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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Espion qui m'aimait

(The spy who loved me)

L'histoire

Les gouvernements soviétique et britannique sont sous pression : on leur a dérobé des sous-marins nucléaires. L'agent 007 et Anya Amasova, charmante espionne soviétique, tentent de déjouer les noirs desseins du mégalomaniaque Stromberg, fasciné par les fonds marins. Une course contre la montre s’engage pour éviter une troisième guerre mondiale...

Analyse et critique


Les raisons de la démesure


Le divorce est consommé : Albert R. Broccoli et Harry Saltzman se séparent. Le premier entend bien rester aux commandes de James Bond, le second est étouffé par les dettes et autres mauvais investissements qu’il ne peut rembourser. (1) Chacun se prépare au choc frontal et prend les meilleurs avocats possibles. Saltzman ne va pas céder ses droits sur la franchise aussi facilement, sans compter toucher une somme considérable. Le 11 novembre 1975, il revend ses parts à la United Artists pour la somme colossale de 30 millions de dollars. Son destin est désormais scellé, dorénavant loin de James Bond. Broccoli doit de son côté collaborer avec la United Artists, tous deux possesseurs de 50 % des parts de la saga cinématographique. Une nouvelle ère débute, Broccoli sera à partir de cette époque le chantre de 007 et l’unique chef à bord du navire, bénéficiant en outre de la confiance des exécutifs de la firme américaine. Il va en profiter pour assumer un tournant commercial majeur et retourner à une formule bondienne monumentale. Ce n’est pas tout, car si Hollywood semble retrouver un véritable état de grâce, s’affirmant à nouveau comme le redoutable adversaire pluriel de James Bond, il n’est en tout cas plus possible pour Eon Productions d’ignorer la montée en puissance de jeunes cinéastes américains dont l’enthousiasme et l’imagination provoquent des raz-de-marée au box-office planétaire. Réalisé par Steven Spielberg en 1975, Les Dents de la mer a révolutionné les horizons du blockbuster, engrangeant des sommes d’argent colossales dans chaque pays, grâce à une distribution modernisée et de nouveaux concepts publicitaires. Avec son budget de 9 millions de dollars, le film en rapporte au bout du compte plus de 470, dont 260 rien qu’aux USA. Du jamais vu ! La concurrence est totalement anéantie, Hollywood en prend bonne note. Le score a beau être historique et inhabituel, Les Dents de la mer demeurant encore aujourd’hui l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma, il inscrit le film comme mètre étalon à détrôner. En 1976, un autre film, Rocky avec Sylvester Stallone, rapporte 225 millions de dollars dans le monde, dont 117 aux USA, pour un budget de départ n’excédant pas un million de dollars. Il rafle au passage quelques Oscars, dont celui du meilleur film. Les studios concurrents sont écœurés. Broccoli va donc sérieusement réfléchir à la suite de l’aventure bondienne. D’autant qu’en 1974, quelques mois avant la sortie du film de Spielberg, L’Homme au pistolet d’or a terminé sa course juste en-dessous de la barre des 100 millions de dollars sur le plan mondial. Un résultat en nette baisse vis-à-vis des précédents James Bond, et carrément hors de propos si l’on compare cela aux potentiel du Nouvel Hollywood qui arrive. Pour parvenir à ses fins, Broccoli sonne le glas du Bond plus sobre et plus timoré des deux derniers opus, et prépare un film énorme, signant un retour à la folie de la bonne vieille époque d’On ne vit que deux fois. Ken Adam est rappelé pour les décors, Marvin Hamlisch est engagé pour signer la musique dans un style classique et très contemporain à la fois, et les James Bond girls les plus belles sont auditionnées. Bien entendu, on pense à Lewis Gilbert pour revenir à la mise en scène, l’homme qui avait supporté et réussi On ne vit que deux fois dix ans auparavant. Roger Moore jubile, ce troisième film dans la peau de 007 devrait enfin lui permettre d’explorer "son" Bond intérieur. Aucune barrière, le film doit battre des records.


Mais les problèmes ne font que commencer pour Broccoli, car au budget pharaonique de 30 millions de dollars (2) pour construire ce nouveau James Bond s’oppose maintenant un nouveau danger : la fin du contrat établi entre Eon Productions et Kevin McClory indiquant que ce dernier ne pouvait produire de remake d’Opération Tonnerre dans les dix années suivant la sortie du film. (3) En 1975, McClory se remet donc au travail, cherchant les financements, réfléchissant au scénario et allant trouver Sean Connery pour donner de l’ampleur à son projet. La presse commence à prédire une guerre des Bond, salivant à l’idée de ce match commercial apte à ébranler l’édifice Eon. McClory a même poussé le vice jusqu’à proposer l’écriture du scénario à Sean Connery, ainsi que la mise en scène du projet. Le scénario en question est intitulé Warhead, et commence alors à Hollywood à se murmurer qu’il s’agit potentiellement d’un véritable Star Wars sous la mer. Monumental, Warhead remet le récit d’Opération Tonnerre au goût du jour et brasse tour à tour des idées géniales et complètement folles : des requins téléguidés lâchés dans les égouts de New York, un face-à-face entre Bond et Largo au sommet de la Statue de la Liberté... Bond y apparait plus humain, dévoilant quelques-uns de ses côtés sombres, grâce à une approche introspective qui enthousiaste l’acteur écossais. Le projet progresse, mettant Connery et McClory en confiance, leur permettant même de commencer les repérages pour le film. Tombant sur des articles rapportant cette histoire, ainsi que sur quelques photographies mettant en scène Connery pendant les fameux repérages, Broccoli explose. Très inquiet, il lâche une armée d’avocats aux trousses de McClory qui bientôt réplique en faisant interdire l’utilisation du SPECTRE et du nom de Blofeld par Eon Productions à l’avenir. Mais en 1978, lassés, Connery et McClory finiront par enterrer le projet... pour quelques temps seulement. (4) Cette guerre des nerfs a eu pour résultat de doper le scénario de L’Espion qui m’aimait, qui n’avait de cesse d’aller chercher querelle à son concurrent en donnant toujours plus d’ampleur à ses personnages et ses situations. Un mal pour un bien peut-être, mais décalant encore un peu plus la date de sortie du nouveau Bond qui se décidera finalement au cours de l’été 1977, soit près de trois années après L’Homme au pistolet d’or. Il fallait bien cela pour remettre 007 tout en haut de son piédestal.



Le tournage débute le 31 août 1976, pour se terminer le 26 janvier 1977. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’équipe de tournage ne se refuse rien. Six Lotus Esprit sont construites pour le film, chacune ayant une fonction bien particulière, afin de donner l’illusion que la seule voiture de Bond visible à l’écran soit capable d’accomplir des miracles. Déjà présent sur Opération Tonnerre, Lamar Boren récidive pour ce nouvel opus en emballant la séquence de combat sous-marin. Le décor du supertanker de Stromberg est conçu par Ken Adam, un formidable complexe fonctionnel de 113 mètres de long, 48 mètres de largeur et 16 mètres de hauteur. Afin de ne pas répéter les erreurs commises sur le décor du volcan d’On ne vit que deux fois (qui avait été détruit après le tournage), Broccoli décide de faire construire un studio complet capable de contenir ce fabuleux décor. Le plateau sera appelé le 007 Stage (5) et inauguré par l’ancien premier ministre britannique Harold Wilson. Dans un tout autre registre, le champion de ski Rick Sylvester propose de s’élancer dans les airs, du haut d’une montagne, et d’ouvrir son parachute. Malgré des problèmes de météo, il peut exécuter la scène devant la caméra de John Glen, réalisateur de la deuxième équipe. Avec sa poursuite en ski filmée par Willy Bogner et ses cascades démentes, le pré-générique de cette cuvée 77 devrait ravir les suffrages. Pour le reste, Roger Moore apporte son humour habituel au tournage, devenant très ami avec le réalisateur et n’hésitant pas à concocter un bêtisier bientôt projeté à l’équipe. L’acteur n’hésite pas non plus à assumer un certain nombre de cascades, surtout durant la bataille rangée secouant le supertanker dans la dernière partie du film. Il prend part aux bagarres en s’y donnant à fond, et manque aussi d’être sérieusement brûlé lors de l’explosion d’un fauteuil dans la base sous-marine de Stromberg, à cause de la négligence d’un spécialiste des effets spéciaux. Sous ses dehors de production monumentale, le tournage s’avère assez détendu, Brocoli allant lui-même jusqu’en Egypte au secours de l’équipe affamée, en leur faisant des pâtes. Un véritable album de famille qui devra en l’occurrence convaincre le public du monde entier.

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Sur terre, dans les airs et sous les mers


L'Espion qui m'aimait demeure aujourd'hui l'un des James Bond les plus populaires de toute l'histoire de la saga. Admiré par les fans comme par le grand public, cet opus continue de rallier tous les suffrages et d'occuper les soirées de familles entières. A cela maintes raisons, à commencer par la présence désormais totalement assumée et digérée de Roger Moore dans le rôle de l'agent secret. Les deux premiers films lui avaient certes permis de constituer le cœur de son personnage, grâce à de nombreux détails et une approche toute personnelle du rôle, à la fois intéressante et convaincante. Néanmoins, Moore a jusqu'ici dû composer avec une direction d'acteur qui ne lui a pas donné l'occasion de s'approprier le personnage tel qu'il l'aurait souhaité, notamment obligé qu'il fut d'adapter son style à certaines scènes plus difficiles à tourner selon sa personnalité (comme de tordre le bras à sa partenaire dans L'Homme au pistolet d'or). Trop ancrée dans l'ère Sean Connery, l'approche du metteur en scène Guy Hamilton ne s'est pas suffisamment adaptée au style de son nouvel acteur. En dépit de nombreuses qualités avérées, les deux premiers films avec Moore lorgnaient de surcroît sur un minimalisme qui a rapidement trouvé ses limites. Pour survivre, la saga devait nécessairement retrouver son lustre d'antan, en n'omettant toutefois pas de rebâtir sur des fondations modernes aptes à lui redonner un véritable deuxième souffle. Car avouons-le, suite à l'éblouissante parenthèse incarnée par George Lazenby dont l'accueil public a été jugé décevant, la franchise n'a par la suite jamais cessé de consolider mollement son approche habituelle, sans côtoyer aucune notion de risque. Le retour ponctuel de Sean Connery a permis de prolonger une période dorée tout en flattant toujours plus son statut d'icône invincible. Quant à Vivre et laisser mourir et L'Homme au pistolet d'or, si au gigantesque succès de l'un répond la relative déception commerciale de l'autre, ils n'en demeurent pas moins les deux faces d'une même tentative de renouveler la série en la transformant au contact de la mode culturelle ambiante. Pas question néanmoins de revenir à des environnements plus sérieux, plus terre-à-terre, ceux dont jouissaient les premiers films jusqu'à Opération Tonnerre, mais aussi Au service secret de Sa Majesté. L'Espion qui m'aimait est à l'inverse l'occasion de revenir à certains fondamentaux farfelus de la série, à ce qui en fait la folie, la légèreté et la grâce, par le biais d'un gigantisme enfin retrouvé. Calqué sur celui d'On ne vit que deux fois, le schéma de L'Espion qui m'aimait encourage la fantaisie à tous les niveaux. Dix ans après un cinquième épisode totalement invraisemblable sur le fond comme sur la forme, c'est donc tout naturellement vers cela que va tendre ce dixième film, pour fêter dignement les quinze ans de James Bond au cinéma. En ligne de mire également : contrer une production hollywoodienne qui semble faire un retour fracassant sur le terrain du grand spectacle populaire. Bond n'est plus seul à émerveiller les consciences dans les salles obscures, mais il peut encore largement démontrer son aptitude à rivaliser, et pourquoi pas, à rester l'un des meilleurs.




L'Espion qui m'aimait, c'est l'équilibre parfait de la période Roger Moore dans tout ce qu'elle engendre d'extravagant et de grotesque, le point culminant et maîtrisé d'une formule retravaillée en profondeur afin de servir fidèlement son interprète jusqu'aux moindres pliures de son costume bondien. Délicat, raffiné, esthétique en diable et enchanteur, le film possède en vérité toutes les qualités du divertissement familial de très grande qualité. La violence est expurgée, et rares sont les accès de colère de l'agent secret. Traversant le film avec cette prestance so british redoutable et ce sens de la répartie débridée, Roger Moore se lâche complètement, faisant oublier ses deux premières prestations légèrement plus subtiles mais moins fantasques. Ni meilleur, ni moins bon en ces lieux, Moore se contente simplement de faire évoluer son tempérament, de proposer autre chose, tout en restant proche des apparats qu'il avait déjà solidement établis précédemment. Sous ses traits désormais largement acceptés par le grand public, James Bond devient excessivement détendu, charmant, sympathique, rigoleur et bien plus fréquentable humainement parlant. Le personnage perd en saveur, en tension, et disons-le en profondeur, ce qu'il gagne en désinvolture et en douceur. Un crime de lèse-majesté diront certains, une progression intéressante argueront d'autres. Avec Moore dans la peau du personnage, il ne pouvait en être autrement car sa personnalité bonhomme et son apparence gentille, celle d'un bel homme issu d'un fantasme féminin, ne pouvaient plus s'accorder avec les approches plus dures, machistes et brutales de la saga jusqu'ici. Tout droit sorti de l'Olympe, voilà donc un Apollon enfin révélé, tout à fait libéré des contraintes laissées par Sean Connery. Moore imprime au film une personnalité qui n'est pas sans faire penser aux Diamants sont éternels, à cette époque-là le James Bond de référence concernant l'excès grotesque du héros. Il en garde son insouciance et sa bonne humeur, et en retire sa virilité trop abrupte et son tempérament changeant de tueur chevronné. James Bond devient bien davantage Roger Moore que l'inverse, réadaptant les bons mots à sa conscience enjouée et non plus capricieuse. Il délaisse l'ego habituel du personnage pour devenir un super-héros sans mesure, un 007 surréaliste, dopé aux gadgets, adepte du self-control et plutôt facétieux. Dans les pires situations, comme celle où il est attaqué par Jaws et laisse la belle Anya démarrer la camionnette sans y participer, il demeure cet exemple de retenue comique, ce bon vivant indolent ne prenant pas grand-chose au sérieux. Moore opte pour l'invraisemblable, car il ne peut pas croire que Bond soit un héros crédible. Bien entendu, il se bat fort bien, comme sur ce toit de bâtisse en pleine ville du Caire, et n'hésite pas à faire preuve de cynisme en faisant lâcher prise à son adversaire suspendu dans le vide (et qui le tenait par la cravate) après lui avoir extorqué des informations. Avec Sean Connery ou dans un autre style George lazenby, 007 aurait eu l'air plus froid, violent, féroce, et même cruel. Avec Roger Moore, il semble s'en amuser, prenant un léger détour cynique relevé d'une sentencieuse remise en place de nœud de cravate. Il ne tue que par obligation et semble ne pas beaucoup aimer cela, excepté peut-être quand il abat Stromberg, le méchant tout puissant du film. Si ses prédécesseurs faisaient régulièrement du meurtre un moyen de parvenir à leur but, c'est pour Moore une fin, inévitable et forcée. Il ne brutalise plus ses partenaires féminines et opte pour d'éphémères techniques de séduction. Plutôt que de tordre le bras d’une femme, il tente ici de lui soutirer des informations en l'embrassant et en profitant d'un bon moment. Jouisseur de l'occasion dès qu'elle se présente et où qu'elle se présente, Moore ne perd jamais la possibilité d’un moment charnel, pourvu que la femme soit consentante et surtout attirante. Ainsi, des Alpes autrichiennes enneigées à l’Egypte chaude et touristique, James Bond est-il sans cesse dans les bras de séduisantes jeunes femmes. L'époque est aux mœurs sexuelles ultra-libérées, pour les hommes comme pour les femmes, et la multiplication des aventures amoureuses de notre héros ne choque alors personne. Depuis, le SIDA et les nombreuses campagnes de prévention sont passées par là, et L'Espion qui m'aimait appartient à une époque fort lointaine, témoignage d'une décennie révolue et désormais bien exotique.




De plus L'Espion qui m'aimait ne cherche pas à coller uniquement à son époque, et contrairement à ses deux prédécesseurs, tente même de lui répondre. La guerre du Vietnam s'est très mal terminée pour les USA, l'Occident commence à entrer dans une ère de récession économique (dont l’écho se répercute horriblement dans notre société actuelle) et malgré la Détente qui s'opère entre les deux blocs (Est et Ouest), l'heure est au doute et à la peur. Le cinéma des années 1970 s'est montré sec, nerveux, violent, assez sombre de manière générale, surtout aux USA. Mais alors que Hollywood s'apprête à réattaquer de plus belle par le biais de nouveaux réalisateurs aux fantasmes illimités (Steven Spielberg et George Lucas en tête), la saga bondienne reprend le chemin du très grand spectacle, afin de répondre à cette époque troublée dans laquelle semblent s'enfoncer des générations entières. James Bond incarne la parade à la morosité, le rempart contre la peur, la détente en pleine tourmente, le voyage et le rêve alors que grandissent des enfants sans promesses à espérer. C'est le temps du disco, des Bee Gees, de Rocky... Les gens veulent y croire, cherchent des héros, vénèrent l'évasion et la destruction des traditions. L'Espion qui m'aimait apporte deux heures de voyage dans certaines des régions les plus ensoleillées de la planète, de l’Egypte à la Sardaigne. Du soleil, encore et toujours, rien que du soleil, avec ce sable orangé ici et cette côte italienne paradisiaque là. Terminé l'image de l'agent secret aux allures de flic international, holster ostensiblement accroché à l'épaule et enquêtant dans les milieux louches, des bars mal famés de New York et La Nouvelle Orléans (Vivre et laisser mourir) aux salles de jeux de perdition à Hong Kong (L'Homme au pistolet d'or). Place au super agent en smoking noir et chemise blanche, nœud papillon de circonstance, dans les meilleurs lieux du Caire ou visitant les ruines du Temple de Louxor. Tantôt bédouin kitsch au possible, tantôt aquariophile en visite, Bond est redevenu un enquêteur de luxe, prompt à la bagarre et bénéficiant d'une couverture littéralement improbable. Moore lui apporte dès lors un second degré nécessaire et un jeunisme qui lui sied toujours aussi bien. Car à 50 ans, l’acteur semble toujours bloqué aux alentours de 40 bien sonnés. Mûre cependant, quelques rides redessinant merveilleusement un visage qui trouve ici sa fixation celluloïd la plus mythique, la star anglaise survole le film avec une aisance exceptionnelle, passant d’un costume à l’autre avec goût et embrassant la mode masculine à chaque instant. A ses côtés apparaît la sublimissime Barbara Bach, sorte de fantasme vivant pour tout homme ayant vu le film. Fine et gracieuse, elle apporte un sex-appeal indispensable au récit, nous faisant la joie d'être présente tout au long du film. Sur le papier et dans sa projection à l'écran, le personnage qu'elle incarne est malheureusement bien en deçà des espoirs portés à son encontre. Présentée comme l'un des meilleurs agents secrets soviétiques, Anya Amasova n'est toutefois qu'une dulcinée supplémentaire à sauver dans un château en perdition. (6) Très peu portée sur l'action physique, le personnage n'est même pas convaincant dans sa participation à la résolution de l'intrigue. Louable, la tentative d'accorder Bond avec une partenaire de niveau égal tombe partiellement à l'eau. Il est vrai qu'aucune héroïne forte n'a vu le jour depuis Au service secret de Sa Majesté et son inoubliable Diana Rigg. Mais les faits sont là, et renaissent maintenant progressivement, doucement, les prémices de futures James Bond girls à venir autrement plus sportives, combatives et convaincantes dans leur participation au récit. Le duo fonctionne très bien cela dit, grâce à l'entente visible entre les deux acteurs, ainsi qu’à leur alchimie glamour.




Le reste de la distribution est remarquable, avec le retour de méchants hauts en couleurs. Il s'agit de faire oublier les égarements de L'Homme au pistolet d'or à ce propos, avec son homme de main de petite taille et d'une efficacité narrative contestable. Jaws sera inversement l'un des hommes de main les plus emblématiques de la saga toute entière, un géant de près de 2m20, avec une mine patibulaire et une mâchoire d'acier. Personnage créé entre autres pour profiter du succès des Dents de la mer (7) et par ce biais de l’image du requin alors tristement impopulaire, Jaws est un habile condensé de l'univers bondien sous l'égide Moore. Immense, mais finalement peu effrayant. Méchant, mais finalement assez sympathique et régulièrement comique. Un équilibre là encore assez subtil dans l'art clownesque de répéter un motif en le scandant jusqu'à la lie, tout en l'affublant d'une teinte scénaristique et d'une apparence physique hors du commun. L'acteur Richard Kiel a probablement composé l'un des méchants les plus infantiles et les plus légendaires de la franchise, un personnage invulnérable égorgeant ses victimes avec sa mâchoire métallique. Ses corps-à-corps avec Bond sont physiquement inégaux, rappelant la bonhommie mortelle et l’extrême solidité du coréen Oddjob dans Goldfinger. Charismatique, il sert le méchant ultime de l'ère Moore, à savoir Karl Stromberg, savant obsédé par les océans, vivant reclus dans sa base sous-marine capable de s'élever hors de l'eau. Mégalomane de la race de ceux qui ont forgé une part importante de l'identité bondienne, Stromberg est probablement moins pervers qu'un Goldfinger, plus fou qu'un Kananga (Vivre et laisser mourir) et tout aussi esthète et dangereux qu'un Blofeld (on pensera à Au service secret de Sa Majesté). Méchant tragique porté par l'aura d’un Curd Jürgens presque draculéen, il signe le retour de l’ennemi intelligent, écologiste avant l’heure, aux moyens considérables et décidé à porter un coup fatal à l'humanité. Actant principal d'une histoire à nouveau placée par-delà les débordements imaginatifs et conceptuels des scénaristes, Stromberg menace à nouveau l'équilibre du monde, grâce à un plan que n'aurait pas renié le Blofeld d'On ne vit que deux fois. Quoi de plus normal, puisque sur le fond mais aussi la forme, L'Espion qui m'aimait en est quasiment le remake, la variation fidèle et troublante, allant même jusqu’à répéter quelques plans d’une similarité confondante. (8) Au vol de navettes spatiales américaines et soviétiques répond le vol de sous-marins nucléaires anglais, américains et soviétiques. Au cratère volcanique gargantuesque répond le supertanker engloutissant les sous-marins. (9) A la conquête spatiale répond la conquête des océans. Au bassin infesté de piranhas répond le bassin aux requins, animaux toujours aussi présents au fil du temps. Bestiaires zoologiques mortels, lieux aux couleurs démesurément chaudes, enquête en compagnie d'un autre agent (le Japonais étant remplacé par la Russe), décors innovants et totalement fous... Rien ne manque, rien n'est laissé au hasard.




Bond a retrouvé son armature unique, son abattage technologique insensé et sa course effrénée à l'image, à la traque vidéo-ludique. Ainsi, Stromberg apprécie-t-il de nombreuses actions en regardant son écran qui, comme c'était parfois le cas d'On ne vit que deux fois, renvoie une image dont on peut légitimement se demander comment elle a pu être filmée. Écrans omniprésents, panneaux de contrôle aux boutons lumineux crépitant et gadgets surreprésentés : 007 est une fois de plus dépossédé de son humanité pour mieux accéder à l'immortalité technologique et au confort d'un matériel faisant de temps à autres le travail à sa place. C’est le cas de cette voiture équipée des dernières innovations de la section Q, la réputée Lotus Esprit, véritable véhicule emblématique de la période Moore. (10) Bond ne nage plus, ne se salit plus, ne transpire plus. Il domine tout et tout le monde. Il quitte la route et plonge dans l'océan en restant paisiblement au volant de sa voiture, pour ensuite la transformer en sous-marin prêt à l'emploi. Il revient sur la plage sans quitter l'habitacle et, plus tard, part sauver Anya juché sur un jet-ski ultra-moderne. (11) Remis au goût du jour, l'univers bondien délaisse les formes arrondies et la coolitude des années 1960 pour laisser transparaitre des lignes géométriques directes et tranchantes. L'intérieur du supertanker, avec ses coursives en lignes droites et ses surfaces plates grillagées, renvoie à l'intérieur de la base sous-marine de Stromberg, plus ronde et pulpeuse, mais tout aussi métallique et froide. Ken Adam a créé de gigantesques décors ostentatoires et inoubliables, les plus ahurissants observés depuis le volcan d’On ne vit que deux fois, terrains d'affrontements explosifs et dantesques entre tous. Dans L'Espion qui m'aimait, Bond affronte pêle-mêle un géant, une armée de terroristes écologiques décidés à envoyer deux missiles nucléaires (l'un sur Moscou, l'autre sur New York) afin de provoquer la Troisième Guerre mondiale, mais aussi des plongeurs suréquipés et un désamorçage de bombe atomique en règle. Mission plus haute que tout, identité surdéveloppée dans les grandes largeurs en terrorisant les aspects psychologiques trop lourds des premiers films, et une bonne dose d'érotisme échevelé à laquelle s'ajoute une Caroline Munro certes peu présente (12) mais belle à se damner. Ou le Bond de tous les délires, un spectacle son et lumières flamboyant à l'image de cette séquence nocturne au pied des Pyramides de Gizeh. Il eut été plus simple de montrer ces dernières de jour en plein soleil, mais le réalisateur préfère emballer une série de plans spectaculaires desquels émergent des Pyramides et un Sphinx éclairés par d'énormes spots lumineux colorés, mais aussi soulignés par une musique grandiloquente. Bond s'y promène, à la recherche de son contact, rencontrant pour la première fois Jaws et Anya. S'ensuit une bagarre rituelle rythmée par les noirs obscurs et les jeux de couleurs transperçant la nuit, et où chaque coup, chaque corps en mouvement, se voient enveloppés par la musique du spectacle auprès des Pyramides. Théâtral, emphatique, déclamatoire, mais jamais ridicule ni parodique, L'Espion qui m'aimait propose tout au plus quelques instants pastichés, tel que cette marche en duo (Moore et Bach) dans le désert au son de la musique de Maurice Jarre composée pour Lawrence d'Arabie en 1962. (13)



Au niveau de l’action, le frénétisme l’emporte définitivement : ski, poursuite en voitures, cascades aériennes diverses et variées, confrontation aquatique entre une voiture sous-marine et des plongeurs, guerre totale au sein du supertanker et compte-à-rebours dramatique renouvelé tous les quarts d’heure. De quoi dépayser son quotidien jusqu’à oublier la grisaille du bitume et donner de la couleur à l’hiver ! Tout commence par un modèle de séquence pré-générique, un exemple pour les films à venir mais aussi un retour aux sources convoquant la tradition première des pré-génériques de Goldfinger et Opération Tonnerre. Vol de sous-marins, enquête de part et d’autre du Rideau de fer et présentation succincte des personnages. Apparaissent la belle Anya et le général Gogol, chef des services secrets soviétiques et par conséquent homologue de M. Gogol sera dès lors un personnage récurrent de la période Moore (14), à la fois austère et rusé. Enfin, le pré-générique se clôt sur une délirante poursuite à skis, dans laquelle Bond en combinaison jaune et sac à dos rouge échappe à une poignée de tueurs du KGB : coups de feu, vitesse, glisse en arrière et saut retourné dans les airs avec réception réussie au sol, lançant finalement 007 jusqu’aux confins du ciel, avec un saut en chute libre puis une ouverture de parachute aux couleurs de l’Union Jack, le drapeau anglais. Le long et unique plan de chute sidère notablement par son inattendue beauté. (15) S’ensuit le nouveau générique merveilleux de Maurice Binder, mettant en scène Roger Moore. (16) Notons par ailleurs que la chanson de Carly Simon reste l’une des plus belles et des plus aériennes de la franchise. Le budget, deux fois plus important que sur les derniers James Bond, octroie au film une spatialisation renversante de son action et un luxe considérable inhérent à une intrigue corpulente géographiquement parlant. La première partie en Egypte brille de mille feux, tandis que la deuxième partie en Sardaigne puis en plein océan préfère se concentrer sur la débauche de paysages aérés et de décors intérieurs titanesques. Il faut dire que les techniciens autour du projet se dépensent sans compter pour obtenir un résultat impressionnant. La mise en scène de Lewis Gilbert est extrêmement intelligente, préférant fonctionner sur le cliché, la carte postale et la bande dessinée colorée, tout en profitant d’un format Cinémascope éblouissant. (17) Son travail est de fait au diapason de l’approche de Roger Moore, confinant à leur collaboration une magie incomparable. En Egypte, Gilbert convie les aventures de Tintin et le serial pour habiller sa vision du scénario. Il multiplie les plans iconiques, tels que celui présentant la silhouette de Moore dans une ouverture de rue donnant sur le muézine au Caire, ou bien la chorégraphie de ses personnages au sein des ruines de Louxor. Avec son cadre constamment étudié, incliné, en plongée ou contre-plongée, utilisant au mieux la rectitude et les lignes de fuite affichées par les décors naturels ou ornementaux à sa disposition, Gilbert crée une atmosphère qui a fait date. Sa réalisation domine la distribution comme le ciel domine les hommes, en replaçant constamment la minuscule taille des personnages au milieu d’immenses décors mythologiques. Ou comment l’œil du soleil égyptien domine l’être humain de toute sa hauteur divine. Moore et Bach n’ont plus qu’à s’y promener en tenues de soirées, au cœur de décors pourtant anciens de plusieurs milliers d’années. Le résultat est un curieux alliage de silhouettes décalées et de mystère mi-fantastique mi-policier.




Et ce n’est pas tout, Lewis Gilbert continuant ensuite à proposer une enveloppe plastique stupéfiante, avec ses teintes azur pour la mer, sa côte italienne où se font presque entendre les grillons, et ses effets optiques combinés à de véritables prises de vues épiques. L’arrivée de Bond en vue de l’Atlantis de Stromberg, à bord du bateau de Naomi, est un superbe moment de souffle homérique où se mêlent une mise en scène extravagante, des effets spéciaux superbement intégrés et une musique au trip océanique-disco-classique inclassable et monumental. Ce qui permet également de souligner la forte teneur poétique du film, avec entre autres choses, l’émergence hors des flots de cette fameuse base sous-marine de Stromberg, sur une musique de Mozart. (18) La bande originale du film est au demeurant assurée par Marvin Hamlisch, remplaçant pour l’occasion un John Barry de nouveau absent pour cette aventure. Très emphatiques, moins abouties que les travaux de Barry, ses compositions demeurent cependant efficaces, surtout quand il sort des ornières symphoniques un peu trop rigides qu’il s’impose parfois. Le réarrangement du thème de James Bond façon disco ou encore le thème d’Atlantis sont de beaux moments certes datés, mais provoquant immédiatement rêve et volupté, excitation et euphorie. Une belle musique qui agit pour beaucoup dans l’atmosphère si caractéristique du film. La direction artistique prise par L’Espion qui m’aimait revient à la beauté originale de la saga, soignée et subtile, tout en y apportant sa touche moderne et originale. L’art de la tradition respectée et de l’évolution respectueuse au service d’un film faramineux, survolé par le talent de Claude Renoir à la photographie, avec ses tons doux, chauds et envoutants. Le montage de John Glen est extrêmement rythmé, soutenant la grâce et l’énergie du travail de Gilbert, un élément particulièrement visible durant la poursuite en voitures/hélicoptère. Reste alors les décors de Ken Adam, d’une démesure incroyable, culminant dans un supertanker fonctionnel du plus bel effet. Affrontements armés, explosions, bagarres, rien ne sera épargné à ce sanctuaire temporaire pour sous-marins, avant que Bond n’aille délivrer sa belle des griffes du méchant, non sans avoir livré une dernière bataille contre Jaws. Du pur concentré récréatif, une forme compilatoire assumée démontrant à quel point la période Roger Moore a su générer avec ce film sa propre orientation afin de lui donner son chef-d’œuvre absolu et rocambolesque entre tous, insolite et décomplexé. Il suffit de voir la famille bondienne habituelle, de M à Miss Moneypenny, en passant par Q, délocalisée à n’en plus finir, établissant leur QG non plus dans une épave de navire (19) mais à l’intérieur d’édifices égyptiens. La Détente de part et d’autre du Rideau de fer, et donc entre M et Gogol, symbolise en outre l’unification du monde contre les forces terroristes secrètes et apatrides qui menacent son équilibre. Le message est clair, donner un grand coup de pied aux principes éculés du thriller d’espionnage contemporain pour redorer le blason du bon vieux divertissement planétaire au discours apaisant et rassurant. Mission indiscutablement réussie.



Personnages emblématiques, lieux géographiques évocateurs, scènes d’action monstrueuses, bagarres fréquentes et mémorables, scénario dégraissé à l’extrême confinant à une diégèse "essentialisante", érotisme grand public et enrobage aussi fascinant que prestigieux... L’Espion qui m’aimait est le James Bond total par excellence, le représentant ultime de son identité la plus connue et reconnue jusqu’à l’arrivée de la période Daniel Craig. Rarement un film aura autant porté les couleurs de la franchise avec autant d’éclat et de démesure décontractée. James Bond va très rapidement revenir, mais pas dans Rien que pour vos yeux comme l’indique pourtant le générique de fin. En effet, Star Wars a réveillé l’envie de science-fiction des spectateurs du monde entier, ce qui va donner des ailes à 007. Le prochain défi est de taille, il faut emmener Bond là où jamais il n’est allé.

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Promotion, sortie, réception : Bond en chiffres et en dollars


L’Espion qui m’aimait doit raviver les foules comme au bon vieux temps de l’âge d’or bondien, époque durant laquelle il terrassait sans peine tous ses adversaires. En quinze ans et dix films, James Bond a perduré, a résisté, toujours en haut, malgré quelques fluctuations incertaines. Les temps ont changé, l’ère du Nouvel Hollywood portée par Steven Spielberg et George Lucas déferle maintenant sur les écrans de cinéma du monde entier. Albert R. Broccoli a tout intérêt à redonner à sa franchise le souffle qu’elle avait au cœur des années 1960, il a bien compris que Bond devait maintenant affronter une rude concurrence sans cesse tournée vers la modernité. Les affiches du film sont très impressionnantes, signées dans un style flirtant avec la science-fiction, aux lignes rigides et éclairées de couleurs saisissantes. James Bond est adossé à la Bond girl du film, exposant les deux personnages à un niveau d’égalité et glamourisant leur pose par un charme suave et clinquant unique en son genre. Bond n’est plus seul dans sa mission, d’autant qu’il s’agit de convaincre le public féminin qui, lui, a soif de représentation moins misogyne à l’écran. Le message est clair, il faut rappeler tous les publics et séduire tout le monde : hommes, femmes, enfants, nostalgiques de la période dorée et amateurs de blockbusters modernes. Sous-marins militaires, soleil rougeoyant, pyramides égyptiennes mythiques, plongeurs armés, base sous-marine futuriste. Rien ne manque, y compris grâce à un slogan depuis rentré dans la légende : « It’s the biggest, it’ the best, it’s Bond... And beyond. » Comme l’indique la chanson du film, qu’il s’agisse d’un point de vue ou d’un autre, personne ne le fait mieux que Bond. Les bandes-annonces déchainent l’action et montrent un budget démesuré. Le slogan est partout, tout le temps, scandé jusqu’à l’overdose. La presse s’empare du phénomène et prédit un grand succès à ce nouvel opus sonnant telle la renaissance planétaire du personnage dans son rayonnement commercial. En outre, l’Académie des Oscars saura remarquer les qualités artistiques de ce dixième film, en le soumettant à trois nominations pour la fameuse statuette : meilleurs décors, meilleure musique et meilleure chanson. Il semble bien que 007 soit revenu au sommet... Le box-office suivra-t-il ? Broccoli sait qu’il joue gros, il n’a pas le droit à l’erreur. La sortie du film est donc calée durant l’été 1977, période estivale qui a les faveurs des grosses productions depuis que Les Dents de la mer s’y est imposé en tant que n°1 mondial.


Sorti en avant-première mondiale le 7 juillet 1977 en Angleterre (soit le 07/07/77, une concomitance volontaire avec le matricule de Bond), L’Espion qui m’aimait cartonne d’entrée de jeu. Les entrées n’avaient pas été aussi nombreuses depuis l’ère Sean Connery. Les USA accueillent le film le 13 juillet et, malgré une très forte concurrence, le film s’impose comme l’un des plus grand succès de l’année. Balayé par le phénomène Star Wars qui prend une mesure prodigieuse, et battu à plate couture par le nouveau film de Steven Spielberg, Rencontres du 3ème type, Bond résiste toutefois assez bien et engrange les dollars. Il peut aussi compter sur le franc succès remporté par la chanson de Carly Simon auprès de la population. Avec 46,8 millions de dollars, L’Espion qui m’aimait s’accorde un puissant box-office américain, faisant plus du double du score de L’Homme au pistolet d’or et laissant Vivre et laisser mourir assez loin dans le rétroviseur. Le Star Wars de George Lucas n’a par contre laissé que des miettes à ses adversaires, entachant quelque peu un phénomène Bond sur le point de se réveiller de nouveau. Fort heureusement, le reste du monde convie 007 à une fête astronomique, faisant de ce nouvel opus le 3ème plus grand succès de l’année. L’Allemagne reçoit le film le 25 août et lui donne rapidement la 2ème place de l’année au box-office, avec pas moins de 7 200 000 entrées, explosant ainsi les résultats précédents de la saga et rameutant le plus grand nombre de spectateurs depuis On ne vit que deux fois. La stratégie du gigantisme a payé, le public est de nouveau en délire. En France, le film sort un peu plus tard, le 12 octobre. Il triomphe, uniquement battu par Les Aventures de Bernard et Bianca de Wolfgang Reitherman (Un Disney, toujours devant... 1er) et Star Wars (2ème). Arrachant une confortable 3ème place, il domine L’Animal de Claude Zidi (avec Jean-Paul Belmondo, 5ème), Nous irons tous au paradis d’Yves Robert (8ème) ou encore Mort d’un pourri de Georges Lautner (avec Alain Delon, 11ème). Il est vrai qu’il ne s’agit que d’une année de compétition moyenne pour James Bond, ce qui lui dégage donc le champ et lui donne 3 500 993 entrées. Un superbe résultat, là encore le meilleur depuis On ne vit que deux fois. Il faudra attendre la période Pierce Brosnan pour que la franchise revienne à un tel zénith en France. Au niveau mondial, le film récolte 187,3 millions de dollars (20), un succès colossal pour le héros que tout le monde pensait poussiéreux et voué à mourir très prochainement. James Bond est revenu au top et a prouvé qu’il fallait plus que jamais compter avec lui. Roger Moore a en outre réussit à imprimer sa totale identité à la saga, s’arrogeant ainsi une popularité faisant enfin oublier l’absence de Sean Connery. La franchise est entrée dans une nouvelle ère, un nouvel âge d’or, pour le meilleur et pour le pire. Elle a en tout cas de bien beaux jours devant elle, emmenée par un Albert R. Broccoli sûr de lui et totalement dévoué à sa passion : Bond, only Bond.

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(1) Voir la chronique de L’Homme au pistolet d’or.

(2) La totalité des données financières présentes sur cette page est tirée des sources officielles de la MGM et de la United Artists.

(3) Voir la chronique de Dr. No et la chronique d’Opération Tonnerre.

(4) La collaboration Kevin McClory / Sean Connery accouchera d’un film en 1983 : Jamais plus jamais, unique Bond non officiel (qui ne soit pas sorti des bureaux d’Eon). Il concurrencera Octopussy, sorti la même année,  à quelques moins d’intervalle. Mais ceci est une autre histoire.

(5) Le 007 Stage existe toujours aujourd’hui et l’on continue d'y tourner des films, y compris les James Bond eux-mêmes.

(6) La base sous-marine de Karl Stromberg (l’Atlantis) ressemble d’ailleurs à une sorte de château sortant des eaux, lieu idéal pour une princesse en péril et attendant la venue de son prince charmant. Il est à noter que le décorum entourant Stromberg appuie ce sentiment, avec cette longue table de dîner en bois surmontée et entourée de multiples chandeliers. Cette vie de reclus au milieu d’éléments passéistes sert un personnage esthète, mais aussi proche de la figure du vampire Dracula.

(7) Le personnage de Jaws relève d’un effet de mode. Si la présence des requins a toujours été un motif régulier de la saga James Bond, elle demeure plus que jamais nécessaire dans un film qui cherche à coller aux peurs de son temps. Depuis Les Dents de la mer de Steven Spielberg en 1975, le public est très friand de cette créature mortelle dont la simple morsure peut s’avérer horrible. A cause d’un signe des temps et de rumeurs de pacotille, les requins vont subir pendant des années la stigmatisation des gens. Le nom du personnage incarné par Richard Kiel n’est autre que le titre original américain du film de Spielberg : Jaws. En outre, la séquence dans laquelle la voiture de Bond sort de l’eau sur une plage de sable blanc en Sardaigne peut être vue comme le pastiche de certaines scènes du film de Spielberg. On y voit un point de vue subjectif (comme celui du requin dans le film de 1975), des gens interloqués et un chien détalant à toute vitesse... Le clin d’œil est évident pour le public de l’époque, et l’humour de la dite scène encore efficace de nos jours, notamment lorsque Roger Moore jette nonchalamment un poisson hors de la voiture en longeant les estivants.

(8) On y voit par exemple le même plan de véhicule juché sur un monorail et s’arrêtant devant les cellules des prisonniers barrées de portes blindées.

(9) Dans On ne vit que deux fois, il s’agissait une navette spatiale qui avalait les fusées américaines et soviétiques, puis les ramenait dans une station secrète, contenue au cœur d’un cratère de volcan. Dans L’Espion qui m’aimait, il s’agit d’un navire colossal engloutissant les sous-marins vulnérables et les gardant en son cœur, la base secrète étant cette fois-ci à l’intérieur même de ce supertanker. L’analogie entre les deux procédés est criante, à l’image de nombreux détails du film.

(10) Roger Moore ne conduira jamais une Aston Martin dans un James Bond. Il n’y en eut à vrai dire aucune entre Au service secret de Sa Majesté en 1969 et Tuer n’est pas jouer en 1987. Il conduira une superbe AMC Coupé Hornet dans L’Homme au pistolet d’or, ainsi que quelques voitures plus banales dans Rien que pour vox yeux (une Citroën 2CV), Octopussy (une Alfetta GTV V6) et Dangereusement vôtre (une Renault 11 TSE Electronic). Néanmoins, sa période sera marquée par la très futuriste Lotus Esprit S1, aux lignes droites et au pare-brise plat. Aérodynamique, sa forme apparait cependant datée de nos jours, car jamais réadaptée massivement depuis. Le James Bond de Roger Moore conduira cette voiture dans sa version blanche au sein de L’Espion qui m’aimait et Rien que pour vos yeux (ainsi que dans une version rouge pour ce dernier film). On peut donc effectivement considérer que la Lotus Esprit est la voiture emblématique de la période Moore. Dans L’Espion qui m’aimait, elle dispose de plusieurs gadgets, dont un lance-missiles, des mines sous-marines, un jet de peinture pour aveugler les poursuivants ou encore une structure transformatrice amphibie.

(11) Le jet-ski (ou motomarine) est en 1977 un engin peu connu du grand public et relativement peu commercialisé. Sa présentation dans L’Espion qui m’aimait à l’époque en fait un véhicule original et presque futuriste. Ce qui a depuis bien changé, puisque son accès s’est largement démocratisé aujourd’hui. James Bond a de toute évidence toujours été le fer de lance des outils technologiques les plus modernes au fil des ans.

(12) La sculpturale Caroline Munro a été vue dans deux films de la Hammer, Dracula 73 en 1972 (Alan Gibson) et Capitaine Kronos, tueur de vampires en 1974 (Brian Clemens). On a aussi pu l’apprécier dans Le Voyage fantastique de Sinbad en 1974 (Gordon Hessler) ou bien Maniac en 1980 (William Lustig).

(13) On peut aussi entendre l’air du Docteur Jivago de 1965, en faisant attention à la petite boite à musique du personnage d’Anya dans la séquence pré-générique (en fait, un radio émetteur-récepteur dans le film). Lawrence d’Arabie et Docteur Jivago ont été réalisés par David Lean.

(14) Walter Gotell prête ses traits au général Gogol, personnage fictif apparaissant dans L’Espion qui m’aimait, Moonraker, Rien que pour vos yeux, Octopussy, Dangereusement vôtre et Tuer n’est pas jouer (dans lequel il n’est plus chef des services secrets, mais chargé des affaires diplomatiques). Gotell avait auparavant joué le rôle d’un tueur dans Bons baisers de Russie.

(15) Les caméras chargées de couvrir la scène de saut dans le vide (dans le pré-générique) ont échoué à conserver le cascadeur dans leur objectif, excepté une seule qui a pu suivre le saut du début à la fin. C’est le plan de cette caméra qui est conservé dans le film, un effet ininterrompu qui donne en fait à la scène un côté encore plus impressionnant.

(16) Le générique de L’Espion qui m’aimait est le tout premier de la saga à faire apparaitre l’acteur principal interprétant 007. Ce genre de procédé sera conservé assez régulièrement, jusque dans la période Daniel Craig (Skyfall y procédant très largement).

(17) Le format Cinémascope 2.35 est utilisé sur la saga depuis Opération Tonnerre. Toutefois, pour un retour à des proportions raisonnables, Vivre et laisser mourir et L’Homme au pistolet d’or ont été tournés en 1.66. L’Espion qui m’aimait reprend toutefois le format 2.35, plus propice à la démesure. Ce format est depuis utilisé sur chaque film de la saga, jusqu’à aujourd’hui.

(18) Plusieurs compositeurs classiques ont été utilisés pour L’Espion qui m’aimait : Wolfgang Amadeus Mozart, Frédéric Chopin, Camille Saint-Saëns et Johann Sebastian Bach. Il s’agit notamment de sources d’inspirations précieuses pour le compositeur du film Marvin Hamlisch, selon son propre aveu.

(19) Dans L’Homme au pistolet d’or, le QG des services secrets britanniques était momentanément situé dans l’épave du RMS Queen Elizabeth, navire échoué dans la baie de Hong Kong. L’Espion qui m’aimait n’est donc pas le seul film à montrer la délocalisation temporaire des locaux du MI6 pour les besoins d’une mission. Cela a été inauguré avec On ne vit que deux fois (un sous-marin navigant entre la Chine et le Japon). Mais on peut également observer ce fait dans Moonraker (un monastère en Amérique du Sud), Octopussy (un bâtiment caché à New Delhi, mais uniquement destiné à abriter le labo de Q), Le Monde ne suffit pas (un château en Ecosse) ou encore Meurs un autre jour (dans un métro désaffecté de Londres, mais uniquement destiné à abriter le labo de Q). Il arrive par ailleurs à Q de partir équiper 007 sur le terrain, dans des conditions plus cavalières, ce qui est le cas d’Opération Tonnerre (à Nassau), On ne vit que deux fois (au Japon), Les Diamants sont éternels (à Las Vegas), L’Espion qui m’aimait (en Sardaigne), Rien que pour vos yeux (dans lequel il fait simplement le lien entre Bond et le MI6, en Grèce), Permis de tuer (à Isthmus City, ville fictive située au Mexique) ou encore Demain ne meurt jamais (à Hambourg).

(20) En dollars constants, c'est-à-dire en recalculant le box-office du film au cours du dollar de l’année 2012, le film aurait rapporté 700,58 millions de dollars, soit davantage qu’un blockbuster actuel. Calcul effectué par le Cost of living calculator de l’American Institute for Economic Research.

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Lisez l'éditorial consacré au 50ème anniversaire de James Bond

Par Julien Léonard - le 5 janvier 2013