Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Évadés de la planète des singes

(Escape from the planet of the apes)

Analyse et critique

LES SURVIVANTS DE L'INFINI

Le pitch : les chimpanzés Cornelius et Zira débarquent sur Terre en 1973. Voilà qui va permettre une économie substantielle en épargnant aux producteurs toute nécessité de reconstitution et de création de décors. Le film sera intégralement tourné à Los Angeles pour un budget encore en baisse par rapport aux précédents opus, soit 2,5 millions de dollars. Confrère de Ted Post, réalisateur du Secret of the Planet of the Apes, Don Taylor vient lui aussi de la télévision (Alfred Hitchcock Presents, Wild Wild West, Mannix, Night Gallery). Il abordera curieusement une fois encore la question des failles spatio-temporelles avec l'amusant Nimitz, retour vers l'enfer (1980).

Troisième volet d'une lucrative franchise, Escape from the Planet of the Apes se présente d'une certaine manière comme l'adaptation la plus fidèle du roman de Pierre Boulle, mais une adaptation qui en retournerait les présupposés comme un gant, en projetant cette fois les singes sur la planète des hommes. De très nombreux éléments du livre, qui ne correspondaient pas à la direction prise par le scénario du premier film, peuvent enfin être directement transposés, les chimpanzés suivant le même parcours chez les humains qu'Ulysse Mérou chez les singes. La formidable scène d'ouverture reprend en miroir une des idées développées par Rod Serling dans la toute première version du scénario de Planet of the Apes. Le film s'ouvre sur un plan de rivage, image désormais emblématique de l'univers du film, dont le charme est soudainement rompu par le surgissement d'un hélicoptère, un élément qui apparaît alors étrangement anachronique.


À leur arrivée sur Terre, Cornelius et ses compagnons sont mis en cage et étudiés, exactement comme l'avait été Taylor parmi eux. On peut tout à fait considérer ces premières scènes comme un remake inversé du film de Franklin Schaffner, mais sur un ton moins immédiatement dramatique. Les singes venus du futur mettent un temps leur ego de côté pour ne pas se faire repérer, se contentant de répondre aux stimuli que les scientifiques attendent d'eux. Et lorsqu'ils révéleront enfin leur intelligence supérieure, ils se verront non pas traqués mais célébrés par la foule, par les médias et le monde politique, comme de fascinants prodiges (comme l'étaient à la même époque les astronautes des missions Apollo), et seront invités à s'initier aux délices et aux vices de la société du spectacle.

LE CHOC DES MONDES

Ces premières confrontations entres singes et humains sont d'abord présentées avec humour et légèreté. On pouvait raisonnablement craindre que ce choc des cultures, que déroule le premier acte du récit, aboutisse à une gentille bouffonnerie, ponctuée des gags au mieux amusants mais sans surprise. Or ce postulat s'avère traité avec une intelligence de tous les instants qui rend le film absolument passionnant à suivre et témoigne manifestement d'une authentique inspiration chez le scénariste Paul Dehn, qui noue véritablement ici le nœud de ce qu'on peut désormais véritablement appeler une saga. Les échanges lors de la conférence où les singes expliquent leur origine sont ainsi remarquablement écrits.


Les incohérences ne manquent certes pas : comment les trois chimpanzés ont-ils eu le temps et les moyens de récupérer le vaisseau au fond du lac, de le remettre en service et d'anticiper sur la destruction de la planète qui est due à l'ultime et imprévisible geste de Taylor à la fin du Secret of the Planet of the Apes ? Notre expérience de spectateur nous enjoint prudemment à nous garder de trop titiller la logique dès lors qu'il est question de paradoxes spatio-temporels...

Bien vite, le film laisse de côté l'aspect superficiel de la rencontre et retrouve les enjeux philosophiques du début. L'humanité se regarde dans un miroir qui la renvoie à ses propres tares et à ses peurs. Informée de son destin et de celui de sa planète, elle s'interroge : a-t-on le droit d'intervenir sur le futur de l'homme si on en a la possibilité ? Toutes ces questions sont abordées avec finesse et sans manichéisme. On comprend les raisons de chacun, il n'y a pas vraiment de méchant de cinéma. Le récit bascule adroitement de la comédie à l'angoisse dès l'instant où Zira tombe enceinte. Sa chute dans le musée, face à un gorille empaillé tel un rappel inconscient de ses origines, déclenche véritablement le drame, avec bien plus d'effet finalement que ne le fit la mort du Dr Milo, personnage encombrant du début du film interprété par Sal Mineo. Cornelius et Zira se voient bientôt considérés comme une menace potentielle et dès lors le film se transforme en tragédie.

LE JOUR OÙ LA TERRE S'ARRÊTA

C'est finalement là que se justifie le ton badin maintenu dans la première partie, amenant les spectateurs à éprouver une réelle empathie pour le couple de chimpanzés, si touchant dans sa façon d'apprivoiser le nouveau monde, les préparant au bouleversant final. Ce sentiment est aussi à mettre sur le compte du maquillage toujours aussi stupéfiant d'expressivité de John Chambers, et bien sûr n'aurait jamais été possible sans les interprétations vraiment subtiles de Roddy McDowall et Kim Hunter, dans des rôles qu'ils ont tous deux créés et qu'ils ont affinés de film en film. Face à eux, Bradford Dillman et Natalie Trundy incarnent avec émotion un couple de scientifiques qui se prend d'affection pour les singes et qui s'efforcera de les protéger jusqu'au bout. Épouse d'Arthur Jacobs, Natalie Trundy interprétait déjà une mutante dans Beneath the Planet of the Apes. Et on la retrouvera sous la peau d'un chimpanzé dans les opus suivants.


Enfin disponible, Jerry Goldsmith est de retour au pupitre et évite intelligemment la redite. L'action étant contemporaine, elle ne justifie plus un score entièrement atonal. Le compositeur va ainsi opter pour d'agréables arrangements funk bien calibrés et finalement représentatifs de leur époque. Mais au fur et à mesure que le récit progresse et que la toile se tisse autour des personnages, sa partition va subtilement s'enrichir de ces étranges sonorités percussives et électroniques, beaucoup plus inquiétantes, qui caractérisaient le premier opus. Manière d'annoncer que la planète n'échappera pas à un destin qui nous est désormais familier.

Formidablement soutenue par Joseph Biroc, chef opérateur attitré de Robert Aldrich, la mise en scène de Taylor est sèche et précise. Elle ne vient jamais surligner les émotions ou forcer le tragique, entièrement au service d'un scénario en soi suffisamment riche. Cette froideur et cette rigueur vont énormément servir le film, qui prend alors la forme d'un constat accablant sur la petitesse des hommes. Preuve que cette franchise n'entretient décidément aucune frilosité avec son sujet, on est encore une fois saisis par la noirceur peu commune de la conclusion, en parfaite cohérence avec le propos tenu depuis maintenant trois films.


Forcément moins éblouissant et plus conventionnel dans son esthétique par rapport aux précédents volets, Escape from the Planet of the Apes est incontestablement un grand film d'anticipation, qui s'inscrit dignement dans cette veine désespérée typique du cinéma de genre des années 70, très pessimiste dans sa vision du futur (Soylent Green). Et en même temps, le film nous donne des raisons d'espérer, s'efforçant de dépeindre aussi des humains inspirés par la bonté (le couple de scientifiques, mais également l'attachant patron de cirque incarné par Ricardo Montalban, et qui aura bientôt un rôle important à jouer). Pour toutes ces raisons, nous la considérons comme la meilleure suite de la saga, même s'il est vrai qu'elle est difficilement appréciable isolée du reste. Ces ingrédients intelligemment dosés vont une nouvelle fois satisfaire à la fois la critique et les spectateurs. Au lieu d'en profiter pour viser plus largement le grand public, Jacobs va laisser Paul Dehn poursuivre sur le versant sombre entamé ici avec ce qui sera le film le plus violent du lot, Conquest of the Planet of the Apes...


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Elias Fares - le 23 janvier 2017