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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Bataille de la planète des singes

(Battle for the Planet of the Apes)

Analyse et critique

LA SUITE DE VOTRE FEUILLETON

Même si l'on sait que l'industrie cinématographique a le goût des post-scriptum, en 1973 Battle for the Planet of the Apes se présente comme le chapitre final d'un récit inauguré cinq ans plus tôt. Ce film s'annonce donc comme fondamental, chargé de faire définitivement le lien avec la situation telle qu'on l'a connue dans le tout premier opus réalisé par Franklin Schaffner, et bouclant ainsi la vertigineuse boucle temporelle. Sans doute effrayé par le ton très noir de Conquest of the Planet of the Apes (rattrapé in extremis par le remontage de la fin), le producteur Arthur P. Jacobs se ressaisit et propose d'achever le cycle sur une note plus optimiste. Paul Dehn, malade en début de production, se voit adjoindre un couple de scénaristes qui devront assurer cette orientation vers un divertissement plus familial, une perspective qui sera incarnée à l'écran par le personnage du fils de Caesar, auquel les jeunes spectateurs pourront s'identifier. Choix étrange en plus de contredire le ton adulte des précédents films, puisqu'on suppose que le jeune public n'a pas été autorisé à voir Conquest of the Planet of the Apes. Recouvrant la santé pendant le tournage, Dehn s'autorisera de nouvelles et importantes modifications du script, ce qui se ressentira sur le résultat final.


De film en film les budgets deviennent de plus en plus dérisoires, de même que les recettes. Le studio rentre toujours dans ses frais mais n'espère désormais plus retrouver les bénéfices du premier volet. Malgré son titre qui promet la surenchère, Battle for the Planet of the Apes ne bénéficiera que de 1,8 millions de dollars. Il s'agit en réalité d'une dernière opération commerciale destinée à accompagner le lancement d'une série télévisée, déjà prévue, autour de la franchise. Les rênes sont à nouveau confiées à Jack Lee Thompson, dont la production apprécie la maîtrise du budget et sa capacité à faire beaucoup avec peu. Après cela, le réalisateur tournera encore une fois sous la houlette de Jacobs (Huckleberry Finn) avant de prendre un abonnement avec Charles Bronson (neuf films ensemble). Roddy McDowall affirme une ultime fois son statut de star de la saga, achevant l'odyssée du fils de Cornelius, tandis que Natalie Trundy, l'épouse de Jacobs, réendosse le rôle de Lisa. Sous la peau d'un sympathique orang-outan, le chanteur Paul Williams rejoint un casting assez hétéroclite, tandis que John Huston empoche son cachet de guest star, introduisant et concluant le film en s'adressant aux spectateurs. La narration n'est en effet qu'un long flash-back.


APRÈS MOI LE DÉLUGE

Bien qu'inscrit dans la suite directe de Escape et de Conquest - dont l'intrigue est résumée en ouverture -, ce nouveau film nous présente une situation qui a évolué à un point tel qu'il n'est pas évident d'en saisir toutes les subtilités chronologiques. On retrouve Caesar tentant de recréer une société idéale loin des grandes villes ravagées par la guerre nucléaire. Il dirige un village où il s'efforce de faire travailler à égalité hommes et singes. Ces derniers ont désormais acquis l'usage de la parole. Pour une raison inconnue, quelques humains s'obstinent à vivre dans les sous-sols radioactifs de New York en attendant de prendre leur revanche (il s'agit sans doute des ancêtres des mutants télépathes qu'on croisera des siècles plus tard dans Beneath the Planet of the Apes). L'environnement post-apocalyptique qui est le leur prête plutôt à sourire, en particulier lorsqu'ils partent à l'attaque dans leurs véhicules customisés, préfigurant un genre qui devra attendre Mad Max 2 (1981) pour être à la mode.


Même si certaines idées demeurent intéressantes, les enjeux du film se sont considérablement appauvris, réduits à une dernière lutte pour la domination de la planète, tristement dénuée de la moindre envergure à l'écran. Le peuple singe est déjà divisé quant au sort que méritent les hommes, et l'on voit s'opposer le bellicisme des gorilles, l'attentisme des orangs-outans et le pacifisme des chimpanzés. Les hommes eux-mêmes n'ont pas entièrement perdu leurs réflexes de dominants vis-à-vis de ceux qu'ils ont trop longtemps considérés comme une race inférieure. Rien de bien passionnant dans ces débats et ces mises en situations déjà vues, et les interprètes eux-mêmes semblent défendre leurs positions sans grande conviction.



Auteur de photographies souvent audacieuses (Camelot, The Andromeda Strain, Mandingo, Breathless), Richard Kline s'amuse à composer des éclairages typiques du cinéma d'épouvante lorsqu'il s'agit de filmer les vilains humains des souterrains. Les cadres penchés et le clair-obscur dominent. Malheureusement, la faiblesse des moyens mis à disposition ne fait pas illusion une seconde. Partagés entre un misérable terrain en friche du Fox Ranch figurant le village et une usine désaffectée pour les ruines new-yorkaises, les décors sont tous affreusement pauvres, et la bataille promise par le titre est assez pathétique, opposant avec mollesse quelques dizaines de combattants à peine. Les cascades apparaissent coordonnées avec maladresse, achevant de rendre ce soi-disant climax bien embarrassant. Le montage est contraint d'user de subterfuges pour multiplier les belligérants, dynamiser l'ensemble ou donner l'impression de scènes plus spectaculaires qu'elles ne le sont (la même explosion est par exemple filmée sous différents angles). Mais on a vraiment l'impression que le réalisateur a abandonné toute ambition. Et l'on assiste alors sans émotion à une série de champs/contrechamps dénués de la moindre implication.



LA SUITE DE TROP ?

On sait que l'avenir n'est pas écrit d'avance ; il est ce que nous choisissons d'en faire. Un autre futur que celui que nous connaissons déjà est encore possible. Le discours plein de sagesse de John Huston en conclusion laisse ainsi croire à une probable cohabitation entre hommes et singes. Mais cet optimisme n'est qu'apparent. Les derniers plans laissent furtivement deviner un début de bagarre entre deux enfants (une fillette et un singe), symboles d'avenir, sous les yeux de la statue du Lawgiver - qui se révèle comme étant la représentation de Caesar d'où perle alors une larme. Face à la Nature qui reprend ses droits, l'humanité est condamnée à dégénérer, impuissante. La leçon n'aura servi à rien. On notera que cette dernière note qui renoue avec le pessimisme profond de la saga est un des ajouts signés Paul Dehn.


Il semble donc que demeure inévitable la situation présentée dans Planet of the Apes, film qui peut désormais être vu à la suite de celui-ci tel un éternel recommencement. On peut alors reconstituer la chronologie circulaire de cet ensemble qui, malgré un dernier volet pas à la hauteur des autres, forme une passionnante saga. Patiemment construit et soumis à d'importantes contraintes, le scénario développé par Paul Dehn s'avère finalement assez peu plombé par les incohérences qui ne manquent jamais de naître dès qu'il est question de voyages dans le temps.

Quelques jours à peine après la sortie de Battle for the Planet of the Apes sur les écrans américains, Arthur P. Jacobs décède d'une crise cardiaque. Le grand architecte de cette franchise emblématique du cinéma de science-fiction avait 51 ans. Il prévoyait encore de s'atteler avec David Lean à une autre adaptation spectaculaire qui sans doute aurait également fait date : le roman Dune de Frank Herbert.

Film médiocre, tant sur le plan de l'écriture que de l'éxécution, Battle for the Planet of the Apes est également un spectacle anachronique dans le paysage cinématographique américain, soudain conquis par les auteurs du Nouvel Hollywood. Le film verra à l'occasion de sa diffusion télévisée sur CBS réintégrées une quinzaine de minutes de scènes abandonnées sur le banc de montage. Ayant manifestement cessé d'être rentable, le concept Planet of the Apes en a pour l'instant fini avec le cinéma. Avant d'être revitalisé 25 ans plus tard, c'est la télévision qui accueillera ses derniers soubresauts...

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La fiche IMDb du film

Par Elias Fares - le 14 février 2017