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Interviews

Quelques jours avant le lancement de la plateforme de streaming gaumontclassique.fr, nous avons pu échanger avec une partie de l'équipe de Gaumont Vidéo, l'occasion de faire un petit bilan sur les cinq ans écoulés depuis notre dernière rencontre et approfondir encore un peu plus la connaissance du métier d'éditeur. Après Rimini Editions, il y a quelques jours, nous interrogeons cette fois une plus grosse structure, avec sa singularité, son propre fonctionnement, mais le même élan commun pour faire vivre les films, proposer aux cinéphiles une offre toujours plus grande... et la transmettre aux jeunes générations. Une conversation là aussi très franche, qui prend son temps et porte un éclairage instructif sur les questions de droit, le travail d'un distributeur ou la gestion d'un catalogue... 

DVDClassik : Pour commencer, pouvez-vous nous faire un bilan de votre activité sur ces derniers mois ?

Maxime Gruman : En ce moment, le marché est... compliqué. En théorie, ce sont les nouveautés qui portent principalement notre chiffre d'affaires, avec des mises en place importantes sur les lieux de vente, qui se comptent en dizaines de milliers d'exemplaires. Mais pour cela, il faut des nouveaux films à proposer dans les salles... Sauf que les cinémas ont été fermés d'octobre 2020 à mai 2021, qu'il n'y a alors pas eu de sorties en salles, et donc pas de nouveautés vidéo par la suite. Le marché a donc subi un retard, nous avions beaucoup de films prêts à sortir, qu'on ne pouvait pas garder indéfiniment sur les étagères. Le constat fût le même pour tous nos confrères français et dans le monde. Quand les salles de cinéma ont rouvert après le confinement, il y a eu un effet d'embouteillage, un raz de marée de sorties. Et ce n'est pas le même public qui est revenu dans les salles : avec le pass sanitaire imposé dès juillet, beaucoup ont été réticents à y retourner. Ceux qui sont revenus étaient un peu plus jeunes, les films n'ont donc pas forcément répondu à leurs attentes et, du coup, n'ont pas trouvé leur public. Certains films ont attiré des spectateurs, d'autres ont été des surprises comme pour nos camarades d'UGC avec Maison de retraite qui a fait un carton avec plus de 2 millions d'entrées. Nos films n'ont pas créé la surprise : depuis juillet, on constate à peu près des scores qui représentent la moitié de ce qui était attendu. Quand on attendait d'un film 1,5 Million de spectateurs, il en fait 700 000.
Au niveau de la vidéo, cela se traduit dans les mises en place, dans les enseignes. Aujourd'hui, les films « intermédiaires » à 700 000 ou 800 000 entrées sont devenus de plus en plus difficiles à faire entrer à 15 ou 20€ en nouveauté dans les GSA (grandes surfaces alimentaires, type Carrefour ou Auchan). Le mur de nouveauté chez Carrefour est réduit aux cinq plus gros succès. Si l'on fait 700 000 entrées ou moins en salles, on n'existe pas dans ces magasins. Il reste les grandes surfaces spécialisées, les Espaces culturels Leclerc, Cultura, Fnac, Amazon. De la même façon qu'il y a une prime au succès au cinéma, cela se reflète aussi en vidéo, mais il n'y a pas eu d'effet de surprise. Illusions perdues a atteint un million d'entrées en salles sur 26 semaines, avec un bon bouche à oreille, mais les chiffres en vidéo ne sont pas mirobolants. Ce n'est pas une œuvre grand public qu'on va acheter chez Carrefour et Auchan. Pour comparer avec un autre film en costume sorti au même moment : Eiffel de Frédéric Bourboulon, a fait autour d'1,5 Million en salle, il se vend mieux en vidéo parce qu'il y a un personnage historique connu et une histoire d'amour. C'est plus simple d'accès. Aline a bien fonctionné en Fnac & Co, mais pas en GSA, il n'a pas rencontré le succès qu'on attendait. Il avait pourtant été bien référencé, parce qu'il avait fait 1,3 Million au cinéma, un joli succès, mais cela n'a pas pris. On va voir ce que cela donnera pour la vie « en opération » où le prix sera moindre.

Vous pensez que le public a intégré le mécanisme des opérations commerciales et attend donc cette baisse de prix ?

MG : Oui, aujourd'hui il y a un public qui fonctionne comme cela. Il n'y a pas d'études pour le prouver, et on ne traque pas les clients, mais je pense que certains ne sont pas pressés et peuvent attendre les opérations 2 pour 20€, 3 pour 20€, 3 pour 30€, 5 pour 30€. Il y a même des 4 pour 20€, c'est à dire 5€ TTC le DVD, un tarif que nous ne pratiquons pas car il ne nous permet pas d'être à l'équilibre. On ne fabrique pas au même prix que les américains, nous ne sommes pas sur les mêmes volumes.

Et, en ce moment, baissez-vous vos marges suite à l'augmentation du coût de la matière première ?

MG : Oui, nous n'avons rien répercuté. Ni sur le prix auprès des enseignes de distribution, parce qu'elles-mêmes pourraient dire : vous me vendez plus cher mais je continue d'afficher le même prix en magasin en rognant sur ma remise. Nous ne leur avons pas proposé de le faire, nous vendons au même prix.

Comment réagissez-vous à ces rayons vidéo qui fondent comme neige au soleil ?

MG : C'est inquiétant.

Sylvain Perret : Il y a la stratégie alternative de l'éditeur qui vend tout en ligne, sans passer par la grande distribution. Il peut avoir raison parce qu'il n'en a pas besoin et qu'il est sur une audience très précise, avec un public fidèle. Mais c'est aussi dangereux parce qu'un peu élitiste. Se couper des enseignes c'est aussi se couper d'un public. A Paris, il n'y a pas de problème, à Lyon non plus, mais ailleurs, hors des grandes villes ? Pour moi qui ai grandi en banlieue parisienne où il n'y avait rien, la Fnac représentait LE lieu où je pouvais acheter des choses. Il ne faut pas l'oublier.
Un très bon exemple : le Chat qui fume fait de superbes éditions, nous travaillons avec lui depuis très longtemps, mais six mois après sa sortie le titre est épuisé et le film n'existe plus. Si on n'a pas internet, si on n'est pas au courant, si on n'a pas les moyens, on passe à côté.

MG : Le chat qui fume achète des mandats très précis là où nous avons des parts de coproduction et un devoir d'obligation morale vis à vis de nos ayants droit. Cela s'appelle en France « la recherche d'exploitation suivie », une obligation de proposer ces œuvres au public, sous une forme ou une autre. C'est pour cela qu'aujourd'hui, au sein de nos collections, on represse les disques quand ils arrivent en rupture.

SP : La première vague de notre « collection rouge », les Gaumont Découverte DVD, lancée en 2010, comprenait des titres forts. Les Abysses de Nico Papatakis est sorti à ce moment-là, c'est un titre de niche. Eh bien il existe encore après 12 ans, toujours disponible à la vente, vous pouvez le trouver sur Amazon, etc. alors que nous aurions pu l'arrêter pour de nombreuses raisons. Nous ne nous sommes jamais posés la question. Pour nous, il est disponible. Avoir accès aux œuvres, c'est fondamental.

Mais sans boutique physique, c'est plus compliqué...

MG : Aujourd'hui, les grandes enseignes alimentaires ont déjà amorcé ce virage. Les linéaires sont petits, on le disait, réservés à LA super nouveauté, ou aux bacs de nouveautés d'il y a 6 mois. Sauf si on est une énorme locomotive ou une franchise/saga : pour OSS 117 je ne suis pas inquiet, ils seront toujours référencés dans les opérations promotionnelles. Maintenant, il y a aussi des films qui ont pu avoir une jolie vie à un moment donné, mais que plus personne ne plébiscite aujourd'hui. Pour ces films-là, nous ne payons que des frais logistiques. Economiquement, c'est le pire des cas : on a du stock, nos films sont référencés dans des opérations promotionnelles, les boitiers sont préparés, stickés (imprimés et posés) pour chaque enseigne, ça part dans les camions, les disques sont placés dans les magasins... mais ne sont pas achetés. Du coup, on nous les retourne, il faut les envoyer dans un entrepôt logistique où on enlève le sticker, et par là-même on arrache l'emballage cellophane, et donc il faut recellophaner avant de le réintroduire en stock. Ainsi, nous avons payé des flux logistiques, c'est à dire des coûts de manutention et de transport, sans que le DVD ou le Blu-ray ait été acheté. Il nous a coûté un certain prix à fabriquer et on rajoute encore ces coûts. Donc même vendu à 6€, on ne gagne pas d'agent. Et même nous en perdons...

Que faites-vous de ces titres aujourd'hui ?

MG : Nous avons fait le choix de ne pas arrêter leur exploitation. J'anticipe mais je pense qu'on finira par nous dire que ces titres qui ne marchent plus dans les opérations, pour lesquels nos marges sont tellement réduites, ne vaudront plus la peine d'être soldés de la sorte mais resteront disponibles si une enseigne nous les demande, mais vendus à un prix standard. Je préfère qu'on en vende moins mais au bon prix.

SP : Nos collections sont tout de suite mises en place dans des « opérations ». On ne va pas casser les prix ou au contraire presser moins de disques pour augmenter le tarif.

C'est l'inconvénient de ces éditions limitées qui sont très vite épuisées et qui se retrouvent à des prix stratosphériques sur les marketplaces...

MG : Nous avons vraiment cette volonté d'exposition des œuvres sur le long terme. Ainsi, nous les sortons en vagues de plusieurs titres en les rendant immédiatement éligibles dans les mécaniques d'opérations. Si l'un des films intéresse le cinéphile parce qu'il y a un réalisateur ou un acteur, il peut en prendre un second qui l'intéresse - le troisième est en quelque sorte offert. On espère qu'il sera tenté de prendre un film qu'il ne connaît pas, ou moins. S'il ne faisait pas cela, la disparité des ventes serait encore plus grande et les titres méconnus le resteraient à coup sûr. Grâce à Sylvain, des films invisibles depuis des années ont rejoint la collection Gaumont Découverte DVD. Il y avait des problèmes de droits, ils sont rarement passés à la télévision ou le matériel restauré n'existant pas, ils ne peuvent désormais plus être diffusés. Ces films n'ont pour la plupart jamais été édités en VHS et sont disponibles en DVD. On reçoit parfois des courriers nous demandant d'éditer ce genre de film oublié, et c'est très agréable d'en recevoir. On se dit que si cela intéresse une personne, d'autres seront peut-être dans le même cas. Le fait de proposer des œuvres en opérations et les travailler par vagues, c'est pour gagner en profondeur. J'ai toujours été défavorable à ce que fait Amazon depuis des années, qui propose des prix secs. C'est à dire que quand nos opérations 3 pour 30€ ramènent les titres à 10€ pièce, eux les proposent directement à 10€ pendant une semaine. Mais ce n'est pas le principe d'une opération mécanique qui est de gagner en profondeur, de faire du volume. La locomotive, comme on dit dans notre jargon, n'aura aucun problème à être vendue à 10€. Mais l'intérêt d'une opération est que cette locomotive tire les autres titres moins forts.

SP : Nous ne vendons pas des pommes de terre mais des films. Une autre chose revient très souvent sur les forums : pourquoi un film est à tel prix sur un site alors qu'on le trouve bien plus bas ou bien plus cher sur un autre ? Il faut savoir que nous ne pouvons que conseiller les prix, nous n'avons pas le droit de l'imposer, c'est la loi. Et cela ne donne pas une bonne idée du « vrai » prix.

MG : Cela nous rend fous parce que ce sont les enseignes qui font le choix de ces prix. Ils se surveillent tous et s'alignent au centime près sur les prix pratiqués par les concurrents, avec parfois des prix aberrants. 17,87€, pourquoi ce prix-là ? Nous sommes impuissants face à cela. Il ne faut pas hésiter à faire jouer la concurrence. Nous renvoyons vers la boutique de notre distributeur ESC qui est, en principe, au bon prix, et qui pratique la mécanique d'opérations.

N'êtes-vous pas tenté, comme Le chat qui fume, The Jokers, bientôt Rimini, de gérer votre propre boutique ?

MG : Nous y avons pensé au moment où Fox, racheté par Disney, a fermé le GIE Fox-Pathé-Europa, qui était notre distributeur. Nous avons été contactés par d'autres structures de distribution qui ne voulaient travailler que sur nos 300 meilleurs titres, sachant que notre catalogue représente 1500 références (entre les DVD, les Blu-rays, les coffrets, etc.). Cela voulait dire que c'était terminé pour nos collections, par exemple. Ils voulaient du facile : une fois le film exploité et inclus dans les « opérations », il aurait été dégagé sans état d'âme. Mais ce n'est pas notre politique. Heureusement, ESC Distribution est arrivé, ils se sont structurés, ont apporté une solution, nous les avons suivis. A cette époque-là, donc, nous nous posions la question de l'auto-distribution. Mais les enseignes de distribution physique représentent l'essentiel de notre chiffre d'affaires. Nous ne pouvons pas nous passer de la Fnac, d'Amazon et d'autres.
Aujourd'hui, pour espérer avoir un peu de poids dans les négociations avec les enseignes de distribution, il faut arriver avec une offre conséquente. Gaumont n'a pas chaque mois une offre de sorties nouveauté et patrimoine. C'est plutôt l'un ou l'autre, parfois nous n'avons qu'une nouveauté, et cela ne nous donnera pas suffisamment de poids dans la négociation. Les distributeurs ont existé pour regrouper les vagues de sorties des éditeurs. Aujourd'hui, ESC Distribution a en charge les sorties de plusieurs éditeurs indépendants français, plus Paramount et Sony, ce qui leur fournit un grand nombre de sorties chaque mois. Ils sont ainsi plus puissants et peuvent négocier des remises plus intéressantes en notre faveur. Et cela fait baisser les coûts logistiques : au lieu qu'un camion quitte l'entrepôt seulement chargé des disques Gaumont, il part avec les DVD et les Blu-rays de tout le monde. Le prix est proratisé au volume et au poids. Quand nous choisissons nos dates de sorties, nous savons déjà quels mois seront concernés, nous nous calerons sur une date plus précise en fonction des autres sorties chez ESC Distribution, pour que cela parte dans le même camion et nous coûte ainsi moins cher. Collaborant avec tellement d'éditeurs, ils ont des sorties quasiment chaque semaine. Nous avons l'embarras du choix.

SP : Précisons aussi que, depuis que nous sommes chez ESC Distribution, les ventes se font plus en profondeur, ils mettent en avant des titres un peu plus difficiles.

MG : Quand ils se sont montés, ESC était éditeur indépendant, il n'avait pas la culture du gros blockbuster américain qui vient de sortir, ou même des grosses sorties françaises. Lorsque nous avons changé de distributeur, nous avions dans l'idée de morceler notre catalogue en confiant les grosses sorties nouveauté à une Major américaine ou un gros distributeur installé, et de laisser le reste à ESC, le plus dur à faire finalement parce que ce sont des démarches sur des petites mises en place. Une enseigne ne prend pas 1000 Blu-rays de Judith Therpauve mais, en revanche, est capable de prendre plus de 1000 Blu-rays d'une nouveauté sortie en salle. C'est plus facile d'un côté mais plus dur de l'autre.
Nous avons finalement mis tous nos œufs dans le même panier, en faisant confiance à ESC Distribution pour poursuivre l'activité. Tant qu'il y en aura pour la vidéo physique parce que c'est dans leur ADN, qu'ils aiment les films et qu'ils les défendent. Ce sont des passionnés. Ils ont fait un gros travail pour réinjecter dans les magasins la profondeur de notre catalogue. Six mois après le début de notre partenariat, je retrouvais les nouveautés des collections Gaumont Découverte DVD, Gaumont Découverte Blu-ray et Gaumont Classiques dans les rayons de la Fnac où je ne les avais pas vues depuis longtemps. Cela nous a fait plaisir.

Savez-vous les parts que représentent les ventes en magasin et sur internet ?

MG : Nous sommes incapables de répondre à cette question car nous ne possédons pas ces données. C'est géré par ESC Distribution qui garde cette confidentialité avec ses interlocuteurs. Nous ne sommes pas censés connaître les remises accordées à chaque enseigne et la part des ventes pour chaque enseigne, il s'agit de leurs contrats et de leurs relations. Nous voyons seulement le chiffre global qu'ESC Distribution génère pour nous.

SP : Ce que nous savons plus concrètement, c'est que quand on avait une grosse sortie, un coffret ou quelque chose de plus luxueux, qu'on allait à la Fnac le vendredi et que l'édition n'était pas en rayon alors qu'elle était sortie quelques jours auparavant, pour nous c'était un échec. On en retrouvait un exemplaire d'occasion chez Gibert Joseph deux semaines plus tard. On trouvait cela aberrant et injuste. Extrêmement frustrant. Aujourd'hui, nos sorties sont disponibles.

MG : Il était important pour nous qu'ESC distingue ses deux structures : c'est à la fois un éditeur et aussi un distributeur, mais avec des salariés dissociés. Pour ESC Distribution, il n'y a pas de préférence à pousser une édition plutôt qu'une autre pour gagner plus d'argent. Ce qui peut être l'effet pervers d'un éditeur-distributeur, comme une Major par exemple, qui va logiquement gagner plus d'argent en vendant ses propres éditions plutôt que les DVD/Blu-rays distribués, sur lesquels elle ne prend qu'une commission.

Lors de notre précédente rencontre Jérôme Soulet disait qu'une grande enseigne avait refusé sa proposition de sortir ses Gaumont Découverte Blu-rays à 10€, craignant que cela n'entraîne une baisse générale des prix. Or, cinq ans plus tard, on voit se multiplier les éditions collector à 30, 50, 70€, presque l'effet inverse...

SP : Je trouve cela vraiment dramatique. Est-ce que j'aurais pu m'acheter ces éditions il y a 15 ou 20 ans ? Pas forcément. Donc il y a un problème et cela me rend furieux. Il y a moins d'acheteurs et on va du coup augmenter les prix pour compenser. Le film ne deviendra accessible que pour une minorité encore plus petite.

S'agit-il vraiment monter les prix pour compenser le rétrécissement du potentiel de vente ?

SP : Non, c'est une stratégie qui est très simple : on vend vite, il n'y a pas de stock, on passe à autre chose. Je ne vois pas de différence entre cela et Netflix qui vend son film chaque semaine.

C'est plus cher mais, pourtant, cela se vend mieux...

MG : Mais ils vont cibler des films très précis, il n'y a pas d'effet de volume. Gaumont Vidéo sort environ une grosse cinquantaine de films de patrimoine chaque année. Ils ne se vendent déjà pas tous à nos prix actuels, on ne pourrait donc pas monter les prix. Il faudrait sortir peu de titres et choisir une cible d'acheteurs très précise, comme le fait Le chat qui fume, par exemple.

Plus proche de vous que Le chat qui fume, un nouvel acteur est apparu depuis notre dernière rencontre : Coin de mire cinéma, qui fait du patrimoine français avec quelques têtes d'affiche et dans un créneau d'éditions « prestige »...

MG : Nous travaillons avec Coin de mire. Nous leur avons confié des films, une sous-licenciation pour des œuvres que nous avions éditées non restaurées. Dans ce modèle, ils s'engagent à restaurer les films puis à les éditer dans leur collection sur une période courte, en laissant notre édition DVD toujours active dans les points de vente. In fine, nous récupérerons un master restauré.

L'éditeur finance lui-même la restauration, c'est le modèle suivi notamment par l'anglais Arrow, en somme...

MG : Le chat qui fume a édité en 2020 un film Gaumont, Gwendoline, en association avec l'éditeur allemand Camera obscura. Il a complété la restauration qui avait été faite par Severin Films aux Etats-Unis, dont il n'était pas satisfait. Le chat qui fume l'a édité en Blu-ray UHD et l'a très bien vendu. Nous l'avions sorti en DVD dans la collection rouge et il s'est aussi très bien vendu, à la hauteur de la collection. C'était un exemple intéressant pour savoir si cette réédition 4K allait tuer notre référence, mais en fait ce n'est pas le même public. Et notre DVD est encore disponible quand leur édition est aujourd'hui épuisée. Le Chat qui fume va éditer prochainement Brigade des mœurs.

… Et Les yeux sans visage...

SP : Une édition existe déjà dans la collection Gaumont Classiques, il s'agit d'une ancienne restauration. Le chat qui fume va le restaurer en 4K et le sortir en Blu-ray UHD, ce que nous n'avons pas vocation à faire. Le film va rester dans la collection Gaumont Classiques. Le jour où nous arriverons en rupture de stock et en fin de contrat avec Le chat qui fume, peut-être ferons-nous alors un nouvel authoring DVD et Blu-ray à partir du nouveau master 4K. Tant qu'à faire, autant proposer la dernière restauration même s'il ne s'agit pas d'un Blu-ray UHD.

MG : Après, Le chat qui fume n'utilise pas la même filière de restauration que celle que Gaumont pourrait faire, ce n'est pas le même cahier des charges, pas le même budget. C'est à dire que si nous faisons une restauration, nous allons travailler avec Eclair, avoir le soutien du CNC, pour une restauration qui se chiffre peut-être à 100 000€. Si je prends le cas des Feuillade muets, vu le nombre d'heures à restaurer, on parle d'un coût de plusieurs centaines de milliers d'euros. Mais Gaumont a la capacité de le faire. Pour Les Yeux sans visage, nous validons la restauration.

SP : Après, que ce soit Coin de mire ou Le chat qui fume, nous savons qu'on sera d'accord sur la qualité du master, il n'y a jamais eu de conflits à ce propos.

C'est l'éditeur qui prend en charge la totalité du budget ? Vous ne participez pas du tout ?

SP : Cela dépend. Avec Le chat qui fume, nous en sommes au troisième titre et il y en aura d'autres parce qu'il a sa liste de courses. Avec Coin de mire nous en avons fait deux pour l'instant.

MG : Il y a plusieurs cas de figure. Parfois nous vendons l'œuvre à un distributeur étranger qui va faire la restauration, à un prix moins cher pour qu'il s'y retrouve et qu'au final tout le monde y trouve son compte. Nous sommes heureux que ce modèle ait pu porter ses fruits. Gwendoline était un cas particulier, que nous avions récupéré du catalogue Roissy Films et que Stéphane Bouyer avait repéré. Nous avions également prévu de l'éditer, du coup nous l'avons sorti à partir du master restauré au sein de la collection rouge, en DVD.
Pour Le ciel sur la tête, qui avait déjà été édité non restauré dans la collection rouge et que nous n'avions pas prévu de sortir en Blu-ray, nous avons dit oui à Coin de mire. Les deux éditions coexistent et cela ne gêne aucun de nous deux. Voilà pourquoi le modèle a changé par rapport à ce qu'avait pu dire Jérôme Soulet il y a cinq ans. L'intérêt pour Gaumont, et c'est comme cela que nous l'ont présentés ces deux éditeurs, est que nous réceptionnons derrière un master restauré. C'est très bien si cela peut nous permettre d'obtenir une diffusion TV ou exploiter le film en VOD, le mettre en valeur et lui donner plus de visibilité. Car pour les plateformes de Vidéo à la Demande et les chaînes de TV, même les plus spécialisées comme Ciné+, il est impossible d'être diffusé sans master HD. Avoir un master restauré permet aussi de faire des ventes à l'international, sur d'autres territoires, pour une diffusion TV, une édition vidéo ou un festival, quand nous en avons les mandats.

Le marché est assez actif sur le cinéma de genre, vous en avez sans doute dans votre catalogue, récents ou pas. N'êtes-vous pas tenté d'exploiter un peu plus ce genre de film ?

MG : Nous n'avons pas le savoir-faire pour mobiliser le public sur les réseaux, via une boutique en direct, comme Le chat qui fume sait le faire, par exemple. Ce n'est pas notre ADN et nous ne sommes pas structurés comme cela. De plus, nous n'avons pas énormément de titres qui correspondent à ce cinéma-là, cela ne vaudrait pas la peine de monter en compétence pour si peu.

Kamikaze était un bon exemple. S'est-il bien vendu ?

MG : Oui, ce fût une bonne surprise, c'est grâce à Sylvain. Nous l'avons déjà repressé. Malheureusement, sur nos Gaumont Découverte Blu-ray, aujourd'hui, beaucoup de titres n'arrivent pas à épuiser le premier pressage, il nous en reste encore.

Ce sont des pressages de combien d'exemplaires ?

MG : C'est très variable, cela dépend aussi des besoins des enseignes, remontés par ESC Distribution. Nous fabriquons en conséquence, avec un peu de marge évidemment. On avait dû fabriquer 1500 Kamikaze au lancement, nous en avons repressé 1000, il nous en reste encore. C'est un chouette score parce que d'autres titres peuvent être très en dessous. On a par exemple dû vendre 150 exemplaires de Un seul amour de Pierre Blanchar. L'acteur-réalisateur n'a plus de grosse notoriété. Nous n'avons pas non plus insisté sur le fait qu'il s'agissait d'un film produit par la Continentale, cela pouvait intéresser...

Est-ce avantageux, au niveau des ventes, de sortir des films inédits ?

MG : Non et j'aurais même tendance à dire que c'est le contraire. C'est parfois assez décourageant. Certains de nos films sont sortis en DVD non restaurés dans la collection rouge, puis restaurés en Blu-ray dans la collection blanche : eh bien les meilleures ventes de la collection DVD sont aussi les meilleures ventes de la collection Blu-ray. Presque systématiquement. Et ces titres ne sont pas toujours connus...

SP : Quand c'est Ni vu ni connu, on comprend pourquoi. Mais quand c'est Le Franciscain de Bourges...

MG : Le Franciscain de Bourges est la 5e meilleure vente de la collection rouge, il est aussi dans le Top 5 de la collection blanche. Un très bon exemple : L'assassin habite au 21 est la 2e meilleure vente de la collection rouge, il fait partie des tout premiers sortis, et il est aussi dans le Top 3 de la collection Gaumont Classiques. Il existe toujours en DVD rouge et en Gaumont Classiques avec des suppléments : les deux continuent de se vendre. Ce ne sont donc pas les mêmes publics. Nous avons sorti l'inédit Quai des blondes de Paul Cadéac au sein d'un coffret centenaire Michel Audiard. Le coffret s'est épuisé très vite, en un mois, du coup nous avons sorti le film en unitaire mais avec quelques réticences parce que la copie avait viré (on l'indiquait même au verso de la jaquette). Nous l'avions inclus dans le coffret parce que c'était un peu un bonus, sans la volonté de le sortir tout seul. Eh bien il ne s'est pas très bien vendu à l'unité. Il est pourtant inédit, avec un scénario de Michel Audiard, mais le réalisateur et le casting ne sont pas connus...

Vous parliez des repressages tout à l'heure. Y a-t-il eu des surprises ? Et pour quel genre de film ?

MG : Il n'y a pas de surprises car quand un film se vend tout de suite, cela se poursuit après. En Blu-ray, ce sont les comédies qui marchent le mieux. Tous les Pierre Richard, les Louis de Funès, et plus récemment les Claude Zidi. Sauf Les Ripoux, bizarrement, qui avait déjà été édité en Blu-ray il y a 10 ans. Mais Les deux Sous-doués, qui étaient aussi sortis en Blu-ray il y a quelques années, se sont très bien vendus. Comme les Jean-Marie Poiré que nous avons sortis fin 2020. Des comédies en couleur des années 70-80-90. Pour les années 50-60 en noir & blanc, c'est beaucoup plus dur. Sur la collection rouge en DVD, ce sont les films en noir & blanc qui sont le plus plébiscités : Ni vu ni connu, Le Dernier des six, L'Assassin habite au 21. Ce ne sont que des films en noir & blanc.

Il y a un public noir & blanc pour la collection rouge et un public couleur pour la collection blanche...

MG : Les films les plus plébiscités sur la collection Gaumont Découverte Blu-ray sont vraiment plus grand public, plus populaires, on est moins dans la rareté. La 7e compagnie s'est bien vendue...

C'était l'une des meilleures ventes annuelle il y a 5 ans...

SP : C'est toujours le cas, même si les chiffres ont un peu baissé. Il y a 5 ans c'était 20 000 par an, maintenant c'est 15 000 par an. Juste sur la période de Noël.

Malgré les rediffusions à la télévision...

MG : Au contraire ! Chaque passage redonne envie.

N'envisagez-vous pas de changer aujourd'hui la structure des collections, de créer une branche encore plus « prestige » ?

MG : Sortir les films dans telle ou telle collection est un choix purement subjectif. Nous décidons s'il mérite sa place en « Classiques » ou pas, en se basant quand même sur quelques chiffres, comment il a été édité précédemment, où en sont les ventes... Nous avons fait le tour des œuvres connues de notre catalogue. Nous avons délibérément mis des titres populaires dans la collection blanche pour qu'elle ne soit pas uniquement composée de raretés. Nous avons considéré que La Chèvre avait davantage sa place dans la collection blanche alors que le film n'était pas sorti dans la collection rouge en DVD. Lorsque nous avons récupéré Les Sous-doués du catalogue Roissy Films, nous les avons sortis en DVD hors collection, dans des opérations à 5 pour 30€ parce que ce n'est pas une découverte au sens propre du terme. Cela vient créer des locomotives pour les opérations, qui vont profiter au reste de la vague. Nous pouvons inclure des films en Gaumont Classiques parce que les titres sont connus. Les Bas-fonds est connu mais c'est Jean Renoir, Jean Gabin et Louis Jouvet. Il y a une justification. On ne se pose pas la question pour Le Jour et l'heure ou La Guerre est finie parce que ce sont de grands réalisateurs, même s'il ne s'agit pas des films les plus connus de leurs filmographies.

SP : Le cas de Lancelot du lac de Robert Bresson est un peu différent. Nous avions décidé de l'intégrer à la collection blanche car j'espérais qu'il allait y avoir une envie de découverte, vu que le titre est vendu moins cher. Ce n'est pas un film facile donc si on le « premiumise » au maximum, cela ne l'ouvrira pas forcément au reste du public. J'aime bien me dire que quelqu'un qui n'est pas le public-type d'un film en ait quand même envie, soit curieux et se lance. Il fait la moitié du travail, à nous de faire l'autre moitié en essayant d'y mettre les conditions.

MG : C'est pour cela que le prix est important dans la question de l'accès. Pour moi, la plupart de ceux qui achètent les éditions à 30€ connaissent déjà le film. On se dit qu'avec un prix un peu plus bas, des opérations mécaniques et des effets de masse, nous arriverons peut-être à attirer le public vers des œuvres qu'il ne connaît pas. A 10€, on peut se laisser un peu plus tenter...

La part de vente du Blu-ray a-t-elle remonté par rapport à celle du DVD ?

MG : Pour le marché global, oui. Sur notre segment français, non. Nous sortons les nouveautés récemment sorties en salle très souvent en parité, en DVD et en Blu-ray. Mais nos films sont français : nous écoulons plus de DVD que de Blu-rays. Avec les blockbusters américains, cette tendance peut s'inverser au lancement, où ils sont capables de vendre plus de Blu-rays que de DVD. Le Blu-ray sera en Steelbook, en collector, vendu plus cher, ce qui augmente le chiffre d'affaires. Aujourd'hui, le DVD reste très populaire. Sur une comédie française, beaucoup se disent qu'il n'y a pas de plus-value à acheter le Blu-ray et ils prennent le DVD.

SP : C'est frustrant quand on sort L'Atalante ou les Feuillade, dont les copies sont à tomber. J'ai rarement vu des films muets dans une telle qualité. Mais à l'inverse, sans le DVD, il n'existerait pas la collection rouge qui permet de sortir des titres que nous n'aurions pas pu faire en Blu-ray. En mars dernier a eu lieu une rétrospective Georges Franju à la Cinémathèque. En vue de l'évènement, je me suis rendu compte qu'il restait des courts métrages de Franju à notre catalogue, j'en connaissais certains. On ne pouvait pas les exploiter, à moins de leur trouver un écrin spécifique pour leur exposition, comme ressortir un film avec un DVD supplémentaire par exemple. Eh bien la collection rouge était parfaite pour cela : nous avons sorti un DVD avec 7 courts métrages, 130 minutes de programme. Il y a eu une réaction du public, cela ne s'est pas moins vendu que les autres titres de la collection de cette vague. Au moins, les œuvres existent. Il ne faut pas oublier ceux qui sont restés au DVD et ne sont toujours pas intéressés par le Blu-ray.

Vous dites qu'il était impossible de proposer ces courts métrages en dehors de la collection rouge. Pourquoi pas en supplément d'un film de Franju ?

MG : L'occasion de le faire est déjà passée. Sur nos DVD des films de Pialat, il y a plein de courts métrages. La question se pose si on a déjà sorti ces films : comment faire pour les réexposer ? Nous nous sommes demandés comment marquer le coup avec le 500e titre de la collection rouge. On ne souhaitait pas qu'une œuvre puisse se revendiquer comme la 500e de celle collection, qui n'est d'ailleurs pas numérotée.

SP : J'avais listé des courts métrages pour faire un DVD, un panel assez large en prenant des noms connus, avec des inédits. L'idée s'est rapidement imposée de faire 2 DVD. Pourquoi se limiter ? La liste est montée à 14 titres.

MG : Nous voulions que le DVD puisse rejoindre les étagères des collectionneurs de la collection rouge : il s'agit de deux boitiers slim (traditionnels dans cette collection) avec un fourreau.

Ces courts métrages ont-ils été restaurés ?

SP : Une partie a été restaurée. Et il y a des sous-titres sourds & malentendants sur chacun, comme pour toute la collection. Une fois les titres déterminés, nous avons tous pu les valider juridiquement, sauf un. Quand on veut exploiter une œuvre, il faut avoir le mandat d'exploitation et les contrats d'auteurs (ou des successions) à jour, les ayants-droit doivent avoir renouvelé leur contrat. Ce sont deux choses différentes.

MG : Il y a des films sur lesquels nous sommes en coproduction minoritaire, où le mandat est chez quelqu'un d'autre. Et d'autres films où nous n'avons aucune part de coproduction mais seulement le mandat. Par exemple nous avons le mandat de La Guerre des boutons sans part de coproduction. Nous pouvons exploiter l'œuvre, nous touchons une commission de distribution à chaque fois que le film passe à la télévision ou est vendu en vidéo, mais nous ne sommes pas propriétaires du négatif. Toutes les œuvres que nous voulons sortir doivent remplir ces deux conditions. On signait à l'époque (et même encore aujourd'hui) un contrat pour 30 ans. 30 ans plus tard, ils récupèrent leurs droits. Cela ne veut pas dire qu'ils peuvent exploiter le film, mais que nous ne pouvons plus exploiter le film sans leur accord. Dans ce cas-là, il y aura une renégociation, ils demanderont davantage de parts et un Minimum Garanti tout de suite. Ce n'est pas toujours facile parce que parfois, je vais caricaturer, les successions sont persuadées que leur film vaut de l'or. Surtout quand une grosse maison comme Gaumont vient les voir. Ils peuvent nous demander des milliers d'euros en Minimum Garanti, une avance qui devra être déduite des recettes futures. Sauf que les recettes futures n'atteindront jamais ce montant, c'est impossible.

Ce cas de figure connu arrive encore aujourd'hui, en 2022 ?

MG : Tout le temps. Ce sont des bras de fer. Même si le film avait une valeur exceptionnelle il y a 30 ans, ce n'est souvent plus le cas aujourd'hui. Je vais prendre un exemple concret : Les Visiteurs, qui va fêter ses 30 ans l'année prochaine. Il va falloir renouveler les contrats d'auteurs, renégocier. Il ne faut pas se le cacher, le film a toujours énormément de valeur. Le premier a bien marché en Blu-ray lorsqu'on l'avait sorti au moment des Visiteurs 3, la révolution. Et Les Visiteurs 2 a encore plus marché parce qu'il était totalement inédit en Blu-ray. Il faut avoir conscience que plus ils sont diffusés à la télévision, plus les montants proposés par les diffuseurs diminuent. Le film perd en valeur à chaque fois. Donc, il ne faut pas être trop gourmand non plus. Pour ce titre-là, nous trouverons bien évidemment un accord et il sera renouvelé, mais pour d'autres nous n'y arrivons pas. Quand les auteurs sont connus et qu'ils possèdent un certain nombre de films, ils ont des décomptes et connaissent la valeur de leurs œuvres. Ce sont davantage les successions de personnes peu connues qui sont persuadées que leur film vaut cher qui entraînent des blocages dans les renouvellements.

Certains pensent trouver un pactole...

MG : Ce n'est pas forcément un pactole. On peut quelque fois parler de milliers ou de dizaines de milliers d’euros, mais c'est déjà beaucoup d'argent pour un film comme Un seul amour, pour reprendre l'exemple de tout à l'heure.

SP : Le Petit garçon de l'ascenseur, premier film de Pierre Granier-Deferre, est bloqué actuellement, non pas par une succession mais par une association aux Etats-Unis, ou une banque, je ne sais plus. Comment les droits de ce film franco-français ont atterri là-bas ? Mystère... Pour un autre film dont j'ai oublié le titre, nous devons négocier avec la succession Yul Brynner...

Est-ce que ces cas de figure bloquent beaucoup de projets ? Des titres connus ?

MG : Cela se compte en dizaines. Mais on arrive toujours à trouver un compromis s'il y a un potentiel commercial. Le problème se pose pour les films moins connus. C'est le casse-tête de Sylvain...

SP : C'est comme dans Le Magnifique, quand le plombier qui passe ne veut pas faire les travaux tant que l'électricien n'est pas venu. Et quand l'électricien passe, il ne veut rien faire parce que le plombier n'a pas fait ce qu'il fallait. Nous avons trouvé un rythme, avec une liste de films juridiquement bons et une liste de film techniquement bons, deux listes que nous mettons en relation. Je ne peux pas faire sortir des stocks 20 copies d'un film, afin de trouver celle qui sera utilisée pour la restauration, si nous n'en avons pas les droits. A contrario, je ne peux pas mettre notre service juridique sur 50 renouvellements si nous n'avons pas de matériel exploitable pour lancer une restauration. Ce qui est délicat également, c'est que si nous négocions, c'est pour promettre à l'ayant droit que nous allons exploiter son œuvre. Si nous n'avons pas le matériel et qu'on ne peut pas l'exploiter, nous aurons versé de l'argent, mobilisé du temps et de l'énergie, pour ne rien pouvoir faire au final.
Parfois, c'est un casse-tête pour sortir un seul titre. Pour ce 500e Gaumont Découverte DVD, nous avons 14 courts métrages dont 7 inédits. Il a fallu chercher 14 fois toutes les copies disponibles. Bon, certaines étaient déjà plus ou moins prêtes comme A propos de Nice de Jean Vigo, récemment restauré. Mais pour d'autres...

La structure Gaumont Vidéo est-elle à l'équilibre au sein de la maison Gaumont ?

MG : Oui, c'est rentable. Si la branche vidéo ne continuait pas à rapporter de l'argent à la maison Gaumont, la filiale aurait peut-être déjà été fermée. Dans les faits, le catalogue contribue largement.

Est-ce que les gains d'un titre peuvent être injectés dans le budget global pour de futures sorties ? Est-ce que cela fonctionne comme cela ?

MG : Gaumont Vidéo est l'éditeur vidéo de sa maison mère Gaumont SA, la société qui détient les droits, négocie avec les ayants droit et leur remonte les royalties. C'est le fonctionnement très transparent d'une société cotée en Bourse. Chez Gaumont Vidéo, la filiale, nous avons seulement des mandats d'exploitation. Nous les exploitons avec des coûts de personnel mais aussi de fabrication, de logistique, etc., puis nous remontons un chiffre d'affaires à Gaumont SA, qui consolide et reverse ensuite en fonction des modes d'exploitation, en export, en VOD, parce que les pourcentages de rémunération ne sont pas les mêmes. Donc oui, c'est réinjecté. Gaumont SA récupère de l'argent qui sert à réinvestir dans des productions futures..
Malgré tout, certaines éditions sont déficitaires : si je regarde strictement l'argent dépensé sur un film, je reprends le cas d'Un seul amour, 150 Blu-rays vendus, ce titre nous a fait perdre de l'argent. C'est Gaumont SA qui a porté la restauration mais avec les coûts d'authoring, de pressage et des flux de marchandise, à 150 exemplaires vendus, Gaumont Vidéo a perdu de l'argent. Nous avons dépensé plus d'argent que nous n'en avons gagné.

Vous dites que Gaumont SA gère les restaurations. Qui se charge du choix des titres et Gaumont Vidéo a-t-il son mot à dire ?

MG : Ce sont deux structures différentes sur le papier, mais dans les faits nous travaillons tous ensemble. Sylvain va pouvoir signaler à Gaumont SA que tel film est une rareté, qu'il faudrait le restaurer, il va pousser cette démarche auprès du comité de restauration de Gaumont. Son fonctionnement est organisé, la décision absolue n'est pas réservée à une seule personne, quelqu'un qui ait chez nous la science infuse, surtout quand on lance une restauration à plusieurs centaines de milliers d'euros. In fine, Jérôme Soulet reste le directeur du catalogue, Gaumont Vidéo est rattaché au pôle catalogue, et c'est ce pôle catalogue qui pilote les restaurations. Il ne prend pas seul la décision mais c'est quand même Jérôme qui appuie sur le bouton, après en avoir référé à notre directrice générale, Sidonie Dumas. Gaumont-Pathé Archives, GP Archives désormais, est très impliqué dans ce processus de restauration pour soumettre des projets aux commissions de numérisation du CNC. En fonction de leur avis, favorable ou non, nous donnons le feu vert ou pas.
Selon la charte des commissions de numérisation du CNC, nous devons fabriquer la piste Audiodescription s'ils nous donnent leur aval. Nous fabriquons les Sous-titres Sourds et Malentendants (SME) d'office mais en revanche nous ne finançons pas l'Audiodescription quand le CNC ne nous aide pas dans la restauration. Le coût du SME est supportable mais celui de l'Audiodescription est malheureusement astronomique à l'échelle de notre économie de patrimoine. Il faut enregistrer une voix en studio, c'est autre chose que d'écrire des textes pour des sous-titrages. En revanche, depuis des années, l'Audiodescription est faite systématiquement sur les nouveautés qui sortent au cinéma : ce n'est pas la même chose quand c'est pensé au niveau du coût de production du film. Les diffuseurs TV demandent désormais l'Audiodescription, cela fait partie de leur cahier des charges.

Sur le choix des films à restaurer, la maison Gaumont a-t-elle des souhaits spécifiques ? Quels sont les critères ?

SP : Je tombe de temps en temps sur des films qui sont dans la collection rouge et que j'aimerais restaurer. Par exemple, j'espère qu'il y aura une restauration du Repas des fauves de Christian-Jaque, que nous avons récupéré avec le catalogue Roissy Films. C'est fabuleux. Ou Œil pour œil d'André Cayatte, qui est adapté du même auteur...

MG : Quand nous poussons un film pour qu'il soit restauré, un tour de table est effectué auprès de chaque service du pôle catalogue, les ventes internationales, les ventes TV, pour savoir s'il y a un potentiel de vente en télévision ou dans certains territoires, et à quel prix. Pour savoir si nous pourrons rentabiliser plus facilement notre investissement.

Des films sont-ils mis sur le bas-côté ?

SP : Cela ne fonctionne pas comme ça. Empiriquement, on aimerait tout restaurer mais ce n'est financièrement pas possible.

MG : Un énorme travail a été fait dans le cadre du Grand Emprunt. Nous sommes arrivés au bout de l'exercice en 2019, avec 270 films restaurés. Ce sont des titres qui alimentent essentiellement la collection Gaumont Découverte Blu-ray.

Depuis la fin du Grand Emprunt, avez-vous lancé un nouveau plan de financement ou restez-vous sur vos fonds propres ?

SP : Gaumont restaurait déjà sur ses fonds propres avant et pendant le Grand Emprunt.

MG : Il y a deux commissions par an au CNC, le nombre de titres est limité, nous n'obtenons pas toujours le « Go ». Nous avons présenté Un homme est mort et Rififi à Tokyo, deux films de Jacques Deray. Seul le premier a été validé par la commission et partira en restauration. L'autre ne sera pas restauré, sauf si nous décidons de le faire sur nos fonds propres. Aujourd'hui, quand le CNC ne nous accompagne pas, nous nous essayons à de nouvelles filières de restauration qui ne sont pas « calibrées CNC », on va dire. Nous commençons à faire des restaurations avec un niveau d'exigence différent, un budget plus petit, en partenariat avec d'autres laboratoires comme VDM ou GP Archives. Car GP Archives a maintenant un programme de restauration et nous avons envie de faire travailler une filiale à 100% de Gaumont.

SP : GP Archives va nous fabriquer des scans HD pour la collection rouge. Avant, nous utilisions d'anciennes sources vidéo ou faisions faire les transferts chez un prestataire extérieur. Ils nous ont rendu service pendant le confinement, nous nous sommes rendus compte qu'ils s'étaient équipés. Ils fournissent des images de bonne qualité, ils font des tests depuis septembre pour du nettoyage numérique automatique, du dépoussiérage léger. Pour le DVD de courts métrages de Georges Franju, nous avons trouvé au dernier moment Sur le pont d'Avignon, un 6e court métrage, en couleurs. Problème : c'était le négatif original, qui était en train de moisir et que nous étions potentiellement en train de perdre. Soit nous faisions un emprunt auprès du CNC, qui aurait pris du temps à se concrétiser, soit on attendait jusqu'à ce qu'il soit peut-être trop tard. Je ne nous vois pas non plus lancer une restauration pour un court métrage : même s'il s'agit d'un réalisateur connu, le film est confidentiel. Julien Boury, de GP Archives a lancé un scan du négatif, a appliqué quelques corrections. Le résultat était très bon, suffisant pour le DVD que nous avions en tête.

Cela va-t-il accélérer l'accès de la collection rouge à d'autres films ?

SP : Bien sûr ! Nous allons désormais pouvoir utiliser des marrons et des négatifs originaux. On pourra peut-être s'occuper de certains films qui avaient été mis de côté pendant des années par manque de matériel exploitable immédiatement. Ce n'est qu'au moment où l'on scanne le négatif que nous pouvons savoir s'il est exploitable. Pour un long métrage c'est un gros pari. GP Archives était auparavant une filiale détenue par Gaumont (majoritaire) et Pathé, qui s'appelait Gaumont-Pathé Archives. Gaumont a racheté les parts de Pathé autour de 2019. Ils continuent de travailler sur les archives de Pathé.

Vous menez combien de restaurations par an maintenant ?

MG : Moins qu'avant. Environ 5 par an, en moyenne. Cela dépend parce qu'un film muet de Louis Feuillade, par exemple, prend une bonne partie du budget d'un coup. Une enveloppe est allouée chaque année. Nous allons peut-être faire un peu plus de restaurations désormais, en passant par GP Archives. Le rythme a baissé depuis la fin du Grand Emprunt, qui fût vraiment une très belle opportunité.

Cela veut dire que vous n'avez plus de restaurations d'avance ?

MG : Nous avons sous le coude plus de 50 films restaurés que nous pouvons éditer.

C'est une sacrée avance, là !

MG : Nous avons récemment acheté le catalogue Roissy Films, du coup nous avons lancé des restaurations ou des compléments de restauration sur des films-phare, les Grangier, les Verneuil, La Guerre du feu. Pour nous, c'était génial !

Les deux films d'Henri Verneuil qui sortent en juin sont-il restaurés ou ont-ils bénéficié de compléments de restauration ?

MG : Il s’agit de compléments de restauration. Les masters de I... comme Icare et Mille milliards de dollars ont été nettoyés des rayures et poussières.

Quel est l'intérêt pour Gaumont, qui détient déjà 900 titres, de racheter un catalogue comme celui de Roissy Films ?

MG : Gaumont est une maison qui aime le cinéma, il y a une volonté d'exposition des œuvres. Quand des films ne sont pas exploités aujourd'hui, c'est toujours un grand regret. Ensuite, il faut savoir que sur les films que nous détenons dans notre catalogue, nous n'en possédons pas 100% des parts. Dans les catalogues extérieurs, nous pouvons avoir des parts minoritaires. Et quand nous les rachetons, c'est pour posséder la totalité ou la majorité des parts de co-production, et récupérer les mandats d'exploitation. C'est ce que préfère aujourd'hui la maison Gaumont. C'est toujours assez frustrant d'être minoritaire et ne pas pouvoir contrôler ce qui est fait autour de l'œuvre.

SP : Un peu dans le même esprit, dans le cadre de films à sketches, il y a souvent plusieurs sociétés de production, parfois de différents pays. Nous possédons par exemple les droits du film L'Amour à vingt ans, à l'exception du segment réalisé par François Truffaut qui est détenu par MK2. Nous pourrions l'exploiter sans ce segment, de manière amputée. J'aimerais beaucoup le sortir dans la collection rouge.

MG : Nous avions sorti en 2016 un autre film à sketch incomplet, Les Meilleures escroqueries du monde. Nous avions les droits du film, le mandat, mais Roman Polanski a refusé qu'on utilise son segment. Nous pourrions passer outre, nous aurions le droit juridiquement, mais moralement ce ne serait pas terrible. Donc nous avons sorti ce film à sketches en supprimant le segment de Polanski.

SP : Piège pour Cendrillon d'André Cayatte était bloqué pour ce genre de raison. Un accord a été trouvé avec la famille de Sébastien Japrisot, l'auteur du roman original.

MG : Désormais, quand nous renouvelons les contrats d'auteurs, nous les demandons pour la durée de protection légale, c'est à dire jusqu'à ce que l'œuvre tombe dans le domaine public, 70 ans après le décès du dernier co-auteur présumé.

Trois films de Christian-Jaque vont sortir en Blu-ray en fin d'année, après avoir été longtemps bloqués...

MG : La Symphonie fantastique, Nathalie et Madame sans-gêne ont été renouvelés ou sont en cours de renouvellement. Les films ne sont pas des mêmes époques, ce n'est pas un package, ce ne sont pas les mêmes contrats. La symphonie fantastique a été restauré, donc les droits avaient été négociés, mais il y a eu une complication quelques temps plus tard et cela bloque le film depuis trois ans. Nous étions prêts à lancer La Symphonie fantastique au pressage, mais nous avons tout arrêté. On avait créé la jaquette, fait les bonus, validé l'authoring. C'est chez le presseur, il n'y a plus qu'à appuyer sur le bouton. Nous avons choisi d'accompagner ce film de Nathalie et Madame sans gêne pour proposer une petite vague Christian-Jaque.

Y a-t-il eu des surprises dans le catalogue Roissy Films ?

SP : Le Repas des fauves, c'est extraordinaire.

MG : Nous avions repéré les titres les plus emblématiques avant de racheter le catalogue. Ce sont ceux sur lesquels nous nous sommes précipités pour les éditer. Il y avait 300 titres. Mais sur ces 300, nous n'avons pas les droits sur tous, ni le matériel sur tous. C'est toujours la subtilité. Il y en a 300 sur le papier mais pas dans les faits. EuropaCorp, qui détenait le catalogue avant nous, avait vendu plusieurs mandats à LCJ. L'éditeur a eu les droits de I... comme Icare jusqu'au 31 décembre 2021, avec une période supplémentaire de six mois pour écouler leur stock. Vous pourrez trouver leur édition jusqu'au 30 juin, nous sortons la nôtre le 29.

Y a-t-il des projets d'acquisition de catalogue, comme ce fût le cas pour Roissy Films ?

MG : On ne peut pas en parler mais les opportunités viennent à nous régulièrement. Tous les ans, tout au long de l'année, des dossiers passent sur les bureaux de la direction. C'est souvent le cas de réalisateurs-producteurs encore vivants qui ont récupéré leurs catalogues et cherchent à vendre leurs droits, comme un petit pactole de retraite qu'ils ne veulent pas laisser gérer par leur succession.
Nous n'avons pas de vues sur quelque chose en particulier mais sommes toujours à l'écoute des propositions. Les vendeurs savent que Gaumont est potentiellement acheteur. Ils viennent nous voir en priorité parce que nous possédons déjà des parts sur ces films, et que nous pourrions ainsi compléter nos parts.

Comment choisissez-vous les titres qui vont sortir ?

MG : C'est Sylvain qui fait sa liste de courses. J'ai aussi poussé quelques titres comme cela, Jérôme peut aussi soumettre ses idées, comme Association de malfaiteurs qui lui tenait à cœur. C'est bien d'avoir des coups de cœur, qu'on ne soit pas seulement motivés par des choix commerciaux, comme cela peut arriver dans d'autres grosses sociétés intégrées. Nous avons cette chance chez Gaumont Vidéo d'avoir un peu plus les mains libres pour sortir des œuvres auxquelles nous tenons et qui ne seront pas nécessairement avec un objectif de rentabilité.

Avez-vous eu de bonnes surprises dans les ventes ?

MG : Les Jean-Marie Poiré en Blu-ray. La Guerre du feu, une très bonne surprise alors que le film avait été édité de multiples fois. Voilà un titre qui n'est pas inédit, qui a existé 36 fois, qu'on ressort au sein d'une collection, une nouvelle exposition, et qui marche ! Comme quoi, c'est le film qui fait tout. Je vais prendre l'exemple de Orange Studio qui a sorti Les Valseuses l'année dernière, dans une édition minimale, sans suppléments. Ils en ont vendu une quantité que je rêverais d'avoir sur certains classiques. Quand on voit ça, on se demande à quoi sert de faire des suppléments... En fait, cela fonctionne sur certains titres extrêmement porteurs.

Pourquoi ne vous lancez-vous pas dans le Blu-ray UHD ? Avez-vous de quoi faire dans votre catalogue ?

MG : C'est un vaste sujet. Nous n'avons sorti qu'un Blu-ray UHD, pour Les Tontons flingueurs, dont les ventes ne sont pas probantes alors qu'il s'agit du film le plus emblématique de tout notre catalogue... Avec sans doute La Folie des grandeurs, Le Dîner de cons et Les Visiteurs, trois comédies. Or ce ne sont pas les comédies qui sont le plus plébiscitées en UHD. Studiocanal et Pathé ont fait de très beaux travaux de restauration 4K sur Les Bronzés ou La Grande vadrouille, réédités en coffrets collector, mais qu'ils n'ont pas sortis en UHD. Ils ont dû faire le même constat : la comédie n'est pas ce qui attire les acheteurs d'UHD. Nos films récemment sortis en salles sont post-produits en 2K, cela veut dire que l'étalonnage et les effets spéciaux ne sont pas en 4K à l'origine. Pour que nous puissions sortir un Blu-ray UHD, il faudrait que le film soit post-produit en 4K, qu'il soit un succès et ne soit pas une comédie. TF1 studio a édité Alibi.com, 3 Millions d'entrées en salles, mais a vendu moins de 500 UHD en un an...
Je voulais sortir Au revoir là-haut d'Albert Dupontel mais il n'était pas post-produit en 4K et il nous aurait fallu repartir en post-production. On parle alors en centaine de milliers d'euros, c'est mort. Dernier cas de figure : Illusions perdues de Xavier Giannoli. Pour notre premier film récent en UHD, nous cherchions un titre avec une plus-value, un film en costume. Le film était disponible en 4K, nous pouvions le faire, mais nous n'avions que le SDR disponible. Si nous avions refait l'étalonnage en HDR, c'était 50 000 €. J'ai regardé Eiffel, sorti en UHD mais SDR, et j'ai cherché ce qu'on en disait sur les réseaux sociaux. Le Blu-ray s'est fait lyncher. Pathé en a vendu moins de 1000 exemplaires... mais c'est sorti il y a à peine deux mois. EuropaCorp, qui a sorti Valerian en UHD SDR en France mais HDR aux Etats-Unis s'est fait démolir également. Je pense que le public très équipé est tout à fait capable d'acheter l'import américain. Je parlais avec des éditeurs américains qui me disaient être capables de vendre 8 000, 10 000, 15 000 unités parce que c'est un Steelbook collector 4K, etc. Mais cela marche sur les blockbusters DC Comics, Marvel ou Starwars... Paramount va ressortir Les incorruptibles en 4K, je vais l'acheter. Mais on ne peut pas comparer le potentiel des Incorruptibles auprès des gens équipés avec celui de La Folie des grandeurs, ce n'est pas le même public.

SP : Ce n'est pas que Gaumont ne veuille pas sortir de Blu-ray UHD, c'est que nous cherchons à bien le faire. Nous y réfléchissons depuis la sortie des Tontons flingueurs.

MG : C'était un test, on s'était dit que si ça marchait, nous enchaînerions avec Les Barbouzes et autres... Nous en avons vendu à ce jour un peu moins de 2000 exemplaires, on en avait fabriqué 4000. Sur le patrimoine, je ne pense pas que nous ayons les titres porteurs pour de l'UHD. Dans les titres plus récents, il y aurait probablement les OSS 117, mais ils n'existent pas en 4K.

Et Les Rivières pourpres ?

MG : Il n'est pas récent et pas restauré, mais peut-être que celui-ci aurait du potentiel parce qu'on s'adresserait davantage à un public équipé.

SP : A mon avis, on rencontrera des problèmes avec Les Rivières pourpres sur le rendu des effets spéciaux de l'époque qui n'étaient pas en 4K...

Sylvain, toi qui es dans les listes, quel genre de choses y-a-t-il à trouver dans les archives ?

SP : Des films muets, par exemple. Ce n'est pas tant la copie (qu'on peut restaurer), ni les droits (qui sont relativement simples à régler), mais nous devons avoir une piste musicale à proposer. Or, cela coûte très cher à fabriquer, pour un potentiel économique très petit.

Même à l'international ? Avez-vous des retours sur vos ventes de films muets à l'étranger ?

MG : C'est très anecdotique. Au-delà de titres emblématiques comme Fantômas et Les Vampires, nos camarades des ventes internationales n'arrivent pas à vendre nos films muets. Quand on sort Figaro de Gaston Ravel ou La Femme rêvée de Jean Durand, personne ne connaît ces titres ou ces réalisateurs à l'étranger, c'est plus compliqué.

Est-ce que vos éditions vidéo ne pourraient pas suffire à rentabiliser ?

MG : Dans la mesure où des acteurs locaux (distributeurs, éditeurs) peuvent acheter des droits pour ces films, nous ne pouvons pas aller marcher sur leurs plates-bandes.

Mais si personne ne se manifeste ?

MG : Nous ne sommes pas outillés pour orienter notre marché vidéo physique sur ces territoires.

Vous avez fait refaire la musique sur les Feuillade ?

MG : La partition d'origine a été retrouvée sur Judex. Elle a été réenregistrée avec orchestre, dans un auditorium. C'était une restauration haut de gamme, avec le soutien du CNC. C'est le principal frein du muet parce que nous nous refusons aujourd'hui à éditer du muet sans musique. Ce serait austère...

SP : J'ai assisté à quelques projections à la Cinémathèque sans musique, c'est effectivement très anxiogène ! Pour Salammbô de Pierre Marodon, nous étions persuadés qu'une piste son était disponible mais en analysant le matériel nous nous sommes rendus compte qu'il n'y en avait pas. Il y a plusieurs solutions : soit nous maintenons la restauration sans piste son, soit nous mettons de la musique au mètre, soit nous lançons la restauration d'un autre film.

Je reviens un peu sur les listes. Comment cela se passe-t-il quand tu les consultes ?

SP : Nous avons un logiciel interne qui répertorie tout ce qui est passé chez Gaumont. On peut trouver Angèle de Marcel Pagnol ou même Ducobu, car nous avons vendu pendant un temps les mandats à l'international des nouveautés UGC. C'est une gigantesque base de données. Par exemple, lorsque je vois apparaître un film d'Yves Ciampi dont nous avons les droits, je regarde tout ce qui existe d'autre avec ce réalisateur. Car je me dis que si nous avons un film d'Yves Ciampi qui est juridiquement bon avec un ayant droit, d'autres peuvent l'être également. C'est aussi une question de cinéphilie, c'est là que j'ai vu que nous possédions Jaloux comme un tigre de Darry Cowl, que je voulais sortir depuis longtemps dans la collection rouge. C'est un coup de cœur.

Y a-t-il beaucoup de courts métrages et de moyens métrages dans ces listes ?

SP : Nous ne nous étions pas trop penchés sur la question jusqu'à maintenant. J'ai ouvert la boîte de Pandore. On a des courts métrages muets qui n'ont pas été sonorisés, comme des œuvres attribuées à Alice Guy ou Emile Cohl.

MG : Ce n'est pas simple de trouver le bon format d'édition pour ce genre de titre. Nous ne souhaitons pas créer une nouvelle collection sur le cinéma muet ou sur les courts métrages. Il faut réussir à les intégrer dans ce qui existe déjà sans trahir l'esprit des collections, sans faire du remplissage. C'est tout un arbitrage à faire. Je pense que l'idée d'une sortie de courts métrages de Michel Audiard est un bon moyen d'amorcer cette idée, parce qu'il y a un public et que cela reste une valeur sûre, commercialement.

SP : C'est plus compliqué, mais nous avons aussi plein de courts métrages produits par Les films du loup, la société de Luc Besson que Gaumont avait racheté. Il en a réalisé au moins deux mais tous ne sont pas de lui.

MG : Il faut juste s'assurer qu'on ait le matériel et que tous les contrats des ayants droit soient à jour.

N'êtes-vous pas tentés d'ajouter des suppléments dans la collection rouge ?

SP : C'est la seule frustration sur cette collection. On se dit parfois que si certains film étaient un peu plus accompagnés, avec quelques suppléments, cela les aiderait peut-être...

MG : Cette collection est dans une économie très maîtrisée, pensée pour être « raisonnable et raisonnée » comme dirait Jérôme Soulet. Elle a aujourd'hui largement atteint son seuil de rentabilité, elle est bénéficiaire. Sur 500 titres, en 12 ans, nous avons écoulé plus de 500 000 unités. En revanche, on est loin d'avoir une moyenne de 1000 ventes par titre. Pour des films comme Ni vu ni connu, on doit en être à 20 000 DVD vendus. C'est 15 000 pour L'assassin habite au 21. Après, on tombe en dessous de 10 000, de nombreux titres sont à 5000-6000, d'autres peuvent être sous les 500 exemplaires vendus. Mais ce n'est pas grave : même à 500, nous sommes contents, c'est déjà un bon score. Cette collection n'est pas aidée par le CNC parce qu'elle n'est pas accompagnée éditorialement. Au sens du CNC, par rapport aux commissions d'aides à l'édition en vidéo, cette collection n'est pas de l'édition mais de la « mise à disposition », ce qui est vraiment son but. Les accompagnements éditoriaux coûtent de l'argent : c'est produire des suppléments, augmenter le coût de l'authoring. Il y en a dans la collection Gaumont Classiques et la collection Gaumont Découverte Blu-ray, heureusement aidées par le CNC. Sans eux, nous aurions arrêté ces collections.

Sylvain, quel est ton champ d'action sur les bonus des titres patrimoine de Gaumont Vidéo ?

SP : Je les supervise. Après, tout dépend de la collection dans laquelle est intégré le titre. Si on le sort en Gaumont Classiques, on sait que nous aurons une plus grande marge de manœuvre, en durée potentielle et en moyens mis à disposition. Nous essayons de multiplier les intervenants.

Ce n'est pas tellement une tradition française d'interviewer des membres des équipes de films, autre que les habituels acteurs/réalisateurs. Vous êtes un des rares éditeurs à retrouver des assistants, d'autres types de postes qui ont participé à la fabrication des films... Pourquoi n'en voit-on pas davantage ? Est-ce facile de les retrouver ?

SP : Avoir quelqu'un qui a travaillé sur le film est un vrai plus. C'est aussi un devoir de mémoire cinéphilique. Quand nous interrogeons un spécialiste sur Le Journal d'une femme en blanc de Claude Autant-Lara, on sait qu'on aura un truc carré de 20 minutes, mais quand on arrive à avoir l'acteur du film dont c'était le premier tournage, c'est assez fou. On le trouve parce qu'il a un site internet, il fait toujours du théâtre, et toujours en activité. Ce genre d'interview est beaucoup plus risqué parce que le temps peut jouer des tours, la mémoire peut flancher...

MG : Je suis toujours surpris des témoignages très précis de tournages qui ont eu lieu il y a plusieurs décennies. Ils ont fait cent films dans leur vie mais se souviennent pourtant qu'il s'est passé telle chose à tel moment. C'est bluffant.

SP : Dans un bonus idéal, j'ai trois intervenants : quelqu'un qui a travaillé à la conception du film (réalisateur ou scénariste) ; quelqu'un qui a participé de manière un peu parallèle (un assistant, un monteur, etc.) et qui n'a pas le discours passé à la moulinette de la promo, ou influencé par des commentaires, et cela peut déboucher sur des anecdotes rigolotes (Eddy Mitchell qui ne savait pas faire de vélo, sur le tournage d'Attention, une femme peut en cacher une autre) ; et une partie analytique, quand on a un universitaire ou l'auteur d'un livre. Ce serait passionnant d'avoir Antoine de Baecque sur Chabrol, par exemple. Concrètement, je fais des recherches avec le réalisateur de nos suppléments.

Il n'y a pas d'archives dans le stock Gaumont ? Des making-of ou ce genre de choses ?

SP : Il y a l'INA, la Radio Télévision Suisse, etc. Mais c'est cher et contraignant au niveau des durées et des droits.

MG : Avec l'INA, le premier souci est leur temps de réponse. Et la grille tarifaire est à double vitesse en fonction de qui la demande. Ils nous assassinent sur les prix : acheter 3 minutes d'extraits à l'INA nous coûte plus cher que produire un bonus de 30 minutes. C'est aussi très cadré sur l'utilisation qu'on peut faire de ces extraits, et c'est aussi limité dans le temps. Typiquement, pour un coffret Pialat, il faudrait repasser à la caisse alors que ce qu'on a tourné est payé, nous sommes producteurs du contenu et pouvons le réexploiter.

SP : Je suis arrivé chez Gaumont au moment où on travaillait avec l'INA pour la dernière fois. A cette époque, nous n'avions aucun projet de lancer une plateforme. Les contrats pour les archives présentes sur les DVD et Blu-rays ne permettent pas de les inclure sur notre plateforme. Finalement, Madelen, la plateforme de l'INA me rassure dans le sens où ces vidéos vont pouvoir vivre ailleurs. On nous critique parfois de ne pas avoir mis des interviews présents sur Youtube, moi je dis que c'est génial qu'elles soient sur Youtube. Mais ça m'énerverait de payer pour quelque chose que le public peut voir ailleurs.
Il y a des contre-exemples : nous avons racheté le supplément de Jérôme Wybon, réalisé pour le DVD de La Neige et le feu de Claude Pinoteau, parce qu'on savait que nous ne pourrions pas faire mieux qu'une édition précédente. Mais ce n'est pas toujours facile de récupérer des bonus d'époque, parfois il ne reste pas de contrat pour des commentaires audio, par exemple. On nous a parfois proposé de nous les céder mais, sans contrat, nous ne prenons pas le risque. On ne peut pas toujours réutiliser ce qui a été proposé par le passé.
Alors que des interviews réalisés à la télévision n'avaient pas d'autre valeur que leur diffusion ponctuelle, on trouve des choses passionnantes comme l'interview de Michel Audiard pour la télévision suisse. Il parle de littérature, d'écriture, il a sa gouaille, il a ses mots. A l'époque cela ne valait rien, aujourd'hui cela a une valeur, même si c'est sur Youtube. Beaucoup de bonus DVD n'ont pas été archivés.

MG : Beaucoup de suppléments DVD des débuts des années 2000 sont encore sur cassettes Betacam. On ne sait pas trop où elles sont stockées ni ce qu'il y a dessus. C'est très difficile parce que ce n'est pas documenté.

SP : Un assistant ou quelqu'un qui a travaillé sur le film, c'est une personne qui n'a pas été interrogée 20 fois sur le sujet. Cela nous permettrait d'avoir un regard un peu nouveau. Et on en profite pour lui poser des questions sur un autre film, au cas où il aurait des souvenirs. On sait qu'on ne travaillera jamais sur des bonus de certains films alors que des rushes d'interviews sont prêts.

MG : On a l'exemple de Marc Rivière, qu'on avait rencontré pour Attention, une femme peut en cacher une autre de Georges Lautner. Il nous avait raconté une anecdote sur Yves Robert, dont il avait été l'assistant, qui avait accepté de jouer dans Le Crime d'Antoine, son premier film en tant que réalisateur. Marc Rivière a découvert après le tournage qu'Yves Robert avait appris à nager spécialement pour une scène, en prévision de son rôle. Ce n'était pourtant qu'une demi-journée de tournage. C'est quelque chose dont Yves Robert ne parle pas dans ses mémoires, par exemple.

SP : Pour les films de Claude Zidi que nous avons sortis il y a quelques temps, je ne suis pas allé voir le réalisateur parce que je sais que ce n'est pas quelqu'un qui aime parler de son travail, il ne donne pas beaucoup de souvenirs, il le dit lui-même. Autant aller chercher son scénariste-dialoguiste Didier Kaminka. On ne souhaite pas faire de l'hagiographie de tournage, à l'américaine. Un avantage, également, c'est que n'avons aucun problème à dire si un tournage ne s'est pas très bien passé. L'idée n'est pas de critiquer ou de dénoncer mais d'être factuel...

C'est le cas sur Judith Therpauve, justement, où l'assistant parle à demi-mots des difficultés occasionnées par le comportement de Simone Signoret...

SP : Je ne sais pas si cela serait passé chez un éditeur américain. Nous avons abordé la relation entre Miou-Miou et Yves Robert dans un bonus de son dernier film, Montparnasse-Pondichéry. Jean-Denis Robert, le fils du cinéaste en avait parlé dans un bonus précédent. Là, c'est le chef opérateur qui l'a évoqué, nous n'avons pas creusé davantage lors de l'entretien mais nous nous sommes quand même permis de contacter Jean-Denis Robert pour lui demander son accord.

Avez-vous des surprises en retrouvant des documents, visionnant des films ?

SP : Piège pour Cendrillon d'André Cayatte, c'était une grosse surprise. Invisible depuis longtemps. Ou dernièrement les courts métrages de Georges Franju. Je pensais qu'on aurait des films qui n'intéresseraient que les complétistes, qu'on obtiendrait quelque chose de disparate en les réunissant. Mais je me suis rapidement rendu compte que c'était plus intéressant que cela, que ces films parlaient au reste de la carrière du cinéaste. Je ne m'attendais pas à ce que cela soit aussi cohérent. On retrouve des scènes dans Les Yeux sans visage, on reconnaît sa manière de montrer des chiens ou des ruines dans d'autres films, ou sa façon de glisser de l'étrangeté par le montage. Au-delà de la rareté, il y a un intérêt. Ils sont sortis en DVD en mars dernier, dans la collection rouge.

Réfléchissez-vous à une manière de rendre visible votre catalogue ? Une nouvelle façon de le faire fructifier ?

MG : C'est une très bonne question. Nous lançons la semaine prochaine Gaumontclassique.fr, une plateforme de streaming par abonnement, 100% dédiée aux films en noir & blanc. Nous avons une offre de lancement avec 200 films du catalogue Gaumont dont les trois quarts sont restaurés. C'est une réponse face au constat que certaines œuvres, en partie celles qui ne sont pas restaurées, ne sont pas exposées en dehors de nos collections DVD et Blu-rays.
Pourquoi le noir & blanc ? Pour se démarquer et ne pas proposer une énième plateforme. Aujourd'hui, les FilmoTV, LaCinetek, Universciné font ce travail, et nous continuons de leur vendre nos films, mais ce sont toujours les mêmes titres qui sont plébiscités. Et les plateformes mondiales ne sont pas intéressées par le film de patrimoine en noir & blanc. Nous voulions une proposition simple, claire et efficace, allant du muet (1913) jusqu'en 1968, avec Les Pâtres du désordre de Nico Papatakis.

Ce ne sera définitivement que du noir & blanc ?

MG : Notre promesse aujourd'hui est d'être uniquement en noir & blanc, et nous avons largement de quoi faire. Le but est de venir compléter l'offre, non de retirer pour remplacer, mais d'ajouter des titres sur un rythme régulier.

SP : Si on avait mis de la couleur et du noir & blanc, nous pensons que le public serait naturellement allé vers la couleur au détriment du noir & blanc.

MG : Notre but est vraiment d'exposer, c'est une invitation à la découverte. Le service n'est pas encore intégré dans les box des fournisseurs d'accès à internet. Cela veut dire que, dans un premier temps, on accède au site internet gaumontclassique.fr, qui est également disponible sur mobile et tablettes iOS et Android. Pour l'instant, nous ne sommes pas intégrés dans les TV connectées mais nous avons la fonctionnalité Chromecast. Et nous aurons l'AirPlay d'Apple d'ici l'été.

Comment comptez-vous faire connaître cette plateforme ? Qui ciblez-vous ? Ceux qui n'achètent pas d'éditions physiques ?

MG : Je pense que ce n'est pas incompatible, mais ce n'est pas notre cible prioritaire. Notre but est d'aller chercher une génération qui n'est plus équipée de lecteur. D'où le travail sur les réseaux sociaux avec Jules Le Hénand, notre spécialiste en communication.

Jules Le Hénand : La communication autour du cinéma en noir & blanc n'est pas forcément la chose la plus évidente. Il y a un vrai enjeu de transmission à toucher des jeunes générations, notamment. Nous allons utiliser les réseaux sociaux, là où sont les jeunes. Être présent et revaloriser les œuvres, essayer de les faire redécouvrir parce qu'à l'exception des Tontons flingueurs ou ce genre de gros titres, elles n'ont plus de visibilité auprès d'eux. Il y a des communautés cinéphiles sur les réseaux sociaux qui sont vraiment intéressées par la découverte du cinéma, de films rares, de choses comme ça. Notre objectif, c'est aussi d'aller leur parler.

MG : Et sur les réseaux, il y a une segmentation du public qui est très identifiable, ce qui facilite le dialogue. Ce n'est pas du tout le cas dans les médias de masse.

Jules Le Hénand : On peut aussi utiliser les réseaux de Gaumont, une maison qui a déjà une aura très importante. On peut facilement toucher un très grand nombre de personnes.

MG : C'est vraiment une question de découverte pour une génération plus jeune qui ne les a jamais vus parce qu'elle ne les trouve nulle part ailleurs et parce qu'ils ne passent jamais en TV. Cela peut être également une redécouverte pour un public plus cinéphile qui a encore envie de voir de nouvelles choses. On voulait aussi faire passer un message très simple : c'est 5€ par mois ou 50€ par an, sans engagement. Et 139 films sur 200 sont accompagnés de suppléments (160 suppléments, 70 heures de programme). Notre but n'est pas du tout d'arrêter d'éditer des DVD et des Blu-rays.

Ne faites-vous pas concurrence aux plateformes auxquelles vous vendez pourtant certains de vos films ?

MG : Ce service est édité par Gaumont Vidéo qui achète à Gaumont SA des droits d'exploitation non exclusifs. Cela veut dire que certaines de ces œuvres sont déjà présentes simultanément sur d'autres plateformes par abonnement. Nous ne sommes pas là pour couper le marché : ces mêmes plateformes peuvent continuer à demander des films Gaumont pour leur offre. Nous voulons simplement exposer les œuvres de notre catalogue qui ne sont présentes nulle part. Tant mieux si Gaumont Classique permet demain de faire connaître des films à de grosses plateformes qui voudront nous les acheter. Cela valorisera notre catalogue. Amazon ne possède actuellement que cinq de nos films en noir & blanc : La Guerre des boutons, Ni vu ni connu, Bébert et l’omnibusLes Copains et Les Hommes ne pensent qu'à ça. Tous des films de Yves Robert parce qu'ils nous ont achetés les films du cinéaste pour pouvoir proposer une collection. S'ils arrêtent cette collection demain, ils ne reprendront pas La Guerre des boutons & co, cela ne les intéresse pas.

Que prévoyez-vous de sortir dans les prochains mois en édition physique ?

SP : Nous sortons en octobre Le Diable probablement, de Robert Bresson, accompagné de L'Atalante enfin en unitaire. La Soif de l'or va rejoindre la collection blanche en Blu-ray, restauré en 4K. L'image est si précise qu'on voit le câble qui tire le billet de banque dans la première séquence. On ne le voyait pas aussi bien auparavant. Nous sortirons aussi Comment réussir quand on est con et pleurnichard, le dernier Audiard réalisateur qui n'était pas encore sorti dans la collection blanche. Je reviens de Belgique où j'ai interviewé Jean-Marie Poiré, qui nous parle des six films qu'il a fait avec Audiard en tant que dialoguiste.

C'est un bon client pour les suppléments. Rigolard et pas du tout avare en anecdotes. Twist again à Moscou fût une redécouverte très intéressante.

SP : J'ai appris qu'on avait sorti la version remontée par le réalisateur. La télévision allemande était prête à acheter le film, quelques années après sa sortie, à condition qu'on enlève certaines choses qui ne leur plaisaient pas. En regardant le film, le réalisateur s'est dit qu'il pouvait améliorer un peu le rythme. Il en a coupé environ cinq minutes (c'est cette version qui prime aujourd'hui) avant d'opérer des modifications supplémentaires pour l'Allemagne. En septembre, sortira Monsieur Papa, avec Claude Brasseur, l'original du film avec Kad Merad. En novembre, il y aura Voulez-vous danser avec moi de Michel Boisrond, ainsi que deux films de Mel Brooks : Sacré Robin des bois et Dracula, mort et heureux de l'être, deux coproductions Gaumont...

MG : J'ai retrouvé des contrats sur ces films. En Millions de francs... (rires) Signés de la main de Mr Mel Brooks. Sylvain n'est pas parti à Los Angeles pour faire l'interview de Mel Brooks, malheureusement.

Et des coffrets ?

MG : Les coffrets Prestige sont rarement des succès, à l'exception de celui sur Michel Audiard, qui a été épuisé très vite. Pléthore de coffrets avaient été faits sur Audiard depuis des années, tous les ans on en fait et tous les ans on en vend. Nous avions sorti ce coffret centenaire à Noël 2020, il s'est écoulé en un mois. Nous avions calibré le coffret Audiard par rapport au coffret Yves Robert, dont on fêtait aussi le centenaire de la naissance, qui était une intégrale réalisateur, avec 21 films dont un inédit.

Et celui sur la Continentale, dont nous parlions déjà il y a cinq ans...

MG : Nous ne perdons pas espoir sur celui-là. Sinon nous n'avons pas de coffret « prestige » dans les tuyaux. S'il y en a un qui pourrait se faire, ce serait un nouveau coffret Maurice Pialat. Mais ce qui nous freine un peu c'est qu'il devra exister à la fois en DVD et en Blu-ray. Si nous ne le faisons qu'en DVD on se fera critiquer, et si nous ne le faisons qu'en Blu-ray, nous n'en vendrons pas. Et il serait moins disant en terme de suppléments par rapport aux deux coffrets sortis dans le passé, qui étaient tellement enrichis que c'est quelque chose, vu le marché de la vidéo aujourd'hui, que nous ne serions plus capable de produire aujourd'hui. Et les dix films existent tous à l'unitaire, dans la collection Gaumont Classiques.

A quand de nouveaux films de Sacha Guitry en Blu-ray ?

SP : Nous avons peut-être une piste. Nous avons choisi de sortir cette année Papa, maman, la bonne et moi et sa suite Papa, maman, ma femme et moi, sur un même disque. Ils étaient sortis sous différentes éditions chez LCJ, ce qui nous a fait douter de la pertinence de le ressortir. Mais l'idée nous a séduit de les sortir ensemble, vu que c'était techniquement possible sans dégrader l'image, en les proposant pour le prix d'un seul Blu-ray. L'idée ne serait pas de reproduire cette recette ad vitam, mais avec Guitry cela pourrait être intéressant. Cela dit, vu que ses films ne se vendent pas en Blu-ray, je ne suis pas sûr que cela marche mieux pour deux.

MG : Avec Papa, maman, la bonne et moi, c'est un peu différent car ils vont ensemble, ce sont des suites. Les Guitry ne vont pas forcément ensemble. Mais nous réfléchissons.

SP : Je pense que les film de Sacha Guitry sont typiquement ce qui peut fonctionner sur la plateforme. Ce sont des titres qu'on a un peu de mal à identifier les uns par rapport aux autres, qu'on peut confondre, et cela peut être un frein d'une certaine manière.

MG : C'est brillant mais méconnu par la jeune génération.

SP : Nous avions sorti en Blu-ray des titres inédits par rapport aux coffrets DVD, comme Ils étaient neuf célibataires, mais cela n'a pas pris.

MG : De nombreux films de Sacha Guitry n'existent aujourd'hui qu'au sein de coffrets ou dans d'anciennes références quasiment épuisées. Nous allons progressivement les rééditer dans la collection rouge, même s'ils ne sont pas restaurés. Par exemple Remontons les Champs-Elysées ou bien Le mot de Cambrone (que nous retrouvons dans l’édition du 500e Gaumont Découverte DVD).

Propos recueillis le 6 mai 2022. Un grand merci à Maxime Gruman, Sylvain Perret et Jules Le Hénand pour le temps qu'ils nous ont accordé.

Par Philippe Paul et Stéphane Beauchet - le 30 mai 2022