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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Neige et le feu

L'histoire

Août 1944, les Américains ont débarqué en France depuis deux mois mais le pays est encore loin d’être libéré. A Paris, Michel (Matthieu Rozé) a 17 ans, il rejoint sans beaucoup réfléchir les Résistants qui luttent pour la libération de la capitale. Il y retrouve un ami d’enfance, Jacques (Vincent Perez) et, un soir de bombardement, passe une nuit d’amour enflammée avec l’infirmière Christiane (Géraldine Pailhas). Les deux amis sont bientôt intégrés à l’armée française du Général de Gaulle et partent avec enthousiasme en direction du front où les forces alliées pourchassent les Allemands des Vosges jusqu’à l’Alsace. Christiane, elle, reste à Paris. Bien que Michel soit complètement fou d’elle, la jeune fille a une préférence pour Jacques, plus séduisant, plus mature. C’est alors qu’elle découvre être enceinte de Michel...

Analyse et critique


Avec La Neige et le feu, film de guerre spectaculaire, Claude Pinoteau obtient, pour l'un de ses derniers projets, le plus gros budget de sa carrière. Il s'agit aussi de son échec le plus cuisant, condamnant le film à l’oubli. La genèse du projet annonce quelques-uns des défauts sur lesquels nous reviendrons : Pinoteau et sa scénariste de longue date, Danièle Thompson, avaient commencé en 1986 à travailler sur l'adaptation d'un roman sentimental se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale (La Bicyclette bleue de Régine Deforges), centré sur un personnage principal féminin. Mais celle-ci est annulée pour des questions de droits d'auteur (1), laissant le duo de scénaristes au désarroi. Peu après, Alain Poiré, producteur historique de la Gaumont, ayant accompagné Pinoteau depuis La Gifle, découvre que le réalisateur avait lui-même été soldat de la Libération en 1944-45 et s’enthousiasme pour les anecdotes que le cinéaste lui raconte. Poiré, lui aussi désolé de l'échec de l'adaptation, décide d’offrir carte blanche à Pinoteau pour qu’il porte ses souvenirs à l'écran. Cela conditionnera le film dans son ensemble. Manquant d’un réel point de vue, celui-ci conserve une colonne vertébrale romantique héritée du projet d’adaptation du roman de Deforges mais se voit agrémenté d’une collection d’anecdotes de guerre plus ou moins bien intégrées.


Le film conserve plusieurs qualités, historiquement fidèle, généreux en spectacle, techniquement soigné, il offre aussi un regard enthousiasmant sur une période et des événements rarement portés à l'écran : l'engagement de jeunes Français pour la libération des territoires occupés au moment du retour du Général de Gaulle. On a accusé le film de patriotisme bêta, concédons qu'il aurait été possible de représenter la jeunesse de 1944 avec plus de nuances. Il aurait fallu contrebalancer l’échantillon d’individus présenté par le film en ajoutant quelques miliciens collabos, mais cela aurait été aller contre l’énergie volontairement exaltée du récit, attaché à des personnages également représentatifs de leur époque, les vaincus désireux de regagner leur honneur, une jeunesse ayant grandi durant l’Occupation à la recherche de fierté et d’indépendance. (2) Seulement, d'autres films étaient passés par là comme Lacombe Lucien de Louis Malle, 1974, ou Mr. Klein de Joseph Losey, 1976 ; eux-mêmes tièdement accueillis à leur époque. Ils incarnent maintenant le paradigme d'une vision distanciée, froide et amère de la guerre vécue par les Français.


La Neige et le feu est loin d'être exempt de défauts, mais d'ordres esthétique et structurel plus que thématique. C'est tout d'abord d'un déséquilibre scénaristique que le film souffre, le réel sujet étant le déchirement de deux amis aux origines sociales opposées, interprétés par un jeune Vincent Pérez et par le méconnu Matthieu Rozé, tous deux amoureux de la débutante Géraldine Pailhas. De fait, la guerre se trouve rapidement mise au second plan du récit. Malgré la violence et la peur bien présentes dans l'environnement des héros, ceux-ci semblent surtout être affectés par les revirements amoureux de la jeune fille. Les scènes de batailles venant presque interrompre le fil d'une romance bien menée mais plutôt conventionnelle (qui n’est pas sans rappeler celle du Pearl Harbor de Michael Bay). Ceci d’autant plus que les situations militaires passent souvent pour une collection d'anecdotes historiques dépareillées ; elles sont surprenantes, amusantes mais rarement excitantes. On a l'impression d'assister à des reconstitutions racontées aux dépens du parcours des protagonistes, alors simples témoins de moments aléatoirement dramatiques ou tragi-comiques. Toutes les étapes de l’aventure militaire sont scandées par des micro-évènements cocasses qui sont manifestement la restitution directe des souvenirs de Pinoteau.


Par exemple, lorsque les jeunes soldats sont rassemblés à l’aube pour monter dans les camions vers le front, la dynamique de la scène est freinée par le rappel d’un fait curieux : les sacs fournis aux soldats n’avaient pas de bretelles. Ils durent donc utiliser cravates, bretelles de pantalon ou autres cordages pour le porter sur leur dos. Était-ce vraiment le bon moment pour raconter cela alors que nous aimerions nous laisser porter par le mouvement en avant de cette jeunesse ? De même, nous voyons le personnage de Michel devenir infirmier de guerre sans qu’on lui demande son avis et recevoir une formation expéditive. Cette situation, intégrée au récit de manière aléatoire, presque forcée, s’explique simplement par le fait que Pinoteau lui-même a vécu cela. Certes, le prisme des soignants et des hôpitaux de campagne est intéressant pour raconter la guerre, mais cela semble encore une fois anecdotique, arbitraire, par rapport aux parcours individuels des héros.


Peinant à susciter l’émotion et l’empathie, le film pêche aussi dans sa mise en scène. Pinoteau, qui a oscillé depuis le début de sa carrière entre le polar et la comédie sentimentale, a visiblement du mal à trouver le ton juste. La Neige et le feu partage en réalité avec des films comme La Gifle, La Boum 1&2 et L’Etudiante, la caractéristique d’être une chronique de la jeunesse, où l’intrigue vaut autant que la représentation d’une époque et de ses principaux représentants. Mais combinée au genre du film de guerre et à la contrainte de la reconstitution, la formule n’a cette fois pas fonctionné. S’il a su raconter les jeunes adultes des années 70, les adolescents et les étudiants des années 80, il échoue à rendre authentique, vibrante, sensible, cette expérience de la jeunesse qu’il a lui-même connue dans les années 40. Les scènes de batailles sont filmées platement et manquent cruellement du souffle qui habite supposément ses protagonistes. Là où les scènes urbaines de l’arrière sont souvent dynamiques, retrouvant parfois (timidement) le rythme qui caractérisait toutes les comédies précédemment citées, les moments sur le front semblent presque paralyser le réalisateur. Il ne peut filmer un tank ou une escouade autrement qu’avec une caméra majoritairement fixe, des cadrages descriptifs, un découpage scolaire. On se contentera surtout d’apprécier l’ampleur des moyens déployés, indéniablement mis à l’écran, à l’image de ce village alsacien construit en dur pour mieux exploser en plan large, ou des nombreuses colonnes de tanks qui sillonnent les paysages enneigés du nord de la France.


Quoi qu’il en soit, on y retrouve également le tempérament puissamment romantique du réalisateur, certains effets et idées que d’aucuns pourraient juger kitsch ou surannés témoignent malgré tout d’une réelle inventivité, sinon d’audace, dans la représentation des sentiments fiévreux de ses protagonistes. Une belle bascule tragique s’opère même dans le dernier tiers du récit plongeant le film dans une ambiance plus sombre et crépusculaire, mais les enjeux ont été trop mal posés et l’on peine à s’impliquer autant qu’il le faudrait. Les intentions apparaissent néanmoins d’autant plus louables à une époque où le cinéma français grand public se veut de plus en plus timide en termes de grands sentiments. Des intentions qui se retrouvent également dans la riche partition orchestrale de Vladimir Cosma, visiblement heureux de composer des thèmes héroïques, martiaux et pathétiques en plus des thèmes romantiques dont il a l’habitude. (3)


Malheureusement pour Alain Poiré, La Neige et le feu fut donc quasiment ignoré du public (330 000 entrées France, contre 1 580 000 pour L’Dtudiante, précédent film de Pinoteau) et mal reçu par la presse. Le succès de Géraldine Pailhas aux césars 1992, où celle-ci remporta la récompense du meilleur espoir féminin, n’empêcha pas le film de s’effacer des mémoires et d’amorcer le déclin de la carrière de son réalisateur. Ses deux derniers films pour le cinéma, Cache Cash et Les Palmes de M. Schultz, ne trouvèrent pas leur public non plus et il échoua à monter ses projets suivants (jusqu’au docu-fiction sur l’Abbé Pierre, une commande, qui fut sa dernière réalisation, diffusé à la télévision en 2005). Pour autant, et malgré les nombreux reproches que nous venons de faire, il reste que le film est, sous bien des aspects, plus appréciable que nombre des récentes productions françaises d’ampleur à mettre en scène la Seconde Guerre mondiale à l’image de la mollassonne et édifiante Armée du Crime de Robert Guédiguian, 2009, du pathétique et inutile La Rafle de Rose Bosch, 2010, ou encore du lénifiant biopic De Gaulle de 2020.

(1) Trop similaire dans son intrigue à l’action d’Autant en emporte le vent, la MGM, détentrice des droits du roman de Margaret Mitchell intenta un procès à Deforges, ce qui bloqua le projet d’adaptation. Le scénario sera plus tard réalisé pour la télévision par Thierry Binisti, avec Pinoteau crédité comme scénariste.
(2) La question de la Collaboration est uniquement abordée à travers une intrigue secondaire portée par le personnage de Jacques, dont le père collaborationniste est fusillé, et qui reste en conflit avec sa mère par la suite.
(3) 
Lara Fabian chante d’ailleurs Laisse-moi rêver sur le CD de la bande originale du film, reprenant avec une très ringarde instrumentation pop le joli thème romantique de Cosma. Pas besoin de préciser qu’il n’a pas connu le même succès que la chanson phare de La Boum.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Nicolas Bergeret - le 24 octobre 2022