Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Amour en fuite

L'histoire

Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) est marié depuis huit ans à Christine (Claude Jade) ; il a eu récemment pour maitresse Liliane (Dani), l’une des meilleures amies de son épouse, et vit désormais avec Sabine (Dorothée), une femme qu’il a cherchée partout à partir d’une photo qu'il a trouvée déchirée en petits morceaux, après être tombé follement amoureux du visage reconstitué. Aujourd’hui les Doinel sont le premier couple à divorcer par consentement mutuel. Le soir même, Antoine doit conduire son fils au train puisque ce dernier part en classe de neige ; sur le quai de la gare, il tombe sur Colette, l’un de ses premiers coups de foudre d’adolescence, amour qui est resté platonique. Il décide de monter dans le train afin de renouer connaissance mais va surtout lui parler durant ce voyage de son roman Les Salades de l'amour dans lequel il conte toutes ses aventures sentimentales...

Analyse et critique

« Il me semble que je devais profiter d'une chance que presque aucun cinéaste n'a eue [...] Lorsque l'on a la chance d'avoir filmé quelqu'un à l'âge de 13 ans et demi, dix-neuf ans, vingt-quatre ans, vingt-huit ans, et qu'on le reprend à trente-trois ans, on a entre les mains un matériel qui est précieux, pas gai parce que la transformation physique de quelqu'un n'est pas forcément exaltante, mais riche quand même [...] Alors voilà la chance dont je voulais profiter : avoir filmé le même garçon à des âges différents de sa vie, le retrouver jouant le même personnage et raconter une nouvelle lui permettant d'apparaître en homme, en adolescent ou en petit garçon. » Cette chance unique qu'il invoque à plusieurs reprises, il en aura profité jusqu'à L'Amour en fuite, sa dernière collaboration avec Jean-Pierre Léaud.


L’Amour en fuite est le dix-huitième long métrage de François Truffaut, la cinquième et ultime chronique mettant en scène celui qu’il s’amusait à appeler son alter ego, Antoine Doinel. Il y eut tout d’abord Les Quatre cents coups qui narrait l’adolescence tourmentée du jeune Antoine, séchant les cours, errant dans les rues de Paris pour échapper à la tristesse de sa vie familiale puis finissant dans une maison de redressement de laquelle il allait réussir à s’enfuir. Le court métrage Antoine et Colette se déroulait trois ans après ; Antoine vivait désormais dans un modeste appartement, avait trouvé un travail chez Philips, et son seul souci était désormais de réussir à convaincre une jeune bourgeoise, Colette, de tomber dans ses bras. Ses tentatives s’étaient toutes soldées par un échec et, après un laps de temps de cinq années, nous le retrouvions dans Baisers volés en tant qu’engagé volontaire dans l’armée au sein d’une caserne parisienne. Trop instable, il sera limogé et deviendra veilleur de nuit puis détective. Alors qu’il semblait que son amie Christine le fasse tout autant lanterner que Colette, elle finissait cependant par accepter le mariage. Le film se terminait sur une note assez insolite, un homme inconnu venant déclarer sa flamme à Christine devant un Antoine tellement déstabilisé qu’il n’osa rien dire ni rien faire. Ils repartaient néanmoins silencieusement, main dans la main, dans les rues d’un Paris ensoleillé. Ce fait a priori anodin avait cependant jeté un froid et l’on ne savait pas comment les deux nouveaux amants allaient réagir. Une fin ouverte qu’Henri Langlois ne voulut pas accepter tellement il s’était pris de sympathie pour le couple ; à la fin de la projection du film, il dit à Truffaut qu’il souhaiterait ardemment les voir mariés.


S’étant fait le reproche d'avoir proposé une vision "complaisante" de l'adultère dans Jules et Jim, motivé par son mentor et directeur de la Cinémathèque française, Truffaut décida alors de poursuivre son cycle Doinel avec Domicile conjugal, qu’il voyait comme un remake "gai" de La Peau douce dont il regrettait également la trop grande tristesse. Comédie de mœurs sur un couple marié, sa complicité et ses petits tracas quotidiens, puis enfin, dans une dernière partie, à propos de l’adultère et ses conséquences, le film se situait dans la droite lignée douce-amère de son prédécesseur, seulement plus rigoureux dans son écriture ainsi que plus posé, tant au travers des situations qu’au niveau du rythme et de l’interprétation. Ce regain de sobriété n’empêchait aucunement une toujours aussi grande virtuosité de la mise en scène, une toute aussi belle maîtrise formelle ainsi qu’une toute aussi revigorante vitalité. On ne peut malheureusement pas en dire de même de L’Amour en fuite, un film de Truffaut qui, une fois n’est pas coutume, n’a pas volé sa réputation de mineur, et ce même si les fans du réalisateur y prendront comme moi à nouveau énormément de plaisir alors même que le réalisateur l’a en quelque sorte répudié en disant à ces copains des Cahiers du Cinéma qu’en le tournant il faisait "une belle connerie". Même si ça nous rend triste de l’avouer, on peut donc assez objectivement décréter que le dernier Doinel nous laisse en bouche un petit arrière-goût d’inachevé et de déception ; c’est clairement un film bâclé, paraissant écrit et réalisé à la va-vite, mal rythmé et à vrai dire sans grand intérêt si l'on n’a pas vu les "épisodes" préalables. Reste qu’il demeure néanmoins très sympathique, ne serait-ce que pour le plaisir de revoir des morceaux choisis de la saga (dix-huit minutes d’emprunts aux films précédents) et surtout pour les comédiens : si Marie-France Pisier en fait un peu trop, Claude Jade est toujours aussi juste, Léaud fait du Léaud avec délectation, et enfin l'on peut regretter que Dorothée n’ait pas été plus longuement utilisée dans ce film - et même plus globalement, qu’elle n'ait pas fait une carrière dans le cinéma car elle se révélait ici parfaite et surtout délicieuse et d'une grande fraicheur. Et puis la chanson nostalgique du duo Voulzy / Souchon, nous ramenant à cette époque de plus grande insouciance, finit de nous rendre cet opus très attachant malgré ses défauts.


Il faut quand même dire que cette saga Doinel est un cas unique dans l’histoire du cinéma, comme le disait Truffaut en préambule de ce texte. Même si Richard Linklater a signé son splendide Boyhood après en avoir tourné des séquences durant plusieurs années afin de pouvoir nous montrer ses personnages grandir et évoluer sur une longue période, et si tout récemment Sébastien Lifhstitz a fait de même sur une durée de cinq ans pour son magnifique documentaire Adolescentes, il n’existe pas d’autres exemples d’une série de films qui sur vingt ans d’écart ont gardé les mêmes comédiens pour tenir le rôle des mêmes personnages. Ne serait-ce que pour ce côté unique, L’Amour en fuite mérite d’être reconsidéré d’autant que, comme je l’ai dit ci-avant, il n’est pas du tout désagréable à suivre grâce aussi bien évidemment au talent du réalisateur ainsi qu'à sa fantaisie toujours aussi réjouissante, en l'occurrence ici au travers de ses dialogues - surtout au cours de la longue séquence dans le train, une fois encore visiblement en partie tournée en hommage à son maître de toujours, Alfred Hitchcock. Quant à l’émotion, le cinéaste ne l’a pas oubliée en chemin, témoin la très belle séquence au cimetière entre Antoine et l’ex-amant de sa mère (Julien Bertheau), ou encore cette naïve jubilation qui découle du finale peu crédible mais ô combien plaisant pour le spectateur "fleur bleue" qui comme Truffaut croit qu’au cinéma tout est possible même pour un Antoine Doinel immature, toujours aussi bavard que snob, toujours aussi drôle qu’égoïste, bref toujours aussi attachant qu’agaçant. « Il a besoin d'une femme, d'une maîtresse, d'une petite sœur ou d'une nourrice, d'une infirmière et moi je me sens incapable de jouer tous les rôles à la fois » , diront à plusieurs années d’intervalle sa femme et sa maitresse.


Pour clore cette saga Doinel, quoi de mieux que de relire ce que disait Truffaut à propos de l’évolution de son personnage d’éternel adolescent, et de ce touchant happy-end que certains trouveront démodé et improbable mais que les cinéphiles au cœur de midinette délecteront avec le sourire aux lèvres ? C’était en 1978 dans le dossier de presse du film alors qu’il était interrogé par Simon Mizrahi : "Dans le cas d'Antoine Doinel, ce n'est pas la vie exaltante, ce n'est pas la vie prodigieuse, c'est une vie tout court, celle d'un être avec ses contradictions et ses défauts. On me le reproche quelquefois mais quand j'ai un homme comme personnage central sur l'écran, j'insiste sur ses faiblesses [...] Dans le cas d'Antoine Doinel ses mensonges m'intéressent beaucoup. Il a l'air tellement sincère quand il ment qu'on a l'impression qu'il est la première victime de ses mensonges. Je n'ai jamais vu quelqu'un montrer autant de bonne foi dans ses mensonges. Antoine Doinel a le désir d'être heureux et une sorte d'impossibilité à préserver le bonheur quand il le trouve, ou quelque chose qui lui ressemblerait. C'est un homme en fuite. C'est aussi l'homme pressé, aussi, toujours projeté en avant […] En général les fins, dans les films Doinel, étaient ouvertes [...] Dans L'Amour en fuite, étant donné qu'on y brasse tout un matériel mélancolique (il s'agit pratiquement d'une biographie filmée), j'ai voulu une fin délibérément, effrontément, ou si l'on veut, désespérément heureuse. En même temps elle marque bien que l'on y reviendra pas : le film est récapitulatif et sa fin conclusive". Un film-puzzle - parfois en forme de poupées russes - paresseux et bancal, mais qui pour les fans de Truffaut et de son alter ego Doinel devrait pouvoir les contenter.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 mars 2021