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Critique de film
Le film
Affiche du film

How much Wood would a Woodchuck chuck...

(How much Wood would a Woodchuck chuck... - Beobachtungen zu einer neuen Sprache)

L'histoire

Herzog suit ici un championnat de commissaires-priseurs de vente de bétail en Pennsylvanie. Il interroge différents concurrents et capte leurs performances sur scène. Loin d’une vision ironique de « Ploucland », Herzog se passionne ici pour ces fous de la langue qui transforment une vente aux enchères en joute orale ou le débit transforme la parole en musique.

Analyse et critique

Tourné aux Etats-Unis, ce moyen métrage est le premier d’une série de films consacrés aux États-Unis. Suivront La Ballade de Bruno, Fric et Foi et Le Sermon de Huie, Herzog finissant par s’installer à Los Angeles au milieu des années 2000 et y poursuivant sa carrière de cinéaste.

Herzog vient filmer un évènement que l’on ne peut imaginer se dérouler ailleurs qu’en Amérique : un championnat de commissaires-priseurs de vente de bétail en Pennsylvanie. L’idée nous semble si ridicule que l’on s’attend à une œuvre ironique, un nouveau film sur ploucland. Mais il n’en est rien, Herzog n’allant jamais filmer pour dénoncer ou démontrer, mais pour chercher et comprendre. Il ne vient pas ici pour parler de la société américaine, moquer sa folie et ses débordements mais pour s’intéresser sincèrement à ces fous de la parole qui viennent enrichir sa propre réflexion sur les dérèglements de la langue.

Le dérèglement du langage peut s’avérer inquiétant, servir de sombres dessins, notamment religieux comme on le voit dans Le Sermon de Huie et Fric et Foi. Mais, le plus souvent chez Herzog, ce dérèglement devient poésie. On se souvient des effets de répétitions de Dernières paroles ou de la diction si particulière de Kaspar Hauser. Herzog décrivait l’un des poèmes de ce dernier comme étant « très triste parce qu’il essaie de maîtriser le langage ». Si la beauté naît dans ce cas d’un manque de maîtrise de la langue, ici c’est un trop plein de maîtrise qui la transforme en poésie. La vitesse hallucinante de diction des participants provoque un effet d’abord comique, puis de la sidération et de l’étrangeté. On a l’impression d’évoluer au ralenti alors que les mots s’enchaînent à toute vitesse.

Le film est forcément, à la longue, un peu usant, harassant. C’est que, passé les interviews des compétiteurs qui ouvrent le film et une belle ballade musicale de quatre minutes, le film ne fait plus qu’enchaîner les numéros des commissaires-priseurs. Et cette logorrhée verbale se révèle aussi ahurissante qu’épuisante. Herzog est passionné par ce sujet, par la douce folie de ces hommes, par la façon dont ils transforment la langue. Il ne veut pas transformer ce concours en quelque chose de familier mais au contraire souhaite rendre compte de ce qu’il a d’exceptionnel, de délirant, sans jamais le tourner en ridicule. Il nous plonge donc dedans, sans chercher à nous guider, à simplifier, quitte à ce que le spectateur décroche.


La griserie de la vitesse qui s’empare des compétiteurs rejoint quelque part le sentiment d’élévation et de plénitude qui transporte les héros herzogien lorsqu’ils parviennent à s’arracher aux limites terrestres. On ne comprend pas au début de quelle histoire d’amour ils parlent (« You have to love to talk ») et on les prend pour des doux dingues. Mais le film avançant, on saisit toute la beauté de cette transformation des mots en musique (certains rythment leurs monologues avec leurs doigts), en pure sensation. On comprend leur passion, on comprend le lauréat lorsqu’il dit rêver de ce métier depuis ses six ans.

Herzog nous offre un document inédit sur le sud des Etats-Unis, loin des clichés habituels. Ainsi, lors de la magnifique séquence musicale au début du film, la musique a été mille fois entendue. Mais elle gagne une incroyable densité au contact d’images (un long travelling sur les maisons, les fermes, les champs, les églises, jusqu’à une foire Amish) elles aussi pourtant ressassées et qui, en retour, se trouvent régénérées par le biais de la musique. Réenchanter des images et des sons, aller au-delà des apparences (la douce folie de ce concours), s’intéresser à tous ces gens qui sortent de la norme… How much Wood would a Woodchuck chuck... est un petit film profondément herzogien.

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Par Olivier Bitoun - le 20 mai 2010