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Critique de film
Le film
Affiche du film

Crépuscule sanglant

(Red Sundown)

L'histoire

Alec Longmire (Rory Calhoun) sauve la vie de Buck Purvis (James Millican) qu’il a trouvé assoiffé en plein désert. Buck connait Alec de réputation : un tueur à gages qu’il admire pour sa rapidité et son efficacité dans le maniement des armes à feu. Ils se prennent d’amitié mais, dès leur arrivée en ville, sont pris à parti par des cow-boys à sang chaud. Après avoir été obligés de tuer en état de légitime défense l'un des provocateurs, ils doivent s’enfuit à bride abattue et trouvent refuge dans une cabane abandonnée où ils décident de passer la nuit. Ils sont malheureusement retrouvés par le groupe commandé par Rod Zellman (Leo Gordon) qui n’a qu’une idée en tête : mettre fin à leurs jours. Buck est mortellement blessé ; il trouve une solution rocambolesque pour sauver à son tour son partenaire de fortune. En se sacrifiant, Buck fait promettre à Alec que s’il s’en sort indemne, il arrêtera de vivre de ses armes. Alec, s'étant tiré de la situation sain et sauf, décide de suivre les conseils de son ami défunt. Quelques jours plus tard, sans armes à sa ceinture, il fait son entrée à Durango où, pour fuir son passé, il décide de trouver un travail plus honnête. Mais le shérif Jade Murphy (Dean Jagger), le connaissant lui aussi de renom et étant persuadé qu’un homme peut changer, lui demande de devenir son assistant. En effet, Murphy a beaucoup de mal à faire respecter la loi dans une ville ou les éleveurs se font la guerre à cause du barbelé ; le plus influent d’entre tous, le cauteleux Rufus Hershaw (Robert Middleton) ayant même loué les services d’un tueur pour résoudre ses problèmes. Comme Jade l’a convaincu que l’usage d’une arme pour faire respecter la loi était différente que celle qui consiste à tuer pour de l’argent, Alec accepte de porter l’étoile d’homme de loi d’autant qu’il trouve charmante la fille de son nouvel employeur (Martha Hyer)...

Analyse et critique

Jack Arnold, qui fut tout d’abord l'assistant de Robert Flaherty au Service Cinématographique de l'Armée, une fois embauché au studio Universal devint sous la tutelle du producteur William Alland l’un des plus grands spécialistes du film fantastique et de science-fiction. En tant que cinéaste, il réalisera donc l’excellent Le Météore de la nuit (It Came from Outer Space) en 1953, puis les agréables et attachants L’Etrange créature du lac noir (Creature from the Black Lagoon) en 1954 et Tarantula en 1955. Il ne s’arrêtera d’ailleurs pas en si bon chemin puisqu’en 1957 il signera son chef-d’œuvre, toujours à l’intérieur de ce genre, L’Homme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Man), dont l’acteur principal sera Grant Williams qui interprétait déjà dans Red Sundown le personnage le plus mémorable du film, le tueur sadique au visage d’ange dont le cynisme fait froid dans le dos. Mais nous y reviendrons juste après. Avant Crépuscule sanglant, Arnold avait déjà réalisé un western, pas plus tard que l’année précédente, le très médiocre Tornade sur la Ville (The Man from Bitter Ridge) que je décrivais à peu près ainsi : "Nous nous trouvons donc devant une série B médiocre et indigente à presque tous les niveaux […] J’avoue avoir aussi quelques difficultés à suivre Bertrand Tavernier quand il s’extasie sur la mise en scène de Jack Arnold qui m’a semblé au contraire, à deux ou trois séquence près, d’une platitude et d’une mollesse incroyables…" Ce ne sera heureusement pas le cas pour ce deuxième essai, bien plus convaincant.

Un tueur à gages qui veut fuir son passé et retrouver ainsi un certain sens de l’honneur ; l’affrontement d’as de la gâchette ; des ranchers se disputant des parcelles de terrain à coups de fusils et de poses de fil de fer barbelé ; l’embauche d’un tueur à gages pour effrayer les fermiers réticents à quitter le pays pour pouvoir s’approprier leurs terres... Rien de bien nouveau sous le soleil du western concernant l’intrigue proprement dite. Sur la forme non plus d’ailleurs, rien de bien original ou novateur. Seulement cette fois, le scénario s’avère bien écrit et la mise en scène de Jack Arnold plutôt efficace. C’est donc une bonne série B que nous offre Universal en ce début d’année 1956, avec notamment et principalement un excellent casting. Rory Calhoun trouve probablement ici un de ses meilleurs rôles ; jusqu’à présent il n’avait encore jamais été aussi convaincant. Nous le connaissions surtout pour avoir été le "bad guy" face à Robert Mitchum et Marilyn Monroe dans Rivière sans retour (River of No Return) d'Otto Preminger .Nnous l’avions vu quelques mois auparavant dans le très moyen Trésor de Pancho Villa de George Sherman, puis encore plus récemment dans la dernière version de The Spoilers, mollement mise en scène par Jesse Hibbs, où il n’arrivait pas à nous faire oublier Randolph Scott qui tenait dans le même rôle en 1942 sous la direction de Ray Enright. Dans le western de Jack Arnold il nous dévoile un talent certain que nous ne soupçonnions pas ; il est tout à fait crédible en ex-tueur à gages qui cherche à tout prix la rédemption en se trouvant une situation plus respectable.

Aux deux jeunes enfants qui l’idolâtrent pour sa réputation de tireur d’élite et qui n’ont pas de plus beau rêve que de savoir manier un jour le pistolet aussi bien que lui, Alec leur fait la leçon en leur disant : "Il y a de braves gens qui ne savent pas tirer et des crapules qui ne loupent jamais leurs coups." Pour en rester à ces deux jeunes garçons, on note une première bonne idée de la part du scénariste qui s’en sert un peu comme des chœurs dans la tragédie grecque ; à savoir qu’ils commentent l’action, donnent leurs sentiments sur ce qui se déroule sous leurs yeux et présentent les habitants de leur ville avec un peu d’humour mais sans lourdeur ni naïveté. Pour en revenir au personnage principal, on le voit aussi se remémorer avec tristesse son passé de tueur et les hommes qu’il a dû descendre pour de l’argent, au sein de surimpressions de flash-back en noir et blanc tout droit tirés d’un autre western interprété par le comédien, Vengeance à l'aube (Dawn at Socorro) de George Sherman. Malgré un ensemble très conventionnel, on trouve donc quelques jolies trouvailles dues au scénariste Martin Berkeley (surtout tristement connu d’après Bertrand Tavernier pour avoir balancé le plus grand nombre de noms lors de la chasse aux sorcières, plus de 150), surtout dévolues au personnage d'Alec comme le fait qu'il se serve d’un fusil une fois passé du côté de la loi même si ce n’est pas très fair-play pour ses adversaires qui ne peuvent lutter contre lui avec un simple revolver. Le duel final, très court, est d’ailleurs pensé sur le même modèle : ce n’est pas un héros qui se débarrasse du tueur mais un homme qui souhaite s’en défaire coûte que coûte et au plus vite, même si la manière de le faire n’est pas des plus glorieuses. Tout cela nous amène, en arrière-fond néanmoins, à une réflexion intéressante sur l’héroïsme, le statut de tueur à gages et (ou) de tireur d’élite.

Outre un Rory Calhoun très convaincant, la comédienne Martha Hyer possède un joli minois et n'est pas dénuée de talent, mais l'importance de son personnage dans l'intrigue est minimaliste tout comme l'autre protagoniste féminin interprété par Lita Baron, Mme Calhoun à la ville à cette époque. De son côté, James Millican confirme tout le bien que je pensais de lui ; dommage que son personnage de "gunsliger" fatigué passe l'arme à gauche à la fin du premier quart d'heure. Reste un Dean Jagger égal à lui même dans le rôle de l'honnête homme de loi, et surtout un Grant Williams tout à fait mémorable : c'est lui qui, pour son premier rôle au cinéma, est chargé de personnifier Chet Swann, l'inquiétant tueur à gages embauché par l'ombrageux Robert Middleton. S'il ne fallait qu'une seule raison pour visionner ce western de série B, ce serait sa présence qu'il aura fallu néanmoins attendre pendant presque les ¾ du film. La séquence de torture psychologique qu'il inflige à un couple de vieux fermiers pour les effrayer est absolument géniale, d'une extrême tension ; si l'on veut faire une comparaison avec un futur western d'une toute autre notoriété, on pourrait penser que Sergio Leone, 10 ans plus tard, s'en est inspiré pour les premières séquences du Bon, la brute et le truand lorsque Sentenza (Lee Van Cleef) entre en scène. Le comédien, beau gosse et tout sourire, accomplit une prestation tout à fait réjouissante, rendant son personnage d'autant plus vicieux et effrayant que son visage n'est jamais crispé et qu'il semble sadiquement s'amuser. D'ailleurs, Le producteur Albert Zugsmith et le cinéaste furent tellement impressionnés par son travail qu'ils firent rajouter quelques séquences le mettant en scène. Heureux également d'avoir retrouvé Leo Gordon et ses petits yeux bleus électriques lors de la première partie, celle qui a lieu avant l'arrivée d'Alec à Durango et qui se termine avec cette idée de "serial" qui détonne un peu avec le sérieux de l'ensemble : Rory Calhoun, pour ne pas se faire tuer par les assiégeants de la cabane où il s'est réfugié, se fait enterrer vivant par son acolyte sur le point de mourir qui lui installe un tuyau de poêle de cheminée à ses côtés pour pouvoir respirer.

Si Jack Arnold n'accomplit rien d'inoubliable, son travail ne manque ni d'intensité ni de solidité. Il nous octroie quelques séquences formidablement efficaces, comme la sortie du saloon à reculons par Rory Calhoun et James Millican qui rappelle beaucoup celle similaire dans Bend of the River (Les Affameurs) d'Anthony Mann. Le duel final, quoique très ramassé et anti-héroïque, est lui aussi parfaitement monté et cadré. Dans l'ensemble il n'y a pas grand chose à redire sur la forme, d'autant que la photo en Technicolor de William E. Snyder dans un format large de 2.00 est assez belle et que Hans J. Salter nous gratifie à nouveau d'une partition réussie avec pour commencer la très belle ballade du générique chantée par Terry Gilkyson - et qui deviendra le thème principal du film. Quant aux décors, Bertrand Tavernier a beau dire que ceux de la petite ville de Durango ont été maintes fois vus et revus au cinéma, il ne me souvient pas avoir vu un saloon en angle de rue comme c'est le cas ici. Red Sundown est un film aussitôt vu aussitôt oublié mais jamais ennuyeux, assez dense et constamment plaisant.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 21 février 2013