Critique de film
Le film
Affiche du film

Faux monnayeurs

(Outside the Law)

L'histoire

A Berlin en 1946, un soldat américain est assassiné en pleine rue. Johnny Salvo, ami de la victime et ancien détenu est rappelé sur le territoire américain pour aider les agents du trésor à faire la lumière sur ce crime, qu’ils soupçonnent d’être lié à un vaste trafic de fausse monnaie. L’occasion pour Salvo d’être blanchi définitivement. Mais il va pour cela falloir collaborer avec son père, celui qui a contribué à le mettre derrière les barreaux quelques années auparavant.

Analyse et critique

En 1956, Jack Arnold fait une pause dans sa production essentiellement orientée vers la science-fiction pour tourner d’une part un sympathique western, Crépuscule sanglant, et d’autre part faire un retour au film noir, qu’il avait déjà exploré quelques années plus tôt avec Le Crime de la semaine, en tournant Faux Monnayeurs. Une petite production, sans grands moyens comme l’illustre le casting du film, parfaitement adaptée au savoir-faire du cinéaste spécialiste de la série B. Arnold s’empare d’un récit somme toute traditionnel, qui voit un personnage plongé contre son gré dans une spirale criminelle qui le dépasse. Ici il s’agit de Johnny Salvo, un militaire stationné dans le Berlin de l’immédiat après-guerre qui va devoir prendre le rôle d’un agent fédéral parce qu’il était le camarade d’un homme abattu mystérieusement dans les rues de la capitale allemande. Un accident du destin qui en fait le personnage typique d’un film noir classique qui va se retrouver confronter à un chemin qui le révélera à lui-même.

Si Salvo n’est pas destiné à devenir un agent d’état, il n’est pourtant pas totalement étranger au milieu qu’il va côtoyer. En effet, il est un ancien prisonnier mobilisé en échange d’une réduction de peine. Le résultat d’une erreur de jeunesse qui a aussi figé une relation difficile avec son père, un policier qui ne l’a pas aidé dans cette situation, et à même contribué à sa condamnation. C’est le fil conducteur de Faux Monnayeurs, qui raconte l’évolution d’une relation père-fils difficile en filigrane d’un récit policier. Ce dernier est structuré comme un pur procedural, ce sous genre du film noir qui s’était beaucoup développé durant la seconde partie des années 40, notamment devant les caméras d’Anthony Mann ou de Jules Dassin. Le principe est de mettre en valeur le travail d’agents fédéraux spécifiques, ici des agents du trésor, les fameux T-Men qui donnait leur nom au titre original de La Brigade du suicide d’Anthony Mann, auquel Faux Monnayeurs fait irrémédiablement penser. Nous suivons ainsi les méthodes de ces agents pour démanteler une bande de faux monnayeurs, dans leur réflexion comme dans leurs actions, avec l’explication de concepts parfois très pointus, comme les techniques d’import-export qui permettent la circulation de la monnaie. Le seul élément habituel de ce type de film qui manque ici à l’appel est le traditionnel « sponsoring » d’une agence d’état qui utilisait juste après la guerre ces production pour faire leur promotion. Nous ne sommes pas face à un film de propagande, mais face à un film classique qui reprend ces codes pour sa narration.


L’écueil principal du registre peut souvent être la tendance à produire un quasi-documentaire ennuyeux en sombrant dans une description sans relief des activités d’agents d’états. Jack Arnold, avec sa technique sans faille et son sens du rythme, l’évite totalement. Faux Monnayeurs est un film mené tambour battant, avec plusieurs séquences marquantes, parmi lesquelles la très belle séquence d’ouverture dans les rues de Berlin, qui met en valeur la très belle photographie signée Irving Glassberg, l’haletante filature des faux monnayeurs en Californie ou le remarquable final, dans le garage d’une gare routière, qui donne lieu à une spectaculaire fusillade que n’auraient pas reniée les spécialistes du polar d’action italien des années 70. Le défaut du film d’Arnold, s’il fallait en relever un, serait presque d’aller trop vite. Cela se note particulièrement dans la construction de la relation sentimentale entre Salvo et la veuve de son camarade assassiné, un peu expédiée, qui nous semble bien moins convaincante que la description de la relation père fils qui caractérise réellement la trajectoire du personnage principal.

Arnold vise à l’efficacité de son récit, il cherche avant tout à captiver le spectateur et à dynamiser le film. A tel point que l’on décèle certaines audaces dans ses choix, notamment en faisant disparaitre de l’écran son personnage principal pendant près d’un quart du film, suivant la mécanique de son récit policier plutôt que de chercher à s’attacher à son héros. Salvo contribue à l’enquête, sa destinée personnelle est au cœur du film, mais Arnold ne cherche pas à le transformer artificiellement en un héros omniscient capable de vaincre le mal à lui seul. Le résultat est un récit plutôt passionnant, convainquant et réaliste. Un divertissement prenant, bien incarné par un casting solide dans lequel Ray Danton, un habitué du cinéma de série B, sait faire exister le personnage de Salvo, héros malgré lui dont on devine aussi la part d’ombre passée. Sans se placer parmi ses plus belles réussites, Faux Monnayeurs est un bon film de Jack Arnold, et l’assurance d’un bon moment à passer pour les amateurs de film noir.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 12 octobre 2023