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Critique de film
Le film
Affiche du film

Avenir handicapé

(Behinderte Zukunft?)

L'histoire

Ce documentaire nous emmène à la rencontre de jeunes handicapés, victimes d’un médicament, la thalidomide, commercialisé pour éviter les nausées des femmes enceintes et qui a provoqué un grand nombre de dégénérescences des bras et des jambes chez leurs enfants. Herzog les interroge, ainsi que leurs parents et leur entourage et suit des expériences menées en République Fédérale Allemande pour essayer de mieux les intégrer dans la société.

Analyse et critique

Après Les Nains aussi ont commencé petits, Herzog consacre deux documentaires au handicap, deux films qui pourraient être vus comme une réponse aux spectateurs choqués par cette œuvre dérangeante s’il n’étaient profondément cohérents avec ses obsessions de cinéaste et sa vision du monde. Herzog voit en tout homme un être souffrant et c’est tout naturellement qu’il s’intéresse aux handicapés. Si Avenir handicapé et Pays du silence et de l’obscurité tranchent radicalement avec sa précédente réalisation, c’est parce qu’il filme avec noblesse ses personnages et que l’on ne retrouve pas la distance qu’il mettait entre lui et les acteurs de sa farce féroce. Mais ces trois films viennent du même endroit, de cette idée que toute existence est une prison. On peut penser de prime abord que si le cinéaste s’intéresse aux handicapés c’est parce que leur corps même est une prison. Mais c’est une fausse piste car pour Herzog tout corps humain est une prison. Handicapé ou individu « normal », nous sommes tous accablés par les limites de notre corps, par les rêves impossibles, par la douleur de ce qui reste inaccessible, par une terre résolument inhospitalière, par la révélation que la vie est dénuée de sens. Si Herzog s’attache au handicap dans ces deux films, c’est pour montrer dans un premier temps comment la société des hommes participe à faire de nos vies des prisons et dans un deuxième temps comment on peut s’en échapper.

Herzog s’intéresse ici aux enfants victimes de la thalidomide, un médicament vendu dans les années 50 et 60 pour prévenir les nausées des femmes enceintes. Dès 1960, il est prouvé qu’il n’a qu’un effet placebo et surtout qu’il contient des substances tératogènes. C’est ainsi que sur les quinze mille mères qui ont utilisé ce « médicament », douze mille voient leurs enfants naître avec des malformations et parmi eux huit mille décèdent dans leur première année. Grünentha, la firme commercialisant la thalidomide, a essentiellement vendu son produit en Angleterre et en Allemagne de l’Ouest. Cette dernière est particulièrement touchée et la moitié de ces enfants malformés sont nés sur son territoire. Une histoire très proche du celle du Distilbène, médicament qui a commencé à être commercialisé à la fin des années 30 et dont l’usage s’est étendu dans les années 50 et qui était censé diminuer les risques de fausses couches et de naissances prématurées. Seulement, des malformations génitales, de nombreux cas de stérilité et une augmentation du nombre de cancers sont notés chez les enfants des utilisatrices. Les États-Unis prohibent le médicament en 1971 mais les autres pays ne suivent pas immédiatement et le Distilbène continue à faire des ravages jusqu’en 1976 où il est définitivement interdit.


Si Herzog tourne Avenir handicapé, ce n’est pas dans l’optique de réaliser un documentaire à charge contre un système qui a permit à un tel drame d’advenir. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est le rapport des handicapés à la société, leur difficile intégration, le rejet qu’ils subissent à cause de leur différence, de leur « anormalité ». Au bout du compte, il s’avère que la souffrance de ces handicapés tient plus du regard que la société porte sur eux que de leur terrible condition. Le film ressemble par bien des points à L’Ordre que Jean-Daniel Pollet tourne en 1973 et il ne serait pas étonnant que le cinéaste français ait découvert les films d’Herzog tant les signes abondent : une approche du handicap à mi-chemin entre Les Nains… et Avenir handicapé, des images solaires qui semblent sortir tout droit de Dernières paroles et Signe de vie… Dans le film d’Herzog, les handicapés vivent dans un ghetto et s’il n’est pas physiquement délimité comme celui de l’île du film de Pollet où ont été enfermés les lépreux, il est bel et bien tangible. C’est un ghetto qui ne dit pas son nom, un espace fermé aux frontières invisibles mais que ses habitants ressentent bel et bien. Les handicapés connaissent leurs limites et ils apprennent à les contourner, à s’en affranchir. Mais ce qu’ils ne peuvent faire, c’est franchir ces barrières dressées par la société, aller contre cette image d’eux qu’on leur impose. La solution se trouve dans un regard dénué de condescendance, ce que prône un professeur qui explique qu’il faut les empêcher de vivre dans l’apitoiement.


C’est ce regard dénué de pitié qu’Herzog parvient justement à avoir. Il s’intéresse en premier lieu à des centres qui depuis 1968 travaillent sur l’intégration des enfants dans la cité en les poussant à sortir de l’enceinte protectrice de l’établissement. Il filme des jeunes de la cité qui portent sur les handicapés un regard dénué de gêne et, ce faisant, intégrant. Mais ce ne sont encore que des cas isolés, la plupart des gens pensant que les handicapés passent leurs journées à ne rien faire. Ainsi, même lorsqu’ils se sentent intégrés, il y a toujours cette sensation d’être différent, isolé, d’être un cas à part, une curiosité. Toujours il y a ce mélange de peur, de dégoût et de compassion qui pèse autant sur eux que le handicap qui les accable. Mêmes les proches ne parviennent pas à tenir ce regard et si la mère de la petite Monika trouve la force de sortir avec sa fille, c’est au prix d’un terrible combat contre un réflexe de replis. Celle de Kurt ne supporte plus les regards des passants et reste cloîtrée dans son appartement avec son fils qui pourtant adore se promener. Elle explique qu’elle est restée dix semaines après la naissance de Kurt sans pouvoir le voir et depuis, malgré elle, elle continue à le cacher. Ce qu’elle reproche au milieu médical, elle le reproduit, enfermant son fils car elle ne supporte plus les murmures et les coups d’œil en coin des gens dits « normaux ».

Herzog part aux Etats-Unis à la rencontre d’Adolf Ratzka qui explique qu’ici l’intégration des handicapés est devenue chose courante. Les équipement sont là et lui-même est professeur d’université. Mais c’est justement ce dernier point qui fait que ce témoignage est en demi teinte, la société américaine considérant les gens en fonction de ce qu’ils font et non de ce qu’ils sont au risque d’oublier tous ceux qui ne correspondent pas à l’image du self achievment. Mais en R.D.A., c’est encore le moyen âge nous dit Herzog, et il est encore loin le temps où la société allemande parviendra à faire évoluer son regard sur le handicap. Pour l’instant, tout ce que la société peut offrir à ces enfants c’est un avenir handicapé. Or les jeunes handicapés du film, s’ils ne savent comment faire avec la société, savent comment faire avec leurs corps. Ils apprennent à compenser leur handicap, à trouver un nouvel équilibre mais restent complètement démunis face à la société. Lorsque les plus jeunes font leur autoportrait, on voit très nettement qu’ils ont une pleine conscience de leur handicap mais souvent ils se dessinent derrières des barreaux ou isolés dans un coin de la page. Herzog montre à travers ces parcours extrêmes que chacun a la capacité en lui de faire avec les limites de son corps et que les barrières les plus infranchissables restent celles dressées par la société.

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Par Olivier Bitoun - le 15 avril 2010