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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ca commence aujourd'hui

L'histoire

Daniel (Philippe Torreton) est directeur d’une école maternelle dans le Nord de la France près de Valenciennes. Il exerce avec passion son métier d’instituteur dans cette région autrefois prospère mais désormais gangrenée par le chômage et la pauvreté. Entouré d’une équipe dévouée, il encourage l’éveil des enfants et, le reste du temps, lorsqu’il n’enseigne pas, met toute son énergie à défendre la cause des plus défavorisés en fonçant tête baissée contre les institutions publiques trop souvent déconnectées des réalités. Armé de ses seules convictions, il mène un combat quotidien qui n’aboutit qu’à peu de victoires mais avec néanmoins quelques lueurs d’espoir et certains moments de bonheur...

Analyse et critique



En 1998, après s'être plongé dans la Première Guerre mondiale avec l’impressionnant Capitaine Conan puis après être allé sillonner les banlieues parisiennes et côtoyer leurs habitants pour son formidable documentaire De l’autre côté du périph’, Bertrand Tavernier tourne dans le Nord de la France non moins que son 19ème film. Co-écrit avec sa fille Tiffany ainsi que Dominique Sampiero - fils d’ouvrier devenu instituteur, directeur de maternelle puis écrivain -, tous deux ensuite coscénaristes de Holy Lola du même Tavernier, Ça commence aujourd’hui est la chronique indignée des combats quotidiens de Daniel, un directeur d’école maternelle. Armé de ses seules convictions, il se débat énergiquement avec l’héritage en ruines d’une région autrefois prospère, contre la langue de bois des élus de la République, le manque de personnel, les crédits insuffisants, les dysfonctionnements du système, les carences de l’Éducation Nationale dans le domaine de la prévention et de la santé... Après avoir égratigné avec virulence les propriétaires véreux dans Des enfants gâtés ou encore le manque flagrant de moyens accordés à la police dans L.627, Bertrand Tavernier repart bille en tête un peu sur le même schéma et dans la même veine sociale que ce dernier film pour Ça commence aujourd’hui, s'immergeant donc cette fois dans le milieu scolaire maternel en zone défavorisée, où il s’avère aussi compliqué de faire bouger ou avancer les choses que dans la sphère policière précédemment disséquée.



En 1980, dans Une semaine de vacances, Nathalie Baye, professeur de français au collège, se faisait délivrer un arrête maladie pour "burn out" ("surmenage" était alors le terme employé), doutant d'elle-même et de sa vocation, estimant ne pas être très soutenue par sa tutelle administrative. Quasiment vingt ans plus tard, le réalisateur remet les pieds dans le milieu de l'enseignement sauf qu'il s’agit cette fois d’un instituteur/directeur qui est mis sur le devant de la scène et que la bourgeoise ville de Lyon a fait place à un Nord de la France socialement bien plus "abimé". Sa caméra se met ici au service des laissés-pour-compte et des plus défavorisés, le scénario critiquant vertement l’aide quasi inexistante apportée aux enseignants qui doivent faire face à de multiples problèmes à la fois. Des enseignants souvent bien éloignés de leur rôle, devant même parfois assumer les fonctions de parents ou autres professions que la leur. Les innombrables situations évoquées dans ce film à la vitalité débordante, et qui fonce à 100 à l'heure, ont presque toutes été vécues par son scénariste Dominique Sampiero. Les nombreuses critiques criant à l’outrance et aux clichés ont été battues en brèche par ceux qui vécurent ces expériences à plusieurs reprises, notamment la séquence tant décriée avec l’inspecteur plein de morgue joué par Didier Bezace qui vient évaluer Daniel. La plupart des principaux intéressés ont affirmé que si ce qu’avait montré Tavernier était caricatural, ils avaient tous toujours vécu avec des caricatures et qu’au contraire, de telles situations faisaient partie de leur quotidien sans que ce qu'a filmé le cinéaste n'ait été aucunement exagéré.



Il en va de même pour la description, d’un réalisme presque insoutenable, de la cité du Temple près de Valenciennes dans laquelle vivent dans des conditions d’hygiène effrayantes la plupart des familles, le réalisateur très en colère à l’encontre de ces mêmes critiques conseillant à ceux qui le taxaient de misérabilisme ou d’avoir noirci le tableau de venir passer quelques jours dans cet endroit où il n’avait jamais vu une aussi grande pauvreté, une aussi désespérante détresse, pas même en Roumanie ! Mais la grande réussite du film est qu’il parvient malgré tout à nous faire souffler et respirer par quelques pointes d’humour ou quelques échappées vers de la pure poésie, avec cette voix-off venant réciter des textes d’un profond lyrisme - la plupart écrits par Sampiero - collés sur des plans d’une formidable ampleur sur les paysages de cette région splendidement cadrée en Cinémascope, hommage en partie aux westerns hollywoodiens que Tavernier appréciait tant, le tout supporté par une partition très inspirée de Louis Sclavis. Tous les enfants du film ne sont pas des professionnels et appartenaient à l’école dans laquelle il a filmé, aujourd’hui d’ailleurs rebaptisée "École Bertrand Tavernier". Beaucoup de moments très écrits mais aussi beaucoup d’autres totalement improvisés, le mélange des deux donnant une impression de naturel absolument étonnant grâce aussi aux comédiens. Seule l’actrice Nadia Kaci, qui tient le rôle de l’assistante sociale, détonne un peu dans l’ensemble par son interprétation parfois un peu "surjouée". Pour ce film sans vraiment d’éléments d’intrigue, Tavernier affirme n'avoir pas eu d’autres motivations dramaturgiques que les rapports d’un homme (Daniel) avec son travail, tout ce qu'ils peuvent entraîner de doute, de frustration, d’espoir, de colère, de peur, quasiment les seules émotions qui font avancer le film. Cependant, on s’en éloigne quand même à plusieurs reprises lorsque l’on assiste à quelques moments de sa vie familiale auprès de sa compagne, de ses parents - qui l’ont un peu meurtri dans son enfance - et de son beau-fils révolté par le fait de n’avoir jamais connu son père biologique. Tout cela participe à brosser un portrait de Daniel encore plus humain.


Basé sur la propre expérience de Dominique Sampiero, Ça commence aujourd'hui est une sorte de chronique se déroulant le temps d’une année scolaire, vue par les yeux de son principal protagoniste, un instituteur loin d’être le Rambo décrit par quelques journalistes qui ont probablement dû somnoler durant la projection. Car au final, Daniel - comme ses collègues d’ailleurs - n’arrivera pas à faire changer grand-chose. Il est confronté à l’absurdité d’une bureaucratie tatillonne et inadaptée aux conditions sociales, il doit faire face à la roublardise et à l’assurance de technocrates-experts qui ne connaissent rien aux réalités et font semblant d’écouter, n'étant absolument pas intéressés par ce que l’on leur dit, ayant des théories toutes faites et des opinions toujours basées sur des notions abstraites. La colère et la violence de la révolte de Daniel aboutiront même parfois à lui faire commettre de grosses erreurs de jugement qui auront des conséquences dramatiques. Il se montrera également un peu lâche face à l’oncle d’un de ses élèves qu’il accusait d’avoir eu envers son neveu un comportement violent. Bref, c'est un être humain capable de se tromper et de se montrer faible, souvent remis en place par d’autres instituteurs ou par son épouse, bien loin du personnage caricatural et manichéen décrit par certains, et qui, très souvent impuissant devant la réalité, ne remportera finalement que peu de victoires, ou alors - comme chez John Ford - lorsqu’il bénéficiera de l’entraide de ses collègues ou d’autres personnes extérieures comme l’assistante sociale. Quoi qu’il en soit, Philippe Torreton, formidable, a tellement pris son rôle à cœur, partageant tout ce que ressentait le personnage de Daniel, qu’il communiqua à son réalisateur sa fougue et son énergie qui ressortent constamment dans sa mise en scène. Malgré tout, aucun manichéisme dans ce film car comme le dit son réalisateur, même si ce n'est que pour une seule seconde, chacun de ses protagonistes principaux ou secondaires aura eu raison à un moment ou à un autre et les arguments de quiconque auront presque tous pu être recevables, que ce soit ceux du maire communiste n’ayant pas le pouvoir de tout faire, de la femme dans la précarité estimant même 30 euros par trimestres impossible à donner pour la coopérative...



Avec sa caméra à l’épaule sans cesse en mouvement pour donner une impression de confusion, de rapidité, d’instabilité à l’instar des personnages confrontés à des dizaines de problèmes en même temps et qui ne sont quasiment jamais ni sereins ni apaisés, Tavernier pleinement investi touche là où ça fait mal et nous offre un film magnifique, à la fois extrêmement dur et tendre, rentre-dedans et poétique, poignant et violent et au final indispensable ! Tavernier fonce tête baissée dans tout ce qui le révolte ; cela ne va pas sans quelques rares lourdeurs et maladresses mais qui sont vite oubliées tellement la sincérité et l’humanité du cinéaste restent prégnantes tout du long. Le résultat est inoubliable, de l'interprétation magistrale et charismatique de Philippe Torreton - et de tous les autres, dont une toute jeune Emmanuelle Bercot - à la musique de Louis Sclavis - sans oublier le passage obligé pour "Tatave" de la chanson de son pote Eddy Mitchell, ici la très belle Un Portrait De Norman Rockwell - en passant par la photo et ces touchants visages et voix d'enfants. Un impitoyable et bouleversant constat, un éprouvant coup de gueule et un coup de poing sur la table d'une grande dignité pour un film salutaire, généreux, sincère et courageux, qui n’en oublie pas entre deux indignations d’être parfois lumineux et porteur d’espoirs ! Pas le plus célébré et pourtant l’un des sommets du cinéaste, dont la fougue et la passion continuent à emporter tout sur leur passage. Juste derrière, disons, Un dimanche à la campagne, La Vie et rien d'autre, L.627 ou Coup de torchon pour ne citer que quatre superbes films piochés au sein de sa remarquable filmographie.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 13 décembre 2021