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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Fils de Dracula

(Son of Dracula)

L'histoire

Le comte Alucard a été invité à Dark Oaks, aux USA, par la jeune héritière Katherine Caldwell. Elle ne tarde pas à se marier avec cet homme étrange, en dépit du désespoir de son fiancé, Frank Stanley, qui ne peut l’oublier. Un soir, ce dernier pénètre chez le couple nouvellement marié et menace Alucard avec une arme à feu. Il tire, mais touche la femme qui s’écroule immédiatement. Frank se considère comme un meurtrier et vient rapidement se constituer prisonnier à la police. Mais Katherine vit toujours, tandis que Alucard, en vérité le comte Dracula, commence à répandre son influence maléfique sur la ville. Le docteur Brewster, bientôt rejoint par le professeur Lazlo, commence son enquête…

Analyse et critique

La fin de l’année 1943 se profile à l’horizon. La Universal a bien résisté à la concurrence des petites productions dont l’activité ne va d’ailleurs pas tarder à ralentir, mais surtout sa notoriété ne faiblit pas devant le succès que représentent les films produits par Val Lewton sous l’égide de la RKO. Ce dernier a su proposer autre chose que des figures classiques, en renouvelant un genre qui s’embourbait dans la répétition et la démonstration. Moderne et influent, ce style n’a cependant pas empêché le public de s’enthousiasmer pour la rencontre du monstre de Frankenstein et du loup-garou, ni pour la vengeance si remplie d’intensité du fantôme de l’opéra. Troisième production ambitieuse de l’année pour la Universal, Son of Dracula vient renouveler la franchise du vampire suceur de sang et du même coup profiter de l’importante popularité de Lon Chaney Jr auprès du public. L’acteur est au sommet de sa gloire, il est donc impératif de rentabiliser son statut. Larry Talbot (le loup-garou), le monstre de Frankenstein et la momie (Kharis) ne suffisent plus à la Universal qui cherche à placer son poulain absolument partout. Comme pour toutes les autres franchises classiques originairement issues des années 1930, le célèbre vampire voit le ton de ses aventures s’américaniser au contact des années 1940, se déplaçant de la vieille Europe, pleine de mythes et de poussière, jusqu’à l’Amérique, pleine de jeunesse et de nouveauté. Adieu la Transylvanie, bonjour Dark Oaks. On perd en magie, en romantisme et en poésie ce que l’on gagne en légèreté et en puérilité. Les monstres des années 1930, humains et inhumains, étaient des demi-dieux à la fois subversifs et symboliques. Ceux des années 1940 ne sont plus que des pâles copies, parfois efficaces, mais aux ambitions souvent bien moindres, tant artistiquement que thématiquement.

Son of Dracula vient confirmer l’entièreté de cette règle. C’est un film bien réalisé, astucieux, reprenant les codes du genre avec goût, les déformant avec une certaine élégance, mais trop léger, tantôt maniériste, tantôt souple, avec ce soupçon de répétition qui attire inexorablement l’ensemble vers la série B. Bien au-dessus, planent Dracula et Dracula’s Daughter, aux registres plus étoffés et aux idées plus larges. Ce troisième film s’en détache considérablement, en n’en reprenant pas du tout le fil scénaristique conducteur.La réalisation confiée à Robert Siodmak, le frère du scénariste Curt Siodmak (officiant d’ailleurs sur ce film), ne manque ni de pèche ni d’entrain. Il se montre parfaitement capable d’emballer correctement un film, n’abusant pas de mouvements intempestifs que tout artisan se serait empressé de produire afin de masquer un manque de talent. Du bon ouvrage, capable de transcender certains instants particulièrement réussis : le cercueil flottant à la surface du marais et duquel sort le comte Dracula, dans un nuage de fumée, planant au dessus de l’eau pour aller à la rencontre de l’héroïne. Cette scène poétique, peut-être la plus belle du film, participe grandement à la réussite visuelle du récit. Car le scénario, s’il ménage quelques vraies bonnes idées, se répète et ne s’occupe que de reprendre de vieilles recettes. On trouve toujours le bon docteur, le professeur convaincu par l’existence des vampires, le policier cartésien… le tout dans une histoire de mariage morbide qui ne s’avère pas franchement palpitante. Néanmoins, l’idée de ce mariage vampirique qui agit comme un isoloir au sein de la société (une métaphore assez astucieuse de l’amour) ou encore le retournement de situation inattendu (l’héroïne décédée avait tout prévu, et le comte Dracula est donc lui-même en danger), sont autant d’éléments d’un scénario qui fonctionne avant tout sur quelques traits de génie, plutôt que sur une structure plus homogène.

D’homogénéité, il en est question dans le casting général. A part la bouille sympathique de Frank Craven en médecin attentif, on ne trouve que des acteurs sans relief. J. Edward Bromberg incarne un pendant à Van Helsing en la personne du professeur Lazlo, ce qui le rend aussi agréable qu’artificiel, puisque déjà vu. Samuel S. Hinds, tête bien connue des amateurs du genre (rappelons-nous de The Raven et de Man Made Monster, par exemple), offre le minimum syndical, de même que Pat Moriarity en shérif imbécile irrécupérable. L’actrice principale, Louise Allbritton, n’est guère aidée par son physique désavantageux, et l’on se dit qu’elle aurait dû échanger son rôle avec Evelyn Ankers, coutumière des films d’épouvante de la Universal (on la reverra dans plusieurs films, y comprit deux épisodes d’Inner Sanctum Mysteries). La deuxième est fraiche, la première est transparente. Dommage. Restent Robert Paige, en amoureux torturé, joliment concerné mais sans saveur, et surtout Lon Chaney Jr. Lui confier le rôle du comte Dracula n’est pas ce que l’on peut appeler une idée formidable, mais il s’en acquitte tant bien que mal. Il est bon, surtout quand il n’essaye pas d’ouvrir les yeux de manière hallucinée, mais il vaut mieux oublier la prestation de Bela Lugosi pour en apprécier la qualité. Sa présence à l’écran n’excède pas le quart d’heure, son personnage est doublé par plus vindicatif que lui, bref, une fois de plus, Chaney Jr joue le « dindon de la farce ». Au moins peut-il exprimer plus d’émotion et livrer plus de répliques que dans ses performances de momie monstrueuse. Son talent, mélange de charisme et de jeu désespéré, fait merveille dans The wolf man, et dans une moindre mesure dans les six épisodes de la série Inner sanctum mysteries. Mais pour interpréter le comte Dracula, il faut du sex-appeal, un regard perçant, une voix glaçante et un physique typé. Chaney Jr est un homme grand, bourru, aux airs d’ours perdu, plus en danger que menaçant. La mixture ne prend donc pas forcément bien. En l’état, sa performance est honorable, mais sans éclat particulier. Enfin, le film est traversé d’effets spéciaux au charme intact. La fumée représentant les allées et venues du vampire, la brume se levant sur les marais, la chauve souris s’envolant avec frénésie, les métamorphoses de Dracula selon les situations… Il y a beaucoup plus d’effets visuels dans ce troisième film que dans les deux précédents, ce qui rattrape en partie son manque de classe.

Son of Dracula s’érige en pur produit horrifique des années 1940, plus américain et moins transcendant. Le visuel soigné (proposant notamment un générique fort beau) et plusieurs bonnes idées de scénario réussissent à élever le film plus haut que des séries B délaissées comme The Mummy’s Hand, The Mummy’s Tomb ou The Mad Ghoul, mais ne lui permettent pas d’atteindre le niveau d’une aventure de l’homme invisible. Il s’agit de ce fait d’un film naviguant entre deux eaux, jamais régressif, mais jamais extraordinaire non plus. Charmant, attachant et léger.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Julien Léonard - le 17 février 2009