Critique de film
Le film
Affiche du film

Parade de printemps

(Easter Parade)

L'histoire

Le jour de Pâques. Don Hewes (Fred Astaire), célèbre danseur, se rend chez sa partenaire et compagne Nadine (Ann Miller). La jeune femme lui apprend qu’elle ne partira pas avec lui pour Chicago où ils devaient se produire en spectacle car elle a signé un contrat pour participer à la prochaine revue des Ziegfeld Folies. Grandement contrarié, Hewes lui déclare que n’importe qui pourra la remplacer et il jette son dévolu sur Hannah (Judy Garland), une danseuse qui se produit dans un cabaret. Tout en constatant qu’elle n’est pas très douée pour la discipline, Don entreprend d’en faire une vedette pour se prouver ainsi qu’à Nadine - qu'il espère rendre jaloux - qu’il est capable de modeler la première venue. Il assure à Hannah que dans un an ce sera elle et non plus Nadine qui suscitera l’admiration de tous lors de la Parade de Printemps, la Easter Parade…

Analyse et critique

"Plus que jamais l'invitation à la danse est une invitation au rêve. Ou plutôt une invitation à ensorceler la réalité pour vivre autrement. Qu'en soit remercié Charles Walters qui aura été pendant ses longues années à la MGM le plus délicat des enchanteurs, le chorégraphe d'une joie de vivre qui demeure aujourd'hui encore aussi tonique que miraculeuse" concluait Michael Henry Wilson à la fin de son chapitre consacré à Charles Walters dans son livre sur le cinéma hollywoodien, A la porte du paradis. Quel plus bel hommage pouvait être rendu à ce cinéaste cependant rarement porté aux nues en France contrairement à ses pairs de l’équipe d’Arthur Freed, Stanley Donen, George Sidney ou Vincente Minnelli, pour ne citer que les plus doués. Et si effectivement, on aura un peu plus de mal à reconnaitre son style, il n’a pourtant pas à rougir face à ces trois génies du ‘Musical’. Sa filmographie parle pour lui ; citons notamment, produites par Arthur Freed ou non : son revigorant premier essai, Good News, en quelque sorte l’ancêtre de Grease ; le splendide et touchant Lili avec Leslie Caron et Mel Ferrer - dont on attend toujours qu’il sorte sur support numérique ; deux des meilleurs films avec Esther Williams, Easy to Love mais surtout le superbe Dangerous when Wet ; ou encore l’amusant et charmant Haute Société avec l’inoubliable quatuor réunissant - excusez du peu - Grace Kelly, Frank Sinatra, Bing Crosby et Louis Armstrong. Charles Walters nous aura enchanté dans le domaine de la comédie musicale grâce à son professionnalisme, la sobriété de sa mise en scène et son exceptionnelle sensibilité.

La genèse du film est assez passionnante ; ou comment par une succession de malencontreux hasards auront pu être réunis pour la seule et unique fois l’un des plus grands danseurs et l’une des plus grandes chanteuses du cinéma hollywoodien de l’âge d’or ?! Vincente Minnelli, entreprend de tourner Parade de Printemps en reconstituant le couple du Pirate, Judy Garland et Gene Kelly. Mais récemment tombée malade, la santé de Judy Garland est toujours précaire et l'épouse de Minnelli encore fragile psychologiquement. La MGM craint un nouveau tournage problématique et dispendieux, comme ce fut le cas pour Le Pirate (film sublime en passant). Le couple Minelli/Garland traverse une crise sérieuse et Arthur Freed, conseillé par les médecins de l’actrice, demande à Vincente Minnelli de renoncer au projet. Ce dernier écrira dans son autobiographie : "si le fait de tourner ensemble devait engendrer des conflits émotionnels, la solution était simple ! Nous devions tourner séparément, tout en continuant sur le plan privé, à me montrer encourageant, à lui prodiguer toute mon attention." Charles Walters, ex-danseur et chorégraphe à Broadway, est choisi pour assurer la réalisation. Il connaissait bien l’actrice pour avoir réglé les ballets sur le merveilleux Meet me in St Louis de Minnelli. Mais Gene Kelly se fracture la cheville et doit à son tour être remplacé.

La MGM fait alors appel à Fred Astaire qui écrira : "n’ayant pas dansé depuis près de deux ans, exception faite de mes leçons aux professeurs de mes studios, je me rendais compte qu’un énorme travail m’attendait. Brusquement, je me demandais si je serais capable de réaliser ce pour quoi on m’engageait : mes vieilles articulations n’allaient-elles pas s’ankyloser en réponse à un entraînement acharné ? […] Tout se passa bien, et tout fonctionna comme avant, c’est-à-dire sans plus de craquements et de douleurs que d’habitude. Il fallut pas mal de modifications pour adapter le film à ce changement d’interprète. Je me mis au travail avec le chorégraphe, Bob Alton, pour préparer et répéter mes danses, et, au bout de cinq semaines environ, le tournage put commencer. Ma retraite avait pris fin !" Il accepte après avoir apprécié le scénario mais surtout dans la perspective de partager enfin l’affiche avec Judy Garland ; bien lui en a pris d’autant que ce couple de cinéma s’est entendu à merveille ! Arthur Freed témoignera également que si Irving Berlin lui avait cédé les droits de toutes ses chansons c’est qu’il voulait lui aussi absolument faire un film avec Judy. Simultanément Cyd Charisse est victime d’une déchirure d’un tendon et est obligée de céder sa place à Ann Miller. Le tournage fut heureux mais difficile pour cause d’épuisement physique de Judy Garland, et ne faillit pas se terminer. Easter Parade remporta à sa sortie tel succès tel que la MGM voulut enchainer tout de suite un autre film, Entrons dans la danse (The Barkles of Broadway), avec la même équipe. Mais après trois semaines de répétition, Judy Garland fût incapable de continuer à tourner et dut renoncer au rôle, ce qui permettra de reformer une dernière fois le couple Fred Astaire/Ginger Rogers pour un résultat cependant bien moins satisfaisant que Easter Parade.

ournant autour d'un sujet à la ‘Pygmalion’, comme plus tard le célébrissime My Fair Lady de George Cukor, Easter Parade décrit le remodelage d’une petite danseuse de cabaret en une vedette, le mentor étant un célèbre danseur s’étant lancé le défi de faire une star de la première venue, par jalousie et vengeance envers sa précédente partenaire qui l’avait lâché brusquement pour satisfaire ses propres ambitions. Mais l'homme échoue dans ses tentatives tant qu'il exige d'Hannah qu’elle soit la copie conforme de Nadine ou tente d’en faire une danseuse exotique. Il ne parviendra à ses fins que lorsqu'il lui permettra de rester elle-même et comprendra qu'il faut se servir de sa propre personnalité, sa douceur et sa simplicité étant très éloignée de la sophistication des Girls des spectacles Ziegfeld. D’ailleurs lorsqu’elle s'essaiera à cette artificialité et ce maniérisme, ce sera un fiasco complet : Charles Walters et son scénariste se sont amusés pour leur démonstration à parodier la célèbre 'Cheek to Cheek' dans Top Hat lors de la séquence au cours de laquelle Hannah, vêtue d’une robe à plumes volantes, est complètement décontenancée par son costume qui semble se déliter à chaque pas de danse. A côté de ça, en discret filigrane, nous avons droit à une romance assez touchante, Peter Lawford s’avérant assez émouvant en amoureux transi dont la passion n’est pas partagée par celle qu’il aime. Le scénario ne manque par ailleurs pas d’humour même si on se serait passé de la seule faute de goût du film, le sketch de Jules Munshin mimant en maître d’hôtel sa technique pour préparer une salade.

Easter Parade, bien moins célèbre – tout du moins en France - que certains incontestables chefs d’œuvres du genre (de Chantons sous la pluie à Un Américain à Paris en passant par Kiss me Kate pour ne citer que les films les plus célèbres des ‘quatre mousquetaires’ de la MGM), s'avère pourtant être une des très grandes comédies musicales hollywoodiennes. La mise en scène de Charles Walters est plus discrète que chez les immenses cinéastes notifiés ci-dessus mais au final ses films se hissent presque au même niveau. Ici, c'est un véritable régal pour les yeux à travers un patchwork de costumes rutilants, de couleurs chatoyantes, de merveilleux décors, ainsi que pour les oreilles grâce à un très copieux Medley ‘Irving Berlinien’ composé de dix-sept morceaux dont pas moins de huit inédits, tous quasiment aussi délicieux les uns que les autres et notamment le merveilleux 'It only happens when I dance with you' ou les charmants ‘I Want to Go Back to Michigan’ ainsi que ‘A Fella with an Umbrella’. Mais c'est avant tout une réjouissante mosaïque de talents et de virtuosité octroyée par Ann Miller (son dernier duo avec Fred Astaire dans une somptueuse robe blanche et rouge ou son étonnant numéro de claquettes dans ‘Shakin' the Blues Away’), Fred Astaire (son époustouflant numéro de claquettes/batterie dans ‘Drum Crazy’ au sein d'un magasin de jouets ou la possibilité de le voir danser au ralenti dans 'Steppin' Out with my Baby', mélange vertigineux de grâce et de haute technicité) et surtout Judy Garland qui minaude comme jamais au point de nous enchanter par sa fantaisie (le fameux ‘A couple of Swells’ où elle et Fred Astaire sont grimés en clochard) et parfois nous émouvoir profondément. Au cours de deux séquences, elle prouve toute l'étendue de sa palette dramatique : celle au restaurant avec un affable Peter Lawford quand elle lui avoue, désolé, de ne pas être amoureuse de lui ; puis cette autre où, non maquillée, elle comprend que finalement son amour est partagé par son partenaire de scène. A ces instants, elle est vraiment touchante comme rarement elle l'aura été ; du moins tout autant que dans par exemple Meet me in St Louis ou A Star is Born.

Le pitch conçu autour des chansons de Irving Berlin et se déroulant dans le milieu des revues musicales du début du 20ème siècle est d'une grande banalité mais quelle importance puisque le scénario est très bien écrit ! Et cela n'empêche pas le film d'être divin, contenant une quinzaine de numéros inoubliables et le talent d'artistes hors pair et totalement complémentaires dont Charles Walters se sert pour décliner le maximum de possibilités de danses et de chants à sa disposition, filmant le tout avec sobriété, enthousiasme et une sensibilité tout autant artistique et qu'émotionnelle. Pour finir, citons à nouveau Michael Henry Wilson : "Chez Walters le ballet ne tend pas à s'intégrer à la vie quotidienne comme dans les films de Donen ou Minnelli mais au contraire à le faire basculer dans un spectacle permanent et sans limites." Easter Parade en est l’une des plus belles preuves ; les spectateurs américains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en faisant l’une des comédies musicales les plus rentables de la Metro-Goldwin-Mayer. Un monument d’exquise légèreté qui en fait un remède radical en cas de blues !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 20 mars 2025