Critique de film
Le film
Affiche du film

De l'or au bout de la piste

(Goldengirl)

L'histoire

Quelque part sur la côte ouest des États-Unis, peu avant les Olympiades d’été de 1980, une jeune femme (Susan Anton) s’entraîne intensément dans la perspective des épreuves d’athlétisme. Plus précisément, celles des courses de 100, 200 et 400 mètres. Elle se prénomme Goldine. Semblant d’emblée énoncer ses ambitions quant à la place qu’elle entend occuper sur le podium olympique, son inhabituel prénom sonne de manière ostensiblement programmatique… Rien d’étonnant à cela puisqu’il lui a été attribué par un père adoptif (et médecin de son état) l’ayant choisie (sélectionnée serait-il sans doute plus juste d’écrire) afin d’en faire l’incarnation d’une humanité physiquement parfaite. Répondant quant à lui au nom pareillement signifiant de Serafin (1) (Curd Jürgens), le parent para-démiurge aidé par le docteur Sammy Lee (Leslie Caron) mène sur Goldine depuis sa prime enfance un singulier ensemble d’expériences. Jusqu’alors tenu secret, l’extraordinaire résultat de celles-ci doit enfin être révélé au monde lors des J.O. de Moscou. Afin d’en assurer au mieux la diffusion spectaculaire, le docteur Serafin fait appel à Jack Dryden (James Coburn), un agent sportif au palmarès plus que brillant. À charge pour lui d’accompagner promotionnellement la fulgurante ascension compétitive de celle que l’on surnommera bientôt Goldengirl…

Analyse et critique

Si De l’or au bout de la piste (ou en v.o. Goldengirl, titre sous lequel le propose la collection Make My Day !) n’est sans doute pas le titre le plus cinématographiquement brillant de la collection de Jean-Baptiste Thoret, il en est en revanche l’un des plus étranges… Quant aux insuffisances du film, avant tout formelles, peut-être tiennent-elles d’abord à son réalisateur Joseph Sargent. Après que l’auteur des présentes lignes ait eu la déontologique honnêteté de préciser qu’il ne connaît en réalité guère la filmographie de Sargent, il indiquera que les informations recueillies à son propos ne semblent pas en dessiner le portrait d’un auteur majeur (et encore moins injustement oublié). Ayant avant tout œuvré pour la télévision, Sargent a dans une moindre mesure travaillé pour le cinéma, mettant en scène une quinzaine de longs-métrages dont bien peu sont passés à la postérité, pour des raisons par ailleurs artistiquement diverses… Si DVDClassik a par exemple salué les qualités du Cerveau d’acier (1970) et des Pirates du métro (1974) – ce dernier étant généralement considéré comme le chef-d’œuvre de Sargent –, sa déclinaison des Dents de la mer (Les Dents de la mer 4 : La Revanche – 1987) lui valut deux nominations aux Razzie Awards. Soit celles des plus mauvais réalisateur et long-métrage de l’année. L’échec fut manifestement tel que Sargent devait désormais se cantonner au seul petit écran… Il semblerait donc que l’auteur de De l’or au bout de la piste fût ce qu’il est convenu d’appeler un cinéaste inégal, capable du meilleur comme du pire.

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Certes formellement loin d’être parfait, De l’or au bout de la piste ne doit pas pour autant être relégué dans la cagette destinée aux navets et autres légumes synonymes de naufrage filmique. Le film ménage en effet quelques séquences loin d’être indignes, plus particulièrement celles (et c’est à mettre au crédit d’un film traitant, entre autres sujets, de sport) retraçant les courses de Goldine non sans une certaine efficacité. Peut-être certain.e.s (du moins celles et ceux lisant au plus près les génériques) seront tenté.e.s d’objecter que la réussite desdites séquences tient avant tout au directeur de la photographie ? Soit Stevan Larner, l’un des maîtres-d’œuvre de celle de La balade sauvage (1973) de Terence Malick.

L’auteur des présentes lignes (encore lui…) se gardera cependant (et prudemment) de trancher, se contentant de suggérer que les insuffisances du film auraient aussi quelque peu à voir avec sa genèse pour le moins contrariée. Ainsi que le retrace l’American Film Institute, il fut d’abord envisagé d’aller tourner le film à Moscou même, puis faute d’accord soviétique, dans des villes européennes évoquant la capitale russe (parmi lesquelles Helsinki). Celles-ci se dérobèrent pareillement à la production, la contraignant à se replier sur la seule Californie et donnant des allures médiocrement plausibles aux (nombreuses) séquences moscovites (du moins lorsque la caméra ne s’en tient pas aux seules pistes d’athlétisme).

Souffrant non seulement d’empêchements liés aux lieux de tournage, De l’or au bout de la piste dut encore composer avec des contraintes inhérentes à son budget. Ce dernier tenait pour l’essentiel à des financements télévisuels, et notamment à ceux de la chaîne NBC qui en contrepartie demanda à ce que le film (de cinéma) donne lieu à un (télé)film de quatre heures. Ce qui fut fait, mais non sans conséquence… Si l’on suit là encore l’American Film Institute, les 104 minutes cinématographiques de De l’or au bout de la piste ne furent in fine qu’une contraction inégalement inspirée d’une version télévisuelle deux fois et demie plus longue. Faute d’avoir connaissance de celle-ci (2), on émettra (plus que jamais prudemment) l’hypothèse que la narration parfois brutalement elliptique de De l’or au bout de la piste ne serait pas sans rapport avec l’exercice d’équilibrisme entre grand et petit écrans que fut son montage.

Et le caractère aléatoire du talent artistique de Sargent (3) n’est donc peut-être pas le seul à expliquer la forme pareillement incertaine d’un film, donnant in fine la bizarre impression d’osciller entre densité cinématographique et platitude télévisuelle… Sans doute regrettables, ces insuffisances formelles le sont d’autant plus que le regard porté sur le sport par le scénario de John Kohn (4) (à qui l’on doit, par ailleurs, le script de L’obsédé – 1965 de William Wyler) est à plus d’un titre stimulant. Le script prend en effet la forme d’une autopsie du sport de haut niveau, d’autant plus implacable que Kohn trempe pour se faire son scalpel dans un acide hautement critique. À tel point que l’on s’étonne qu’un médium télévisuel aussi emblématiquement mainstream que NBC ait non seulement financé, mais encore diffusé cette charge en bonne et due forme contre le sport (para)professionnel en général, et les J.O. en particulier ! On avouera cependant n’avoir guère d’idée quant à ce qui put motiver pareille et surprenante décision de l’une des chaînes de T.V. les plus consensuelles des États-Unis…

Mais revenons-en au scénario de De l’or au bout de la piste, une remarquable entreprise de démystification du sport de haut niveau. Celui-ci s’emploie d’abord à déconstruire le récit communément admis de l’origine de la réussite en la matière, c’est-à-dire un talent inné dont hériterait une poignée d’élu.e.s, tenant lieu de héros et d’héroïnes post-modernes. Tel n’est aucunement le cas selon le script, bien au contraire, puisqu’il dépeint le succès sportif comme l’artificiel produit d’un véritable processus d’ingénierie aux contemporains échos transhumanistes. Se posant en une manière de déclinaison hardcore de la sérié télévisée Super Jaimie (The Bionic Woman – 1976/1978 – une série notamment diffusée par NBC !), le scénario dessine une championne littéralement fabriquée par son savant de père adoptif. Certes pas à coup d’ajouts bioniques, puisque le scénario emprunte plutôt la voie d’une S.F. plus proche de la réalité en imaginant un complexe ensemble de traitements chimiques et d’interventions chirurgicales. Celui-ci évoquant par ailleurs la fabrique de l’athlète alors en vogue de l’autre côté du rideau de fer…

Bifurquant dès lors de sa trajectoire science-fictionnelle initiale pour aller suivre celle d’un récit politico-critique, le scénario de De l’or au bout de la piste dévoile ainsi les liens étroits qu’entretiennent sport et système totalitaire, le soulignant encore un peu plus en faisant du docteur Serafin un ancien nazi. Campé par l’autrichien Curd Jürgens (qui enchaîne peu de temps après le bondien L’espion qui m’aimait avec un nouveau rôle de sociopathe à fort accent germanique…), le transfuge du IIIe Reich a trouvé tel Wernher von Braun une terre non seulement d’accueil, mais encore d’élection dans la libérale Amérique. Les USA sont en effet décrits (et le script d’alors emprunter une nouvelle voie générique, celle de la comédie sociale) comme participant à leur capitaliste manière de la réification dont Goldine est (littéralement) l’objet. Et ce grâce à l’efficiente entremise d’un agent sportif auquel James Coburn prête juste ce qu’il faut de cynisme pour dévoiler que son métier ne diffère en réalité guère de celui d’un maquignon. La créature eugénique qu’était d’abord Goldine devient alors celle d’une mercatique au service d’intérêts protéiformes. Qu’il s’agisse de ceux (hautement) lucratifs du big business étasunien ou de ceux (éminemment) idéologiques d’une Amérique en pleine guerre froide avec sa rivale soviétique.

D’une conséquence analytique certaine, le script de De l’or au bout de la piste ne manque enfin pas de souligner les conséquences mentales des aliénations dont Goldine est la victime. La psyché de la championne y est décrite comme une somme de troubles névrotiques pour les plus légers, tutoyant le délire pour les plus inquiétants et faisant planer au-dessus d’elle le spectre de la folie. À moins que son corps ne lui fasse défaut avant son esprit, puisque le scénario envisage encore les conséquences possiblement fatales pour sa santé physique des expériences qu’elle a subies.

Tel est donc l’éclairage crûment projeté par le scénario de De l’or au bout de la piste sur cette entreprise de déshumanisation qu’est, selon sa démonstration, le sport de haut niveau… mais que la réalisation peine à suffisamment déployer du fait des raisons susdites (5). Et l’on se prend enfin à rêver de ce que des contemporains plus capitaux de Sargent auraient pu faire de pareil matériau scénaristique...

(1) « Serafin » en anglais renvoie au francophone « séraphin », titre par lequel la tradition biblique désigne « les célestes gardiens du trône de Dieu » (https://www.universalis.fr)...
(2) Une version de 4 heures qui ne fut en fait jamais diffusée ! Puisque la version télévisuelle de De l’or au bout de la piste finalement montrée par NBC en janvier 1981 durait 3 heures…
(3) Aléatoire… l’on pourrait encore qualifier ainsi les prestations des interprètes de De l’or au bout de la piste. Le casting (un peu à la manière d’un épisode d’alors de Columbo) agrège tant bien que mal des pointures hollywoodiennes (plus ou moins sur le retour) telles que James Coburn, Curt Jurgens ou encore Leslie Caron et des comédien.nes récurrent.es du petit écran. S’y ajoute encore la débutante Susan Anton qui ne démérite finalement pas aux côtés d’acteurs et actrices certes plus éprouvé.e.s, mais se contentant parfois du minimum interprétatif…
(4) Ledit scénario étant lui-même adapté d’un roman (apparemment inédit en français) du britannique Peter Lovesey, Goldengirl (1977). Pour l’anecdote, notons qu’on lui doit aussi une Spider Girl tout aussi inconnue en français…
(5) On serait in fine tenté d’y ajouter l’idée que Sargent n’aurait peut-être pas saisi l’idée au cœur du script de Kohn, soit celle d’une critique de l’aliénation, indifférent qu’il aurait été à celle-ci... Le male gaze canonique (jusqu’au cliché) et commandant, pour l’essentiel, à la mise en images de la comédienne (et ex concurrente de Miss America …) Susan Anton peut amener à penser que Sargent prend "quelque" plaisir scopique à la réification érotique du corps de celle-ci. On en voudra pour preuve la séquence introductive du film, semblant droit sortie d’une série B érotique des 70’s...

En savoir plus

La fiche IMDb du film

The Sporting Club / Goldengirl
Blu-Ray
 

Sortie le 25 septembre 2024
éditions Studiocanal / collection Make My Day

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Par Pierre Charrel - le 6 février 2025