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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Belle ensorceleuse

(The Flame of New Orleans)

L'histoire

La Nouvelle-Orléans dans la première moitié du 19ème siècle. Sur les eaux du Mississippi flotte une robe de mariée découverte par deux pêcheurs. D’où provient-elle ? Qu’est devenue sa propriétaire ? Revenant quelques jours en arrière, le film va nous dévoiler le mystère de la belle ensorceleuse du titre français. Nous voilà à l’opéra où tous les notables se sont réunis. La Comtesse Claire Ledoux (Marlene Dietrich), pour attirer l’attention de l’homme le plus riche de la ville, feint de s’évanouir dans sa loge. Le stratagème fonctionne à la perfection et le banquier Charles Giraud (Roland Young) n’a plus qu’une idée en tête : revoir la ravissante comtesse qui ne cherche en fait qu’une seule chose, s’en faire épouser. Un quiproquo va faire que notre croqueuse de diamants - qui n’est évidemment pas plus comtesse que moi - va rencontrer un marin (Bruce Cabot) sous le charme de qui elle tombe ; malheureusement ce dernier est sans le sou. La situation va se compliquer le jour où l'un de ses anciens "amants" la reconnait et risque de dévoiler sa véritable identité, ce qui compromettrait les fastueuses noces déjà en préparation...

Analyse et critique


Tout comme Jean Renoir et Julien Duvivier, René Clair s’est exilé aux USA durant la Seconde Guerre mondiale. Tous trois se sont plutôt bien acclimatés avec le Hollywood des studios, les magnats des majors étant assez fiers d’avoir attiré de telles pointures. Si Jean Renoir accoucha de quelques petites pépites néanmoins sans communes mesures avec ses chefs-d’œuvre français - on pense notamment aux très bons L’Homme du Sud (The Southerner), Vivre Libre (This Land is Mine) ou Le Journal d’une femme de chambre (The Diary of a Chambermaid) -, Julien Duvivier ne marqua guère les esprits. Dans un domaine bien plus léger que chez Renoir, René Clair signa quatre films dont au moins deux sont devenus des petits classiques : les délicieux Ma Femme est une sorcière (I Married a Witch) et surtout C’est arrivé demain (It Happened Tomorrow) dans lequel un journaliste recevait le don de connaitre les évènements 24 heures avant qu’ils se produisent. Outre également une adaptation du célébrissime roman Dix petits indiens d’Agatha Christie, René Clair réalisa aussi cette comédie mineure qu’est La Belle ensorceleuse, assez mal reçue par la critique de l’époque.


 

Ainsi The Flame of New Orleans fut surtout boudé pour l'extrême futilité de son scénario, effectivement basé sur quelques quiproquos et péripéties vaudevillesques répétitives et tout à fait convenus. L’intrigue tourne principalement autour des stratagèmes forgés par une demi-mondaine roublarde, qui se fait passer pour une comtesse afin d’attirer dans son lit les hommes les plus riches des villes où elle atterrit, espérant s’en faire épouser, récolter le magot et fuir ailleurs. Ici nous assistons évidemment comme son titre l’indique à sa "partie de chasse" à la Nouvelle-Orléans, la ville et l’époque étant fastueusement reconstituées en studio, la sublime photographie signée Rudy Maté - futur réalisateur sous le nom de Rudolph Maté - aidant à rendre l’aspect plastique de cette cité tumultueuse fort plaisante à regarder. L’idée la plus délectable de cette histoire écrite par Norman Krasna - Noël blanc (White Christmas), Le Milliardaire (Let's Make Love) - est d’avoir donné à la femme de chambre noire le rôle de la complice de sa maitresse, la comédienne Theresa Harris s’avérant savoureuse dans la peau de cette entrepreneuse impertinente qui se révèle bien plus intelligente que le plupart des personnages de notables, bourgeois et aristocrates croqués ici avec ironie et satire. René Clair ajoute ainsi à sa comédie de boulevard un zeste de pamphlet social loin d’être désagréable. Parmi les autres seconds rôles assez réjouissants, signalons Anne Revere (la sœur du banquier) ou Misha Auer (l'amant russe).


Après un prologue porté par une voix off nous présentant le mystère que le film va devoir résoudre, celui de la robe de mariée retrouvée dans le fleuve par deux pêcheurs, retour arrière avec une séquence ciselée aux petits oignons digne d’un Lubitsch, celle à l’opéra avec en arrière-fond un morceau magnifique du Lucia de Lammermoor de Donizetti. Découpage millimétré, élégance des mouvements de caméra, beauté des cadrages, cocasserie des situations, dialogues réduits au strict minimum, tout passe divinement bien par la seule intelligence de la mise en scène. Dommage que la suite soit plus sage et moins virtuose, même si plaisante et parfois assez drôle. Mais là où le bât blesse principalement, c’est dans le choix des partenaires masculins de Marlene Dietrich ; alors que l’actrice est pétillante et pétulante de bout en bout, il semble n'y avoir aucun répondant face à elle, le jeu de Bruce Cabot s’avérant d’une extrême fadeur là où l’on attendait du charisme et de la prestance. La comédienne dira d’ailleurs de son partenaire qu’il était « an awfully stupid actor » ; lorsque l'on sait qu’elle avait demandé en lieu et place de Roland Young et Bruce Cabot, Adolphe Menjou et Cary Grant, gageons qu’avec un tel duo le film aurait acquis une toute autre ampleur ! La dernière demi-heure étant surtout concentrée sur la romance entre Bruce Cabot et Marlene Dietrich, l'alchimie entre les deux comédiens étant totalement absente, cette partie s’avère assez désespérante dans son incapacité à nous faire ressentir l’amour censé exister au sein de ce couple. Dommage qu’après un début aussi enlevé et amusant, ce long final se soit révélé aussi laborieux ! La dernière image assez leste permet néanmoins de terminer le film sur une note nettement plus positive.


Comparativement à d’autres de ses films, y compris en Amérique, La Belle ensorceleuse reste malgré ses évidentes qualités - surtout plastiques - indéniablement mineur dans la filmographie de René Clair. Le spectacle est cependant très plaisant, à l’image de la délicieuse chanson Sweet is the blush of May susurrée à merveille par une Marlene Dietrich resplendissante et au summum de sa beauté, il est vrai bien épaulée par le chef opérateur, le maquilleur et le costumier. Un marivaudage désinvolte et sans prétention, cependant assez charmant et en tout cas, grâce à une direction artistique parfaite, un régal pour les yeux ! Pour ceux qui auraient grandement apprécié ce divertissement, dans le même registre et à la même époque, on recommandera également pour les amateurs de Marlène l'amusant et émouvant Femme ou démon (Destry Rides Again) de George Marshall.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 30 mars 2017