par Amanda elle-même. S’étant emparé de l’arme d’un des policiers, la jeune femme abat alors son violeur en un geste à la fois défensif et vengeur. [Fin du (second) spoiler]
Somme toute bien plus proche de Crime à froid que de Halloween, La Peur n’ouvre pas tant l’ère du slasher que celle du rape and revenge par son utilisation des "mauvais genres" filmiques pour dresser l’anatomie de la domination masculine. Et sans doute n’est-ce pas un hasard cinématographique si l’on retrouvera quelques mois à peine après La Peur sa principale interprète, Susan George, au générique des Chiens de paille...
(1) On doit notamment à Peter Collinson L’Or se barre (1969) ou bien encore Nid d’espions à Istanbul (1972), pour ne citer que les plus connus de ses films dits de genre. Peter Collinson est aussi l’auteur de quelques chroniques sociales d’un ton âpre, telle que Les Bas-quartiers (1968).
(2) On se permettra, à ce propos, de renvoyer à nos chroniques sur ce même site concernant And Soon the Darkness (par ailleurs réuni avec La Peur / Fright en un même coffret), Les Chiens, Déviation mortelle / Roadgames ou bien encore Flics-Frac ! / The Black Marble, autres exemples de films dérogeant chacun à leur singulière manière à la loi du (film de) genre...