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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Vieille fille

L'histoire

Muriel Bouchon (Annie Girardot), célibataire approchant la quarantaine, revient chaque vacances d'été dans la station balnéaire de Cassis sur la Côte d'Azur. Elle semble prisonnière de son statut de solitaire et de ses habitudes de vieille fille. Puis arrive Gabriel Marcassus (Philippe Noiret), un autre célibataire quadragénaire qui, suite à la panne de sa voiture, est contraint de séjourner dans la même pension de famille pendant quelques jours. Dès le premier soir, Gabriel est placé à la table de Muriel pour le repas. Il tente d'engager la conversation mais Muriel se montre très méfiante, voire acariâtre. Cependant, les jours passent ; entre Muriel et Gabriel s’ébauche une relation qui restera amicale et platonique par trop de timidité et de réserves de part et d’autre...

Analyse et critique

Voilà en ce qui concerne le pitch qui tient dans un mouchoir de poche ! Tout est raconté ci-dessus : vous ne trouverez pas plus d’enjeux dramatiques au sein de ce film seulement constitué d’une colonne vertébrale bien charpentée par une suite de saynètes tour à tour amusantes, acerbes ou touchantes, voire même parfois cocasses ou assez incongrues, un patchwork assez original mais qui tient plutôt bien la route. Qu’il n’y ait pas forcément de récit n’est absolument pas un reproche de ma part, considérant au contraire ces chroniques du quotidien le plus banal comme de véritables oasis de fraîcheur et de liberté, à condition évidemment que l’écriture reste rigoureuse et que les comédiens se prêtent au jeu avec délectation, ce qui est en l’occurrence bien le cas.

Jean-Pierre Blanc, auteur complet de son film délicieusement nonchalant, met en scène deux célibataires quadragénaires, Muriel et Gabriel, pas très à l’aise en société et mal dans leur peau, durant une semaine de vacances dans une modeste pension de famille au bord de la mer. Rassemblés par les circonstances alors que Gabriel avait l’intention de passer ses congés en Espagne, ces deux grands timides ont du mal à tenir une conversation malgré les tentatives un peu balourdes de l’homme qui peine à percer la carapace de Muriel, cette dernière lui déclarant d’emblée qu'étant peu liante, il valait mieux ne pas lui adresser la parole. Un peu plus ouvert et fantasque que Muriel, Gabriel ne se laissera pas démonter pour autant, réussissant même à faire la sortir de sa coquille à partir de la magnifique scène du ponton où des liens commencent à se tisser, lentement mais sûrement. Le petit "suspense" du film (spoiler dans le résumé du film) va consister à savoir jusqu’où iront ces relations malaisées ; quoi qu’il en soit, leur touchant face-à-face qui se termine avec émotion sur un quai de gare nous aura donné envie de les regarder baguenauder jusqu’au bout, même dans leur quotidien de vacances routinier et morose. Nous en aurions même bien repris pour une heure tellement le charme opère !


Outre l’accent mis tout particulièrement sur ces deux grands timides, le film croque aussi avec plus de dérision toute une galerie de personnages secondaires, les autres pensionnaires et le personnel de l’hôtel, le cinéaste en profitant pour railler gentiment en les caricaturant les travers de ses contemporains, se moquant un peu des Français moyens en vacances et même parfois plus globalement de la société de consommation. Jean-Pierre Blanc nous propose dans La Vieille fille un univers assez décalé, un ton très particulier pour une chronique de mœurs anti glamour qui se rapproche assez de l'univers de Jacques Tati - son don d’observation assez acéré et son sens du détail qui fait mouche - auquel on aurait ajouté une pincée de celui de Luis Buñuel, au travers par exemple de l’inénarrable couple de personnages interprété par Michael Lonsdale et Edith Scob, un pasteur et son épouse mystique, une sympathique folle illuminée qui semble ne pas carburer qu’à la seule religion. Parmi la galerie de protagonistes hauts en couleurs, on retiendra aussi Jean-Pierre Darras en directeur d’hôtel lubrique n’hésitant pas à lutiner durant le service sa réceptionniste dévergondée qui en redemande ; mais surtout la délicieuse et espiègle Marthe Keller en femme de chambre qui chamboule les cœurs sans le savoir par son accent suisse et ses lapsus qui provoquent des quiproquos grivois.


Quant à certaines situations aussi saugrenues que véridiques, elles se révèlent très cocasses à l’exemple de celle des deux jeunes filles qui se font littéralement brûler la peau au soleil ou encore, tel un running gag, la manière qu’a Annie Girardot de se déshabiller et se rhabiller sous sa serviette pour enfiler son maillot de bain en se dandinant. Plus drôles encore, ces repas qui viennent sans cesse rythmer le film et au cours desquels on doit partager la table avec une personne que l'on ne connaît pas ; le pompon lorsque le serveur apporte le dessert crémeux à l’un des deux convives réunis par le hasard alors que le second en est toujours au filet de hareng : pas vraiment la meilleure des façons d’apprécier son repas. Le cinéaste accorde aussi beaucoup d’importance au son et au montage, leur utilisation participant à l’originalité du film : les multiples fondus au noir cadencent en sorte le film tout autant que la musique assez modeste mais vivace de Michel Legrand.


Jean-Pierre Blanc est un réalisateur aujourd’hui totalement oublié ; et pour cause, il n’aura signé que quatre longs métrages s’étalant de ce joli coup d’essai à l’adaptation assez sympathique - à défaut d’être inoubliable - en 1978 du best-seller de Janine Boissard, L’Esprit de famille. La Vieille fille, qui n’intéressait aucuns distributeurs, tous décontenancés par le ton du film, a profité du bide des Deux anglaises et le continent et son retrait prématuré de l’affiche pour faire une percée au sein du planning des sorties en remplaçant ce beau film incompris de François Truffaut dans les salles qui devaient continuer à programmer. Et au final, contre toute attente, non seulement le public fut au rendez-vous avec quasiment deux millions de spectateurs venus le plébisciter mais, en plus de ce succès populaire, il reçut également l’Ours d’argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin. Alors qu’il n’avait qu’un seul moyen métrage à son actif, Jean-Pierre Blanc avait réussi à convaincre non moins que Philippe Noiret et Annie Girardot de jouer dans son film en leur avouant avoir écrit le scénario à leur intention et pour qu’eux seuls campent les deux célibataires. Les deux comédiens lui firent confiance d’autant plus que l’histoire leur plaisait bien ; et bien leur en a pris ! Le duo a si bien fonctionné qu’il se reformera à plusieurs reprises, notamment sous la direction de Philippe de Broca avec le dytique Tendre poulet et On a volé la cuisse de Jupiter.


La Vieille fille est un film qui surprend encore aujourd'hui par ce ton vraiment décalé et cette volonté de nous gratifier de dialogues les plus neutres possible, refusant les mots d’auteur en privilégiant au contraire les silences ou les banalités. Malgré un aspect caricatural (parfois un peu gênant) et une ironie mordante, on trouve également dans un autre registre beaucoup de pudeur, de sincérité et de justesse de la part du réalisateur, admirablement bien soutenu par son casting et surtout son couple de stars. Au final, cette histoire d’une grande simplicité, narrant l’apprivoisement mutuel de deux âmes solitaires qui apprennent difficilement à s’apprécier, aura accouché d’une comédie "amère entre tendresse et cruauté" comme l’a décrit si bien son auteur, une comédie au charme fou au cours de laquelle on sourit plus qu’on ne rit, où la gravité et la mélancolie parviennent parfois à percer et qui, dans le même temps, se révèle a posteriori être un formidable tableau sociologique de la "France balnéaire" des années 70.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 16 janvier 2023