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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Guerre des polices

L'histoire

La brigade « Territoriale » de la police de Paris est sur le point de se faire coiffer au poteau par la brigade « Anti-gang » dans le projet de capture de l’ennemi public numéro 1, Sarlat. Ballestrat, commissaire de la Territoriale, fait secrètement capoter l’opération et un des hommes de l’Anti-gang est tué tandis que Sarlat prend la fuite. Bien que sommées de collaborer pour retrouver le criminel en cavale, les deux brigades continueront de se livrer une guerre sans merci pour réussir seule l’arrestation et obtenir toutes les faveurs du ministre.

Analyse et critique


A la fin des années 70 le paysage du cinéma policier français est dominé par les stars que sont Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Le premier fait survivre le souvenir du polar tragique melvillien à travers des films comme Flic Story (1975) de Jacques Deray ou Mort d’un Pourri (1977) de George Lautner, tandis que le second trouve le succès avec une formule de cinéma d’action décomplexé centré autour de sa personnalité débonnaire, du nerveux Peur sur la ville (1974) d’Henri Verneuil jusqu’à la comédie d’aventure L’animal (1977) de Claude Zidi (l’échec relatif du plus sérieux L'Alpagueur de Philippe Labro, en 1976, confirmera la préférence du public pour le registre comique du comédien). Le film de Robin Davis, La Guerre des polices, qui sort sur les écrans en novembre 1979, incarne à l’orée des années 80 une nouvelle voix, influencée par un certain cinéma américain de série B (les films de Don Siegel ou Gordon Douglas), où s’exprime une violence plus crue, portée par des personnages plus jeunes et ancrée dans un environnement alternant aléatoirement réalisme et stylisation.


Mais à l’origine du film il y a tout d’abord le désir de représenter à l’écran sous forme critique la réalité des dysfonctionnements au sein de la police française. En 1978 la productrice Véra Belmont reçoit un projet de scénario rédigé par le journaliste Jacques Labib, inspiré de son travail d’enquête sur la police et les nombreux conflits qui existent entre ses différents services. Plusieurs scénaristes se succèdent jusqu’à ce que la productrice choisisse Robin Davis pour la réalisation, elle avait apprécié son premier film Mon cher Victor (1975). Celui-ci reprend le scénario à son compte avec l’aide de Patrick Laurent, ami et collaborateur régulier, et l’éloigne de plus en plus de la matière journalistique d’origine. Ensemble ils extrapolent à partir de faits réels de bavures policières et construisent une classique intrigue de polar aux accents westerns bâtie autour de personnages radicaux. Deux brigades s’opposent, « l’Anti-gang » dirigée par Fush, (Claude Brasseur) accompagné de Colombani (Georges Staquet) et René (Franck-Olivier Bonnet), face à la « Territoriale » commandée par Ballestrat (Claude Rich), qui a sous ses ordres Marie (Marlène Jobert) et Capati (Jean-François Stévenin). Ils poursuivent le même homme, Sarlat (Gérard Desarthe), et ne reculent devant aucun coup bas à l’encontre de la brigade concurrente pour réussir à s’attribuer les lauriers de sa capture. Il s’agira pour eux de retrouver et interroger une série d’indics et de témoins qui seront autant d’occasions de démontrer leur mépris et parfois leur cruauté envers chacun de ces individus issus pourtant des classes populaires (un gigolo, un éleveur de poulet, une ouvreuse de cinéma porno…).


Comme souvent dans le genre du film noir et du film policier ce sont les portraits, ainsi que l’environnement, de ces personnages secondaires qui ancrent l’œuvre dans une certaine réalité sociale. Ils donnent à voir au sein d’un projet à vocation populaire des figures de marginaux auxquels on accorde rarement les rôles principaux. Souvent ils incarnent la face sombre et néfaste de la société à laquelle se confronte le détective ou l’inspecteur, mais ici il s’agit plutôt de leurs victimes, des individus fragiles que le système enfonce plutôt que de les protéger. Car outre Sarlat, présenté sommairement comme un braqueur de banque psychopathe auquel le récit n’accorde aucune séquence dialoguée, ce sont les policiers qui font figures de méchants et portent toute la charge de critique sociale du projet. En particulier le commissaire Ballestrat de la brigade « Territoriale », hautain, autoritaire, malveillant, il est le plus fourbe de tous et pousse son équipe à commettre toujours plus de coups bas. Sa ligne de conduite consistant à ne reculer devant aucune barrière morale ou juridique lorsqu’il s’agit de faire tomber ceux qui enfreignent la loi. En face « l’Anti-gang » n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de violenter des indics ou pratiquer la rétention d’information, mais leur chef, Fush, est loin de partager les mêmes penchants sadiques que son rival.


Fush est le personnage le plus ambigu, lassé de devoir obéir aux directives absurdes de sa hiérarchie, il semble résigné à mener cette « guerre des polices ». Une histoire d’amour commence avec le personnage de Marie, qui appartient donc à la brigade concurrente, et qu’il sauve d’une agression. Elle aussi semble en désaccord avec les pratiques déloyales de Ballestrat. Mais elle finira par trahir son amant au profit de son chef, ce qui achèvera de démoraliser le commissaire de l’Anti-gang. C’est par un geste sacrificiel et tragique que se terminera le récit, Fush s’avançant seul jusqu’à Sarlat, livrant avec lui un dernier duel au pistolet. Le scénariste Patrick Laurent décrit ainsi son état d’esprit : « Il ne peut pas faire autre chose qu'être flic, mais ne supporte plus être flic ». Ce final n’est pas sans rappeler les conclusions fatalistes du cinéma de Jean-Pierre Melville, dont les auteurs cherchaient pourtant à s’éloigner. Sans musique, sans héroïsation, on pense plutôt à Un flic de Melville qu’à L’Inspecteur Harry de Don Siegel.

Pour autant le ton général du film est effectivement plutôt d’inspiration série B et cinéma de genre à tendance moderniste (Robin Davis citant également souvent Arthur Penn). A l’image de la séquence d’ouverture qui démarre sur des couvertures de romans noirs jonchant le sol de l’appartement de Marie (dont des ouvrages de Jean-Patrick Manchette, co-scénariste) et enchaîne sur des blagues salaces entre Marie et son co-équipier, jusqu’à montrer celle-ci sortir de la douche seins-nus et arme à la main. Le tout sur fond de musique rock crachée par un radio-réveil. Répliques coup de poing, vulgarité, violence et nudité émailleront tout le film. L’humour, assez présent durant la première partie, se retrouve dans plusieurs gags visuels mais passe aussi beaucoup par des mots d’auteurs (souvent porteurs des charges les plus violentes envers la police). La diatribe caustique que prononce le personnage de procureur incarné par le truculent François Périer (un choix plutôt conventionnel au regard de la filmographie du comédien) nous renvoie également à la tradition  Audiardienne du polar français.


Davis et son équipe font le choix volontaire de s’orienter vers des comédiens plutôt jeunes et cherchent parmi les talents du moment, n’hésitant pas à aller voir du côté du théâtre. Dominique Besnehard, alors stagiaire mise-en-scène, accompagne notamment l’assistant réalisateur ses recherches, permettant le recrutement de comédiens tels que Jean-François Stévenin, Jean-Pierre Kalfon, Rufus ou Féodor Atkine dans des petits rôles. Davis fait également le choix louable de mettre en avant un personnage de femme flic. Pour autant celle-ci n’échappe pas à une très superficielle sexualisation et à une caractérisation souvent caricaturale, plus émotive et plus fragile que ses collègues masculins elle sera aussi inévitablement au centre d’une histoire d’amour. Le genre de facilités qu’évitera le plus engagé Yves Boisset dans son film La Femme Flic, sorti l’année suivante, en 1980.


Le rythme soutenu du montage (que l’on doit à José Pinheiro, futur réalisateur de plusieurs nanars policiers avec Alain Delon) ne masque malheureusement pas un certain manque d’idée dans la mise-en-scène de ses diverses séquences d’interrogatoire, de filatures et autres échauffourées. Cependant malgré ce découpage plutôt convenu Davis s’efforce de mettre en valeurs des décors souvent décalés et baroques, à l’image de cet étrange hangar remplis de gigantesques piles de journaux, de cet élevage de poule filmé dans la profondeur, du scintillant cinéma pornographique l’Axis, ou des très grands espaces qui constituent les bureaux des deux brigades. Nous sommes loin des ruelles décrépies de Belleville et des bureaux étriqués de La Balance qui sortira deux ans plus tard.


Tout est ainsi un peu plus grand que nature dans ce film, qui semble faire la transition entre certaines traditions héritées du polar français des années 70 et l’énergie urbaine d’inspiration américaine, tournée vers l’action, du cinéma des années 80. Le film fut un réel succès à sa sortie à la fin de l’année 1979, pavant la voie à une nouvelle génération de metteurs en scène qui n’auront de cesse de grignoter des entrées aux vieillissantes figures tutélaires de la décennie seventies. Du césarisé La Balance de Bob Swain en 1982, à la fois plus mélodramatique et plus ancré dans la réalité du petit milieu criminel parisien, aux nombreux nanards d’action sans conscience parmi lesquels on peut citer Flics de Choc de Jean-Pierre Desagnat (1983) ou Le Faucon de Paul Boujenah (1984). De son côté Robin Davis est justement choisi par Alain Delon pour renouveler son image de comédien de polar, il réalise avec lui Le Choc, adaptation d’un roman de Manchette qui sort en 1982. Le réalisateur y pousse encore plus loin son gout pour la violence et le décalage comique rejetant loin derrière lui, et cette fois pour de bon, l’héritage du cinéma policier français d’antan.

Sources : 
Le cinéma policier français, François Guérif, Editions Artefact, 1986
Les Yeux de la momie, Chroniques cinéma de Jean Patrick Manchette (1979-1981), 
Documentaire « La Guerre des polices, En quête de vitesse », de Roland-Jean Charna, ESC éditions
Documentaire : « Véra Belmont, produire à l’instinct », de Jérôme Wybon (2021), l’Atelier d’images 

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Nicolas Bergeret - le 30 août 2023