Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Voyou

L'histoire

Simon Duroc dit "le Suisse" (Jean-Louis Trintignant), un truand en cavale recherché par la police suite à son évasion de prison, oblige Jeanine (Danièle Delorme), une inconnue rencontrée au cinéma, à le cacher dans son appartement. Il sort néanmoins de temps en temps en faisant très attention, surtout pour rencontrer son ancienne maîtresse, Martine (Christine Lelouch), désormais mariée mais avec qui il a eu un enfant. La femme qui l'héberge malgré elle finit par tomber sous le charme du voyou et, au bout de quelques semaines, le conduit à la campagne jusque chez Charlot (Charles Gérard), l'ex-complice de Simon, une planque où il devrait être encore plus en sécurité. Il se procure armes et faux papiers car il a une vengeance à assouvir contre l’homme qui l’a envoyé en prison....

Analyse et critique


Profitons du fait d’écrire cette chronique au moment où sort sur les écrans français le cinquantième long métrage de Claude Lelouch (L’Amour c’est mieux que la vie) pour effectuer un très rapide balayage d’une filmographie dont depuis quarante ans on a eu, à mon humble avis, un peu trop tendance à se moquer alors que tant de ricanements n’étaient pas forcément justifiés même après la période englobant sa Palme d’or (Un homme et une femme), son bouleversant Un homme qui me plaît en 1969 et surtout la décennie dorée pour le réalisateur qu’ont représenté les années 70 (L’Aventure c’est l’aventure, Le Chat et la souris, La Bonne année...) Et d’ailleurs, un tel sincère amour du cinéma - et des comédiens - chevillé au corps du réalisateur fait déjà que ce dernier ne méritait peut-être pas tant de quolibets. Car même si, effectivement, son "taux de réussite" est plus conséquent durant les années 60 et 70, on peut trouver d’autres œuvres au minimum très estimables par la suite, que ce soient Partir, revenir, Itinéraire d’un enfant gâté ou Attention bandits durant les années 80, puis encore - parmi pourtant le faible nombre de films vus sur l’ensemble du reste de sa carrière - sa version des Misérables ou Un plus une avec Jean Dujardin et Elsa Zylberstein. Et l'on peut donc également inclure Le Voyou parmi les œuvres hautement recommandables du cinéaste.


"Le Voyou, c’est Pulp Fiction avec 25 ans d’avance" a dit Quentin Tarantino lui-même Et effectivement, même sans l’avoir su, on peut facilement se faire la réflexion à la découverte du Voyou, surtout au vu de leur structure scénaristique respective. Et si vous connaissez par cœur le chef-d’œuvre de Tarantino, vous comprendrez pourquoi il est difficile d’aborder les intrigues pour parler de ces deux films au risque de dévoiler de grosses surprises et de gâcher des twists assez jubilatoires. Sachez seulement que si, au cours du visionnage, vous vous interrogez sur le fait d’avoir dû louper quelque chose par inattention, si vous vous questionnez quant à d’éventuels trous scénaristiques et grosses incohérences, ou enfin si vous vous agacez de la gratuité de certaines séquences comme par exemple celle du générique en style comédie musicale (excellente chorégraphie d’ailleurs), vous devrez admettre au final que rien n’avait été laissé au hasard et qu’il n’y avait ni manque de rigueur dans l’écriture ni scènes inutiles, le tout étant remarquablement bien agencé, la "manipulation de spectateurs" à la Hitchcock ayant parfaitement bien fonctionné sur absolument tout le monde.

[SPOILER - Je défie d'ailleurs quiconque à la première vision d’avoir remarqué la minute précise où le film bascule dans le flash-back puisque les deux parties sont en fait chronologiquement inversées sans que l’on ne s’en rende compte avant la fin. FIN DU SPOILER].


Le Voyou est la première comédie policière d’un excellent corpus d’œuvres du même genre et du même ton peu avares en fantaisie, comportant parmi les films les plus séduisants et réjouissants du réalisateur ; s’ensuivront donc L’Aventure c’est l’aventure, La Bonne année, Le Chat et la souris, Les Bons et les méchants, Attention bandits... Ce polar décontracté étant avant tout ludique, l’histoire centrale de l'enlèvement d’un enfant n'est jamais prise vraiment au sérieux même si, le cinéaste aimant à nous déstabiliser, on aura néanmoins pu en douter un moment. Tout comme on passe à l’encontre du personnage interprété avec talent par Jean-Louis Trintignant de l’empathie à l’antipathie, d’une séquence à l’autre, par le fait de ne pas connaitre en temps et en heure tous les éléments qui permettraient de mieux englober sa personnalité. Bref, tout en restant assez "guilleret" tout du long, le film de Lelouch n’en est pas pour autant ni mièvre ni manichéen. Le réalisateur en profite même pour égratigner au passage la presse à scandales, les banquiers, la haute finance, la publicité (le "merci Simca" qui ne vous quittera plus) et les hommes d’affaires.


Outre la perfection d’un récit basé principalement sur un flash-back indétectable, niveau mise en scène on reconnaît très rapidement le généreux style de Lelouch dans sa manière de prendre à bras-le-corps la grammaire cinématographique et d’en utiliser le maximum de ressources, avec souvent beaucoup de culot. Il continue d’oser faire durer des séquences plus que de coutume, de s’appesantir sur des "petits riens" pour la simple décontraction, de faire parfois improviser ses comédiens, de pratiquer sans vergogne l’auto-référencement (ici à sa Palme d’or), de filmer caméra à l’épaule, de jouer non seulement avec la temporalité mais aussi avec le cadre, de faire penser à un manque de rigueur ou à un dilettantisme snobinard pour dynamiter ce sentiment dans les séquences suivantes... Bref un polar à sa manière de conteur hors pair, un divertissement très bien tenu comme on les aime, truffé d’idées sur le fond comme sur la forme, manipulant aussi bien les personnages que les spectateurs. Les amateurs d’action, de noirceur et de violence peuvent en revanche passer leur chemin : le polar plein d’entrain de Lelouch n’est que jeu, vivacité, humour, romantisme, fantaisie et élégance. Cette irrésistible comédie policière, dont Lelouch disait avoir acheté l’idée centrale de son scénario - co-écrit entre autres avec Claude Pinoteau - à un véritable truand, obtiendra un très gros succès à l’époque de sa sortie.


Réussite commerciale rendue sans doute possible pour une autre part grâce au casting du film on ne peut plus "lelouchien" : Jean-Louis Trintignant en tête, dans la peau de ce voyou rusé, roublard et fort sympathique ; mais aussi Charles Gérard, l’éternel "Charlot" de Lelouch qui officiera à 17 reprises pour son réalisateur fétiche ; un savoureux Charles Denner qui, lui, tournera cinq fois avec le cinéaste ; sans oublier la jolie surprise (au propre comme au figuré) que constitue la participation de Christine Lelouch dont on regrette qu’elle n’ait pas fait une plus grande carrière ; et enfin les participations délectables d'Aldo Maccione, Jacques Doniol-Valcroze, Danièle Delorme, Yves Robert, Judith Magre, Paul Le Person, Amidou et même Sacha Distel. Il est également possible, pour ceux d'entre vous aux yeux les plus affûtés, de repérer en journalistes de tout jeunes François Jouffa et Jean-Claude Bourret. Bref, ne cherchez pas d'excuses et sans arrière-pensée, laissez-vous vous faire mener par le bout du nez dans cette construction de petit malin, et avouez sans aucune honte in fine avoir été savoureusement pris pour des dindons de la farce, tout comme certains des personnages de l’intrigue. Sans en attendre monts et merveilles, vous devrez avoir été séduits par cette œuvre amorale, vive, fraîche et espiègle.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Reportage sur le tournage (document INA)

Par Erick Maurel - le 22 mars 2022