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Critique de film
Le film
Affiche du film

Une hache pour la lune de miel

(Il rosso segno della follia)

L'histoire

Héritier d’une maison de couture qu’il sauve de la faillite, John Harrington présente le profil d’un individu équilibré. Des apparences trompeuses car, sous l’emprise d’un traumatisme remontant à l’enfance, il cède à ses pulsions meurtrières dès qu’une femme en robe de mariée entre dans son champ de vision. Coupable d’une dizaine d’assassinats, il tente toujours de se dominer. En vain car, déjà tueur de belles clientes et de sa propre épouse, il voit désormais partout le fantôme de cette dernière. Bien qu’aujourd’hui amoureux d’une séduisante employée, le cauchemar ne s’arrête pas, l’élue de son cœur s’occupant du salon nuptial de son atelier...

Analyse et critique

« Je m’appelle John Harrington. J’ai 30 ans et je suis paranoïaque. Paranoïaque... Quel mot charmant, civilisé, plein de possibilités. En fait, je suis complètement fou. »

Au contraire de ces précédents gialli et d’un genre dont Mario Bava a tracé les lignes, Une hache pour la lune de miel affiche dès ses premières minutes ses thématiques principales. Pas de mystère sur le tueur mais plutôt une vue à la première personne de son esprit malade. John Harrington, bel éphèbe héritier d’une maison de haute couture, vit en France dans une imposante villa (lieu de tournage ayant appartenu au Général Franco !). Il est marié avec une femme (Laura Betti, plutôt une habituée de Pasolini) mais leur couple ne fonctionne plus. Il ne fonctionne d’ailleurs plus depuis leur mariage. Le mariage qui est au centre de son quotidien puisque la maison de couture qu’il a héritée de sa mère est spécialisée dans la confection de robes de mariée. John le sait, cela l’amuse même, il est un fou dangereux. Un maniac (terme qui donnera son titre à un film partageant de nombreux points communs avec le long-métrage de Bava et réalisé par William Lustig en 1980).

Une hache pour la lune de miel s’ouvre du reste sur un meurtre. Un meurtre, dans un train, d’une femme en robe de mariée. Ce n’est pas le premier crime de John, et il annonce d’emblée que ce ne sera pas le dernier. Il est à la recherche de quelque chose. À la recherche de réponses à des cris de femmes qu’il entend depuis maintenant plusieurs années. Très rapidement, Bava ne va pas manquer de nous montrer le monde par les yeux de son personnage malade. Effets de miroirs, visions déformées, distordues, John Harrington ne voit pas le monde extérieur comme les autres. Sa vision en est complètement psychédélique, rappelant parfois les expérimentations « vasarellienne » d'Henri-Georges Clouzot dans La Prisonnière (1968).


Il est à la fois un adulte charmeur et responsable d’une entreprise, mais également un enfant en quête de construction. Du train roulant inaugural, Bava raccorde le plan suivant grâce à un autre train sur des rails, mais ceux-ci miniatures. John a conservé ses jouets d’enfants, sa chambre est restée intacte. La maestria de Bava s’observe d’ailleurs à nouveau lors d’une scène dans sa chambre avec la jeune et belle mannequin Helen (Dagmar Lassander) qui cherche à séduire son récent patron. Le réalisateur italien accumule les plans sur divers jouets en bois et objets mécaniques en mouvement, présents dans la pièce et qui agissent comme des fétiches. Ces objets contiennent des souvenirs dont Harrington cherche à s’approcher. John tue alors plus par nécessité, besoin, que par pur plaisir de l’acte. Il tue pour débloquer, meurtres après meurtres, les images distordues qui se matérialisent dans sa psyché. Si chez lui se déclenche une pulsion incontrôlable lorsqu’il voit une femme en robe de mariée, il fétichise également avec passion cette vision. Il est à la fois extrêmement attiré par les femmes qui vont se marier, par les mannequins qui travaillent pour lui, mais ne peut en même temps absolument plus supporter la vision de sa propre femme. Il est lié à elle par le sacro-saint mariage, et même lorsqu’il parvient enfin à la tuer, celle-ci revient le hanter. Les liens du mariage, même dans la mort ?


Une hache pour la lune de miel, à l’instar du fantôme Laura Betti, navigue entre deux univers, entre deux histoires, pratiquement entre deux scénarios. Lorsque le producteur espagnol Manuel Caño propose le scénario à Bava, celui-ci accepte rapidement ce qui sera un projet d’une envergure plus réduite que son film précédent, Danger Diabolik, sorte de relecture italienne du mythe de James Bond sous format bande dessinée, où il a côtoyé le magnat Dino De Laurentis. Au départ « simple » histoire de tueur en série maniaco-dépressif amateur de femmes mariées, le scénario semble gagner en épaisseur avec l’arrivée de Laura Betti dans le rôle de la femme de John Harrington. Sous l’impulsion de la comédienne, qui s’impliquera dans l’écriture, Une hache pour la lune de miel va devenir une œuvre multiple.

Là où le film aurait pu rester une succession de meurtres sanglants avec un embryon d’enquête policière (le policier débarquant à répétition chez le psychopathe semble sortir tout droit d’un vaudeville), Bava matérialise autre chose. La première partie du long-métrage expose aux spectateurs les problèmes de John tandis que les meurtres, attendus sanglants parce que film de Bava et giallo, ne le sont pas (Bava fera exploser toute la violence lors de son film suivant, posant les jalons du slasher, La Baie sanglante). L’esthétisation habituelle de la violence que l’on retrouve dans les gros plans sur la hache (ou plutôt le hachoir) qui coupe à la fois l’image et les différentes couches du traumatisme vécu par le jeune John. Une fois arrivé au fond de sa psyché, de son âme, après avoir traversé les différents cercles de son esprit malade, John accédera finalement à la vérité.

Ayant mis en sommeil un complexe d’Œdipe, l’homme se travestira même pour accomplir le meurtre de sa femme. Influence matricielle de Psychose sur tout le cinéma qui suivra, John devient à la fois le marié et la mariée. Il se libère de l’emprise néfaste du mariage, du couple. Impuissant, il exècre le mariage depuis que sa mère s’est remariée avec un autre homme. Lui, le jeune garçon amoureux de sa maman, ne pouvait supporter cette vision. En reproduisant, encore et encore, le meurtre originel, il parvient à la fin de sa quête. Lorsqu’il est finalement arrêté par le policier-Charlot, et que le spectateur découvre sans grand intérêt que Helen était finalement une policière infiltrée, il reste stoïque. Il est comme apaisé... avant de retrouver le fantôme de sa femme, le fantôme d’un mariage auquel ils sont liés pour le meilleur et... pour le pire.


Le film, qui se termine sur cette scène, marque alors encore un peu plus sa double appartenance. Il est avéré que l’arrivée de Laura Betti sur le plateau a modifié un scénario bien mince, mis en concurrence les histoires et même les actrices (Dagmar Lassander aurait évoqué son mécontentement à Bava) et créé un entre-deux, un film entre récit à la première personne type « psycho-killer » et film surnaturel, film d’épouvante avec fantôme, accentuant la confusion entre univers réel et fantasmé. À l’instar de Luis Buñuel dans La Vie criminelle d’Archibald De La Cruz, on peut penser que le personnage principal rêve totalement le film. Notamment parce que le fantôme de sa femme, d’abord, est perçu seulement par les autres mais non par lui-même et que plus tard, il sera perçu seulement par lui mais plus par les autres. Aussi car Bava, par le cinéma, fait se rejoindre au sein d’un même plan, l’homme adulte et le jeune garçon, à la recherche de réponses l’un et l’autre. Les deux récits se rejoindront finalement pour parvenir à expliquer la complète névrose du personnage-psychopathe.


Une autre influence majeure apparaît également dans Une hache pour la lune de miel. C’est le cinéma de Bava lui-même. John Harrington, comme le cinéaste italien, est également attiré par les mannequins. Mannequins qui étaient déjà présents dans Six femmes pour l’Assassin (un des nombreux thèmes communs aux deux films) mais aussi dans Le Corps et le fouet ou encore dans Lisa et le diable. Le terme mannequin est bien sûr, dans Une hache pour la lune de miel, à double sens. Il désigne à la fois de sublimes créatures féminines mais aussi des objets inanimés, des pantins. Les deux se rejoignent d’ailleurs lorsque l’une des prochaines victimes du tueur, revêtant une robe de mariée dans la salle des mannequins (encore une vision purement « bavienne »), prend la « pose » sans vie d’une poupée. S’amuse-t-elle de la situation ou est-ce la vision de John ? Le mannequin en tant qu’objet pourrait également s’apparenter à la figure de l’acteur tant Bava semble utiliser l’inexpressivité et les limites de l’acteur Stephen Forsyth pour parvenir à ses fins, ainsi que la beauté pouponne des actrices Dagmar Lassander et Femi Benussi. Dans un autre registre, Bava profitera également d’une scène pour s’auto-citer de manière ingénieuse en faisant regarder à ses personnages l’un de ses précédents films, Les Trois visages de la peur, et en utilisant le cri féminin de l’un des segments avec Boris Karloff comme alibi pour le tueur. Comme s’il n’y avait qu’un cri venu du cinéma de Bava qui pouvait matérialiser la peur.


Le réalisateur italien se livre, comme souvent, à des compositions de plans hyper sophistiquées. À la fois lors des meurtres (les reflets sur la hache) mais aussi sur des scènes moins attendues comme lorsque le commissaire et ce jeune homme à la recherche de sa future femme viennent chercher des réponses chez le tueur en série tandis qu’à l’étage agonise sa propre femme. Visible grâce au reflet du sol nacré, le corps et la main ensanglantés déversent un sang immaculé à quelques centimètres des deux intrus. Encore, après avoir tué sa femme, John, qui exulte dans son lit, est filmé dans une très large plongée pour un type de plan que l’on retrouve aujourd’hui dans de nombreux longs-métrages mais également dans l’industrie musicale.

Faux giallo mais vrai film de Mario Bava, Le Signe rouge de la folie, dans la traduction littérale de son titre italien, n’aura pas les honneurs d’une sortie salles en France et rencontrera un succès relatif. Il sortira en vidéo dans les années 1980 sous le titre absurde de La Baie sanglante II (le premier sera réalisé en 1971 soit... un an après Une hache pour la lune de miel), participant de l’impression durable que Bava a souvent été difficilement compris, voir considéré. Inutile de préciser qu’aujourd’hui nombre de films de serial killer à la première personne lui sont redevables, parmi d’autres. C’est quelques années plus tard, en 1977, que les Talking Heads nous poseront d’ailleurs la question « Psycho Killer, qu’est-ce que c’est ? »

Qui mieux, alors, que Mario Bava pour répondre à cette question ?

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Damien Le Ny - le 9 février 2021