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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Chemin de l'espérance

(Il cammino della speranza)

L'histoire

Dans un petit village de Sicile, la mine de soufre ferme, réduisant au chômage et à la misère une grande partie des habitants. Ciccio, recruteur de main-d’œuvre, promet du travail à ceux qui acceptent d’émigrer clandestinement en France, moyennant finances. Un long voyage à travers l’Italie commence pour un groupe de villageois qui a décidé de partir. Cependant, en cours de route, Ciccio cherche à leur fausser compagnie.

Analyse et critique

S’il est passé à la postérité pour ses incursions brillantes et célébrées dans la comédie (Divorce à l’italienne (1961), Séduite et abandonnée (1964), Ces messieurs-dames (1966) et indirectement Mes chers amis (1975) où Mario Monicelli adapte à titre posthume un de ses scénarios à sa demande), ce corpus ne représente finalement qu’un pan assez infime de l’œuvre de Pietro Germi. Le réalisateur aura bien davantage privilégié le mélodrame, et son virage vers la comédie relève d’un calcul à la fois politique et commercial, le rire devenant alors le moyen le plus efficace de toucher les masses et d’y affirmer la force de sa vision sociale. Pourtant quel que soit le registre, Germi demeure cette figure libre et inclassable, par une sophistication qui le différencie des ténors de la comédie italienne, et par un propos engagé mais toujours méfiant envers l’institution dans ses mélodrames.

Le Chemin de l’espérance (adapté d’un roman de Nino Di Maria) est une évocation de la migration méridionale italienne, et plus précisément sicilienne durant l’après-guerre. Le degré de dénuement et désespoir auxquels en est tenue la population s’articule avec brio durant les premières séquences. Un groupe de travailleurs entame un siège jusqu’au-boutiste dans leur mine destinée à fermer avant de renoncer à bout de force, puis sans ressources cède à la tentation de l’el dorado d’un exil en France où ils espèrent de meilleures opportunités économiques. Le privilège à l’humain est donné dès cette introduction par Germi, la méfiance et le jargon d’un syndicaliste vociféré à l’extérieur valant moins que les promesses d’un passeur (Saro Urzì) leur énonçant les perspectives au bout du « chemin de l’espérance ». Germi déploie ainsi un récit choral où nous allons suivre l’odyssée semée d’embûches de ce microcosme sicilien rêvant d’ailleurs. Le réalisateur y déploie une veine exaltée relevant presque du récit biblique avec cette voix-off se faisant bienveillante, grave et incantatoire. Il laisse également transparaître l’influence du cinéma américain (qui s’illustrera plutôt du côté du film noir dans ses films suivants comme Traqué dans la ville (1951) ou Meurtre à l’italienne (1959)), la force des grands espaces et l’hétérogénéité des environnements relevant du western, tandis que l’emphase dramatique et le décalque d’une imagerie migratoire économique plus universelle ramène au John Ford de Les Raisins de la colère (1940).

Le film dans ses péripéties est néanmoins le portrait de tous les questionnements socio-politiques agitant l’Italie de l’époque. Il y a tout d’abord la notion si importante de schisme régional avec notre groupe de personnages issus du sud pauvre de l’Italie remontant vers le nord urbain et industrialisé (qui avec le boom économique deviendra la principale destination des exilés comme le montrera Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960)) pour gagner la France. La condescendance larvée des citadins envers les méridionaux se ressent par les regards méprisants durant la scène de la gare, la perte de repères et les risques de perdition notamment pour les femmes (la jeune Lorenza reluquée par des hommes remarquant sa détresse) et un système destiné à les maintenir dans leur condition (la police les enjoignant par une menace d’amende à retourner en Sicile) traduisent le fossé auquel notre groupe se heurte dans ce voyage. Plus tard, devant pour subsister accepter d’effectuer des travaux agricoles à moindre coût, les siciliens rencontrent l’hostilité des travailleurs locaux dont l’épreuve de force entamée par la grève avec les patrons se voit balayée par les nouveaux venus. Enfin les particularismes italiens patriarcaux, machistes et pour certains plus spécifiquement siciliens oppressent le personnage de la jeune Barbara (Elena Varzi), reniée par sa famille pour s’être amourachée d’un homme méprisable et acceptant l’emprise de celui-ci sur elle par pur conditionnement social.

Chacun de ces maux sera surmonté par la force solidaire du groupe et des figures chaleureuses que Germi parvient à y dépeindre avec brio. Si la postsynchronisation et l’usage d’un italien du commun semble estomper les spécificités des dialectes régionaux, les moments de vie à la fois collectif et intime traversant le récit lui confèrent pleinement l’empathie recherchée par Germi. Un sentiment de bonheur partagé durant un voyage en train avant les premières désillusions, de jeunes mariés allant savourer à l’abri des regard une nuit de noce empêchée par le grand départ, ou encore le rapprochement progressif entre le héros veuf Faro (Raf Vallone) et la paria à l’instinct maternel qui s’ignore, tout cela s’inscrit dans un ensemble fluide et chaleureux où tout ce microcosme existe et émeut. Pietro Germi endosse le geste néoréaliste par son sujet et sa caractérisation, mais s’éloigne de sa noirceur et pessimisme pour privilégier la candeur naïve du grand mélodrame.

Cette volonté s’affirme dans la nature de son épilogue. Le livre se terminait sur une note bien plus sombre et reflet sans doute plus fréquent du sort des migrants clandestins italiens, mais Germi choisit de conclure sur une note plus positive voyant la réussite de l’entreprise. Il ne s’agit pas non plus d’un positivisme béat et mièvre, mais plutôt d’un désir sincère de jours meilleurs pour ses personnages. Ayant tourné en simple acteur un film en France dans cette même frontière franco-italienne montagneuse l’année précédente, il avait eu vent d’une confrontation plus heureuse entre des migrants italiens et des douaniers (tolérance qui relève d’une réalité comme nous l’explique le très bon livret de l’édition Tamasa) et c’est celle qu’il choisit pour le film. Les compagnons perdus en route, la ségrégation rencontrée anticipe certes de futures épreuves à venir sur cette terre promise, mais c’est avant tout vers l’horizon chargé d’espoir que nous quittons les personnages.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 16 octobre 2023