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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Héros de Telemark

(The Heroes of Telemark)

L'histoire

1944. Dans les montagnes de Norvège coule une eau particulière, l'eau lourde, cruciale pour la recherche atomique. Une usine, à flanc de falaise, se charge de distiller le liquide. Usine désormais aux mains des Nazis. Leur but : mettre au point la bombe atomique avant les Américains et changer ainsi le cours de la guerre. Un commando de résistants norvégiens, appuyé par les Britanniques, va tout faire pour détruire cette usine. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu.

Analyse et critique

C'est l’avant-dernier film d'Anthony Mann. Le cinéaste mourra d'un infarctus, à l'âge de 60 ans, sur le tournage de son film suivant, Maldonne pour un espion, qui sera achevé par Laurence Harvey. Avec Les Héros de Telemark, Mann revient au film de guerre, huit ans après Côte 465, mais en conservant le caractère grandiose de ses deux précédents films : Le Cid et La Chute de l'Empire romain. Il reprend d'ailleurs le même directeur photo, Robert Krasker, dans un Cinémascope encore une fois superbe, aux tons blancs et bleutés.

Le premier plan de ce film de guerre est un lent panoramique sur les montagnes norvégiennes, sous une musique lyrique de Malcom Arnold. Soit la paix, la profondeur, la beauté suprême. Mann, qui a tenu à tourner sur place, veut d’emblée établir un contraste, qui sera celui de tout le film, entre ce calme majestueux, éternel, et la dangereuse activité humaine. Cette montagne, en effet, ne sait pas qu'elle contient en son sein de quoi détruire le monde. Et elle ne sait pas pourquoi les hommes s'agitent à sa surface. Elle accepte tout au plus de les voir glisser sur elle... Ce contraste entre l'éternel et l’éphémère suffit à faire tout le film et à le rendre prenant de bout en bout, malgré le manque d'entrain évident des acteurs qui semblent se demander ce qu'ils font là, à la fois pétrifiés par le froid et par le schématisme de leur personnage. Point fort habituel d’Anthony Mann, la subtilité psychologique est ici aux abonnés absents, et Kirk Douglas, Richard Harris, Michael Redgrave, Ulla Jacobsson semblent "naviguer à vue" d’une scène à l’autre. Mais, à la limite, ce récit de guerre n'avait pas besoin de vedettes. C'est ce qu'avait compris Jean Dréville lorsqu'il avait adapté cette histoire vraie en 1948, dans son film semi-documentaire, La Bataille de l'eau lourde, avec le concours des vrais participants.

Pour autant, par sa vision purement hollywoodienne, Mann tire son épingle du jeu : il nous prend par le côté mythologique. Peu lui importe au fond la Seconde Guerre mondiale. Ce qui compte à ses yeux, et peut-être a-t-il raison, c'est la fourmi humaine obstinée sur les hauts plateaux éternels. Cette hargne dans le grandiose, c'est l'image essentielle, vertigineuse, olympienne, à laquelle nous renvoie la filmographie d'Anthony Mann à partir de La Porte du Diable. Chez Mann, les hommes se déchirent toujours dans une Nature sublime, pleine de sagesse. Sagesse du Temps long, inexorable. Il y a presque de l'obscénité, de la médiocrité, à voir à quel point les hommes ne comprennent pas le message de sagesse et de beauté qu'ils ont sous les yeux.

Mann, et c'est ce qui fait sa modernité, n'a aucun sentiment patriotique. Le discours « Ces hommes ont changé le cours de l'histoire », il s'en fiche un peu. Si les Résistants trouvent grâce à ses yeux, c'est surtout parce qu'ils savent se fondre dans la montagne, sans la déranger, sans faire de bruit (secrètement, presque comiquement, Mann se régale à faire un film de guerre tout en bruits étouffés, presque silencieux). Et si les Nazis sont horribles, c’est parce que, avant tout, engoncés dans leurs manteaux noirs, leur orgueil et leurs blindés, ils ne comprennent rien à ce lieu sacré. Il y a ainsi comme une vision d'éternité dans ce récit enneigé, vision qui homogénéise le film et recouvre silencieusement ses défauts.

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La fiche IMDb du film

Par Claude Monnier - le 26 septembre 2022