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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Pirates du métro

(The Taking of Pelham One Two Three)

L'histoire

Dans le métro de New York, une rame est prise en otage par quatre hommes armés. Ils occupent le wagon de tête après avoir détaché le reste de la rame, et demandent un million de dollar de rançon. S’ils n’obtiennent pas satisfaction en une heure, ils tueront un otage par minute de retard. Le lieutenant de police Zachary Gerber détaché au métro, est chargé de l’affaire et va tenter de résoudre cette situation extrêmement tendue.

Analyse et critique

Pour mesurer le statut de Joseph Sargent dans l’histoire du cinéma américain, il suffit d’ouvrir 50 ans de cinéma américain, la bible signée Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon et de constater… qu’il en est absent. Il faut dire que Sargent peut être considéré avant tout comme un réalisateur de télévision, où il a contribué des années 50 à la fin des années 2000 à la plupart des séries majeures. Mais il ne faut surtout pas oublier une dizaine de films pour le grand écran, avec un pic au début des années 70 où il s’impose comme un cinéaste en lequel les studios ont confiance, capable de travailler avec efficacité et de tenir les délais et les budgets de production. Cette période débute avec Le cerveau d’acier, un film d’anticipation particulièrement bien mené, puis The man un téléfilm qui atteindra les salles obscures et ensuite Les Bootleggers, avec Burt Reynolds avant qu’il ne prenne en main l’adaptation du roman de John Godey, Les pirates du métro. C’est la Palomar Pictures qui avait acheté les droits d’adaptation du roman et Steven Spielberg fut un temps considéré comme un candidat pour réaliser le film. Ça ne se fera pas et Sargent sera choisi comme un second choix, entouré d’une solide équipe technique, pour mettre en scène un film qui restera emblématique du polar urbain et plus particulièrement encore du polar New-Yorkais.

La réussite du film, c’est d’abord un très beau travail du scénariste Peter Stone, que l’on connait entre autres pour Charade ou Arabesque. Alors que le roman multiplie les flashbacks, pour raconter le passé des personnages, Stone réduit tout cela à quelques informations disséminées dans le film.  Les Pirates du métro commence avec Mr. Green (Martin Balsam), qui monte dans le métro et se termine avec son arrestation le soir. Tout ce qui se passe à l’écran est compris entre ces deux moments, sans aucune digression de l’intrigue principale, les rares écarts, comme la visite de l’état-major du métro japonais, sont plutôt des artifices qui permet par exemple la visite du poste de contrôle du métro et la rencontre des personnages principaux avant de plonger dans l’action. Stone évite toutes les scènes banales du genre. On ne voit pas par exemple le Lieutenant Garber (Walter Matthau) quitter son domicile en disant au revoir à sa femme. Hors action, on ne sait rien ou presque du passé des personnages – Mr. Blue (Robert Shaw) est un mercenaire, Mr. Green un ancien mécano du métro, nous n’aurons aucun autre détail. Ainsi, tout le récit est resserré, proposant une unité d’action forte, une unité de temps presque totale avec de rares ellipses sur les temps d’attentes et à la fin de la journée, lorsque Garber va chercher celui qui pourrait être Mr. Green. Enfin, l’action alterne essentiellement entre le poste de contrôle et la rame de métro prise en otage constituant une unité de lieu le sensible. Le tout contribue à un récit d’une grande densité, d’une grande intensité, qui maintient l’attention du spectateur de la première à la dernière seconde.


Stone propose également d’autres réductions par rapport au roman de Godey, qui connait particulièrement bien le métro et fait une description précise de son détournement. Une démarche qui vise d’une part à simplifier le récit, et à augmenter son efficacité, et d’autre part à ce que le film ne devienne pas un mode d’emploi pour de véritables entreprises criminelles, dans une période où les prises d’otage sont fréquentes. Il introduit également plusieurs idées, dont celle la plus emblématique du film, le nommage des quatre preneurs d’otage par couleur. Hormis son intrigue, Les Pirates du métro vaut pour son décor, la ville de New-York, qui est presque traitée par Stone et Sargent comme un personnage. Les années 70 ont multiplié les grands films prenant pour décors la grosse pomme, et Les Pirates du métro en est une incarnation emblématique. De nos jours, l’intérêt de ces nombreux films (French Connection, Police puissance 7, Taxi driver, Un Apres midi de chien, entre autres) est de nous montrer un New York qui a totalement disparu, d’être le témoignage presque documentaire de l’un des pires moments de l’histoire de la ville, avec son insécurité galopante, que ce soit dans le Bronx, à, Central Park (dans Un justicier dans la ville), ou, ici, dans le métro. La direction du métro newyorkais refusera d’ailleurs que l’on filme des rames avec des graffitis, qui sont ainsi totalement absents du film, une des rares entorses involontaires à la représentation réaliste qu’en donne Les Pirates du métro.  Sargent fait le portrait d’une ville totalement endettée à l’époque, illustrée par la scène dans laquelle l’adjoint dit au maire de taper dans ses comptes en suisse pour payer le million de rançon demandé, avec un maire qui semble complétement perdu à la merci des injonctions de ses différents conseillers. Les habitants de cette ville qui ressemble à un vaisseau sans pilote, ce sont les passagers du métro, que Stone et Sargent font brillamment exister avec une ligne de dialogue ou une action, révélant des personnalités souvent blasées, individualistes, voire presque indifférents à la situation, comme cette femme qui aura dormi tout le long de l’action.

Sargent fait preuve d’une très grande maîtrise dans sa mise en scène, dans un exercice pourtant complexe, celui d’un film à suspense, dans lequel on attend de l’action et qui se déroule dans des endroits clos et exigus, comme la rame de métro ou le poste de contrôle dans lequel évolue Garber. Le cinéaste s’en sort brillamment, en filmant avec une grande sécheresse et une grande précision. Il bénéficie pour cela du support de grands noms du cinéma de son époque, à commencer par celui d’Owen Roizman, chef opérateur de French Connection entre autres, et qui est probablement l’un des spécialistes les plus emblématiques du métier dans les années 70. A l’image du film de Friedkin, on retrouve dans Les Pirates du métro une patine documentaire qui contribue à la peinture de la ville de New York. Il est aussi celui qui est à l’initiative du choix du format cinémascope, alors que le 1.85 était prévu, remarquant notamment que le format correspondait exactement à celui d’une rame de métro. Ce choix contribue parfaitement à l’exploitation des tunnels, et au sentiment d’enfermement qu’il suscite. La filiation avec French Connection est encore renforcée par la présence du monteur Gerald Greenberg, qui n’est sans doute pas étranger au rythme soutenu du film et à l’assèchement de la plupart des séquences. Il faut aussi évoquer la présence au générique de David Shire, qui nous offre, la même année que Conversation secrète, une de ses bandes originales les plus mémorables, sous l’influence marquée de Lalo Shiffrin.

Le talent derrière la caméra est à la hauteur de celui que l’on trouve devant. Si on est impressionné par la froideur de Robert Shaw en Mr Blue et par le talent de Martin Balsam, que j’ai déjà beaucoup évoqué dans ces pages, c’est ici la force d’acteur de Walter Matthau qui impressionne. L’acteur parachève avec Les Pirates du métro son mouvement d’émancipation de la comédie initié par l’extraordinaire Tuez Charley Varrick!. Son interprétation à mi-chemin entre sérieux et ironie, est typique du héros des années soixante-dix, largement imparfait mais moins pire que les autres. Il donne son ton global au film, un polar à la fois noir et léger, avec des moments de tension immédiatement connectés à des moments presque drôles, souvent par le dialogue. C’est par exemple le cas exemplaire de la séquence de la mort de Caz Dolowicz (Tom Pedi), personnage haut en couleur, qui apparait en cherchant une alliance dans les toilettes et va finir quelques minutes après abattu froidement par les preneurs d’otage. Cette idée d’équilibre est probablement celle qui caractérise le mieux Les Pirates du métro, sérieux et ironique, tendu et spectaculaire, toujours intense. Succès public et critique à sa sortie, il mérite aujourd’hui d’être considéré comme l’un des plus grands polars de son époque.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 11 juillet 2022