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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Gifle

L'histoire

Jean Douélan (Lino Ventura), 50 ans, est professeur de géographie dans un lycée parisien. Bourru au grand cœur, il élève seul sa fille Isabelle (Isabelle Adjani), 18 ans, étudiante en première année de médecine. Il est en effet séparé depuis quelques années de sa femme Hélène (Annie Girardot), partie en Australie avec son amant et qui vit désormais en Grande-Bretagne avec un Anglais pittoresque. Sa nouvelle compagne, Madeleine (Nicole Courcel), vient à son tour de le quitter sentant leur relation sur le déclin. A ces désarrois d’ordres sentimentaux s’ajoutent des problèmes professionnels pour Jean : alors qu'il s'était battu avec des policiers en civil qui rossaient un étudiant, sa direction demande à ce qu’il soit mis à pied ou muté. Ce qui ne facilite pas ses rapports avec l’exubérante Isabelle, d’autant que cette dernière aimerait prendre son indépendance pour aller vivre avec Marc (Francis Perrin). Une dispute éclate qui se termine par une gifle magistrale. Sans prévenir son père, Isabelle fugue alors en moto avec Remy (Jacques Spiesser) pour aller rejoindre sa mère en Angleterre...

Analyse et critique


La Gifle, classique de la comédie de mœurs à la française et surtout champion des rediffusions télévisuelles, est le deuxième des onze films de Claude Pinoteau après Le Silencieux, très bon film d’espionnage avec déjà Lino Ventura en tête d’affiche. Auparavant, le réalisateur débuta comme accessoiriste puis régisseur, avant de devenir assistant réalisateur dès 1948, notamment sur des films devenus des incontournables de notre cinématographie signés Jean Cocteau (Les Parents terribles), Jean-Pierre Melville (Les Enfants terribles), Henri Verneuil (Un singe en hiver) ou encore Claude Lelouch (L'Aventure c'est l'aventure). Il ne passera donc derrière la caméra qu’après 25 ans de bons et loyaux services pour le 7ème art, avec deux très gros succès consécutifs, La Gifle étant même récompensé par ses pairs en obtenant le très convoité Prix Louis-Delluc en 1974. Belle gratification pour un cinéaste comme Pinoteau qui, amoureux du cinéma de Frank Capra et de Ernst Lubitsch, avait toujours rêvé de tourner une comédie. Lino Ventura tournera à nouveau deux fois avec lui (L’Homme en colère en 1979 puis La Septième cible dans les années 80).


 

Si ce dernier film est aujourd’hui imbuvable, il fit cependant du jour au lendemain une star de son actrice principale. Il en avait été de même pour Isabelle Adjani avec La Gifle, qui fut néanmoins déjà à l’affiche du Petit bougnat de Bernard Toublanc-Michel ainsi que de Faustine et le bel été de Nina Companeez, et bien après s’être fait remarquer sur les planches dès son rôle d’Agnès dans L’Ecole des femmes à la Comédie Française. C’est Jean-Loup Dabadie qui, voyant jouer au théâtre la jeune comédienne dans Ondine de Giraudoux, décide d’écrire le scénario de La Gifle à son intention. Dabadie, c’était déjà le tendre et savoureux scénariste de quelques-uns des plus beaux films de Claude Sautet (Les Choses de la vie, César et Rosalie), Philippe de Broca (La Poudre d’escampette) ou Yves Robert (Salut l’artiste). Après La Gifle, il ne s’arrêtera pas en si bon chemin, à tel point qu’il n’est pas exagéré d’estimer qu’il a quasiment effectué un parcours sans faute, du dytique Un éléphant ça trompe énormément / Nous irons tous au paradis d’Yves Robert en passant par Violette et François de Jacques Rouffio, Clara et les chics types de Jacques Monnet, Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, Attention, une femme peut en cacher une autre de Georges Lautner... Presque uniquement des chroniques de mœurs teintées de sa petite musique bien à lui, douce-amère, tendre, mélancolique et touchante. « Le sujet m’a plu car Dabadie, Pinoteau et moi-même avions des filles ; nous avons voulu faire une comédie intergénérationnel en faisant appel à nos propres expériences de père » dira Lino Ventura. Et effectivement, le scénario est constitué entre autres de multiples anecdotes survenues à chacun d’entre eux en tant que père d’une adolescente.


Et la réussite est au rendez vous, les auteurs ayant parfaitement bien capté l’air du temps, leur « comédie passionnelle » (comme aimait à la décrire le cinéaste) est désormais devenue, outre un classique mérité de la comédie de mœurs, un document sociologique très intéressant sur le milieu des années 70. Et pas que sur la jeunesse d’ailleurs, contrairement à ce que nous aurions pu penser en se souvenant d’Adjani comme principale protagoniste ainsi que du pitch qui met son personnage en avant. Car, contrairement aux deux Boum (écrites par Danièle Thomson, qui ne possède pas le don d'observation de Dabadie), les adultes ne sont pas ici de simples faire-valoir et tiennent au contraire une place d’une égale importance de celles des jeunes ; Dabadie et Pinoteau dépeignent avec autant d’attention les pérégrinations d’Isabelle et de ses amis que le portrait de ses parents. On suit donc également les relations du père et de sa maîtresse, du père et de son ex-femme, du père et de sa fille, ainsi que les problèmes professionnels auxquels il est confronté... Pas vraiment d’intrigue bien solide (ce qui n’est pas nécessairement un défaut, et en l’occurrence ce n’en est pas un) mais, comme la plupart du temps avec Dabadie, des tranches de vie, plus précisément une description de la vie quotidienne de grands adolescents à cette époque de libération des mœurs et de leurs relations avec les adultes, qu'ils soient ou non de la famille. Il n'y aura guère de surprises pour la plupart des parents qui devraient tous plus ou moins se reconnaître ici (qu'ils se souviennent de leur propre jeunesse ou des difficultés rencontrées avec leurs adolescents), les problèmes relationnels liés à la jeunesse étant toujours plus ou mois les mêmes depuis... Socrate. Quoi qu’en disent les mauvaises langues, ou les vieux grincheux à la mémoire courte qui veulent voir en la jeunesse un fléau du présent sans se rappeler qu’ils furent les mêmes calamités pour leurs aînés.


Mal-être de jeunes adultes (« Je suis mal et je n’arrive pas à l’expliquer » se plaint Isabelle), qui n’en disposent pas moins d’une vitalité exacerbée souvent agaçante pour leurs parents qui ont du mal à suivre leur rythme (« Je n’arrive plus à la photographier : elle bouge trop » ), La Gifle brosse un portrait très juste de cette génération si l’on excepte le personnage de Morillon, interprété par Francis Perrin qui est surtout là pour faire le clown (ce qu’il fait d’ailleurs assez bien ; en tout cas, au moins dans le film de Pinoteau), à l’origine de quelques gags et fous rires pour le spectateur (le match de foot entre autres, au cours duquel il tente une "approche" du père pour lui demander de vivre avec sa fille). Il est très plaisant de trouver parmi les interprètes de ce groupe de jeunes de futurs grands comédiens tels Nathalie Baye, Jacques Spiesser, Richard Berry ou André Dussolier, certains ne faisant que de très brèves apparitions. Nostalgie aussi pour les quarantenaires / cinquantenaires du fait de retomber sur quelques repères visuels de ce milieu des années 70 tels, outre les voitures, les posters de Charlie Brown, les T-shirts University of Texas ou encore le Homecraft (Pinoteau semble avoir été fasciné par ce moyen de transport, s’y appesantissant bien durant une bonne minute)... et étonnement de constater ou se remémorer que l'on avait le droit à l’époque de fumer même au sein des amphis ou durant les examens écrits. Même si le film est bien ancré dans son époque, la jeunesse du XXIème siècle devrait néanmoins se retrouver dans celle exubérante d’il y a quarante ans, pouvant ainsi constater que pas grand-chose n’a changé dans leurs relations avec leurs parents. Elle devrait pouvoir se reconnaître dans le personnage d’Isabelle, très justement interprétée par une Isabelle Adjani qui n’a jamais été aussi convaincante que dans la comédie ; elle le confirmera d’ailleurs dans Violette et François de Jacques Rouffio, Clara et les chics types de Jacques Monnet ou encore Tout feu tout flamme de Jean-Paul Rappeneau.


Ici, tour à tour craquante, fatigante et attachante, elle nous livre une très bonne prestation pleine de vie et de fantaisie grâce à un débit rapide et une belle capacité dans la rupture de ton, ses abrupts accès de colère (dont l'un sera le déclencheur de la fameuse gifle, qui couvait pourtant depuis pas mal de temps) s’avèrent vraiment très crédibles en venant nous rappeler que nous ne sommes pas ici dans une pure comédie mais plutôt dans une chronique. Aux côtés de la toute jeune Isabelle Adjani, nous trouvons parmi les personnages masculins un Francis Perrin parfait en bouffon survolté et un Lino Ventura fortement attachant dans son personnage du père dépassé par les évènements, aussi bien sentimentaux que professionnels, qui doit ainsi tout en se remettant en question apprendre à se séparer de sa fille qui souhaiterait ardemment voler de ses propres ailes. Il forme un couple très attendrissant avec une Annie Girardot qui ne démérite pas, cocasse en maîtresse fantasque d’un pittoresque Anglais, et auparavant avec une Nicole Courcel épatante durant son faible temps de présence en début de film dans le rôle de sa nouvelle maîtresse. La rupture en cours est d'ailleurs très bien décrite, un sentiment de tristesse sourdant avec mélancolie sous le comique de situation.


Pour le reste, l'immense compositeur Georges Delerue concocte une jolie partition qui culmine lors de la virée à moto en Angleterre et Claude Pinoteau, avec professionnalisme, emballe le tout avec rythme et vivacité à défaut de génie. Sur fond de conflit des générations, La Gifle est un portrait juste, touchant, sensible, drôle et a posteriori nostalgique de la jeunesse et des classes moyennes en ce début de la présidence giscardienne. Une jolie comédie de mœurs qui ne s’est pas démodée, une œuvre pleine de fraîcheur, un des très bons films sur les liens amour / haine entre un père et sa fille, qui doit beaucoup à son scénariste et à son magnifique don d’observation de la société française.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 22 septembre 2014