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Critique de film
Le film
Affiche du film

Valdez

(Valdez Is Coming)

Analyse et critique

Valdez Is Coming est un western modeste mais qui, sans connaître les development hells propres à certains projets hollywoodiens, a mis un certain temps avant de se monter. À l’origine, un roman d’Elmore Leonard, écrivain connu entre autres pour son utilisation « flaubertienne » du discours indirect libre, permettant au lecteur d’entrer directement dans la pensée de ses personnages, et pour les éléments sociaux très souvent présents dans ses récits (qu’on pense par exemple à son scénario devenu roman Mr. Majestyk, avec, au centre de l’action, tout un groupe de travailleurs immigrés). Il n’est donc pas étonnant que son roman Valdez Is Coming (édité en France dans la collection Rivages sous le titre Valdez arrive !) ait dans un premier temps retenu l’attention de Sydney Pollack. Il en reste d’ailleurs quelque chose, au moins indirectement, puisqu’on trouve au générique le nom d’un fidèle complice de celui-ci, le scénariste David Rayfiel, même s’il convient de préciser que, selon certaines sources, le scénario initial aurait été très largement réécrit par Roland Kibbee, vieux complice, lui, de Burt Lancaster, qui n’avait pas craint de le défendre lorsqu’il avait été victime du maccarthysme.

Rayfiel passa le relais à Kibbee quand Pollack abandonna le projet. L’histoire officielle ne dit pas pour quelle raison il l’abandonna, mais on peut imaginer que le fait qu’il ait tourné trois ans plus tôt, et déjà avec Burt Lancaster, le western Les Chasseurs de scalps ne fut pas étranger à ce renoncement. À ce remaniement s’en ajouta un autre, peut-être lié. Au départ, le rôle du méchant devait être interprété par Lancaster et celui de Valdez par Marlon Brando. Mais Brando repartit comme il était venu quand Lancaster jugea bon de s’offrir préalablement un détour par Airport et de jouer les pilotes de ligne avant que d’enfourcher un cheval dans Valdez. Après l’atterrissage, Lancaster privé de Brando décida d’interpréter lui-même le rôle de Valdez, laissant celui du méchant à Jon Cypher, lequel avait déjà participé à de très nombreuses séries télévisées, mais n’avait encore jamais travaillé pour le cinéma. 


N’allons pas épiloguer sur ce jeu de chaises musicales. L’histoire du cinéma est tout entière faite de réalisateurs et d’acteurs qui auraient pu, qui auraient dû faire, mais qui finalement n’ont pas fait. Mais le fait que Burt Lancaster ait pu du jour au lendemain troquer le rôle du méchant contre le rôle du bon touche peut-être à l’essence même du film. Certes, Valdez est un western américain, mais il a été tourné en Espagne dans des décors sergioléoniens et, même s’il ne présente jamais la noirceur cynique ou désespérée d’un Grand silence ou d’un Tire encore si tu peux, il n’en navigue pas moins, en tout cas au départ, dans une sinistrose qui a forcément été influencée par toute une décennie de westerns italiens. Absurde est à cet égard, dans un texte de présentation, une phrase qui entend faire l’éloge de Valdez en conspuant le western spaghetti dans son ensemble. Heureusement, dans l’un des bonus, Jean-François Giré, auteur de l’indispensable volume Il était une fois le western européen, est là pour remettre les choses en place.

Pour évoquer cette grisaille morale, nous sommes amenés à faire ce qui est théoriquement interdit, mais ce que, dans les bonus, et Giré et Bertrand Tavernier et Yves Boisset ne peuvent s’empêcher de faire - raconter le film ! En tout cas, son premier acte. Car tous ces résumés qui nous disent que l’intrigue est lancée par le fait que Valdez tue un homme « par accident » sont pour le moins très inexacts. On ne saurait parler d’accident quand on sait - et on l’apprend assez vite - que Valdez est un tireur d’élite, capable d’atteindre une cible distante de plusieurs centaines de mètres. Or donc, Frank Tanner, propriétaire terrien, est soupçonné d’avoir assassiné le mari de sa maîtresse. Il est soupçonné à tort, mais ce n’en est pas moins une sinistre crapule, car il est le premier à se réjouir lorsque les soupçons se portent sur un Noir tout aussi innocent que lui et le premier à attiser l’hostilité de la foule à l’égard de ce malheureux totalement étranger à l’affaire. Les choses pourraient s’éclaircir et s’apaiser quand Valdez, shérif adjoint de la ville, arrive pour entamer des négociations avec les parties en présence, mais un homme de main de Tanner, croyant bien faire, se met à tirer sur le Noir innocent, qui se met à tirer sur Valdez (par qui il pense avoir été trahi), qui à son tour riposte et le tue.


Il n’y a donc pas là accident, mais enchaînement de circonstances déclenché par le cynisme de Tanner et de ses sbires. C’est la raison pour laquelle Valdez va trouver ces messieurs pour les prier de faire amende honorable en versant une indemnité à la compagne indienne du défunt, mais ces messieurs rient au nez de ce représentant de l’ordre qui n’a rien d’un WASP et qui (dans la V.O.) parle avec l’accent mexicain. Et même, pour faire bonne mesure, ils le torturent. Alors Valdez, bien plus persévérant qu’ils ne pouvaient l’imaginer, enlève la maîtresse de Tanner : il ne la rendra que si l’on accède à sa requête. À partir de ce moment-là commence une poursuite dans laquelle, très vite, on ne sait plus très bien qui sont les traqués et qui sont les traqueurs...

Nous en avons trop dit ? Qu’on se rassure, l’intrigue réserve d’autres surprises de taille, et sans doute convient-il ici de dire un mot du réalisateur. Edwin Sherin n’était pas encore le producteur de la série télévisée New York, Unité spéciale et n’avait jusque-là réalisé aucun film - il allait d’ailleurs en tourner un seul autre après Valdez -, mais il avait, en tant que comédien et metteur en scène, une grande expérience du théâtre, ce qui nous conduit à voir Valdez comme une espèce de huis clos en plein air, l’œil infaillible de Valdez lui permettant, comme on l’a dit, de nier les distances. L’espace, ici, est donc intérieur, dans tous les sens du terme. Et si, comme le clame le titre original, Valdez arrive, ce n‘est pas tant parce qu’il arrive dans on ne sait quel lieu que parce qu’il gagne ou regagne une dignité qu’il avait perdue - Lancaster conférant à ce misérable Mexicain l’autorité aristocratique qu’il incarnait dans d’autres films - et surtout parce que, comme l’annonçait sans le dire une image christique, en regagnant ainsi sa dignité il permet à plusieurs autres individus de regagner la leur. Valdez ne raconte donc pas l’histoire d’une vengeance, mais bien plus celle d’une libération. Et l’on n’aura aucun mal, aujourd’hui encore, ou surtout aujourd’hui, à voir ce film comme une parabole sur la démocratie. Signalons enfin que le principal rôle féminin est interprété dans Valdez par Susan Clark, comédienne qui connut au cinéma à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix une carrière météorique, autrement dit fulgurante et brève, face à Clint Eastwood dans Un shérif à New York ou à Robert Redford dans Willie Boy ou une nouvelle fois face à Lancaster dans Le Flic se rebiffe. Elle fait partie des météores que l’on n’oublie pas.


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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Albert Lévy - le 12 mai 2022