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Critique de film
Le film
Affiche du film

Nosferatu, fantôme de la nuit

(Nosferatu : Phantom der Nacht)

L'histoire

Employé dans une étude de notaire de Wismar, Jonathan Harker se voit confier pour mission de se rendre en Transylvanie afin d’acter la vente d’une demeure au comte Dracula. Navré de devoir quitter Lucy, sa jeune épouse, il chevauche vers le château de son acquéreur. En route, villageois et Roms l’avertissent du danger qui l’attend s’il se rend dans ces terres maudites. Car le comte Dracula est un vampire, incapable de mourir, qui se repaît du sang de vivants. Jonathan devient son prisonnier. Ému par une photographie de Lucy, Dracula entreprend de la rejoindre à Virna.

Analyse et critique

« Il y a un trou depuis un an dans le plafond de la salle d’eau (…) une chauve-souris d’un noir éclatant qui a dû s’égarer s’y est installée. Elle reposait hier sur la porcelaine blanche et lisse du lavabo, la pointe de ses ailes griffues, les pattes repliées sur elle, et elle m’a regardé calmement de ses yeux noirs. Elle n’a pas fui : elle agonisait, humble et très calme, sans aucune crainte face à l’importance de ce qui lui arrivait. » (Conquête de l’inutile - Capricci Editions)

Expressionnisme et filiation

La montée du nazisme, sa haine de la culture, la guerre, la situation économique désastreuse du pays à l’issue du conflit, sa séparation en deux blocs... autant de décennies dramatiques pour l’Allemagne qui ont provoqué dans son cinéma un trou béant. Les réalisateurs de la génération de Werner Herzog (Fassbinder, Wenders, Schlöndorff...) arrivent dans le cinéma précédés d’un vide. Ils n’ont pas de parents dans le cinéma allemand, ils n’ont que des grands-parents - Pabst, Lang, Murnau... Fassbinder et Herzog ont d’ailleurs réellement été élevés, en partie ou complètement, par leurs grands-parents. De nombreux cinéastes allemands vont ailleurs chercher des filiations, Wenders et son rapport avec le cinéma américain étant l’exemple le plus parlant. Ce n’est pas le cas de Werner Herzog, cinéaste dont on peine d’ailleurs à relier l’œuvre à celle d’autres réalisateur, à un courant ou à une école.

Ils sont ainsi quelques-uns dans le cinéma allemand à apparaître à la façon d’une génération spontanée : sans parents de cinéma auxquels se référer, sans structure étatique ou universitaire sur lesquelles s’appuyer, ils semblent surgir du vide. Leur cinéma, leur façon de faire des films s’en ressentent fortement. Mais cette situation n’est pas sans provoquer un manque. On parle d’un cinéma français, italien, japonais... mais jamais d’un cinéma allemand. D’une part car la production du pays est plus que clairsemée dans les années 60 et 70, que le cinéma est peu financé et peine donc à se faire connaître en dehors des frontières du pays. D’autre part car il y a cette brisure dans son histoire. Ce fossé entre le cinéma d’avant-guerre - avec ses grands noms internationalement reconnus et son école expressionniste qui a marqué l’histoire du cinéma mondial - et la jeune génération fait que le cinéma allemand en tant que tel n’existe pas.

Herzog est convaincu que seule la culture peut faire tenir un pays. C’était ce qui le portait lorsqu’il s’était lancé dans un tour d’Allemagne à pied, magnifique geste poétique et politique malheureusement avorté. Nosferatu participe de la même idée, Herzog souhaitant avec ce film dresser un pont entre le présent du cinéma allemand et son passé avec l’espoir de participer à lui rendre son unité. Il poursuivra ce travail avec Cerro Torre (1991), film se situant cette fois dans la grande tradition du film de montagne allemand apparue dans les années 20 et dont Leni Riefenstahl, Luis Trenker et Arnold Franck furent les grands représentants. Herzog veut ainsi rappeler d’où vient ce genre purement allemand qui a été confisqué et perverti par l'idéologie nazie.

C’est la première fois que Werner Herzog dirige des acteurs connus, dont Bruno Ganz. La présence de cette grande figure du cinéma allemand montre bien que le cinéaste entend s’inscrire complètement dans le cinéma de son pays alors que jusqu’ici, il a le plus souvent tourné loin de ses frontières. Son désir de recoller les morceaux du cinéma allemand passe aussi par le fait qu’il ne pense pas son Nosferatu comme une réactualisation, un rajeunissement du film de Murnau. Il travaille dessus comme un palimpseste, recherchant à plusieurs moments à recomposer les plans exacts du film original.


L’un des coups de génie de Murnau a été de tourner son Nosferatu en dehors des studios, le cinéaste cherchant dans les décors réels la tension et l’authenticité qu’il souhaitait conférer à son film. « Il réalise un documentaire sur les vampires », explique Herzog. Pour lui, Murnau est le plus grand cinéaste allemand et la manière dont il a tourné son chef-d’œuvre n’a pas été sans influencer sa propre conception du cinéma. La volonté de filmer un réel magnifié - que ce soit dans la beauté ou l'horreur -, la quête du sublime, une vision du cinéma comme « forme intensifiée de la vérité » (1) : c'est finalement toute la démarche artistique de Herzog, qui peut être perçue comme une prolongation du mouvement expressionniste.

Ici, Herzog est d’une précision maniaque. Chaque cadre est finement composé, chaque éclairage travaillé, chaque couleur soigneusement choisie. Le réalisateur contrôle de la même manière au millimètre près les gestes et les mouvements de Klaus Kinski. Il doit en effet constamment freiner l’acteur dans son jeu, Kinski s’imaginant composer une figure du mal tonitruante, excessive et violente qui marquera les mémoires. Mais ce n’est pas du tout la vision de Herzog, la raison pour laquelle il a choisi Kinski. Ce que les cinéastes cherchent lorsqu’ils emploient Kinski, c’est sa fureur, sa folie qui effectivement percent l’écran. Ce que Herzog voit, c’est au contraire sa douleur, sa solitude, son épuisement, sa fragilité. Il est le seul cinéaste à avoir vu cela chez le comédien et c’est ce qui fait que ce sont les cinq rôles qu’il lui a offert qui resteront comme les sommets de sa carrière d’acteur. Kinski a donné en retour tout son génie, son talent unique aux films de Herzog, il lui a offert ce qu’il tenait caché sous sa fureur. C’est ainsi qu’en insufflant toute sa douceur, sa tristesse au personnage de Nosferatu, il en a fait une créature de cinéma inoubliable.

Si Nosferatu distille une ambiance si particulière - qui rebute d’ailleurs nombre de spectateurs -, cela tient à la conjonction de plusieurs facteurs. Il y a le jeu de Kinski bien sûr, qui hante littéralement le film : il y a au niveau du récit un vampire qui contamine la réalité et au niveau du film un acteur qui projette son ombre sur chaque plan, sa présence étant sensible même lorsqu’il n’est pas à l’écran. Il y a la partition de Popol Vuh - certainement la plus belle des cinq bandes originales que le groupe a réalisé pour Herzog (2) - qui recouvre le film d’un épais voile de mystère. Et il y a les gestes et les expressions comme suspendus des comédiens. Herzog les dirige en travaillant sur le jeu des acteurs du muet. Il y a toujours cette idée de relier le film au passé du cinéma allemand, mais cette approche induit deux autres idées primordiales dans le film. La première, c’est qu’en demandant à Kinski de reproduire à l’identique les gestes de Max Schrek, en lui indiquant là où se placer dans le cadre afin qu’il se situe exactement là où était l’acteur de Murnau, Herzog confère d’une certaine manière à sa créature une véritable immortalité. Nosferatu surgit dans notre présent après un long sommeil, il sort du film de Murnau et s’empare de celui de Herzog et il est toujours le même : ni les années, ni la mort n’ont eu raison de lui. Herzog ne réinvente pas la figure du vampire, mais en utilisant le souvenir du film de Murnau il en propose une représentation cinématographique parfaite. La seconde chose qui naît de ce travail des acteurs sur le jeu du muet, c’est la représentation du territoire de Nosferatu. En venant chercher Mina, le vampire étend son territoire sur la ville. Les habitants sont alors peu à peu pris dans les rais du monde du vampire, un monde de rêve, intemporel. Le jeu des acteurs évolue vers celui du muet au fur et à mesure que l’influence de Nosferatu se renforce. La façon dont ils suspendent leurs gestes, ralentissent leurs mouvements, exagèrent leurs mimiques participe ainsi à la dramaturgie du film. A la fois parce qu’ils montrent qu’ils sont comme aspirés par le monde-rêve du vampire, mais aussi parce qu’en calant leur jeu sur celui des acteurs du muet, ils renforcent l’idée que Nosferatu est passé du film de Murnau à celui de Herzog et que sa puissance est telle qu’il transforme tout ce qui l’environne.


L’autre chose qui frappe chez les acteurs, c’est la manière dont Herzog filme leurs visages comme des icônes. Laideur ou beauté provoquent une même fascination, nous semblent aussi irréels l’une que l’autre. Isabelle Adjani ressemble ainsi à un fantôme, une illusion, une chimère, et c’est ce qui amène Nosferatu à pénétrer dans le monde des humains. Il est irrémédiablement attiré par cette créature de chair qui lui ressemble, par cette présence diaphane. Deux univers rentrent alors en collision, celui des rêves et celui de la réalité, grand thème du cinéma de Herzog.

Une apocalypse de rêve

Si Herzog se glisse entièrement dans le film-modèle de Murnau, il parvient à se réapproprier le mythe du vampire, à en proposer une recréation très personnelle. Il ne s’intéresse pas au folklore et se détache complètement de ce courant cinématographique qu’a entraîné le roman de Bram Stoker pour d’une part poursuivre son travail sur la friction entre rêve et réel (voir Cœur de verre) et d’autre part pour mettre en scène un nouvel avatar de l’être souffrant qui est au cœur de son cinéma et dont il offre ici une version limite.

Comme Stroszek, Aguirre, Bruno S. ou Kaspar Hauser, Nosferatu ne raccorde plus au monde. Il n’est même plus question pour lui d’avoir quelque lien que ce soit avec la terre, les paysages ou la société des hommes. Il est l’exclu ultime : exclu du monde réel et repoussé dans les limbes, exclu du déroulement du temps car immortel. Certains héros herzogiens parviennent à se créer un monde à eux qu’ils peuvent habiter : monde de visions pour le berger Hias, de fantasme et de folie pour Aguirre, de révolte pour les Nains ou Stroszek... Nosferatu a de son côté bâti autour de lui un univers sur lequel il a prise, modelant le réel à son image. Mais ce monde n’est qu’une autre prison et le vampire va être amené à le détruire pour un rêve d’amour : « L’absence d’amour est la pire des souffrances. »


C’est par amour qu’il sort de sa forteresse pour retrouver Lucy et, en s’approchant d’elle, sa puissance transforme le réel. Mais dans un même temps, il s’humanise, jusqu’à devenir mortel. Tout est question de contamination : Mina et Jonathan par le vampire, la ville par la peste, Nosferatu par l’humanité, la réalité par le rêve. Herzog construit son film autour de la conjonction de deux univers et non sur l’invasion de l’un par l’autre. Il y a ainsi deux mouvements centraux : la contamination du réel par les ombres et les songes, et la contamination du monstre par l’amour.

Il y a au départ deux mondes : celui des hommes et celui de Nosferatu. Pour créer ces mondes, Herzog tourne au Mexique, en Allemagne, en Tchécoslovaquie et en Hollande. Comme dans Cœur de verre, il crée la géographie de son film à partir de lieux dispersés à travers le monde : le territoire de Nosferatu étant un territoire de rêves, les frontières géographiques n’ont guère de sens. C’est ainsi que, contre toute logique, il fait le trajet entre les Carpates et la ville censée se situer en Allemagne du Nord en bateau ! Belle métaphore du pouvoir des histoires et des rêves...

La jonction entre ces deux mondes se fait par le biais de deux voyages. Il y a d’abord celui de Jonathan qui pénètre dans le monde de Nosferatu, puis celui du vampire vers la ville où habite Lucy. Lors du premier voyage, Jonathan est aspiré dans le monde magique du vampire. Lors du second, la créature répand son ombre sur la ville, la plonge dans un rêve. Au fur et à mesure qu’il s’éloigne de la ville, du monde des hommes, Jonathan voit le réel se déliter. Des Roms lui racontent que le château de Nosferatu n’existe que dans l’imagination des hommes et l’on comprend que Jonathan doit faire le chemin entre la réalité et les rêves pour pénétrer dans le domaine de la créature. Le premier décrochage de la réalité est comique : Jonathan demande à acheter l’un des six chevaux d’un cocher mais il s’entend répondre par ce dernier qu’il n’en possède pas. Plus on s’approche du domaine de Nosferatu, moins la réalité n’a de poids. Elle peut être transformée ou niée, et il n’est pas certain que le cocher ait répondu par un mensonge à Jonathan.


Jonathan poursuit sa route et Herzog filme un entre monde, nous fait physiquement ressentir le passage entre le territoire des vivants et celui des ombres dans une séquence magnifique qui doit beaucoup à l’expressionnisme allemand. Un éclairage violent, de source visiblement électrique (Herzog ne la masque pas, n’essaye pas de la faire passer pour la lumière de la Lune) découpe le bas côté de la route où s’achemine Jonathan. Démarre alors la musique de Wagner (3) qui déploie toute sa puissance alors que Jonathan est assis au sommet d’une montagne. Sa position rappelle celle du berger Hias et les paysages qui se dissipent dans le crépuscule renvoient à ceux noyés de brume dans l’ouverture de Cœur de verre. Un coucher de soleil magnifique montre le jour et la nuit se mêler et renforce l’idée que l’on est au point de passage entre les deux mondes. Jonathan franchit ce passage, entre dans le monde des rêves, de l’imaginaire, et il va ainsi réveiller Nosferatu, le sortir de la nuit où il était plongé depuis longtemps, depuis Murnau.

« J’ai l’impression que j’appartiens au monde de la nuit et que mes films naissent de l’obscurité », explique le cinéaste. C’est dans les visions, les rêves qu’il fait lorsqu’il marche (il raconte sinon ne jamais se souvenir de ses rêves la nuit) que Herzog voit naître ses films. Nosferatu est ainsi pour Herzog comme l’incarnation de ce qu’est pour lui la création, l’imaginaire, le cinéma. C’est une créature qui vit dans le monde des rêves et que l’artiste vient chercher. Il y a de toute façon dans le mythe du vampire une très forte analogie avec le cinéma, ce que n’a pas manqué de travailler Francis Ford Coppola dans son Dracula.


Jonathan est allé chercher Nosferatu dans le monde des rêves et, ce faisant, lui a donné corps. On peut remonter au tout début du film, lorsque Lucy s'éveille d'un cauchemar : elle n'a pas vu Nosferatu mais a senti sa présence (des cadavres momifiés, une chauve-souris). Nosferatu précède le film, est dans un néant, dans le rêve, et attend seulement un rêveur, quelqu'un qui l'appelle. Grâce à Lucy et Jonathan, il peut quitter les limbes pour pénétrer le monde des hommes, partir en quête de Lucy. Pour l’instant, elle n’est qu’un rêve pour lui, un fantasme qu’il ne connaît qu’en vision. De la même manière que Jonathan est allé le chercher dans les rêves, lui part la chercher dans la réalité.


Il embarque sur un bateau qui, lors de la traversée, va se vider de son équipage. C’est un navire fantôme qui au petit matin pénètre dans la ville endormie. Celle-ci ne va plus se réveiller et les villageois vont, comme dans Cœur de verre, agir comme des somnambules. Ils voient le mal contaminer leur ville, mais ne réagissent pas. Ils sont assoupis, dans l’attente, comme la poignée de soldats en déroute d’Aguirre happés par le rêve de jungle. Lucy aussi attend, endormie, la morsure du vampire.

Van Helsing (Walter Ladengast qui jouait le percepteur de Kaspar Hauser) refuse longtemps de voir que le surnaturel s’empare de la ville. Il apporte des explications rationnelles qui deviennent de plus en plus ridicules au fur et à mesure que le réel perd du terrain. Les personnages qui se targuent avec arrogance de posséder le savoir, la vérité, sont souvent ridiculisés par Herzog (voir leur traitement dans Kaspar Hauser), voire montrés comme sadiques et néfastes (le médecin de Woyzeck). Lorsque Van Helsing se rend enfin à l’évidence et reconnaît l’existence du vampire, c’est ironiquement pour être arrêté par des représentants de la loi.


Nosferatu n’est pas une créature maléfique, mauvaise. Il incarne la mort mais, comme dans le tarot, celle-ci symbolise avant tout le changement. « Il est prophète de changement dans un monde bourgeois qui doit changer », dit de lui Herzog. Il n’est pas anodin que Herzog ait choisi Wagner, l’un de ses musiciens de chevet, pour accompagner l’avancée du monde-rêve de Nosferatu. On l’entend lorsque Jonathan pénètre dans le domaine de Nosferatu, lorsque le bateau du comte accoste dans la ville ou encore lorsque Jonathan quitte la ville à cheval et s’en va propager le mal. Le lyrisme de la composition de Wagner prend le contrepied de l’imagerie habituelle associée au vampire : sa musique évoque la naissance, l’aube, l’éveil et non la mort ou la destruction. Lorsque la peste détruit la ville et que les habitants jettent leurs biens dans la rue, les brûlent et dansent sur les ruines, c’est une image de festin à la Bruegel, une fête des morts joyeuse et folle. Herzog dit s'être d’ailleurs plus intéressé aux récits médiévaux sur la peste qu’à l’œuvre de Bram Stoker pour écrire son film. Il découvre que lorsqu'il n’y a plus que la mort à l’horizon, les gens se livrent à l’anarchie. Ainsi, dans la ville infestée de rats, accablée par la peste, au lieu de se lamenter on dresse de somptueux buffets, on boit et on mange. Cette fin de monde que décrit Herzog se révèle bien plus joyeuse que celle qu'il mettait en scène dans Fata Morgana ou Cœur de verre. Le cinéaste est porté par un tel optimisme qu’il modifie la fin du roman, transformant Jonathan en vampire. Il le lâche sur le monde, lui offrant de devenir l'apôtre de la joyeuse fin du monde ! La messe de Gounod accompagne cette image glorieuse du cavalier partant répandre le monde-rêve du vampire, portant le changement, le renouveau. Cette fin est très peu appréciée par La Fox, distributeur américain du film, qui demande également à Herzog de raccourcir le montage. S'il accepte de couper de ci de là - des coupures qui sont finalement plutôt des réajustements, le film ne perdant rien de sa substance - il reste intransigeant sur cette fin qui synthétise sa vision du mythe de Dracula.

La critique défendait encore Cœur de verre et La Ballade de Bruno. Mais elle était déjà tiède, comme si elle se sentait obligée d'accompagner un cinéaste qu'elle considérait il y a peu encore comme l'un des auteurs contemporains majeurs. Nosferatu provoque au mieux un ennui poli, mais le rejet est souvent plus violent et ce film marque le début de la fracture entre Herzog et la critique. Wenders prend sa place en tant que chef de file du renouveau du cinéma allemand. Trop insaisissable, original, unique, peut-être fallait-il effectivement le recul des années pour saisir la cohérence et l’importance de son œuvre, pour accueillir sereinement un film comme Nosferatu. L’impossibilité pour beaucoup de critiques de découvrir ses nombreux films non exploités en salles (la quasi-intégralité de la partie documentaire) est aussi certainement pour beaucoup dans l'incompréhension de son œuvre. S'il est resté ainsi pendant près de trente ans dans l'ombre, si ses films ont été très peu vus, très peu commentés par la presse (à l'exception de Fitzcarraldo mais pas pour le bonheur du film), il ne faut pas crier à la cabale (même si le discours de ceux, nombreux, qui ont parlé de fascisme à son propos reste impardonnable de bêtise) mais bien plutôt au fait qu'une œuvre d'une telle densité, protéiforme et inclassable, demande du recul, une vision globale pour être comprise et aimée. Gageons qu'aujourd'hui que tous ses films sont visibles, le cercle de ses admirateurs ne cessera de croître et qu'il retrouvera la place qu'il mérite au panthéon des plus grands créateurs du septième art.

(1) En 1999, Herzog écrit à ce propos un manifeste contre le cinéma vérité, disponible en anglais sur www.wernerherzog.com.
(2) La bande originale a été publiée en deux albums : Nosferatu - on the Way to a Little Way et Nosferatu - Bräder des Schattens.
(3) Wagner et la messe de Gounod reviennent régulièrement dans le film pour marquer la progression des ombres. La construction musicale repose sur la récurrence de ces deux morceaux, sur les compositions planantes de Popol Vuh et sur des chants géorgiens. Herzog fait ainsi coexister musique profane et sacrée, ancienne et moderne, ce qui participe pleinement à l’idée de jonction de deux mondes au cœur du film.

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Par Olivier Bitoun - le 26 septembre 2010