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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Flic se rebiffe

(The Midnight Man)

L'histoire

Jim Slade est un ex-flic condamné pour le meurtre de sa femme. Alors qu’il est libéré sur parole, son ami Quartz, ancien policier lui aussi, lui fournit un domicile et un travail : surveillant de nuit dans le lycée local. Slade s’installe, sympathise avec Linda, son officier de probation, et prend à cœur son nouveau travail. Alors qu’un meurtre à lieu au lycée, Slade retrouve ses vieux réflexes de flic. Devançant la police locale qui croit avoir résolu l’affaire en quelques heures, il s’enfonce dans un incroyable enchevêtrement criminel.

Analyse et critique

S’il existe un acteur hollywoodien dont la carrière mérite d’être suivie dans ses moindres détails pour la richesse et l’audace de ses choix, il pourrait bien s’agir de Burt Lancaster. D’abord acteur hollywoodien dans toute sa splendeur, révélé au public de l’immédiat après-guerre par Robert Siodmak dans Les Tueurs et élevé au statut d’incarnation de l’Américain beau et triomphant grâce à des films comme Le Chevalier du stade ou Tant qu’il y aura des hommes, Lancaster acquiert une conscience politique et artistique au contact de Robert Aldrich ou de son ami Kirk Douglas qui va le conduire à construire une filmographie bien plus atypique dans la seconde partie de sa carrière. Ceci se traduit par la présence régulière de l’acteur sur les plateaux de cinéastes européens prestigieux, de Luchino Visconti à Louis Malle, et par sa participation régulière à des films novateurs et engagés pour lesquels il n’hésite pas à remettre entièrement en cause son image de symbole du rêve américain. Cette carrière n’est pas simplement le fait du hasard mais un choix assumé par Lancaster, qui pèse de tout son poids pour permettre la production de films marquants, comme le remarquable The Swimmer de Frank Perry. Pour mieux compléter son expérience artistique, l’acteur s’essaye également à la production en montant sa propre structure, Norlan Productions, et en s’essayant à la réalisation, d’abord pour L’Homme du Kentucky en 1955 et une seconde fois en 1974 pour le film qui nous intéresse ici, Le Flic se rebiffe.


Pour la seule et unique fois de sa carrière Lancaster assume même simultanément les casquettes d’acteur, de réalisateur, de scénariste et de producteur du film, partageant ces trois derniers rôles avec Roland Kibbee, ami de l’acteur et plus connu pour son travail de scénariste, notamment sur le Vera Cruz de Robert Aldrich. Naturellement, ce film pourtant méconnu attise donc la curiosité, et l'on peut s’attendre à une œuvre assez personnelle pour l’acteur. L’intrigue policière du film est le prétexte d’une confrontation entre Slade, l’ex-policier vieillissant incarné par Lancaster, et la jeunesse du lycée dans lequel il travaille comme surveillant de nuit. C’est flagrant, notamment dans la scène où il est confronté à l’amant de la jeune Nathalie, un beau gosse lascivement allongé face à un Lancaster aux tempes grisonnantes, droit dans ses bottes. Une situation qui semble métaphorique de celle de l’acteur soixantenaire, idole des décennies précédentes confrontée à une nouvelle génération, et qui n’est pas sans rappeler le propos de The Swimmer tourné quelques années plus tôt. On comprend que ce sujet, accompagné d’une intrigue particulièrement solide, a dû séduire Lancaster qui trouvait là un écho à sa propre situation. L’acteur assume totalement son personnage, ne masquant pas son âge et soulignant même son appartenance à une autre époque lorsqu’il déclare à son officier de probation : « Je suis vieux jeu. » Le Flic se rebiffe confronte le vieux lion Lancaster - ou plutôt le vieux guépard - au monde moderne.

L’intrigue en elle-même est une enquête qui croise deux schémas traditionnels. Le premier est celui du whodunit typique, où chaque personnage rencontré pourrait faire un coupable tout à fait convaincant avant que la démonstration finale ne révèle une vérité plus complexe. Ici, et de matière plus marquante que dans d’autres films du même genre, chacun est sûrement effectivement coupable de quelque chose, au moins moralement si ce n’est pas en lien avec l’affaire au cœur de l’intrigue. La vision du monde proposée dans Le Flic se rebiffe est très sombre, chacun semble pourri dans ce film à l’exception des personnages jeunes, ce qui, si l’on reste dans l’interprétation métaphorique, souligne l’acceptation par Lancaster de la nouvelle génération cinématographique. Cette atmosphère pesante est aussi la marque du second schéma mis en œuvre par le film, celui du film noir. Le destin entraîne Slade dans une situation inextricable et dangereuse, et chacun de ses pas l’enfonce un peu plus, avec bien souvent un ou plusieurs morts à la clé. Le résultat est un film de détective que l’on pourrait comparer aux nombreuses œuvres du genre tournées à l’époque, mais dans une veine beaucoup plus noire que l’ambiance cool des excellents films mettant en scène le personnage de Tony Rome par exemple, dans un milieu social moins huppé également, et dans une atmosphère beaucoup plus tendue.


Le récit, construit autour d’une intrigue habile, démarre de manière un peu routinière. Un sentiment dû en partie à la présentation des différents protagonistes, passage obligé du genre, mais aussi et surtout à la construction de la relation amoureuse entre Slade et Linda, son officier de probation. Cette histoire d’amour nous semble assez factice et amenée de manière un peu lourde, et il faut certainement en faire porter la responsabilité à l’actrice Susan Clark, pourtant à l’aise dans d’autres films mais bien peu convaincante ici dans un rôle qu’elle aborde avec beaucoup de raideur. Le Flic se rebiffe démarre réellement dans sa seconde partie, alors que le jeu de massacre s’accélère et que le mystère s’épaissit. Lancaster réalisateur fait alors la preuve d’un sens du rythme particulièrement appréciable. La deuxième heure du film est passionnante et constitue une réussite totale, que n’atténue pas l’élimination par Slade de trois frères un peu diminués traitée par le cinéaste de manière expéditive. Et puis Le Flic se rebiffe est surtout un écrin remarquable pour le talent d’acteur de son auteur, qui campe un personnage immédiatement attachant par le mélange de ses faiblesses et des valeurs qu’il défend. Lancaster domine de la tête et des épaules son casting, duquel émerge tout de même l’excellent Harris Yulin dont le jeu dans la peau du policier Casey s'avère très riche.

Il est difficile de trouver aujourd’hui la moindre trace du Flic se rebiffe, oublié de la plupart des anthologies. Une situation qui nous semble injuste : s’il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre, Burt Lancaster nous offre tout de même un polar tout à fait convaincant, doublé d’une performance d’acteur remarquable. Une nouvelle belle réussite dans la filmographie décidément pleine de surprise de l’inoubliable interprète du Prince Salina.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 14 septembre 2017