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Critique de film
Le film
Affiche du film

Un homme qui me plait

L'histoire

Henri (Jean-Paul Belmondo), compositeur de musiques de films vivant à Rome, part à Hollywood à la demande d’un réalisateur qui souhaite qu’il écrive sa partition au fur et à mesure du tournage des rushes. Françoise (Annie Girardot) est l’actrice principale du film sur lequel Henri travaille. Tous deux sont mariés mais Françoise succombe au charme d’Henri et ils deviennent amants. Ce qui devait n’être qu’une passade pour couper la monotonie d’une soirée ennuyeuse se transforme dès le lendemain en une escapade amoureuse à travers les Etats-Unis, le tournage du film étant interrompu durant une dizaine de jours. A la fin de ce voyage, ils promettent de se revoir en France. Mais vont-ils pouvoir mentir longtemps à leurs conjoints respectifs ?...

Analyse et critique

"La Nouvelle Vague eut aussi des imitateurs, tels Claude Lelouch ou Roger Vadim, dans une déclinaison considérée comme commerciale" pouvons-nous lire dans Wikipédia. Concernant Roger Vadim, difficile de trouver des points communs entre son cinéma et celui de la Nouvelle Vague ; en revanche, celui de Claude Lelouch, par sa liberté et ses innovations, son culot et sa fantaisie souvent sur le fil entre génie et ridicule, peut souvent y faire penser surtout dans les années 60 et 70. Un homme qui me plaît - tout comme son plus célèbre Un homme et une femme - aurait donc de fortes chances de plaire aux inconditionnels du réjouissant mouvement cinématographique lancé par Jean-Luc, François, Eric et les autres. La Nouvelle Vague ayant boosté le cinéma français de l’époque tout en étant complémentaire avec celui plus classique l’ayant précédé, ces deux écoles continueront à se côtoyer sans qu’il n’y ait encore aujourd’hui de raisons de les opposer pas plus que de les dénigrer, grands films et chefs-d’œuvre ayant continué à émerger de ces deux courants. Et pour en revenir à la phrase tirée de Wikipedia, si déclinaison commerciale il y a, c’est raté dans son but pour Un homme qui me plaît qui fut accueilli avec tiédeur et ne fit pas de miracles au box-office, pas plus d’ailleurs que l’autre film avec Jean-Paul Belmondo sorti la même année, La Sirène de Mississippi de Truffaut. Ce sont pourtant deux magnifiques histoires d’amour offrant d’insolents contre-emplois au comédien, qui fut d'ailleurs très satisfait de son travail avec Lelouch, de la "légèreté" qu’il avait apportée sur le tournage.


[Attention pour ceux que les spoilers défrisent : à partir de ce paragraphe et jusqu'à la fin du texte, l'on peut aisément deviner le final en partie déjà dévoilé par Lelouch lui-même]. A Yves Alion qui l’interrogeait en ce début d’année 2021, Claude Lelouch racontait ainsi la genèse de son film, ses intentions de départ et ses impressions : "C'est Alexandre Mnouchkine qui venait de produire Vivre pour vivre qui m'a pris à part pour me dire qu'il fallait absolument que je tourne avec Belmondo. C'est ainsi que j'ai retrouvé Jean-Paul. Nous avions fait l'un et l'autre un peu de chemin depuis notre première rencontre : il avait enchaîné un paquet de jolis films, j'avais de mon côté décroché une Palme d'or et deux Oscars. Mais aucun des deux n'a cherché à jouer les stars. Je lui ai dit que j'aimerais lui donner Annie Girardot - avec qui il n'avait jamais tournée - pour partenaire, pour filmer l'histoire d'une parenthèse amoureuse à l'occasion d'une traversée des USA. L'idée d'aller passer quelques semaines chez l'oncle Sam lui plaisait bien, celle de jouer avec Annie aussi […] L'alchimie entre les deux acteurs s'est faite immédiatement. Ce film a été comme des vacances ; tout le monde nageait dans le bonheur […] Pour moi l'essentiel était de brosser le portrait d'un homme qui plaît aux femmes, qui sait se montrer charmant tout au long du film pour au final montrer qu'il peut être aussi d'une cruauté terrible."


Jean-Paul Belmondo et Claude Lelouch s'étaient rencontrés en 1963 avant de travailler ensemble à trois reprises : tout d’abord pour le film qui nous concerne ici, ensuite bien plus tard sur le très justement louangé Itinéraire d’un enfant gâté et enfin sur l'adaptation libre et généreuse que fit le réalisateur autour des Misérables de Victor Hugo, trois films dignes d'intérêt. Cette année 1963, le cinéaste fut mandaté par l'organisme de promotion du cinéma français à l'étranger (Unifrance) pour tourner un portrait de l'acteur en pleine ascension dans le but de le faire découvrir hors de l’Hexagone. En sortira un court-métrage documentaire d’une dizaine de minutes réalisé par un habitué des scopitones (clips de l’époque), film aujourd'hui disparu. Ce n'est qu'en 1969, six ans après leur première rencontre, qu'ils vont enfin se retrouver pour un long métrage et ce sera Un homme qui me plaît. Tourné aux USA, il s’agit d’une sorte de road movie romantique, ludique et fantaisiste qui s'attache à une brève histoire d’amour, une parenthèse enchantée pour deux artistes mariés, un compositeur de musiques de films et une célèbre comédienne, qui s'achève dans une profonde tristesse que ne fait que renforcer un morceau déchirant de Francis Lai. Jaloux de Brève rencontre de David Lean et plus tard de Sur la route de Madison de Clint Eastwood, deux romances qui l’ont bouleversé plus que n’importe quelle autre au cinéma pour la raison qu’il considère que "si l’on veut qu’une histoire d’amour soit immortelle, on doit la limiter dans le temps", le réalisateur a également voulu appliquer cet adage pour Un homme qui me plaît. De plus, le réalisateur vivait à l’époque du tournage la fin de son idylle avec Annie Girardot, tirant de cet état de fait la mélancolie qui allait sourdre durant le dernier tiers de son film, sûrement l’un des plus touchants de sa carrière.


Pour que ce genre d’intrigue aussi minimaliste puisse captiver presque deux heures durant, il faut plusieurs paramètres mais avant tout deux acteurs chevronnés dont le couple qu’ils forment à l'écran est crédible. Et c’est bien le cas ici : l’alchimie entre Belmondo et Girardot s’opère à la perfection dès leurs premiers regards échangés, l'acteur étant d’une spontanéité jubilatoire et la comédienne constamment rayonnante. Les scènes intimes furent improvisées en grande partie sous l’impulsion de Lelouch "à condition bien sûr qu'au-delà de la fantaisie, de la liberté dont ils faisaient preuve, je puisse y croire... afin que le spectateur y croie à son tour." Jean-Paul Belmondo en profite même pour nous proposer sa fameuse imitation de Michel Simon. Le déchirant final sur le visage d’Annie Girardot peut se deviner longtemps à l’avance car même si ces dix jours d’amour auront été enchanteurs pour le couple, des détails nous font d'emblée penser que le désenchantement viendra clore cette "récréation sentimentale" : Françoise devine l’immoralité et la lâcheté de son partenaire, osant même à l’occasion les lui jeter à la figure. Quant à Henri, il ne cache pas son "don" pour le mensonge : "Il n’y a rien de plus beau qu’un mensonge. Et quand la construction d’un mensonge s’appuie sur d’autres mensonges, alors là il devient plus beau que les pyramides." Lelouch, un peu moraliste, veut nous dire, au travers de son dernier quart à la tonalité un peu plus sombre, qu’il n’y a pas de récréations innocentes et que la femme s’investit toujours plus que l’homme dans une relation amoureuse, beaucoup trop peut-être, au risque d’avoir bien plus de difficultés à se relever d’une rupture. Le réalisateur fit en sorte de ne pas dévoiler la fin du film à Annie Girardot avant les derniers jours de tournage, ce qui rend ce fameux plan final - que l'on a déjà évoqué à maintes reprises - encore plus émouvant.


Le film a été tourné sans repérages préalables et dans l’ordre chronologique de ce que l’on voit à l’écran, l’équipe ayant accompli le même voyage que ses protagonistes. C’est ainsi que l’on atterrit à Los Angeles avant d’aller passer une nuit à Las Vegas et ensuite traverser les USA en sens inverse des pionniers, d’Ouest en Est. Les membres de l'équipe eurent l’autorisation par les Navajos de pouvoir tourner dans Monument Valley - Lelouch en profitant pour rendre hommage à John Ford et au western - puis filèrent droit sur la Nouvelle-Orléans avant de finir par New York. Un dépaysement de tous les instants pour cette idylle au cours de laquelle nous assisterons à des séquences de purs délires oniriques, comme cette charge des Indiens attaquant la voiture de nos deux amoureux, à une leçon pour composer une musique de western, à l’apprentissage de l’alphabet pour sourds et malentendants... Comme toujours avec Lelouch, les séquences peuvent se révéler très lourdes ou (et) inégales, ce qui arrive ici parfois aussi mais très rarement. Dans Un homme qui me plaît, le réalisateur comme la plupart du temps tout au long de sa carrière nous parle de l’amour, ses passions et ses incertitudes, ses confessions intimes et ses mensonges, ses moments de pur bonheur et ses périodes d’amertume... Pour les amateurs de la série Drôles de dames, à signaler que Farrah Fawcett fait ici une courte apparition très remarquée en début de film dans le rôle d’une escort-girl.


Certes, le public boude donc et accueille le film avec tiédeur - sans doute pour son intrigue un peu trop ténue - mais au fil du temps, il est devenu l'un des films de Lelouch les plus appréciés à travers le monde, et, pour l’anecdote, l'un des films fétiches de Jean Dujardin - qui jouera pour Lelouch dans le réjouissant Un + une - qui se plaît à dire qu'il l'aurait vu une quarantaine de fois. Il faudra attendre près de vingt ans pour que Bebel et Lelouch se retrouvent pour le tout autant apprécié Itinéraire d’un enfant gâté. Bref, pour ceux qui auraient eu la flemme de lire la chronique ou peur d'être "spoilé", Un homme qui me plaît c’est à nouveau un homme et une femme, un double adultère pour un road movie à la fois pittoresque et touchant à travers les États-Unis, une comédie romantique aux dialogues que l'on croirait improvisés tellement ils sonnent juste et paraissent naturels. Quel bonheur de passer presque deux heures avec le couple Girardot / Belmondo extrêmement convaincant, et quelle émotion procurée par l'ultime séquence ! "Le film nous emmène au cinéma et à la fin il est rattrapé par la vie", aimait à dire le réalisateur.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 janvier 2022