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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un homme est mort

L'histoire

Le Français Lucien Bellon débarque à Los Angeles pour exécuter le « contrat » qui lui permettra de régler ses dettes de jeu. Tout se déroule comme prévu, mais, une fois sa mission accomplie, il découvre que ses employeurs ont prévu pour lui un sort identique à celui de sa victime. Privé de son passeport, il ne peut plus rentrer en France et un tueur bien plus professionnel que lui est à ses trousses.

Analyse et critique

Il y a de la mise en abyme dans cette affaire. Au début des années soixante-dix, Jacques Deray et Jean-Claude Carrière sont à Los Angeles pour travailler sur un projet qui devrait, si tout se passe bien, déboucher sur une coproduction franco-américaine, mais les choses se passent mal : les Américains ne sont pas convaincus par le sujet qu’on leur propose. Deray et Carrière devraient en bonne logique faire leurs valises et rentrer à Paris, mais Carrière, refusant de s’avouer vaincu, propose au producteur Jacques Bar, présent avec eux à Los Angeles, de concocter vite et bien un scénario s’apparentant au genre du film noir. En douze jours, il écrit une histoire qui s’inspire un peu de leur propre situation, puisque le personnage central est un Français qui, ayant exécuté un « contrat » à Los Angeles, ne peut pas, puis, même lorsqu’il réussit à se procurer un faux passeport, ne veut pas rentrer en France, estimant plus judicieux de rester sur place pour régler leur compte à ceux qui ont décidé de l’éliminer.


Cette fois-ci, « la mayonnaise prend » : les Américains donnent leur aval, à condition toutefois que le Frenchie soit interprété, non par Lino Ventura - dont le nom ne dit rien au public américain -, mais par Jean-Louis Trintignant, qui, avec Un homme et une femme en 1966, a acquis le statut de vedette internationale. Face à lui, Roy Scheider (curieusement, les deux comédiens se croisent aussi la même année dans L’Attentat de Boisset). Pour les femmes fatales, Ann-Margret (partenaire de Delon six ans plus tôt dans Les Tueurs de San Francisco, également produit par Jacques Bar) et Angie Dickinson (mais celle-ci femme fatale malgré elle, puisqu’elle est bien plutôt victime du destin).

Jean-Claude Carrière peaufine et américanise son scénario avec l’aide de Ian McLellan Hunter, scénariste qui avait été le prête-nom de Dalton Trumbo pour Vacances romaines pendant la période du maccarthysme, ce qui, si l’on peut dire, ne l’avait pas empêché d’être blacklisté à son tour. Là encore, il n’est pas exclu que ce retournement vécu ait trouvé un écho dans le scénario : le tueur chargé d’éliminer Bellon risque fort de se retrouver comme lui dans la situation de l’arroseur arrosé, puisqu’ils ont tous les deux le même commanditaire.


L’intrigue n’est pas, à vrai dire, d’une originalité confondante. On pourra à la rigueur qualifier d’« œdipien » son principal twist, mais ce à quoi nous assistons, c’est essentiellement, de l’aveu même de Jean-Claude Carrière, une course-poursuite obéissant au schéma traditionnel marabout-bout de ficelle-selle de cheval, et parfois même oubliant ce schéma, puisqu’il arrive qu’on saute du marabout à la selle de cheval sans passer par le bout de ficelle. Ajoutons que, si c’est la vraisemblance qu’on recherche, la version française - la seule disponible, on se demande bien pourquoi - ne fait rien pour arranger les choses, puisque l’intrigue est centrée autour d’un outside man (titre américain du film), autrement dit d’un homme se livrant à une activité qui n’est pas normalement la sienne, se débattant dans un pays qui n’est pas le sien, où l’on parle une langue qui n’est pas sa langue (ainsi, à un moment donné, un dialogue de sourds assez drôle sur le sens du mot downtown perd tout son sel dans la VF. (1)


Mais l’intérêt d’Un homme est mort n’est pas à chercher dans ces péripéties plus cousues de fil blanc que propres au film noir. Il est dans le voyage à travers le temps et à travers l’espace qu’il offre au spectateur d’aujourd’hui. Les discours de ce Jesus Freak ou les ricanements de ces Hell’s Angels que le héros croise sur son chemin, la taille monstrueuse - et très antiécologique - des voitures... tout cela peut nous sembler un brin outré, mais c’est bien ce qui avait cours il y a un demi-siècle. Et, même si nous l’avions oublié, en 1972 il fallait encore passer par une opératrice et attendre au moins un quart d’heure pour obtenir une communication téléphonique entre les États-Unis et la France.


First and not least, puisque c’est ce que nous annonce le long plan d’ouverture, avec sa vue de Los Angeles prise depuis un hélicoptère - cliché de tant de téléfilms, mais parfaitement légitime ici -, Un homme est mort est une promenade à travers une ville, promenade bien plus riche et bien plus vraie, comme l’expliquait un critique à l’époque, que ces visites guidées qui nous sont imposées dans nombre de productions américaines ne présentant souvent qu’un seul côté des choses. La course-poursuite de ses deux tueurs permet à Deray de traîner sa caméra dans tout un éventail de quartiers, de montrer que Los Angeles ne se limite pas à Beverly Hills et à la luxueuse propriété d’Albert Broccoli (puisque c’est chez lui que certaines scènes ont été tournées), que cette usine à rêves est aussi une ville de terrains vagues, de ruines, de misère et de crasse, ce qui nous vaut, au détour du chemin, certaines séquences non dénuées d’un petit parfum antonionien (Profession : reporter est arrivé trois ans plus tard) et d’autres qui - because of the Carrière connection, sans doute - ont un goût de folle lucidité buñuelienne : la fusillade à l’intérieur d’un salon mortuaire, sous les yeux (si l’on peut dire) du défunt assis sur un fauteuil, tenant cigare et apprêté comme s’il était encore vivant - voir à ce sujet l’article du New York Times, avec d’authentiques photographies (2) - n’aurait certainement pas déplu à André Breton et son gang de surréalistes.

Ce réalisme fantastico-humoristique et cet hommage au cinéma qui s’exprime, discrètement mais sûrement, à travers chaque séquence font d’Un homme est mort l’un des films de Deray qui résistent le mieux au temps.

(1) Tout cela n’empêche pas qu’un dialogue coach américain soit crédité dans le générique de fin de la VF !
(2) https://www.nytimes.com/2014/06/22/us/its-not-the-living-dead-just-a-funeral-with-flair.html?_r=0

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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Albert Lévy - le 6 septembre 2021