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Critique de film
Le film
Affiche du film

Attention bandits

L'histoire

Mozart (Patrick Bruel), chef d’une bande de jeunes voyous, propose à Simon Verini dit "l’expert" (Jean Yanne) d’écouler des bijoux qu’il vient de voler lors d’un casse chez Cartier. Verini accepte d’aller les refourguer à Amsterdam mais, le soir où il devait partir, son épouse se fait enlever, les mystérieux kidnappeurs demandant la valise de bijoux en contrepartie de l’otage. Mais l’échange se transforme en drame, la femme de Verini se fait tuer par le malfrat. Ne se sentant plus en sécurité, avec Charles (Charles Gérard), son complice de toujours, il décide d’aller placer sa fille Marie-Sophie dans une pension en Suisse. Il ne fallait effectivement pas tarder car dès le lendemain, les deux hommes sont arrêtés pour la détention du butin Cartier et sont internés à Fresnes durant dix ans. Verini jure de se venger à sa sortie de prison...

Analyse et critique

Après une décennie 70 constituée par un corpus de films les plus souvent assez modestes dans leur conception et réalisation, globalement appréciés autant par le public que par la critique, Claude Lelouch s’est lancé dès le début des années 80 - en commençant par son immense succès Les Uns et les autres - dans des fresques jugées souvent mégalomaniaques et qui n’ont pas fait parler d’elles qu’en bien, comme souvent chez Lelouch, génie créatif côtoyant et se mélangeant même avec le ridicule, ce dernier s’invitant désormais un peu trop souvent au goût de beaucoup, surtout dans Viva la Vie ou Partir revenir. Puis ce sera le cuisant échec de la suite qu’il donnera à son célèbre Un homme et une femme, le cinéaste ayant ensuite décidé d’en revenir à un peu plus de simplicité et de linéarité avec Attention bandits, un film policier comme il en avait déjà réalisé quelques-uns précédemment, un peu dans la lignée du Voyou, de La Bonne année ou du Chat et la souris. Lelouch montre à chaque fois une affection toute particulière pour ces marginaux ou voyous sympathiques, L’Aventure c’est l’aventure en étant aussi l’un des meilleurs exemples.


Pour en revenir à cette cuvée polar 87, finis les défilés de stars et la multiplication de personnages ; terminés les mosaïques temporelles et les embouteillages narratifs ; oubliés les scénarios trop alambiqués et les destins qui s’entrecroisent ; calmées les pirouettes avec la caméra... Il s’agit, avec Attention bandits, d’une sorte de retour aux sources pour le réalisateur avec un simple récit de vengeance et de relation père-fille allant à un rythme assez nonchalant ; une histoire portée par le regard humain et généreux que pose le réalisateur sur ses personnages et par son talent jamais remis en cause pour la direction d’acteurs, Lelouch n’ayant par ailleurs pas renoncé à sa candeur souvent rafraîchissante mais qui en irritera toujours autant certains. Ici donc Verini (Jean Yanne), un receleur, bon bougre cinquantenaire, mari aimant et père de famille attentionné, qui accepte de refourguer des bijoux dérobés chez Cartier par un jeune bandit nommé Mozart - du fait d’avoir commis son premier larcin à un âge plus que précoce (cinq ans !). La routine pour eux deux. Sauf que son épouse est kidnappée le jour où Verini décide de partir se débarrasser du butin à Amsterdam ; elle lui sera rendue contre les bijoux. Le coupable ne peut qu’être un proche pour avoir eu connaissance de cette affaire. Quoi qu’il en soit, l’échange se transforme en tragédie puisque l’épouse est tuée par son ravisseur, qui s’enfuit avec les joyaux. Verini, se sachant dans une situation délicate, décide de placer immédiatement sa fille dans une pension en Suisse. A temps puisqu’il est arrêté peu après et interné durant dix ans à Fresnes. Tout cela ne constitue que le prologue du film, à peine un quart d’heure !



Mais que les détracteurs du cinéaste en soient conscients : Attention bandits, même en prenant des chemins de traverse différents de ceux de ses grandes productions, n’en reste pas moins du Lelouch pur jus. Ceux qui s’attendent donc à un polar nerveux plein d'action et de suspense ne seront donc pas à la fête car, malgré sa générosité de cinéaste jamais prise en défaut et qui ravit ses aficionados (brochette de grands comédiens, belles images, nombreux lieux de tournage...), Lelouch n’épargnera aux autres ni certains de ses tics formels, ni son patchwork musical "classico-variétoche", passant allègrement de Mozart à Presgurvic mâtiné d'un joli score de Francis Lai, ni les bons sentiments, ni sa naïveté, ni ses idées scénaristiques tirées par les cheveux, pas plus que de longues digressions parfois déconnectées de l’intrigue, des dialogues improvisés ou des plans semblant quelquefois interminables (ceux de début et de fin notamment)... Des ingrédients qui pour d’autres - parmi lesquels je me compte - font parfois au contraire toute la richesse, ou tout du moins le charme, de son cinéma. Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos bandits ! Les dix années suivantes du récit se dérouleront durant le deuxième segment où, de manière épistolaire, le père et sa fille restent en relation, le premier faisant croire à la deuxième que sa mère et lui se trouvent au Brésil en déplacement pour le travail (à plus de douze ans, qui pourrait sincèrement croire à un voyage d’affaires de plusieurs années ?!). Lelouch prouve ici qu’il est toujours très à l’aise au niveau du montage et des idées elliptiques, nous octroyant ici une partie tout à fait réussie basée avant tout sur l’émotion.



Puis c’est la sortie de prison, les retrouvailles, les brutales révélations et le difficile retour à la réalité pour l’innocente Marie-Sophie qui a du mal à accepter le "métier" peu glorieux de son père, que sa tendresse pour sa famille ne laissait pas imaginer. Encore de très jolies scènes d’autant que Jean Yanne s’avère magistral ; les séquences qu’il partage avec Charles Gérard (son complice) sont toutes savoureuses et il se révèle également tout à fait crédible dans les scènes avec Marie-Sophie L., son rôle de père lui allant à ravir. Les moments tendus entre eux deux, faute à ses agissements alors qu’il met à exécution sa vengeance ruminée durant dix ans, possèdent encore un beau potentiel émotionnel. Après les représailles, retour à la case prison pour une dernière partie beaucoup moins convaincante, qui peut laisser perplexe faute à des situations trop abracadabrantes et pour lesquelles il faut absolument lever sa suspension d’incrédulité au risque de décrocher. Malgré les grosses ficelles utilisées sur le tard, on suit néanmoins le film jusqu’au bout sans déplaisir grâce à la qualité de la direction d’acteurs et au brio de la mise en scène. Outre Jean Yanne et Charles Gérard, un troisième acteur vient rejoindre les rôles masculins principaux : c’est Patrick Bruel, dans le rôle d’un jeune voyou plein de charme dont le personnage n’a malheureusement pas été assez étoffé par les scénaristes. Un comédien dont certains aiment à se moquer mais qui pour ma part force la sympathie et dévoilera son immense talent dans un film policier qui a aujourd’hui quasiment disparu de la circulation et sur lequel les éditeurs feraient bien de se pencher, Toutes peines confondues de Michel Deville.


Attention bandits est un mélange de film policier et de comédie dramatique pas spécialement construit avec une grande solidité, mais cependant tout à fait attachant et charmant grâce à la verve du réalisateur ainsi qu'à son amour du cinéma et des acteurs. D’autant ici que son film est dédicacé à Jean Gabin à qui il rend hommage tout du long, les premières séquences se déroulant le jour de la mort du grand comédien, les radios et télévisions n’arrêtant pas de commenter cette triste nouvelle. Il faut dire que la scripte sur ce film n’était autre que sa fille, Florence Moncorgé-Gabin, qui aurait soufflé au cinéaste l’idée de départ de l’intrigue et qui fait même une petite apparition dans le film (voir dernière photo ci-dessus). On pourra donc reprocher à Attention bandits sa naïveté, ses bons sentiments, son émotion facile, etc. - tous des éléments qui font néanmoins partie de l’ADN Lelouch et grâce auxquels il continue à avoir sa cohorte de fans - mais il est difficile de ne pas succomber aux charmes de ces voyous au grand cœur dont le principal hobby est la pêche à la ligne. Dans l'ensemble bien reçu par la presse, ce sera cependant l’année suivante que Claude Lelouch fera la quasi-unanimité avec le superbe Itinéraire d’un enfant gâté, l’un des sommets de sa filmographie.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 31 janvier 2022