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Critique de film
Le film
Affiche du film

Last Action Hero

L'histoire

Grâce à un ticket magique, le jeune new-yorkais Danny Madigan, fan de blockbusters, se retrouve dans l'univers fictif de son idole Jack Slater, un super policier de Los Angeles. Mais les ennemis de Slater comptent bien récupérer ce ticket pour investir à leur tour la réalité...

Analyse et critique

La firme Columbia voyait en Last Action Hero le futur plus gros succès de 1993. Pour célébrer comme il se doit ce triomphe annoncé, elle apposa en toute modestie une publicité du film sur une fusée spatiale... Pensez ! La star Arnold Schwarzenegger au sommet depuis Total Recall et Terminator 2, plus le réalisateur de Piège de cristal et d’A la poursuite d’Octobre Rouge (qui tâchait de faire oublier l’insuccès de Medicine Man), plus une armada de scénaristes chevronnés (Shane Black, David Arnott, William Goldman, Carrie Fisher, Larry Ferguson) pour renforcer un premier script prometteur de Zak Penn et Adam Leff...



On le sait, à l’arrivée, Last Action Hero fut un échec au box-office. (1) Echec mérité diront certains devant la prétention commerciale de Columbia. Et, par sa production en effet, Last Action Hero avait tout pour être un film purement mercantile et cynique. Pourtant, il ne l’est pas. Comment ce tour de magie a-t-il été accompli ? Justement en misant sur la magie. Voyant le danger de superficialité qui guettait leur méga-production, Schwarzenegger, McTiernan et les scénaristes, notamment William Goldman, l’auteur de Princess Bride, ont choisi de creuser l’aspect « conte pour enfant », faisant volontairement une jolie variante de Cendrillon : l’histoire d’un enfant pauvre, pris entre deux mondes, c’est-à-dire entre la réalité sordide et le rêve. Qui plus est, pour les personnages principaux, cette quête d’un ailleurs, cette croyance éperdue en l’autre, sont renforcées par la hantise de la solitude : Danny Madigan (Austin O’Brien), orphelin, est à la recherche d’un père ; Jack Slater (Arnold Schwarzenegger), père meurtri, est à la recherche d’un fils. Grâce à cet effort d’humanité de la part de Schwarzenegger, McTiernan et Goldman (Shane Black, pour sa part, amenant son dynamisme et ses répliques à l’emporte-pièce, impayables au demeurant !), le résultat est là : Schwarzenegger, en tant qu’acteur et personnage, n’a jamais été aussi bon et aussi beau que dans Last Action Hero : bon par son jeu et par sa gentillesse ; beau par son allure et par son esprit chevaleresque.


Outre la trop forte concurrence du mastodonte Jurassic Park, sorti une semaine plus tôt, c’est sans doute sa nature de conte de fées qui explique l’échec commercial de Last Action Hero, malgré son spectacle grandiose et son humour dévastateur : les ados fans de Predator, Total Recall et Terminator ont été déçus de ne pas retrouver la violence et la destruction au premier degré ; les parents, quant à eux, ont sans doute hésité à voir en famille un conte potentiellement délirant et violent avec Schwarzenegger, ce en quoi ils n’ont pas eu tout à fait tort lorsqu’on regarde le personnage assez effrayant de l’Eventreur « joué » - je dirais plutôt incarné de manière très inquiétante par Tom Noonan ! Remarquons au passage à quel point les comédiens sont remarquables dans ce film : Robert Prosky (Nick, le vieux projectionniste), Charles Dance (Benedict, le méchant de très grande classe, œil de verre et tout de blanc vêtu - « Plus le méchant est réussi… » disait Hitchcock), Mercedes Ruehl (la mère surmenée de Danny) et, dans un registre plus parodique, Anthony Quinn (le parrain gâteux Tony Vivaldi) et F. Murray Abraham (vous savez, celui qui a tué Mozart)...



A ce beau casting s’ajoute la patte de John McTiernan. Même s’il a essentiellement travaillé dans le domaine du blockbuster, McTiernan s’est toujours efforcé d’insérer des éléments personnels dans ses « commandes ». C’est ce qu’il a appris auprès de son mentor Jan Kadar lors de ses études à l’American Film Institute : s’approprier un film, mettre des sentiments, des sensations à soi ; par exemple injecter sa paranoïa et sa peur de l’invisible dans Predator, y placer cette obsession pour l’anthropologie et la mythologie qui le suivra toute sa carrière ; mettre ses pensées d’Irlandais anti-WASP dans Piège de cristal ; parler de son rapport au père dans A la poursuite d’Octobre Rouge ou de la solitude profonde du créateur mi-humaniste, mi-misanthrope dans Medicine Man. Dans Last Action Hero, McTiernan a profité du propos méta-cinématographique (le film dans le film, l’écart entre la triste réalité new-yorkaise et la fiction hollywoodienne) pour amener à une échelle grandiose de blockbuster ses sentiments à la fois ironiques et étranges vis-à-vis de l’Amérique, qui correspondent à son parcours autobiographique : l’attirance-répulsion entre deux pôles, la côte Est « vieille et usée » (d’où il vient), la côte Ouest « jeune et artificielle » (où il a choisi de travailler pour vendre du rêve), avec au centre un gouffre, un abîme par-dessus lequel on vole comme pour mieux l’ignorer.


Dans tous les cas (Est, Centre, Ouest) : l’Amérique comme terre immense et hantée par quelque chose qui manque, quelque chose qui ne va pas. Cette béance entre deux Amériques constituait déjà l’arrière-fond de Nomads et de Piège de cristal, même si dans ces deux films le vieil Est était suggéré et non montré, accentuant par là sa présence fantôme. Ici, parodie oblige, McTiernan se veut moins subtil, se moquant ouvertement des clichés que formulent les New-yorkais à l’encontre des Californiens et vice-versa, mais il n’empêche que, par cette différence géographique nettement dessinée entre les deux pôles, il réussit à donner à Last Action Hero une impression onirique de condensation de l’espace américain, c’est-à-dire, au fond, une impression d’immensité avec un abîme latent, un trou noir qui pourrait tout aspirer et qui pourrait bien être la Mort. Dans cet abîme réside en bonne part la « magie » du film, magie plutôt noire que blanche d’ailleurs, comme en témoigne l’usage maléfique qu’en fait Benedict, qui a compris que dans la vraie vie les « méchants peuvent gagner » (l’une des nombreuses répliques marquantes du film). A la fin, d’ailleurs, la Grande Faucheuse nous attend tous. Cela nous éloigne encore une fois du cynisme commercial attendu.

L’autre source du charme dégagé par le film est son incroyable virtuosité technique, la virtuosité technique étant d’ailleurs à la base de tout numéro de passe-passe à la Houdini ! Disons-le : formellement, Last Action Hero est sans doute le film le plus virtuose et le plus varié de McTiernan, ce qui n’est pas peu dire avec ce metteur en scène connu pour son génie de la caméra et de la chorégraphie. Cette réussite filmique, véritable bréviaire pour cinéastes, est d’autant plus impressionnante lorsqu’on songe au délai extrêmement restreint pour faire le film : tout juste un an entre la première réécriture du script, à l’été 1992, et la sortie programmée en juin 1993. Je dois avouer que McTiernan m’étonne grandement lorsqu’il déclare à qui veut l’entendre (fausse modestie ?) que Last Action Hero n’est pas monté, entendez par là qu’il a n’a pas eu le temps de méditer son montage en raison de la date butoir imposée par Columbia et que le film serait une sorte de « bout-à-bout » de ce qui est sorti de la caméra. Des « bout-à-bout » comme cela, j’en veux bien tous les jours ! L’urgence semble avoir, au contraire, stimulé l’inventivité de l’équipe et n’a pas empêché la cohérence et la fluidité : filmage essentiellement diurne, s’affranchissant de toute pesanteur, pour la partie fiction hollywoodienne, avec des mouvements amples et délirants ; filmage essentiellement nocturne, tenant compte de la gravité, pour la partie réelle, avec Steadicam et caméra à l’épaule épousant au plus près, à même le sol, le parcours contrarié des héros dans les rues surchargées et encaissées de New York. Mais dans les deux cas, McTiernan a demandé au directeur de la photo Dean Semler (Mad Max 2, Danse avec les loups) une très grande profondeur de champ, épousant à la fois l’impression de vertige de Danny face à ce Los Angeles fictif et lumineux, et l’impression de vertige de Slater face à ce New York réel et ténébreux.



Film de mise en abyme provocateur, qui remet en cause avec une sincérité presque suicidaire les recettes toutes faites des franchises du type L’Arme fatale... ou Die hard Au début, j’étais un flic normal, dit Slater lors d’un de ses fréquents coup de blues, et puis je ne sais pas ce qui s’est passé, il m’est arrivé des choses de plus en plus insensées » - il ignore évidemment qu’il dépend du bon vouloir d’un scénariste hollywoodien et surtout des exigences d’un public qui veut de plus en plus de spectacle explosif !), Last Action Hero est aussi l’occasion pour McTiernan, professeur dans l’âme à en juger par ses interviews, de nous enseigner clairement sa théorie de la mise en scène, et ce depuis ses débuts : placer la caméra au cœur de l’action, faire épouser au spectateur les regards sur le qui-vive des personnages en danger. Sur ce plan, jamais ce processus de mise en scène n’aura été plus clair que dans Last Action Hero où Danny tombe au beau milieu d’un film d’action délirant. Evidemment, par ce procédé distancié, presque brechtien, McTiernan nous fait comprendre que Danny Madigan, c’est nous. Nous avec notre solitude, nos contradictions, nos rêves.

Dès lors, le défaut que les contempteurs pointent dans Last Action Hero, à savoir le tiraillement insoluble du film entre l’envie de spectacle décomplexé et l’envie d’humanité, est peut-être au contraire la qualité qui en fait tout l’intérêt : ce tiraillement insoluble, c’est justement celui des personnages. Et c’est donc le nôtre.

(1) Echec relatif toutefois : avec ses quelques 137 millions de dollars de recettes au niveau mondial, on ne peut décemment parler de bide, mais étant donné le budget de 85 millions de dollars, qui n’inclut pas les frais énormes de promotion, on peut parler d’opération largement déficitaire. Déficitaire du moins au moment de la sortie en 1993, car le film deviendra un bon succès en vidéo, et ce jusqu’à l’édition UHD qui nous occupe aujourd’hui.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Claude Monnier - le 27 septembre 2021