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Critique de film
Le film

Le Milliardaire

(Let's Make Love)

L'histoire

A Greenwich Village, une revue satirique est montée au cours de laquelle sont caricaturées certaines célébrités de l’époque dont Maria Callas, Elvis Presley ainsi que le milliardaire d’origine française établi à New York, Jean-Marc Clément (Yves Montand). Ce dernier en ayant entendu parler, avant de faire interdire le spectacle, il décide d'assister incognito aux répétitions pour se rendre compte par lui-même quel sort on lui réserve. Ébloui par la prestation d’Amanda (Marilyn Monroe), la vedette féminine du spectacle, il ne révèle pas son identité lorsqu’on le prend pour un acteur au chômage venu pour les essais du rôle de... Jean-Marc Clément ! Sa ressemblance avec l’industriel est si frappante (et pour cause) qu’on l’engage immédiatement. Il se lie d’amitié avec Amanda, qui lui avoue son total mépris pour le milliardaire qu’il doit interpréter sur scène...

Analyse et critique

Quelle mouche a piqué la critique pour faire à ce Let’s Make Love une réputation aussi peu flatteuse ? D’autant que cette casserole que la comédie musicale de George Cukor continue d’ailleurs encore aujourd’hui de trainer derrière elle est à mon humble avis très loin d’être méritée. Une telle intransigeance, aux dépens de l’œuvre finale, de la part des journalistes découlerait-elle du fait qu'ils se sont avant tout concentrés sur les anecdotes qui n’ont pas manqué de faire la une des tabloïds aussi bien au moment de la pré-production que du tournage, voire même lors de la sortie du film ? Comme quoi Arthur Miller aurait fait réécrire en sous-main le scénario de Norman Krasna (White Christmas de Michael Curtiz) pour enrichir le personnage d’Amanda et ainsi mieux mettre en valeur son épouse ; comme quoi Yul Brynner, Cary Grant, Charlton Heston, Rock Hudson, James Stewart et quelques autres auraient refusé le rôle du milliardaire pour ne pas avoir à tourner avec la star féminine ; comme quoi Gregory Peck aurait lui aussi décliné après avoir lu le scénario retouché par Miller, qui aurait étoffé le personnage féminin au détriment du sien ; comme quoi Yves Montand aurait été choisi et quasiment imposé par le dramaturge américain qui l'avait déjà fait tourner dans l’adaptation par Raymond Rouleau de sa pièce, Les Sorcières de Salem ; comme quoi le couple à l’écran aurait répondu positivement aux injonctions du titre original ("Faisons l’amour") en batifolant sur les lieux mêmes du tournage, vivant ainsi une véritable idylle extraconjugale qui aura fait grand bruit à Hollywood - certains émettront même plus tard l’hypothèse que celle-ci serait à l’origine de la précipitation de la fin de Marilyn... Excepté le dernier ragot, tout cela s’est effectivement avéré sauf qu’il est dommage que tous ces à-côtés aient phagocyté à ce point le film et ses réelles qualités.

Car au contraire, cette comédie vaudevillesque rafraichissante se suit avec un plaisir presque constant. Depuis la découverte, ces vingt dernières années, d’autres grands noms de la comédie hollywoodienne tels Mitchell Leisen ou Gregory La Cava, on a un peu tendance de nos jours à oublier que Cukor possède lui aussi l'une des filmographies les plus riches en la matière, qu’elles soient musicales ou non. Sur plus de trente ans, de Dinner at Eight à My Fair Lady, en passant par tous ces petits bijoux que sont Indiscrétions (The Philadelphia Story), Madame porte la culotte (Adam’s Rib), Mademoiselle gagne tout (Pat and Mike) ou encore Holiday, The Actress ou Les Girls, George Cukor aura à de maintes fois prouvé son talent de dialoguiste, de directeur d’acteurs, son raffinement, son élégance et son parfait timing pour le genre. Même s’il est loin d’atteindre le niveau des meilleurs d’entre eux, Le Milliardaire n’a absolument pas à rougir au milieu de ces titres de comédies. Le postulat de départ est assez cocasse et à la réflexion assez vertigineux dans sa mise en abime : un milliardaire apprenant qu’on va méchamment le caricaturer dans un spectacle en train de se monter vient incognito assister aux répétitions. On le prend pour un comédien venu passer des auditions pour interpréter... son propre rôle. Tombé amoureux de l’actrice principale et apprenant de sa bouche même qu’elle méprise le millionnaire qu’il doit interpréter sur scène, il ne va évidemment pas démentir le fait de n’être qu’un modeste comédien. On imagine aisément tous les quiproquos qui peuvent découler d’une telle situation, d’autant plus que pour la première fois une femme l’apprécie pour sa charme personnel et non pas seulement pour son argent...

Encore une fois, le cinéaste décrit avec un amour immodéré ce microcosme qu’il porte en très haute estime et au sein duquel il se plaît plus qu'ailleurs, celui du spectacle. Il avait fait de sa version de A Star is Born (Une étoile est née) un bouleversant chef-d’œuvre, et quelques mois seulement avant Le Milliardaire il proposait sur les écrans un western humoristique tout à fait réjouissant sur une troupe théâtrale itinérante, La Diablesse en collants roses (Heller in Pink Tights). Cukor rendait alors un vibrant hommage aux saltimbanques américains de la fin du XIXème siècle avec une grande tendresse pour ces acteurs itinérants, décrivant avec attention leurs vicissitudes et leur vie quotidienne. Il en va quasiment de même dans Le Milliardaire puisque le personnage que joue Marilyn Monroe - sur lequel il s’appesantit plus que tout autre - est un(e) des multiples comédien(ne)s qui remplissent son œuvre, une jeune femme ingénue et vulnérable, profondément attachante également par sa volonté de se cultiver coûte que coûte, se rendant après ses répétitions dans des cours du soir afin de parfaire sa culture générale, synonyme pour elle de plus de considération de la part de ses partenaires. L’actrice a probablement dû mettre pas mal d’elle-même dans le rôle d’Amanda qui lui ressemble sur de nombreux points ; Marilyn crève l’écran et monopolise l’attention à chacune de ses apparitions d’autant plus qu’elle porte quasi-continuellement corsets, justaucorps et robes moulantes qui la mettent idéalement en valeur.

Marilyn Monroe était alors à l’apogée de sa trop courte carrière ; ses trois derniers films seront ses plus mémorables. Elle n’aura jamais été aussi bonne comédienne, aussi radieuse, belle, naturelle et plantureuse que dans Let’s Make Love et, même sans fards, dans The Misfits, l'un des nombreux sommets de l'oeuvre de John Huston. En actrice à la fois naïve et ô combien séduisante, elle est à la fois juste, drôle et touchante ; ses numéros Specialization, Let’s Make Love et My Heart Belongs to My Daddy - la séquence dont tout le monde se souvient - sont absolument merveilleux. Il faut dire que les chorégraphies de Jack Cole et les chansons de Jimmy Van Heusen et Sammy Cahn (ainsi que Cole Porter pour la dernière citée) sont d’une épatante modernité et surtout grandement sensuelles : « My name is... Lolita... and uh... I'm not supposed to... play... with boys! I just adore his asking for more but my heart belongs to daddy ! » Quant à Yves Montand, sur qui les critiques sont tombées en masse, il se révèle pourtant charmant dans son rôle de French Lover milliardaire et forme avec l’actrice un couple qui fonctionne parfaitement bien. Sa maladresse est-elle voulue ou non, en tout cas elle colle parfaitement au personnage qui se retrouve démuni lorsqu’il est pour la première fois confronté à une femme qui l’apprécie pour son charme plus que pour son argent. Avec son accent, sa classe, mais aussi sa gaucherie assez pathétique - lorsqu’il s’agit de séduire avec un autre profil emprunté -, n’hésitant pas à rire de lui-même car son personnage est quasiment ridiculisé tout du long, l’acteur français s’avère finalement presque aussi émouvant que sa partenaire. Les subterfuges qu’il utilise pour arriver à ce que la comédienne finisse par tomber amoureuse de lui sont sources de beaucoup de cocasseries qui rendent le film souvent très amusant. Enfin, il ne faudrait pas oublier l’inénarrable Tony Randall, l’excellent Wilfrid Hyde-White ainsi que les apparitions imprévues (puisque non annoncées au générique) des guest stars que sont Gene Kelly mais surtout Bing Crosby et Milton Beerle, qui se moquent d'eux-mêmes avec intelligence et discernement.

Un scénario parfois un peu paresseux qui n'arrive à tenir presque exclusivement que sur ses savoureux dialogues et son quiproquo mis en place dès le début de l’intrigue, avec même quelques coups de mou en son milieu, mais néanmoins franchement délicieux et pas inintéressant par le fait d’aborder au passage des thématiques telles l'argent ou la célébrité... Une mise en scène légère et élégante pour une comédie musicale romantique peut-être pas inoubliable mais en tout cas jamais ennuyeuse et surtout drôle, fraiche, joyeuse, pétillante et souvent réjouissante, d'autant qu'elle n'est pas non plus dénuée d’une attendrissante amertume. A revoir sans hésitation, Le Milliardaire est une charmante comédie musicale bien plus raffinée que ne le laisse à penser sa réputation !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

DANS LES SALLES


Le Milliardaire
UN FILM DE George Cukor (1960)

DISTRIBUTEUR : LA FILMOTHEQUE DU QUARTIER LATIN
DATE DE SORTIE : 11 janvier 2017

La Page du distributeur

Par Erick Maurel - le 10 janvier 2017