Interviews

Nouvelle rencontre dans les coulisses de l'édition vidéo, cette fois avec un touche à tout de l'ombre dont vous avez sans doute vu le travail sans le savoir, et que les plus connaisseurs d'entre vous connaissent déjà : Jérôme Wybon est l'un des grands spécialistes hexagonaux des archives audiovisuelles autour du cinéma. Il est réalisateur de documentaires et de bonus, aide précieuse des éditeurs dans le dénichage ou la conception des suppléments, ou encore directeur de collection pour Studiocanal. Il nous évoque cette véritable passion dont il a réussi à faire son métier, et nous dévoile quelques surprises à venir en Blu-ray...

DVDClassik : Comment est née la collection « Nos années 70 » ?

Jérôme Wybon : Pendant le marché international du film classique, en parallèle du Festival Lumière de Lyon. J'avais discuté avec Studiocanal de l’idée d’une autre collection, après le succès de celle de Jean-Baptiste Thoret (Make My Day!). Pourquoi ne pas raconter l'histoire du cinéma français à travers une décennie en particulier, où les films racontent aussi la société française de l'époque ? Le catalogue de Studiocanal regorge de films dans tous les genres, polars, comédies, drames, montés par des producteurs et productrices aux sensibilités différentes, des films ayant connu le succès et d'autres pas du tout. De quoi proposer un panorama assez large de la production française de ces années-là et raconter une partie de l'histoire du cinéma français. Nous nous sommes lancés sur l'idée de films totalement inédits en Blu-Ray, mêlant des œuvres parfois non rééditées depuis leur première sortie en dvd il y a vingt ans, et celle de films restés inédits en vidéo jusqu'à aujourd'hui. La collection est née comme cela. Nous sommes partis sur des listes de films, j'adore faire des listes, pour repérer les longs métrages dont le matériel était restauré et dont les droits étaient disponibles. Nous nous sommes dit qu’on ferait des vagues de trois films tous les trois mois, là où Jean-Baptiste sort un film par mois.

Au début, nous nous sommes mis d’accord sur 27/28 films qu'on a planifiés de 2022 à 2025. Puis d’autres titres, récemment restaurés, se sont ajoutés entre temps : des films comme Une journée bien remplie, La Scoumoune, Les Héros n'ont pas froid aux oreilles ou cette rareté totale Les Fougères Bleues, seul film réalisé par Françoise Sagan. Comme beaucoup de cinéphiles, je ne savais même pas qu'elle avait réalisé un film. Il n'avait pas marché à sa sortie et avait été oublié. Mais l’effet de curiosité fait qu’il s’est naturellement imposé dans la collection. Il y a donc des films très connus que j'avais envie de revoir en HD et des films un peu orphelins, voire oubliés par le temps... Et je tenais à ces films, en particulier comme Le Secret de Robert Enrico ou La vieille fille de Jean-Pierre Blanc. Et il y a des curiosités comme L’Ordinateur des pompes-funèbres de Gérard Pirès. Une comédie avec Jean-Louis Trintignant, c'est rare, même s’il a quand même tourné trente films dans la décennie, mais le film était surtout introuvable depuis vingt ans. Il y avait donc cette volonté d'avoir quasiment un inédit par vague. Et sur les titres réédités en HD, d'apporter aussi beaucoup au niveau éditorial, encore plus quand rien n'avait été fait en dvd il y a vingt ans. Donc sur Je ne sais rien mais je dirai tout de Pierre Richard, je suis très heureux d'avoir ajouté un making of d'une heure tourné à l'époque, et quinze minutes de scènes coupées. C'est la première fois qu'on voit de scènes coupées sur l'un de ses films. Il y avait une quinzaine d'années que rien n'avait été fait éditorialement sur l'une de ses réalisations de Pierre Richard.

Et pourquoi les années 70 et pas les années 80, par exemple, qui sont en ce moment très à la mode ?

Parce que je venais de réaliser un documentaire sur le Festival de Cannes 1968. Je m'étais intéressé ensuite à la façon dont l’événement avait touché la société française et comment cela s’était répercuté dans le cinéma français. J'avais aussi commencé à écrire une série documentaire sur le cinéma français des années 70 pour la télévision. C'est une période qui raconte beaucoup la société française, ses révolutions sociétales, sexuelles et politiques. Quand Gérard Oury fait Les Aventures de Rabbi Jacob, il signe une comédie très engagée, mais tout le cinéma français est engagé à ce moment-là. Et Il y a surtout beaucoup de nouveaux talents, une génération d'acteurs, d'actrices, de réalisateurs qui arrivent avec Claude Miller, Bertrand Tavernier, Bertrand Blier... Ce qui est intéressant dans les films que j’ai choisis, c’est qu’ils étaient pour la plupart des films du dimanche soir de TF1, et qu'ils ont pris une valeur différente aujourd’hui. C’est comme le western spaghetti qui était considéré comme un cinéma uniquement commercial et qui est aujourd’hui célébré à la Cinémathèque, par des cinéphiles, mais plus du tout par le grand public. Pierre Richard, Alain Jessua ou Philippe de Broca ont eu aussi droit à des intégrales à la Cinémathèque française. Ces bascules sont intéressantes. Et puis cela montre aussi quels types de films on produisait à l'époque, l'écriture, la manière de jouer, le montage, le cadrage. Avec évidemment des limites technologiques liées aux caméras, aux pellicules, à l'étalonnage.

Est-ce qu'il y a des titres Studiocanal que vous regrettez de ne pas avoir pu inclure dans la collection ?

Il a pu y avoir des films dont il n’existait pas de matériel HD, ou des soucis dans la reconduction des droits d’auteur. Après, il y a plein d'autres films que j'aurais rêvé d'éditer mais qui sont dans d'autres catalogues.

La collection profite-t-elle d’un effet nostalgique pour cette période ?

L’aspect nostalgique n'est pas du tout mis en avant, je pense, ni par les jaquettes, ni par mon état d'esprit au départ. On avait envisagé à un moment de pouvoir lancer le film avec le générique étoilé du « Film du dimanche soir » de TF1, sur une musique de Cosma, diffusé dans les années 80. Mais je pense que cela allait trop loin, sentait trop la naphtaline et figeait la collection dans une époque. La nostalgie joue sans doute, mais je défends l'idée de la découverte ou de la redécouverte : Nadine Trintignant a fait un polar écrit par Alain Corneau ? Avec une musique de Bruno Nicolai ? Allons-y ! Ceux qui ont vu Le Vieux fusil ou Les grandes gueules peuvent se demander ce qu’est Le Secret de Robert Enrico. Comme le film n'a pas marché à l'époque, il n’a pas eu véritablement de seconde vie et passait moins à la télévision. Sa notoriété se perdait. Mais le casting, Philippe Noiret, Marlène Jobert et Jean-Louis Trintignant, sur une musique de Morricone : oui, cela se tente largement. Et les gens qui connaissent le film savent combien il est réussi. Les films sont vivants, ils ne sont pas figés dans le temps. Leur perception change avec les années qui passent. Donc la nostalgie est sans doute possible sur des films très connus, mais je voulais aussi que l'on découvre des films à travers cette collection, là où la nostalgie n'a pas de prise...

On privilégie aujourd’hui des sorties vidéo évènementialisées, comme pour Le Nom de la rose, les films de Jean Eustache, etc, pour être mieux remarquées par le public. Faire une collection permet de créer une sorte de rendez-vous et donc une visibilité...

Je constate qu’il y a un « effet collection » qui pousse à tenter les autres titres moins connus, d’autant que le prix n’est pas élevé, ce qui était un point important. S’ils étaient sortis de façon disparate, comme ça, sans identité individuelle et hors d'une collection, je ne pense pas que les films moins connus auraient pu émerger. J'essaie aussi de mélanger les genres, de proposer une comédie, un drame, un policier, d'espacer les sorties quand j'ai deux films avec Alain Delon par exemple, pour qu'il y ait des envies différentes chaque trimestre. S’il y a peut-être un titre qui peut intéresser un cinéphile ce trimestre-ci, il en prendra peut-être un deuxième parce que le film l'intrigue.

La collection a-t-elle été créée en pensant aux suppléments en archives ?

Oui, cet axe éditorial était clair dès le départ pour moi. D’abord avec une présentation des films, pour les remettre dans le contexte de leur sortie, donner quelques infos sur leur fabrication, un peu dans l'esprit de ce que fait Patrick Brion à la télévision. Quelque chose de concis, d'informatif. Je tenais à ne jamais présenter tel ou tel film comme culte, terme tellement galvaudé qu'il ne veut plus rien dire, et je voulais, dans ces présentations, donner envie de visionner les suppléments. C'est la même démarche que de déterrer certains films qui étaient un peu oubliés, et qu'on a envie de revoir dans une bonne qualité. Je voulais montrer des archives avec des artistes qui ne sont plus là, en évitant les archives promotionnelles. On n'a pas besoin d'avoir Philippe Noiret et Miou-Miou qui nous racontent le sujet du film et nous présentent leurs personnages. C'est sans doute intéressant à la sortie du film, mais pas en supplément du Blu-Ray. L'archive pour l'archive n'a pas de sens. Il faut de toute façon détourner ces archives, leur trouver un nouveau sens, surtout qu'il ne faut jamais oublier qu'elles n'étaient pas destinées à être rediffusées à l'origine. Elles prennent donc ici une autre valeur car elles racontent selon moi une partie de l'histoire du cinéma français. Un making-of d'une heure sur un film de Pierre Richard, c'est essentiel. Ou sur Les Seins de glace, une longue interview d'une heure d’Alain Delon, qui a en plus été restaurée en 2K. Ou, autre exemple, sur Le Gitan de José Giovanni, qui sort en septembre, une interview de Paul Meurisse réalisée en 1976, l'année où il arrête le cinéma. Il y parle très peu de théâtre mais beaucoup de cinéma, de Renoir, de Melville, de Clouzot, pendant 35-40 minutes. C’était l’occasion d’avoir un témoignage fort et tellement rare. Et pour les scènes coupées, je n'envisage pas de les montrer sans une explication. Il faut comprendre et expliquer pourquoi elles ne sont pas dans le film, à quel moment elles ont été coupées lors de la postproduction, ou plus tard quand on pense aux films de Claude Sautet.

Le prix des archives est-il raisonnable ? Pour des passages TV, le prix des 30 secondes peut vite monter…

Tout dépend du diffuseur, pour le câble ou pour un prime time sur une chaîne nationale : entre France 3 et Paris Première, ce n'est pas le même prix. Et la vidéo physique, c'est encore autre chose. Cela dépend du tirage, de la durée des droits lors de l’achat, c’est très fluctuant. Et cela dépend si on achète à la minute ou en intégralité. Un document d’une heure ne se paye pas à la minute, il y a un prix fixe pour l’intégralité. Quitte à ce que l’on redécoupe ensuite dedans, pour enlever des extraits de films dont on devrait payer les droits d’utilisation parce qu’il n’appartiennent pas à Studiocanal. Ce qui arrive souvent sur les interviews d’acteurs que j’achète à la Sonuma/RTBF. Là, je coupe parfois un extrait ou deux. Mais je peux aussi en garder parce que le film en question appartient à Studiocanal, comme c'est le cas quand Paul Meurisse parle de L'Armée des ombres. Mais ce qui est intéressant en Blu-ray, c’est qu’on a de la place, on peut prendre son temps. Sur un documentaire que je réalise pour la télé avec des archives, on prend des extraits, des passages pertinents pour construire un nouveau récit, alors qu'en Blu-Ray, je peux proposer une interview d'une heure avec Alain Delon, sans coupes sinon de rendre le visionnage digeste. C'est plus rare à la télévision de pouvoir proposer des archives dans la longueur. Patrick Cohen y arrive dans Rembob'INA mais il y a peu de place pour cela dans les grilles des chaînes. Donc profitons de ce que le support physique le permette pour déterrer ces archives et les proposer dans leur intégralité. Et si j’aime d'abord avoir des archives en lien avec le film, un making of, un reportage sur le tournage, j'aime aussi élargir sur des compositeurs, des productrices... Et bien sûr de long entretiens avec les comédiens et les comédiennes sur l'ensemble de leur carrière. Comme pour cet entretien avec Pierre Richard sur le Blu-ray de La Moutarde me monte au nez. Un entretien de 1975 dans lequel il évoque Claude Zidi mais pas que... La redécouverte de cette interview est une histoire à rebondissements. Je l'avais vue une première fois il y a quelques années. La Sonuma me l'avait envoyé, elle faisait alors près de 45 minutes, mais était incomplète. Avec la production du Blu-Ray de La Moutarde me monte au nez, je demande à le revisionner et la Sonuma m'annonce qu'ils ont retrouvé entre temps une version plus longue de quelques minutes. Sauf que l'interview s'interrompt toujours brutalement, au moment-même où Pierre Richard parle de Claude Zidi. Frustrant. Je demande s'ils n'ont pas la fin de l'interview et là, miracle, ils retrouvent la dernière cassette. La durée totale est donc de 1h15, l'émission est enfin complète. On y est arrivé par étapes, ce qui n'est pas rare. La Sonuma fait vraiment un travail formidable sur ses archives. J’ai quand même coupé 15 minutes car les extraits de films étaient vraiment très longs (quatre minutes à chaque fois !) et certains n’appartenaient pas à Studiocanal. Pierre Richard est formidable dans cette interview. C'est une époque où il travaille beaucoup, les journalistes le rencontrent au cœur de sa créativité. Alors que si on interviewe les artistes trente ans après, même s’il peut y avoir un recul appréciable, cela peut aussi les ennuyer ou ils ne se souviennent plus avec autant de précision de ce qui s'est passé. Je trouve qu’il y a une énergie qui se dégage de ces archives-là, qu'on ne peut pas avoir quarante ou cinquante ans après.

Est-ce que le fait d’être interviewé dans un autre pays change la qualité de l’interview ? Était-ce moins promotionnel ?

Quand ils font leur promotion à l'étranger, le film est déjà sorti en France depuis plusieurs mois, ils sont donc beaucoup plus détendus. Les questions sont souvent très bonnes. Disons que c'est mieux que la simple promo dans la grande émission de la télévision française style Drucker. Pour un documentaire, il y a quelques années, j'avais trouvé des images du tournage de Peur sur la ville et je voyais bien que Belmondo et le journaliste se connaissaient. Le document venait de la télévision belge flamande, qui est un fonds extraordinaire. Le journaliste qui faisait cette émission pour la BRT venait souvent sur les tournages en France. C'est par exemple le seul à avoir filmé le tournage au Cirque d'Hiver de The Day the Clown Cried de Jerry Lewis, en 1972, alors que la RTBF ne se déplaçait presque pas et recevait plutôt des gens à Bruxelles. Il y a des lignes éditoriales différentes en fonction des chaînes, et donc des type d'archives différents.

Il y a un gros travail effectué par ces société d’archives...

Sur des films, j'ai parfois plusieurs archives différentes disponibles, donc je les visionne pour savoir quelle est la plus pertinente, voire de meilleure qualité technique. Certaines n’ont aucun intérêt, juste un résumé du film et des personnages, on n'apprend rien. Parfois, je mets des choses de côté, pour les utiliser plus tard, lorsque l’occasion se présente, comme cet entretien avec Pierre Richard. Il ne faut pas que cela dorme sur des étagères. Le cas de la RTS, la télévision suisse, est intéressant parce que j'hésite à prendre leurs interviews vu qu’elles sont disponibles sur Youtube. Ils ont une chaîne dédiée à leurs archives. Quelle est la pertinence ? Évidemment ils peuvent à tout moment enlever telle vidéo de leur chaîne. Mais est-ce que cela vaut la peine que je les utilise ? Et puis il y a ces archives un peu mystérieuses, hors des réseaux habituels. Je discutais il y a trois-quatre ans avec Jean-Ollé Laprune, à propos d'un énigmatique making-of sur le DVD de La Mort en direct, sorti il y a 20 ans. Il durait 37 minutes, tourné en 16mm, mais on voyait bien que la source était une VHS. Il n'y a pas de générique, pas de copyright. Cela provenait sans doute des archives personnelles de Bertrand Tavernier qui avait suivi de près à l'époque l'édition de ses films en DVD. Ce n'est que récemment que j'ai retrouvé la trace exacte de ce making-of, et de son copyright. Il a même été diffusé sur Antenne 2 en janvier 1980 sous le titre "Des Français en Écosse". Je me demande si Bertrand Tavernier ne l'avait pas juste enregistré en VHS à l'époque et s'en était servi pour la sortie DVD ? D'ailleurs, je rêve de voir le making-of de La Passion Béatrice, diffusé une unique fois sur TF1 en 1987, et invisible depuis. Il y a aussi l’histoire du making-of de La Vie privée de Sherlock Holmes. Je suis un grand fan du film et quelqu’un en avait parlé sur un forum anglais. J'avais creusé l’info jusqu’à trouver qu’il appartenait à la ZDF, en Allemagne, auprès de laquelle je récupère finalement un DVD de visionnage. Quand je vous disais que je voue une admiration au film de Billy Wilder... On y voit notamment le tournage de la chambre inversée, une partie du film qui sera finalement coupée dans le montage final. Dix ans années après, une édition Blu-Ray se profile en France chez L'Atelier d'images. Je reprends contact avec la ZDF qui me répond qu’ils n’ont les droits que pour l'Allemagne, pas pour l'international, et qu'ils n'ont plus aucun matériel. Coup dur. Sur mon DVD, je vois au générique que le producteur est hollandais : Rob Houwer, qui produira ensuite les premiers films de Verhoeven aux Pays-Bas. Je découvre ensuite que son fils est lui-même producteur. Je ne sais plus comment, je retrouve son mail et lui écris. Il me répond qu’il vient justement de restaurer en 2K ce making-of tourné en 16 mm et qu’il a les droits internationaux. En une semaine, c'était réglé. Mais pendant quelques jours j'en ai eu des sueurs froides.

On n’a jamais vu ce document ailleurs, pour l’instant...

Parce qu’on a été, en France, les derniers à sortir le film en Blu-Ray, ce qui a parfois des avantages. Il faut savoir être patient pour bien faire les choses. Une chose importante, au-delà des archives télévisuelles, ce sont les bonus produits il y a 10-20 ans pour les précédents DVD. Je me souviens quand on a tous commencé à tourner des bonus vers 2000, on contactait des gens qui n'avaient jamais donné d'interviews, qu'on n'avait jamais entendu jusque-là. Des chefs opérateurs, des monteurs, des producteurs, des scripts. Même Claude Zidi ne donnait que très peu d'interviews à l’époque, parce que personne ne s'intéressait à ce qu'il avait fait. Et j'ai l'impression qu'on a tous collectivement filmé une histoire du cinéma français en convoquant tous ces talents, près de 20-30 ans après la sortie de ces films. C'est important aujourd'hui de faire perdurer ces témoignages sur de nouveaux disques. Bien sûr, c'est souvent techniquement dépassé, avec ces tournages en Béta Num ou en DV, pas toujours bien montés ou mixés, mais ce n'est pas grave. Même si parfois il est impossible de les reprendre, par exemple, parce que l'ancien éditeur a fermé boutique. Cela m’est arrivé sur Les Bidasses en folie pour lequel nous avons finalement choisi d’acheter un document d'une heure à l’INA, sur la tournée d’été des Charlots en 1972, scanné en HD. Cela peut-être aussi une question de droits impossible à résoudre. Ou pour des raisons plus pratiques, comme sur Le Passager de la pluie : je n'ai pas repris les bonus existants parce qu'il n'y avait plus de place sur le disque à cause du second montage du film, qui était resté jusqu'ici inédit en France. Mais de toute façons, les suppléments du DVD n'étaient pas vraiment liés au film. J’ai seulement ajouté un reportage sur le tournage, inédit en France. Ce qui n'est déjà pas si mal..

Aujourd'hui, en France, il y a encore quelques diffusions de documentaires qui persistent à la télévision. Arte, France 3, Paris-Première… On peut aussi avoir l'impression d'un regain d'intérêt aux États-Unis pour des documentaires un peu plus travaillés, et même assez pointus, comme Light & Magic, ou Still, sur la vie de Michel J. Fox…

Oui, mais pour des plate-formes, ce ne sont pas les mêmes budgets. Still, sur Apple TV+, est formidable. J'ai écouté un podcast avec le monteur de ce documentaire : il y a plus d'un an de montage. Un an, quoi.... Il y a eu Get Back, sur les Beatles, même si je n’aime pas la façon dont ils ont restauré les images. Light & Magic, sur Disney +, est incroyable. Six heures sur I.L.M., axé davantage sur les gens, leurs parcours, que sur la technique, avec une place assez large donnée aux femmes, ce qui n'aurait pas été le cas il y a dix ans. J'ai lu que Lucasfilm avait numérisé 300 heures de rushes 16 mm de tournage des premiers Star Wars, pour alimenter les bonus de leurs films et servir aussi à ce genre de documentaires. Un formidable prise de conscience de la valeur de ces archives.

C'est un peu comme le documentaire Le cinéma français par ceux qui l'ont fait, d’Armand Panigel, diffusé pour la dernière fois il y a 30 ans, sur la Cinquième.

C’est un documentaire de 1974 qui appartient désormais à l’INA, mais qui est presque ingérable au niveau des droits à cause des extraits de films. Ce documentaire est intéressant mais le truc qui me gêne aujourd’hui, c'est qu'il n'a interrogé que des hommes. Les rushes de ces interviews existent cependant sous forme de copies de travail en noir & blanc, qui appartiennent à Gaumont-Pathé Archives. C'est pour cela que j’ai pu inclure 35 minutes d’interview d’Henri-Georges Clouzot sur l’édition de Miquette et sa mère. Il y avait parfois des débuts de phrases mais pas les fins, parce qu’elles étaient incluses dans le documentaire. Je m'étais arraché les cheveux au montage mais il y avait au final des choses superbes. Il parlait de ses débuts comme assistant, des concerts de Herbert von Karajan qu’il avait filmés. Il y a une nouvelle histoire du cinéma français à produire aujourd'hui sous la forme d'une série documentaire.

Nous n’avons pas parlé des archives radio, que vous êtes je trouve l’un des rares à utiliser…

Je m’étais occupé des bonus du Dernier métro pour Carlotta, sorti en 2021. J’avais trouvé une émission de radio avec Claude Jean-Philippe, enregistrée une semaine après la sortie, où Truffaut parlait beaucoup et en détail des scènes du film. J’ai proposé à Vincent Paul-Boncour d’en tirer un commentaire audio, en collant le son aux scènes qui correspondaient. Je n’étais pas sûr d’y arriver mais c'était génial au final. On a l'impression que Truffaut commente les scènes du film.

Vous aviez fait la même chose sur un documentaire sur Henri Verneuil, en supplément du Clan des siciliens...

Le meilleur endroit pour parler de cinéma, c'est la radio. Il n'y a pas d'équivalent. J'écoute souvent pour le plaisir les archives de Radio France, des entretiens d'une heure ou deux, avec Claude Sautet, Bertrand Tavernier, souvent menés par Michel Boujut. Si je peux faire d'autres commentaires audio à partir d'archives radio, je le ferai. Il y a une profondeur dans les propos, une détente... Il faut écouter Michel Blanc parler pendant une heure avec... Serge Daney.

La radio est une source d’archives qui n’est pas assez exploitée dans les documentaires. Heureusement, elles sont par exemple largement mises à disposition sur le site de Radio France, c’est très bien fait.

Les nuits de France Culture, c'est juste hallucinant. J'ai écouté récemment Marcel Pagnol parler de cinéma pendant une heure. Il y a une émission sur Gérard Lebovici, datant des années 90, avec Belmondo, Jean-Louis Livi, Claude Berri, ils sont tous interviewés. Plein de gens ne sont plus avec nous. Sur le Blu-ray de Garçon !, il y a une archive sonore où Claude Sautet parle à Michel Boujut du remontage de ses films. J'ai collé le son avec des images du tournage. Ce sont des défis supplémentaires, et de beaux défis : comment illustrer de l'audio ? Comment proposer une archive audio d'une manière pratique, et qui donne envie de l'écouter ? Cela rejoint ce qu'a tenté et réussi le producteur James Flower chez Arrow, sur Le Jeu de la mort. Il a récupéré un scan 2K de deux heures de rushes entièrement muettes du film de Bruce Lee. Il lui fallait trouver une façon ludique de les présenter. Et au final on se retrouve à l'arrivée avec The Final Game of Death, un essai vidéo de presque quatre heures, l'un des meilleurs bonus que j'ai pu voir depuis au moins dix ans sur le support physique.

Parlons de la version en anglais du Passager de la Pluie, après avoir proposé il y a dix ans celles du Clan des siciliens et du Casse

Je fais une petite fixation sur les doubles versions c'est vrai. C'est une tendance très intéressante qui a parcouru le cinéma français pendant une période très courte, entre 1968 et 1971. Au moment du Passager de la pluie, c'est quasiment fini. D'après mes recherches, cela découle du succès de la double version des Demoiselles de Rochefort qui est sortie aux États-Unis. Les chansons avaient été tournées deux fois, en français et en anglais. Le reste des dialogues a été doublé. À mon avis, le film a très bien marché aux États-Unis parce qu'il existait cette version anglaise, cela aurait moins fonctionné s'il avait été uniquement en version française. Ce succès a donné des idées à d'autres producteurs, à une époque où le cinéma français était en crise, avec sans doute ce genre de réflexion : « si l’on veut que nos films soient vus à l'étranger, nous devons tourner deux versions qui seront plus faciles à vendre. Chaque acteur jouera deux prises, une française et une anglaise, puis on fera doubler les acteurs français par des acteurs anglais ». Parce qu’à part Alain Delon, les acteurs français ont des accents pas possibles en anglais. C’est le cas de Belmondo qui est doublé par un autre acteur dans Le Casse, mais qui a bien joué en anglais, pour la synchronisation des lèvres. Il y a un extrait avant/après dans les bonus du Blu-Ray. Le Cerveau a aussi été tourné comme cela. Mais au final, aucun de ces films n'a marché. La version américaine du Passager de la pluie était présente sur le Blu-ray américain. Je savais donc qu’elle existait et Studiocanal en avait les droits. Ce qui n'est pas toujours le cas. Par exemple, je crois que la Gaumont possède la version française du Cerveau alors que c’est la Paramount, coproductrice, qui détient la version américaine. C'est comme avec les films franco-italiens : les français détiennent la version française mais si la version italienne est plus longue, ce n'est pas évident que les ayant droits français puissent l'exploiter. En plus, il s’agit de contrats datant d'il y a 40-60 ans. Quand les documents existent encore... Mais c'est une histoire intéressante, les doubles versions. Je trouve même cela fascinant. SND avait proposé le montage anglais de La Piscine, avec une fin différente. Sur Le Casse, la fin est complètement remontée. Pour Le Passager de la pluie, il n’y avait pas grand-chose qui changeait mais cela me semblait important, pour l'histoire du film, de la proposer sur le Blu-Ray. Et puis, je suis parfois envieux quand je vois qu'en musique, on sort beaucoup de disques avec des versions alternatives de chansons, de maquettes. Alors si de temps en temps, je peux le faire en Blu-Ray...

Y a-t-il un trésor dont vous connaissez l’existence mais que vous n'avez pas encore trouvé ?

Les plus beaux trésors sont ceux dont on ignorait l'existence, jusqu'à présent. Je vais vous donner un exemple. Je vois un reportage TV sur les actrices dans le cinéma français des années 70, avec de nombreuses personnalités interviewées : Marlène Jobert, Sylvia Kristel ou Catherine Deneuve. Lorsque Deneuve donne cette interview, elle est sur un plateau de tournage, habillée en costume d'époque. Et cela me dit quelque chose : après quelques recherches, je finis par comprendre qu’elle est sur le tournage de Coup de foudre de Robert Enrico, avec Philippe Noiret. Un tournage qui s'est arrêté au bout d'une semaine parce que la Lire venait d’être dévaluée et que la coproduction n’avait plus d’argent. Un gros scandale en 1976. On a vu depuis les images du film dans un documentaire sur Robert Enrico, montées par son fils Jérôme qui détenait les bobines. Mais j'ignorais qu'il existait des images sur le tournage. J'envoie un message au détenteur étranger de l’archive avec Deneuve, demandant à tout hasard s’il ne posséderait pas dans ses listings quelque chose qui s'appellerait "Coup de foudre". Et... c’était le cas : dix minutes sur le tournage où l'on voit les acteurs très enthousiastes. L’équipe de télévision était venue filmer durant les premiers jours de tournage alors que c’est généralement l’inverse : on vient plutôt faire les interviews quand le film est quasiment terminé et qu’il n'y a plus de pression. Ce reportage était une belle découverte. Et il y a aussi la surprise quand on découvre la durée de certains reportages qu'on croyait assez courts alors qu'en fait... Ainsi, je pensais que le making-of de Brisby et le secret de NIMH durait 8-10 minutes maximum, comme la plupart des featurettes promo des années 80. Donc, vous imaginez ma tête quand avec Jean-Pierre Vasseur (de Rimini Éditions) nous avons découvert qu'il faisait 52 minutes ! Pareil pour le reportage sur le tournage du Casse. La Sonuma avait mis sur son site web cinq minutes de cette archive et je pensais qu'il manquait à peine une poignée de minutes. Énorme surprise quand j'ai reçu le fichier de visionnage qui faisait 55 minutes.

Vous allez chercher les infos et les éléments dans les cinémathèques et autres. Avez-vous un réseau au-delà des institutions officielles ?

Je regarde beaucoup de choses, je prends beaucoup de notes que je garde précieusement pour le moment venu. Je connais quelques collectionneurs de pellicules, et récemment j'ai puisé aussi dans les archives vidéo de Vincent Perrot. Il y a aussi les archives du film du CNC, à Bois-d'Arcy. Et les chaînes de TV comme la Sonuma pour la RTBF. Ils ont beaucoup de rushes en 16mm car ils ont longtemps tourné dans ce format, jusqu'au milieu des années 80, alors qu'en France on était déjà passé à la vidéo. On est donc dépendant des méthodes de tournage des époques, et des changements techniques. Dans un bonus du Blu-ray du Hasard et la violence de Philippe Labro, on voit le compositeur Michel Colombier parler aux côtés du réalisateur. Ensuite, Colombier joue le thème de L'héritier en direct, avec un orchestre de 40 personnes. C'est de la vidéo, la qualité n’est pas exceptionnelle mais c’est largement secondaire ici, la valeur de l'archive prime avant tout.

Avec les archives, on est habitué à ce que ce ne soit pas forcément très restauré.

Oui, mais il faut pousser pour faire les choses autrement. C'est ce dont on parlait sur les documentaires Still ou Light & Magic : ils ont restauré toutes les images d'archive. Ne nous contentons pas d'un support moyen quand on peut avoir les éléments (et le budget) pour les restaurer. Je lutte pour cela. Par exemple, je sors en septembre Les Héros n'ont pas froid aux oreilles de Charles Nemes. C'est lui qui avait tourné les fausses pubs du Splendid, projetées avant leurs spectacles en 1975-1976. Il m'a confié sa bobine 16 mm pour re-scanner ces fausses pubs en 2K, alors qu'on aurait pu se contenter des vieux fichiers vidéo d’époque, tels qu’ils étaient présents sur le DVD sorti il y a 20 ans. Il y a avait même deux fausses pubs qui étaient tirées d'une vieille VHS de deuxième ou troisième génération. Là, elles seront toutes proposées en HD. C'était la même chose avec Carlotta pour La Peau douce, et le long extrait de Cinéastes de notre temps avec François Truffaut commentant des scènes du film. André Labarthe avait fait restaurer en HD toutes ses émissions à l'INA, filmées à l'époque en 16mm. Mais j'ai voulu aller plus loin et remplacer les extraits du film. Car Labarthe n'avait évidemment pas accès à la dernière restauration du film et avait juste gardé les extraits d'après les éléments 16mm qu'il avait eu en 1965.

On trouve parfois, dans la collection « Nos années 70 », des bandes-annonces scannées spécialement...

Oui, je les ai retrouvées aux Archives du Film ou grâce à mes contacts. Elles sont dans leur jus, pour le coup, mais en 35mm. J’ai ainsi pu récupérer les bandes-annonces de Calmos, La Vieille Fille, La Scoumoune ou Un si joli village, un film que je sors bientôt, avec Jean Carmet et Victor Lanoux. C'est un polar un peu chabrolien, réalisé par Étienne Périer. La Scoumoune, je crois que c'est une bande-annonce qu'on n'a pas vue depuis 50 ans. Après, lorsque je numérise la bande-annonce de Calmos et que le Blu-ray sort, je sais qu'elle va se retrouver rapidement sur Youtube. C'est le jeu. Mais il y a des choses incroyables sur Youtube. On en parlait tout à l'heure, des images dont on ne soupçonnait même pas l'existence comme ce documentaire allemand sur Alain Delon pendant le tournage de Borsalino & Co. De toute façon, ce serait impossible à clearer pour une une exploitation légale.

Comment en êtes-vous arrivé à réaliser des bonus et vous spécialiser dans les archives ?

Dès les débuts du DVD en France, j'ai commencé à travailler sur des bonus avec Gaumont, TF1 Vidéo et Studiocanal. Parmi les premiers films, il y a eu la collection Belmondo et j'ai enregistré des commentaires audio avec Jacques Deray sur Le Marginal et puis avec Philippe De Broca sur Le Magnifique et L'Incorrigible. La préhistoire du support.

Et d’où veniez-vous avant cela ?

J'avais travaillé sur Canal Jimmy, pour l’émission Destination Séries, avec Alain Carrazé et Jean-Pierre Dionnet.

Au départ, vous travaillez pour les bonus. Vous découvrez alors les archives pour aider à l’illustration ?

Oui, mais pas au début, parce qu'il n'y avait pas encore suffisamment de budget pour acheter des archives. Et puis, rien n'était totalement répertorié et aussi facile d’accès qu'aujourd’hui : il n'y avait pas de site internet pour l'INA. Je me souviens encore de la version Béta d'INA Media Pro. On découvrait qu'on pouvait visionner en ligne des archives que personne n'avait vu depuis leur première diffusion. Je pouvais y passer des heures... J'adorerais que la BBC ait le même site, mais il faut passer par Getty Images, où peu de choses sont malheureusement numérisées chez eux.

Cela veut-il dire qu'il y a encore plein de choses qui dorment à la BBC ?

Il y a des choses partout. On n’en verra jamais la fin, et c'est tant mieux d'ailleurs. On découvre donc des merveilles tous les jours.

Votre documentaire sur Le Splendid, diffusé sur France 3, a bien marché...

Oui mais j'ai été un peu surpris que la présence d'images de tournage totalement inédites des Bronzés font du ski ne soit pas plus soulignée, ou les photos de scènes coupées. C'était difficile de passer après plusieurs documentaires déjà proposés sur la troupe du Splendid. Mais cela a été une belle aventure de production. Et j'ai beaucoup aimé raconter ce lien qu'il pouvait y avoir entre plusieurs générations de comédiens. Je crois que Philippe Noiret avait vu leur spectacle en disant : « J'aurais bien aimé faire ce genre de choses, cela me rappelle mes débuts... » Ou Jean Rochefort qui les avait soutenus, les avait accueillis chez lui. Ceux du Splendid sont ensuite allés faire des bêtises avec Les Nuls, ont joué avec Jean-Paul Rouve. Je trouvais bien cette transmission entre générations qui n'est pas évidente, à mon avis, chez tous les acteurs. Cela me semblait important d'en parler comme ça. Je ne suis pas sûr du tout qu'il y ait eu ce genre de transmission entre Belmondo-Delon et Lanvin-Giraudeau.

Y a-t-il un film à propos duquel vous rêvez de faire un documentaire ?

Le Roi et l'oiseau et sa production si longue et si complexe. Mais je suis plus attiré par des sujets transversaux, comme sur le cinéma d'aventures européen des années 60. En bonus d'un Blu-ray, j’aurais bien aimé travaillé sur Mado, le dernier film de Claude Sautet qui manque encore en vidéo. Il existe plusieurs montages, effectués au fil des années. J’étais très content d’avoir fait Garçon !, Pathé avait retrouvé 40 minutes sur le tournage, ce qui avait changé la donne pour le documentaire qui avait pu passer de 26 à 52 minutes. Il y avait un axe intéressant à creuser au-delà de la seule fabrication du film, car Claude Sautet n’aimait pas beaucoup ce film, le film du surplace en quelque sorte. Il y a parfois des films charnières dans une carrière, et c’est pas mal de s’y attarder.

Vous faites en quelque sorte partie des passeurs...

Je suis un enfant des passeurs de la génération précédente, Jean-Pierre Dionnet, Michel Boujut, Jean-Pierre Lavoignat, Nicolas Boukhrief, avec des morceaux de Patrick Brion, Gérard Jourd'hui et d'Eddy Mitchell. Quand ces derniers font La Dernière séance sur FR3, ils montrent les films de leur enfance, des années 50-60, ils veulent transmettre leur cinéphilie. Avec d'autres critiques, historiens, éditeurs vidéo actuels, c'est la même chose. C'est-à-dire qu'on sort des films des années 70-80 qu'on voyait à la télévision, le dimanche soir. Une partie de notre cinéphilie s'est constituée grâce à la télévision, pas uniquement par la salle de cinéma comme pour les générations précédentes. Je suis aussi un enfant des vidéo-clubs, j’avais 9 ans en 1982, j’allais dans les vidéo-clubs dans ma province. J'ai vu beaucoup de films de série B, Épouvante sur New York, Les Bruce Lee, des trucs comme ça. Donc on montre ces films de notre enfance ou de notre adolescence, ce qui n'empêche pas de découvrir d'autres films plus tard de cette même période. J'ai découvert récemment Judith Therpauve (1978), réalisé par Patrice Chéreau. Simone Signoret y incarne une ancienne résistante qui reprend les rênes d'un grand quotidien en perdition. C'est une peinture assez précise de ce qu'était la presse de province dans les années 70. Gaumont a sorti un très beau Blu-Ray de ce film.

À 9 ans, on ne va peut-être pas voir Le Secret ou Calmos...

Oui, on a plutôt envie de voir les films de Pierre Richard. Et je pense qu’il y a pour le coup une sorte de nostalgie inconsciente à vouloir rééditer ces films, mais jamais de manière figée. C'est là que les masters restaurés, les suppléments donnent à voir ces films sur un jour nouveau. Sans coupure pub, sans recadrage TV, sans logo de chaîne et même bien mieux que sur des dvd parus il y a plus de 20 ans pour la plupart, complètement obsolètes techniquement.

Et une période de cinéma qu'on avait moins creusée récemment…

Oui, il était temps de s'y mettre, de questionner le cinéma français des années 70-80, et ne pas s'arrêter à la Nouvelle Vague. J'exagère, mais c'est un peu le principe. Et je pense que c'est à notre génération de le faire. Bertrand Tavernier arrêtait d'ailleurs son voyage à travers le cinéma français au moment où lui-même avait commencé à en faire, dans les années 70.

Après la collection sur les années 70, il va donc y avoir celle autour des années 80...

A priori cela paraissait évident mais nous n’y avions pas pensé au départ, avec les équipes de Studiocanal. D'ailleurs, il y avait longtemps que je ne m'étais pas intéressé au cinéma français des années 80, que j’avais moins revu au fil des années. Que s'est-il passé durant cette décennie ? Il y a eu à la fois une grosse crise de fréquentation des salles, l’arrivée de la gauche au pouvoir et de Canal+. Au cinéma, il y a plusieurs axes intéressants : une nouvelle identité visuelle avec Jean-Jacques Beineix par exemple, le retour du Cinémascope quasiment absent dans la décennie précédente où tous les films étaient en 1,66:1. Il y a toute une mouvance de néo-polars, comme La Balance, des tentatives plus ou moins ratées qui ont découlé de La Guerre des polices en 1979, avec une mode des flics en jeans-baskets que Belmondo et Delon iront même jusqu’à adopter. Il y a un renouvellement de la comédie française : Louis de Funès disparaît en janvier 1983, Pierre Richard va faire les trois films avec Francis Veber et Gérard Depardieu, et pas grand-chose de marquant ensuite, je résume un peu. Et s’impose surtout ce que j'appelle « le cycle Splendid » : la troupe se sépare en 1982 mais ses membres vont tous être omniprésents au cinéma. Le café-théâtre fait de toutes façons un hold-up sur la comédie des années 80. Et il y a toute cette émergence de nouveaux comédiens : Nathalie Baye, Bernard Giraudeau, Richard Berry, Sophie Marceau ou Gérard Lanvin, qui sont dans de très nombreux films.

La collection « Nos années 70 » va se poursuivre jusqu’en mars 2025. Et dès septembre démarre en parallèle la nouvelle collection Nos années 80, avec six titres, tous inédits en Blu-ray : Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre, Le Téléphone sonne toujours deux fois, le premier film des Inconnus, Josepha de Christopher Frank, une superbe histoire d’amour sur des acteurs qui galèrent, avec Miou-Miou, Claude Brasseur et Bruno Cremer. Un film que j'aime beaucoup. Il y aura Rue barbare, qui a vraiment lancé la carrière de Bernard Giraudeau et aussi marqué le public. Un des rares films français sur les gangs, qui a d’ailleurs eu un beau succès. Il y a aussi Pour 100 briques t’as plus rien, une comédie d’Édouard Molinaro avec Daniel Auteuil et Gérard Jugnot. Et pour finir Le Choix des armes d’Alain Corneau. Certains films étaient sortis en DVD il y a 20 ans, mais disponibles aujourd’hui à des prix exorbitants sur le net. Et il y aura des inédits dans chaque vague, comme ici Josepha.

Je reprends les bonus qui avaient été produits pour le DVD, comme pour Une étrange affaire, qui comprenait quelques secondes d’images du tournage, achetées à l’INA. Pour le Blu-ray, nous avons acheté l’intégralité de ce reportage. C’est l’époque où la télévision française commence à beaucoup co-produire des films et décide d’en faire la promotion en tournant des makings-of en vidéo, diffusés à l’antenne la semaine de la sortie. Cela sera aussi le cas sur Le Choix des armes, dont nous proposerons le making-of de 25 minutes que personne n’a vu depuis 40 ans. La collection continuera avec une seconde vague en décembre : Tir groupé de Jean-Claude Missaen, Pile ou face de Robert Enrico. Il y aura Je vais craquer, avec Christian Clavier, qui n’était jamais sorti en DVD. Pour la vague de mars 2025, nous proposerons Le Grand pardon. J’avais fait les bonus du DVD il y a dix ans, mais nous allons ajouter un reportage incroyable sur les projections-test qu’avait organisé Alexandre Arcady. Je ne savais pas du tout que cela se faisait en France. Il y aura également Détective de Jean-Luc Godard et Téléphone public, le documentaire de Jean-Marie Périer sur le groupe Téléphone. Un grand mélange des genres dans chaque vague, avec la volonté de parler d'acteurs stars dans les années 80, comme Christophe Malavoy aujourd'hui un peu oublié, ou évoquer la décennie 80 d’Annie Girardot, plus difficile que les années 70 qui a été sa grande période, avec peut-être une interview carrière en supplément. Pour l'instant, on ne sait pas combien de titres comportera la collection.

Comment s'est passé le tournage du module avec Jean-Jacques Annaud, pour le Blu-ray du Nom de la Rose qui est sorti chez Seven7/L’Atelier d’images ? Vous êtes donc allé dans cette fameuse grange…

C'est drôle parce que j'avais déjà travaillé sur le premier Blu-ray sorti chez TF1 Studio, il y a 10 ans. J'étais allé chez Jean-Jacques Annaud, j'avais emprunté des choses dans la grange pour faire le livret, mais je n'avais rien filmé. C'était là que j'avais retrouvé le making-of italien, une cassette U-matic d'époque, que personne n'avait vu hors d'Italie. Jean-Jacques Annaud m'avait dit qu'il le préférait au making-of allemand de la chaîne ZDF qu'on trouvait sur le DVD Warner. J'avais ensuite pu retrouver le réalisateur, en Italie, qui avait fait un nouveau scan HD du négatif 16mm. Ce making-of a été repris pour l’édition 4K. L'année dernière, Pierre Olivier chez TF1 Studio m'a très gentiment demandé si je serais intéressé pour retravailler sur le film en vu de la sortie en UHD. J'ai tout de suite dit oui, car c'était l'occasion de recroiser Jean-Jacques Annaud, cinéaste passionné et extrêmement disponible pour discuter de ses précédents films. Mais la question était : que faire de plus qui n’avait pas été fait, pas été dit autour du Nom de la Rose ? Mon envie était de faire quelque chose de léger, de se faire plaisir, via une balade dans ses archives et ses souvenirs. Comme tout le monde, j'avais découvert il y a vingt ans la grange de Jean-Jacques Annaud dans les bonus de Coup de tête. D'où le vrai plaisir de la visiter voici dix ans pour travailler sur le premier Blu-ray. Je sais que cela avait rendu jaloux quelques-uns de mes amis cinéphiles, donc pourquoi ne pas proposer, à défaut d'organiser des visites guidées de la grange, une nouvelle vidéo en compagnie de Jean-Jacques Annaud, cette fois tournée en 4K. C'était l'occasion d'ouvrir quelques cartons, de commenter certains documents et photos. Et c'est d'ailleurs à cette occasion, en ouvrant une pochette, que je suis tombé sur des photos de Jean Bouise en moine. J'étais très surpris car il n'est pas dans le film. Et Jean-Jacques Annaud de m'expliquer : « Ah non, on a juste fait des essais avec Jean à Paris. » Les films sont vivants et on apprend tous les jours des choses sur leur fabrication, même quarante ans après.

Le jour où la Cinémathèque française va récupérer le fonds Annaud, cela va être colossal.

Ils vont devoir s'agrandir car il garde tout.

Propos recueillis le 18 avril 2024. Tous nos remerciements à Jérôme Wybon pour son enthousiasme et sa disponibilité.

Par Stéphane Beauchet - le 24 juin 2024