L'histoire
Michel (Claude Brasseur) vit en couple avec Josepha (Miou-Miou) ; ils sont tous deux comédiens et jouent le plus souvent leurs propres pièces avec leur ami Moulu (Jacques Boudet) dans des théâtres miteux devant quelques dizaines de malheureux spectateurs. Les représentations hasardeuses ne font pas recette et ils ont du mal à gagner dignement leur vie. Cette situation inconfortable n’arrange pas le fragile équilibre de leur couple qui a commencé à se déliter le jour où Josepha a appris que Michel l’avait trompé durant une longue période. Josepha finit par décider de s’éloigner de son compagnon et, lors du tournage à Vittel d'un probable navet, fait la connaissance de Régis (Bruno Cremer), un riche éleveur de chevaux. Michel, toujours fou amoureux, essaie néanmoins de la récupérer...
Analyse et critique
Avant Josepha, Christopher Frank n’avait jamais eu spécialement envie de se lancer dans la réalisation. Son métier d’auteur lui convenait à merveille que ce soit en tant que romancier, dramaturge, scénariste ou dialoguiste. Il fut d’ailleurs reconnu par ses pairs et récompensé aussi bien pour ses romans que pour ses scénarios. Parmi ces derniers, non moins que ceux du Mouton enragé et Eaux profondes de Michel Deville, L’important c’est d’aimer d'Andrzej Zulawski (d’après son propre roman, La Nuit américaine), La Dérobade de Daniel Duval, Une étrange affaire (pour qui il recevra le César du meilleur scénario) et Cours privé de Pierre Granier-Deferre, et surtout celui du superbe L’homme pressé de Edouard Molinaro. On se souviendra également de ses dialogues brillants pour deux polars avec Alain Delon, les très efficaces et divertissants Trois hommes à abattre de Jacques Deray et Pour la peau d’un flic réalisé par Delon himself.
De tous temps, le septième art a rendu hommage au monde du théâtre avec un amour non dissimulé qui fit naître quantité de chefs-d’œuvre. De Jean Renoir (Le Carrosse d’or) à François Truffaut (Le Dernier métro) en passant par Ernst Lubitsch (Jeux dangereux – To be or not to be), George Sidney (Scaramouche) ou Joseph Mankiewicz (Eve), autant de films remarquables et inoubliables parmi tant d’autres avec pour arrière fond le théâtre. Que ce soient des comédies ou des drames, le milieu théâtral était cependant plus ou moins idéalisé, pour le plus grand bonheur des spectateurs d’ailleurs : tant de passions débordantes pour un art, nous n’allions pas nous en plaindre ! Mais Christopher Frank estimait que le terrain était vierge pour prendre le contrepied de toutes ces visions qu’il jugeait un peu mythifiées. Sa prédilection pour ce petit monde qu'il connait parfaitement lui fait donc d’abord accoucher de son roman Josépha. Le sujet lui tenant fortement à cœur et jaugeant ce milieu peu abordé avec réalisme au cinéma, il a fortement envie que son livre soit adapté à l’écran ; sauf qu’il a beau y réfléchir, il ne trouve aucun réalisateur qui lui conviendrait. C’est pour cette raison qu’il fait sienne la maxime qui dit que 'l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même'. Bien lui en a pris ! Ce coup d’essai fut suivi par les très bons Femmes de personne et L’année des méduses (également adapté d’un de ses romans), puis, plus confidentiels, par Spirale et, pour finir, par un efficace thriller psychologique, Elles n’oublient jamais. Un petit mais intéressant corpus de cinq films qui mériterait d’être remis en lumière.
Adolescent, alors que j’achetais mes premières revues de cinéma, je me souviens d’une critique dithyrambique de Josépha dans Première et suis presque certain de me rappeler qu’il avait fini dans leur top 10 de fin d’année. Et pourtant, après quelques rares diffusions télévisuelles durant les années 80, le film était presque tombé dans l’oubli. Mais grâce à Jérôme Wybon (et sa collection cinéma français des années 80 en blu-ray), il nous est désormais possible de constater à quel point ce fut un oubli totalement injuste. D’ailleurs beaucoup de comédiens de ‘seconde zone’ se sont semble-t-il retrouvés dans cette peinture selon eux criante de vérité ; nous pouvons leur faire confiance quant à la véracité de ce qui nous est montré à l’écran ! A l’instar du magazine Première, la critique fut souvent élogieuse et Christopher Frank fut même reconnu par ses pairs en se voyant décerner le César de la meilleure première œuvre. Josépha narre le quotidien assez difficile d’un couple de comédiens allant de pièces calamiteuses en rôles plus que secondaires. De plus leur vie sentimentale s’effrite depuis que l'homme a eu une relation extra-conjugale que sa compagne ne lui pardonne pas et qui lui voue désormais un profond ressentiment. Background documentaire sur le milieu des acteurs qui ont du mal à percer et histoire d’amour malheureuse, voici ce que nous propose le premier film de Christopher Frank ; et sur les deux tableaux, c’est tout à fait réussi.
Sans oublier Moulu, le meilleur ami du couple et troisième comédien de leur petite troupe, formidablement interprété par l’un des acteurs fétiches de Robert Guédiguian, le touchant Jacques Boudet, les trois autres personnages constituant le triangle amoureux du récit sont formidablement interprétés par Miou-Miou, Bruno Cremer et surtout Claude Brasseur qui se voit offrir ici peut-être son plus beau rôle, d’autant plus remarquable que l’auteur a probablement dû lui conseiller de moins cabotiner qu’à son habitude tout en conservant son énergie. Josépha et Michel ont tous deux de forts caractères, pas toujours aimables, comme le film d’ailleurs : ils n’en sont que plus humains même si les réactions de la jeune femme s’avèrent parfois inattendues ou mystérieuses à cause aussi de son apparente inertie, de sa rigidité et de son regard toujours plus ou moins perdu dans le vide, alors que celles de son compagnons, parfois très tendres, peuvent se révéler d’autre fois extrêmement violentes ; c’est le personnage de Catherine Allégret qui en fait les frais lors d’une séquence d’une étonnante brutalité. La comédienne aura auparavant été de quelques scènes les plus drôles du film (le repas chez Michel et Josépha) car même si la vision de Christopher Frank est assez noire dans l’ensemble (décrivant par exemple sans concession les difficultés à trouver des engagements ou le droit de cuissage encore très présent dans cet univers), le film évite d’être plombé grâce à beaucoup d’humour.
Le troisième homme, Regis, représente pour Josépha la stabilité, la confiance, l’apaisement et l’équilibre, tout le contraire du tempérament de Michel, possessif et manquant d’assurance. Mais est-ce vraiment ça qu’elle recherche ? Car ce cocon semble parfois lui peser, comme si elle attendait autre chose de la vie que cette sécurité - qu'elle soit sentimentale et pécuniaire -, que cette sérénité et cette confiance aveugle que lui offre Regis et qui pourraient ne découler que d’une absence de passion. On sent bien que l’ennui la gagne et, pour se sortir de cette bulle un peu étouffante, elle retournera non pas refaire sa vie avec Michel mais tout du moins l’aider à lui faire retrouver confiance en lui en le poussant à accepter un rôle qu’elle estime pouvoir lui convenir, non moins que celui de Macbeth (Claude Brasseur grimé en ce personnage de Shakespeare fait à ces moments étonnement penser à son père). Découleront des séquences finales très émouvantes au cours desquelles Josépha pousse Michel dans ses retranchements, l'obligeant à donner le meilleur de lui-même en lui faisant répéter son rôle auquel il ne croit pas ou plutôt auquel il a peur de se confronter car trop difficile pour ses soi-disant maigres talents. Il faut dire que les galères précédentes ne sont pas là pour redonner confiance en soi. La fatigue et l’usure après tant de bides ou de rôles minables (y compris au cinéma dont l’auteur/réalisateur trace également une description assez glauque lorsqu’il s’agit de productions qualitativement très discutables) aboutissent à des craquages qui éclatent d'une façon paroxystique par exemple lors de la séquence de la pitoyable représentation du trio, Josépha, pour réveiller l’audience, se lançant dans une diatribe très acide en dévoilant sa poitrine, disant aux spectateurs que si c’est uniquement ça qu’ils recherchent, elle peut le leur donner.
Une belle mais lucide déclaration d’amour au théâtre et à ses comédiens anonymes et précaires qui se battent pour se faire connaitre et reconnaitre ; un film souvent mal aimable et désenchanté mais néanmoins touchant qui vaut par son écriture ciselée et sa passionnante description des coulisses d’un milieu rarement évoqué/démystifié de la sorte. Une émouvante histoire d’amour loin d’être harmonieuse portée par un thème musical de Georges Delerue d’un lyrisme échevelé ; un inoubliable trio de comédiens et leurs protagonistes dont un superbe et complexe portrait de femme : Josépha, à la fois sensible et radicale, sincère et intransigeante, mystérieuse et profondément attachante, personnage que Miou-Miou a mis du temps à accepter d’endosser par le fait de trouver le rôle ‘trop dur’ dixit son réalisateur. Une chronique plus amère que douce, ensorcelante et très proprement réalisée qui ne devrait pas vous laisser indifférent, surtout pour les amoureux des chiens, l’adorable cabot du film jouant un rôle primordial dans le récit. Merci encore à Jérôme Wybon pour cette exhumation !