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Critique de film
Le film
Affiche du film

Mesures contre les fanatiques

(Massnahmen gegen Fanatiker)

L'histoire

Les employés d’un hippodrome défilent devant la caméra d’Herzog. Leur passion pour les chevaux semble avoir eue des effets pour le moins dévastateurs sur leur raison…

Analyse et critique

Herzog tourne ce petit film dans un hippodrome de Munich. On trouve pour la première fois à la photo Jörg Schmidt-Reitwein, l’assistant de Thomas Mauch qui a travaillé sur les premiers films d'Herzog. Les deux hommes seront les collaborateurs réguliers du cinéaste. Mauch tournera dix films avec Herzog, leur dernière œuvre commune étant Fitzcarraldo en 1982. Il signe par ailleurs la photographie des films d'Edgar Reitz, d'Helma Sanders-Brahm ou encore d'Alexander Kluge. Schmidt-Reitwein travaillera quant à lui seize fois avec Herzog, leur dernière collaboration remontant à 2001 avec Pilgrimage, son assistant Rainer Klausmann prenant à son tour la relève pour un temps.

Le film est construit sur une succession d'interviews d'employés du champ de course. Leurs interventions sont complètement incongrues, leurs témoignages absurdes. Un vieil homme surgit périodiquement dans le champ de la caméra et essaye de chasser les personnes interrogées. Il vocifère contre ces soit disant spécialistes qui n’y connaissent rien, clame qu'il ne faut pas prêter attention à leurs élucubrations. Un jeune homme vient aussi à intervalle régulier perturber l'interview, expliquant qu’il est là pour défendre les chevaux contre d’invisibles fanatiques. Lorsque les deux hommes se retrouvent finalement ensemble dans le plan, ils tournent en rond dans leurs délires, jusqu’à ce que les mots s'épuisent. Le jeune est finalement chassé et Herzog le retrouve dans le dernier plan du film près d’un étang. Il explique que dorénavant il protège les flamands roses des fanatiques, mission bien moins dangereuse que celle de l'hippodrome car dans ce parc où il a élu domicile, les gens se révèlent plutôt inoffensifs.

On retrouve dans ce court métrage burlesque quelques images des précédents films d'Herzog, ici recyclés sous une forme comique : des ennemis et un danger invisibles, le langage qui tourne en rond et se vide de sens, le décalage qui existe entre les réalités de chacun, la capacité de l'homme à fabriquer son propre monde à partir d'un réel commun...

Absurde et comédie

Après deux œuvres discrètement humoristiques, La Défense sans pareil et Dernières paroles, Herzog se laisse ici pleinement porté par son goût pour l'absurde et il est important de rappeler que nombre de ses films peuvent aussi être perçus comme des comédies. C'est souvent la voix off qui dégage ce potentiel comique, prenant le contre pied délibéré de ce qui advient à l’écran, s’autorisant des digressions narratives, partant dans quelques extrapolations loufoques. Le regard caméra utilisé par Herzog est un autre outil, le cinéaste filmant régulièrement ses personnages comme les sujets d’une photographie, les yeux plantés dans ceux du spectateur. Ces longs plans fixes où le personnage filmé est immobile devant la caméra reviennent dans la plupart de ses films. La caméra est alors utilisée comme un vieil appareil photo demandant un long temps d’exposition. Le sujet doit rester immobile, doit garder la pose. Ces plans sont surtout très présents dans les documentaires car le sujet filmé – qui appartient au régime du « réel » - devient dès lors acteur. Herzog rappelle par ce procédé très simple que chaque protagoniste d’un documentaire est de fait un acteur.

Les digressions de la voix off - qui prend soudainement sa liberté, s'affranchit de sa fonction de narrateur et de guide - et l'usage des regards caméra brisent le pacte entre le spectateur et le film, ce qui participe d'une démarche situatonniste, ce mouvement n'étant pas sans influence sur le cinéma d'Herzog. Sortir le spectateur de son rôle de consommateur, le faire participer à l'œuvre est l'un des buts que s'est fixé l'Internationale Situationniste et c'est une chose sur lequel le cinéma d'Herzog travaille constamment. Guy Debord appelait à « un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». Herzog propose ainsi une vision burlesque du monde, un regard décalé sur la société. Il nous glisse dans la peau de Kaspar Hauser et nous invite, par l’usage de l’absurde et de l’incongru, à regarder le monde qui nous entoure d'un œil neuf. On se rend alors compte, avec ce recul et ce regard un peu de biais conditionné par la mise en scène d'Herzog, que notre société offre quotidiennement suffisamment de situations absurdes et de fonctionnements délirants pour nourrir sans peine d’innombrables comédies sans scénaristes.

Cela étant, il faut préciser que le sens de l’humour d’Herzog est si particulier que ses films provoquent rarement des éclats de rires. Le comique s’accompagne souvent chez lui d’un sentiment de malaise, d’une sourde inquiétude. Ainsi, deux nains aveugles qui se battent à coups de cannes sans jamais se toucher (Les Nains aussi ont commencé petits) forment un tableau aussi comique que profondément dérangeant. Ce même sentiment se dégage de Mesures contre les fanatiques, œuvre certes mineure mais très parlante quant à cet aspect souvent oublié du cinéma d'Herzog.

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Par Olivier Bitoun - le 25 décembre 2009