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Critique de film
Le film
Affiche du film

Willie Boy

(Tell Them Willie Boy Is Here)

L'histoire

Willie (Robert Blake) aime Lola (Katharine Ross) et Lola aime Willie. Mais le père de Lola déteste Willie et menace très sérieusement de le tuer s’il ne s’éloigne pas d’elle. Lorsque, armé d’un fusil, ce père possessif surprend les deux amants ensemble au milieu de la forêt, Willie parvient à lui arracher son arme et le tue. Légitime défense ? Sans doute. L’affaire pourrait donc s’arrêter là et la situation cornélienne se résoudre, comme dans Le Cid, par une conclusion au moins relativement optimiste, puisque Lola reste aux côtés de Willie. Mais tout se complique du fait que l’enquête sur ce fait divers au départ purement indien est conduite par un shérif blanc qui ne raisonne pas forcément comme des Indiens et qui, de toute façon, dépend d’instances supérieures...

Analyse et critique

Lorsque, en septembre 1969, Butch Cassidy and the Sundance Kid sort dans les salles américaines, le réalisateur George Roy Hill et le scénariste William Goldman ne se font guère d’illusions sur la carrière du film. Kid va rimer avec bide. Si une avant-première à Yale a, grâce à la présence de Paul Newman, suscité un enthousiasme hystérique chez les étudiants - Joanne Woodward, l’épouse de Newman, a même été précipitée par terre dans la bousculade générale -, les projections de presse qui ont suivi ont été désastreuses. Dans le New Yorker, Pauline Kael, grande prêtresse de la critique cinématographique à l’époque, a enterré le film dans un article intitulé The Bottom of the Pit (« Au fond du trou »), et, à New York, les spectateurs ne se précipitent guère dans les salles qui le programment. Mais New York n’est pas l’Amérique, et - surprise ! - au bout de quelques semaines, Butch Cassidy et le Kid devient le succès mondial que l’on sait.


Certains se sont malicieusement demandé si ce succès n’était pas plus dû à la chanson Raindrops Keep Fallin’ on My Head composée par Burt Bacharach et Hal David qu’au film lui-même, mais tout le monde ne se pose pas alors ce genre de question : puisque cette production Fox a fait en quelques semaines de Robert Redford une star, les responsables d’Universal décident de sortir deux mois plus tard un film tourné par celui-ci juste avant Butch Cassidy et qu’ils ne savaient pas trop comment « vendre », Tell Them Willie Boy Is Here. Et tant pis si l’affiche qui fait la part belle à Redford prête à confusion, car non, ce n’est pas lui qui interprète Willie (même si c’est ce rôle que les producteurs lui avaient proposé au départ...). L’essentiel est que le public morde à l’hameçon.


Mais il se produit pour Willie Boy l’inverse de ce qui s’est produit pour Butch Cassidy : enthousiasme de la critique, mais, commercialement, carrière de film « d’art et essai ». Si ces deux westerns ont un certain nombre de points communs - dans l’un et l’autre, outre Redford, on trouve Katharine Ross ; l’un et l’autre s’inspirent d’événements historiques réels ; l’un et l’autre ont pour trame principale une chasse à l’homme... -, une différence majeure les sépare. Même si les deux héros de Butch Cassidy sont abattus à la fin, dans un mémorable freeze frame, par le posse (la milice) qui les traquait, le scénario de William Goldman, au mépris de la vérité historique (le vrai Sundance était un tueur au sang très froid), a fait d’eux des espèces de Pieds Nickelés et a choisi de traiter leur aventure sur le ton de la comédie. En optant au contraire d’un bout à l’autre pour des demi-teintes, avec des protagonistes dont aucun, qu’il soit Indien ou Blanc, n’est totalement responsable des événements qu’il déclenche, Abraham Polonsky, scénariste et réalisateur, nous invite à suivre les différentes étapes d’une tragédie.


Sans doute avait-il beaucoup de mal à imaginer qu’on puisse traiter sur le mode farcesque une chasse à l’homme, lui-même ayant été victime d’une chasse aux sorcières qui l’avait écarté des plateaux durant plus de vingt ans - le maccarthysme. Entre Force of Evil (L’Enfer de la corruption), son premier film, et Willie Boy, il avait certes continué à travailler comme scénariste - par exemple, pour Le Coup de l’escalier, en 1959 -, mais uniquement comme scénariste, et en se dissimulant derrière des prête-noms. C’est donc son histoire que Polonsky raconte d’une certaine manière dans Willie Boy - son histoire, et aussi celle de la difficulté pour toute une société de retrouver son équilibre après avoir été gangrénée par une idéologie douteuse et néfaste, certaines plaies refusant de se cicatriser. Tout cela dit à demi-mots, comme si le scénariste Polonsky avait décidé de laisser à Polonsky réalisateur le soin de conduire l’essentiel de son récit à travers des images (il semble même qu’il ait été contraint par le studio de raccourcir considérablement la dernière partie du film, qui devait être une poursuite muette durant plus d’une demi-heure). Redford, qui interprète dans cette affaire le rôle du shérif Cooper, et dont le jeu se caractérise le plus souvent par ce qu’un critique américain a judicieusement nommé son « inscrutable silence », s’inscrivait idéalement dans cette « partition ». (1)


Donc, tout comme Polonsky qui s’était exilé cinq ans à Paris pendant sa période « noire », Willie revient au pays. D’où revient-il ? Nous ne le saurons pas. Une ou deux répliques nous feront comprendre qu’il a fait de la prison et qu’il ne s’en est toujours pas remis, mais on ne nous dira pas précisément pour quel motif. Pour avoir déjà essayé une première fois d’enlever Lola, la jeune fille qu’il aime ? Peut-être... Toujours est-il que la fête de la réserve indienne au cours de laquelle il retrouve celle-ci va très vite devenir une fête funèbre, puisque, comme on l’a dit, les circonstances l’amènent à tuer l’homme qui ne veut pas de lui pour gendre.


Après quoi commence le récit, en apparence on ne peut plus traditionnellement westernien et on ne peut plus linéaire, de la poursuite du hors-la-loi par le shérif, mais cette linéarité est constamment parasitée et remise en question par des éléments extérieurs. Le shérif, par exemple, n’est pas tout seul, puisqu’il s’entoure, conformément à la procédure en vigueur dans ce genre de situation, d’un posse, autrement dit d’une brigade, d’une milice composée de civils. Or, il doit composer avec, parmi ceux-ci, un modéré qui décide assez vite de renoncer à la traque et un réac qui ne rêve que de casser de l’Indien. Nous découvrons aussi que ce shérif a pour maîtresse la superintendent (la directrice) de la réserve indienne (2), mais que leurs rapports amoureux sont souvent très « tendus ». Peut-être à cause de la rivalité qui s’installe entre eux ? Lui doit retrouver son Indien, et ce d’autant plus que le Président des États-Unis choisit ce moment-là pour honorer la ville d’une visite officielle ; elle prétend mieux connaître que lui les us et coutumes de ses Indiens - elle sait par exemple que, chez eux, enlever une femme peut être une manière rituelle de l’épouser -, cependant que le Président, qu’elle était si fière de rencontrer, lui fait comprendre qu’un superintendent de sexe masculin serait plus apte à exercer ses fonctions. Bref, tous les événements baignent en permanence dans des ambiguïtés et des contradictions qui indiquent que les choses ne sont jamais réglées définitivement (autrement dit, que le maccarthysme, le racisme, le machisme et tutti quanti n’ont jamais totalement disparu). Il y a aussi ce sourire d’une jeune femme morte, qui pourrait faire penser à une « mort heureuse », et donc à un suicide, mais qui n’est autre en réalité que le premier signe de la décomposition de son corps.


C’est donc très logiquement que Willie Boy se termine sur un plan où tout l’écran est envahi par de la fumée. Mais ce plan n’est pas forcément désespéré, puisque l’ambiguïté se fait là positive, la fumée étant celle du bûcher dressé par les Indiens pour incinérer Willie (oui, il meurt à la fin...). Un représentant de « l’ordre » vient reprocher à Cooper d’avoir donné aux Indiens l’autorisation de procéder à ce rituel : « Tu sais bien que les gens veulent toujours voir quelque chose ! » - « Tell them we ran out of souvenirs », répond sèchement Cooper. Formule difficile à traduire, souvenirs désignant en anglais uniquement des souvenirs du type Tour Eiffel miniature ou t-shirts I love NY. La VF s’en tire assez bien par la formule : « Dis-leur que nous n’avons plus de souvenirs à vendre. » Ce qui ne signifie pas pour autant que la mémoire n’a plus sa place. Incinéré selon les rites indiens, Willie continue d’être indien au-delà de la mort, et la réplique qui donne son titre original au film, « Tell them Willie Boy is here » (et à laquelle la dernière phrase de Cooper fait écho), tristement ironique lorsque Willie la prononçait, doit être désormais prise au pied de la lettre : Willie Boy est toujours là même quand il n’est plus. Et Polonsky est toujours là lui aussi, à travers son film.

(1) Il devait cependant déclarer plus tard qu’il regrettait que les rapports entre Polonsky et ses comédiens aient été marqués par un certain « détachement émotionnel » (il avait beaucoup plus ri pendant le tournage de Butch Cassidy), celui-là ne voyant dans ceux-ci que des outils, ce parti pris « mécaniste » s’étant en outre retourné contre lui, dans la mesure où une large partie de la mise en scène avait été accaparée par le chef opérateur Connie Hall, mari de Katharine Ross, et lui-même réalisateur à ses heures : « J’aimais le scénario. J’aimais le projet que représentait ce film, mais il a échappé au contrôle d’Abraham Polonsky pour devenir quelque chose d’autre. » Qui peut dire aujourd’hui si ces propos de Redford reflètent vraiment la réalité du tournage ? Tel qu’il est en tout cas, et à travers ce motif même de la désagrégation qui le parcourt de bout en bout, y compris dans la musique « anti-mélodique » de Dave Grusin, Willie Boy se caractérise par sa remarquable unité de ton.
(2) Cette superintendent est interprétée par Susan Clark, comédienne un peu oubliée aujourd’hui, mais qui eut son heure de gloire en étant la partenaire de Clint Eastwood dans Un shérif à New York ou de Burt Lancaster dans Valdez, ou encore de Dean Martin dans Du sang dans la poussière.

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La fiche IMDb du film

Par Frédéric Albert Lévy - le 27 octobre 2021