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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Crime de la semaine

(The Glass Web)

L'histoire

Don Newell et Harry Hayes travaillent pour l’émission de télévision « Le Crime de la semaine. Le premier en est le scénariste attitré, considéré comme l’un des meilleurs dans sa partie. Le second en est le directeur de casting, ambitieux et frustré de ne pas pouvoir prendre la place de Don. Les deux fréquentent l’actrice Paula Reiner. Don a eu une relation avec elle, desormais terminée, Harry la convoite. Un jour, Don Newell découvre le corps sans vie de Paula. Harry va essayer de démontrer la culpabilité de l’homme qu’il jalouse.

Analyse et critique

Jack Arnold est avant tout vu comme un maître du cinéma de science-fiction. Un statut bien mérité à la vision du formidable L’Homme qui rétrécit, mais aussi de Le Météore de la nuit ou de L’Etrange créature du lac noir, mais un statut incomplet, tant la découverte de son œuvre en ferait plutôt un maître de la série B, quel que soit le genre abordé. Le constat s’impose devant ses westerns, dont le très réussi Une Balle signé X, récit efficace qui offre l’un de ses meilleurs rôles à Audie Murphy, ou devant le thriller politique Le Salaire du diable, qui traite avec une lucidité redoutable de la question du travail clandestin. Un tel profil officiant durant les années cinquante se trouve naturellement confronté, un jour ou l’autre, à l’un des genres dominant de la série B, celui du film noir et de ses variantes. C’est évidemment le cas d’Arnold, pour des œuvres dont le nom est moins réputé que les films cités plus tôt. Si l’on doit s’en tenir au Crime de la semaine, seulement le troisième long métrage du cinéaste, il semble toutefois évident qu’Arnold y exprime aussi bien son talent que dans d’autres registres. Adaptation d’un roman de Max Ehrilch, publié en français sous le titre Vous l'aurez voulu, ce récit à charge contre le monde de la télévision fait partie de la vague des films tournés en trois dimensions au début des années cinquante, dans un but de ramener le public au cinéma, un format que Jack Arnold maitrisait déjà pour l’avoir mise en œuvre sur le tournage du Météore de la nuit.


Nous sommes, a priori, face à un archétype du film noir. Il est particulièrement incarné par le personnage de Paula Reiner, la femme fatale typique, qui va entrainer les hommes vers leur déchéance, quel que soir leur morale, du magouilleur comme son mari Abbott à l’honnête Don Newell, en passant par le tourmenté Henry Hayes. Elle est le personnage traditionnel du genre, mais aussi le produit de la télévision et du système, identifiée par le récit comme avide d’argent : elle ne fréquente Henry que pour en obtenir, et fait chanter Dan, après leur relation, pour en obtenir. Paula est une incarnation traditionnelle du mal, presque caricaturale dans sa superficialité, comme on le voit notamment lors de sa visite chez Henry, où on comprend qu’elle ne s’intéresse pas à l’art, ni à ses rôles ni aux tableaux que lui montre Henry, mais uniquement à l’évolution de sa gloire et de sa fortune. Le personnage de Henry Hayes transporte pour sa part Le Crime de la semaine vers un autre niveau de lecture. Névrosé et frustré, écrasé par un système qu’il estime injuste envers son talent supposé, il semble menaçant vis-à-vis de tous, toujours au bord de basculer vers le mal à chacune de ses interventions. C’est un personnage moderne, qui ressemblerait plus à celui d’un film des années 70, une menace incontrôlable produite par la société. Entre Harry et Paula, Dan s’inscrit comme le reflet du spectateur, la victime de la femme fatale et du dangereux malade. Pourtant Arnold ne le présente pas que sous cet angle. Il a du mal à se voir lui-même en victime, il finit presque par se convaincre qu’il est coupable du meurtre de Paula, il finit presque par passer à l’acte et tuer Henry qui le menace. Dan est innocent, mais c’est un coupable en puissance, tel un personnage langien.


Ce trio fait le socle du Crime de la semaine et sa réussite. Si nous étions face à un simple film noir, nous aurions affaire à une œuvre banale, avec une intrigue relativement simple, et un suspense éventé puisque nous connaissons très tôt quelle sera la résolution criminelle du film. Son intérêt repose sur la particularité de certains de ses personnages, notamment celui de Hayes qui semble en avance sur son temps, et bien sûr sur son sujet, le monde de la télévision. Alors que le cinéma se sent menacé au début des années 50 par l’essor du petit écran, Le Crime de la semaine présente sans ambiguïté la télévision comme un élément dangereux, une menace pour ceux qui la font comme pour ceux qui la regarde. Les dialogues sont très explicites, ramenant chaque action des personnes qui dirigent l’émission mise en scène par le film à des injonctions commerciales. Il n’est jamais question de réussite artistique, ni même d’un contenu qui pourrait être enrichissant pour le spectateur, mais systématiquement d’argent, et du contrat avec Colonial, une marque de cigarette qui sponsorise l’émission et dont nous voyons dans le film les spots publicitaires, filmés avec ironie par Arnold. La machine broie tout le monde. Don croule sous le travail, obligé d’écrire un scénario par semaine, et l’ambition de Paula comme la folie d’Henry sont présentés par le film comme le résultat de cet environnement nocif. Nous ne sommes pas encore devant le Network de Sidney Lumet, mais Le Crime de la semaine apparait à l’évidence comme l’un de ses précurseurs, une des premières œuvres cinématographiques à s’attaquer à ce sujet de cette manière.


 Jack Arnold apporte à cette charge son savoir-faire pour livrer un film remarquablement efficace, notamment dans sa seconde partie, qui multiplie les scènes fortes alors que la confrontation entre Henry et Don s’accentue. Les deux acteurs, John Forsythe d’un côté et Edward G. Robinson de l’autre sont d’ailleurs deux des grands atouts du film, très convaincants dans leurs rôles respectifs. Soupçonné de sympathies communistes, Robinson est alors au creux de sa carrière mais livre pourtant une prestation magnétique, notamment dans le final. Arnold manipule également quelques belles idées, notamment autour de l’utilisation de la musique comme clé de résolution de l’intrigue, et s’appuie sur des dialogues tranchants. Nous ne saurons par contre pas dire si l’effet trois dimensions fonctionnait. Hormis une séquence prétexte durant laquelle John Forsythe traverse la ville hagard en risquant plusieurs fois d’être renversé, le principe semble peu exploité. Le film ne sortira d’ailleurs pas en relief suite au résultat des projections test, et alors que la trois dimension est déjà en perte de vitesse commerciale. Peu importe, ce film resté presque invisible depuis sa sortie est une nouvelle réussite dans la filmographie de Jack Arnold, démontrant encore, s’il le fallait, son talent.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 31 août 2023