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Critique de film
Le film
Affiche du film

Baron vampire

(Gli orrori del castello di Norimberga)

L'histoire

L'étudiant Peter Von Kleist se rend en Autriche, curieux d’en apprendre davantage sur Otto von Kleist, l’un de ses lointains aïeux. Quelqu’un au sujet duquel circulent des histoires si abominables que la légende l’appelle "le Baron Sanglant". Installé chez son cousin Karl, il découvre le château de cet ancêtre maudit, endroit où il fait la connaissance d’Eva, une étudiante en architecture. Ensemble, au cœur de la nuit, Peter et Eva lisent l’incantation écrite sur un parchemin qui aurait pour effet de ramener le sinistre Baron du royaume des morts. Une superstition, une mystification selon eux. Ils se trompent, lourdement...

Analyse et critique

Après s’être essayé au slasher avec La Baie sanglante quelques mois plus tôt, Baron Vampire marque en 1972 le retour de Mario Bava à un genre qui traverse toute son œuvre : du Masque du démon en passant par La Planète des vampires, Les Trois visages de la peur ou encore Lisa et le Diable, le gothique a toujours été pour Bava une thématique féconde. Pourtant, au début des années 1970, le touche-à-tout italien est dans une période creuse de sa carrière. Ses derniers films n’ont pas eu le succès public escompté (Une nuit mouvementée), il est passé difficilement au western spaghetti (Roy Colt et Winchester Jack) et voit une nouvelle génération du cinéma italien exploser les codes du genre (Dario Argento avec L’Oiseau au plumage de cristal ou Lucio Fulci avec Perversion Story, notamment).


Sur les conseils de son fils et assistant, Lamberto, Bava finit par accepter la proposition du producteur Alfredo Leone de tourner le script d’un certain Vincent Fotre (ancien joueur de tennis professionnel !)... en dehors d’Italie et plus particulièrement en Autriche, où les coproducteurs autrichiens souhaitent voir se dérouler le film. Bava, sorte de rat de bibliothèque version plateau de cinéma, n’est que très peu sorti de son pays tout au long de sa carrière. Il accepte finalement après avoir trouvé le lieu principal du tournage : le château de Burg Kreuzenstein. Ce château, construit au 19ème siècle sur les ruines d’une forteresse médiévale, va permettre au réalisateur de commencer à travailler sur le projet et surtout de lui donner corps. Comme d’habitude, en véritable artisan, Bava va s’occuper de tout, être présent lors de toutes les étapes de fabrication. Retouches au scénario, choix du casting (Vincent Price refusera le rôle-titre qui échouera finalement, à l’étonnement ravi du réalisateur italien, à l’acteur hollywoodien Joseph Cotten), et bien sûr prise en charge de la photographie du long-métrage.


Dès les premiers instants du film, soit l’arrivée du jeune étudiant Peter Kleist à l’aéroport, avide d’en découvrir plus sur son ancêtre meurtrier, le style Bava est reconnaissable. Un long travelling, enchaîné de plusieurs zooms consécutifs. Peter Kleist, visage de poupon, déclenche le récit mais ne sera pas le protagoniste principal de l’histoire. Cette place sera, dans une tradition purement gothique, réservée au personnage féminin de l’histoire : Eva Arnold, jeune étudiante en restauration et spécialiste du château du légendaire Baron Vampire, Otto von Kleist. Véritable scream queen à chacune de ses apparitions ou presque, Eva (Elke Sommer, qui jouera de nouveau pour Bava dans Lisa et le Diable) fait entrer à la fois Peter et le spectateur dans le château et donc dans l’espace de la fiction. De l’extérieur, ce château fantasmant ou fantasmé de l’époque médiévale apparaît pour ce qu’il est, le plus simplement du monde : un château du 19ème siècle encore debout dans les années 1970.


Usant et abusant du grand angle, Bava nous fait découvrir l’édifice en journée alors que celui-ci est en train d’être réinvesti pour devenir un hôtel et musée à sensations. C’est alors dans son (fort) intérieur que le château va dévoiler petit à petit ses secrets. Toiles d’araignées, vieux mobiliers en désuétude, tableaux déchirés, mais également donjon, salle des tortures et toutes sortes d’objets sortis du 19ème. L’intérieur du lieu apparaît alors complètement distancié de son extérieur et c’est là où va se jouer une partie du film de Bava. Au sein du château, les croyances deviennent réalités et les peurs deviennent des cauchemars. Le réalisateur va d’ailleurs plusieurs fois opérer cet effet de distanciation, sorte d’ironie macabre. Lorsque qu’Eva et Peter souhaitent faire revenir d’entre les morts le baron sanguinaire, ils lisent un vieux parchemin de famille et prononcent des formules magiques sans trop y croire. Ils en rigolent même, comme s’ils étaient simplement des enfants cherchant à se faire peur. Sauf qu’ils sont à l’intérieur du château, lieu du fantasme et de la fiction où tout devient possible. Lorsque que le Baron se réveille, le visage lacéré par le sortilège éternel lancé par la sorcière Elisabeth Holme, il se dirige chez un médecin. Loin d’avoir peur de son invité surprise, le médecin ira même jusqu’à le soigner... sans trouver quoi que ce soit à redire sur la situation.


Bava semble tout d’abord désamorcer son récit comme pour le rendre plus saisissant, plus marquant au fur et à mesure des minutes. En jouant des codes du genre gothique et de la connaissance du spectateur du genre, il cherche à surprendre et en profite pour parler également de son propre cinéma. Le château apparaît alors comme un vieux plateau à l’abandon, avec des accessoires toujours à leur place, qui aurait été réinvesti en l’état pour les besoins d’une remise aux normes... ou d’un nouveau tournage. L’ombre d’un Cuadecuc, Vampir, faux making of des Nuits de Dracula de Jesus Franco par Pere Portabella mais inestimable document de cinéma, plane parfois sur les scènes d’exploration ou de courses poursuite au sein de la bâtisse. Les deux scènes de courses poursuite du film, entre le baron et Eva, sont d’ailleurs le fruit de l’ajout de Mario Bava. Le réalisateur s’y emploie à déployer toute sa maestria, entre jeux d’ombres et de lumières, notamment lors de la scène dans les ruelles. De plus, il alterne entre gros plans sur le visage d’Eva et plans larges sur la silhouette du Baron, largement inspiré du Vincent Price de L’Homme au masque de cire (1953), voire du Fantôme de l’Opéra (1925) de Rupert Julian.


Les visages, animés ou inanimés, ont également une part importante tant dans Baron Vampire que dans l’œuvre de Bava. Dans Le Masque du démon, Barbara Steele se faisait clouer un masque lui transperçant le visage et c’est cette même « technique » de torture de la vierge de Nuremberg que va subir Fritz (Luciano Pigozzi, un habitué de l’univers Bava), l’étrange gardien du château. Lors de sa première apparition, le fantasque gardien jouera d’ailleurs à la statue de cire mortuaire, caché entre bustes et objets, son visage seul laissé visible et cherchant à se jouer de la jeune Eva. On retrouve cette même dualité dans le personnage du Baron sanglant. D’abord revenu des enfers sous sa forme du 19ème siècle, c’est-à-dire son état physique lors de sa mort entrainée par la malédiction de la sorcière, il se parera lui aussi d’atours plus contemporains sous la forme d’Alfred Becker, aristocrate en fauteuil roulant (comme pour figurer une faiblesse) qui s’adjuge le château à la suite d’une vente aux enchères. Becker apparaît d’abord comme un vieil homme souhaitant simplement passer tranquillement les dernières années de sa vie au château mais rapidement une atmosphère malfaisante va entourer son personnage. Visage momifié, Joseph Cotten livre une partition de premier choix. Lors de la scène de la visite du château enfin restauré, il dispense un véritable mal-être de par ses choix si... particuliers. Le Baron souhaite en effet redonner au château son lustre d’antan, il souhaite lui redonner vie et donc remettre en scène son mythe. C’est alors le château, plus que le Baron, qui est le vecteur de toutes les légendes et histoires abominables qui se racontent de générations en générations. Le Baron n’est qu’un bras armé et c’est le château, ses objets de tortures et les fantômes de ses morts qui contiennent le mal incarné.


Lors de la rocambolesque scène finale, ce sont d’ailleurs les morts et le château qui vont finalement se retourner contre le Baron. Ce dernier, dans une scène amplifiée par un travelling arrière, restera enfermé à jamais dans le château, lui-même victime de ses instruments de tortures favoris, ses cris se confondant avec le bande-son d’horreur qu’il avait lui-même mise en place. Le Baron devient finalement un simple personnage du château et retourne à son statut mystique, légendaire, qui ne peut s’extraire du château et donc de la fiction.

En France, le film sort dans sa version originelle (comme souvent dans le cinéma de genre et d’autant plus concernant les coproductions, on dénombre de nombreuses versions du film) mais assez tardivement et dans un relatif anonymat. Quelques projections dans les années 1980 (ciné-club de l’Ecran Fantastique lors d’une nuit Mario Bava à Paris en 1992) et un film disponible dans des copies douteuses en vidéo avant que, comme souvent dans les années 1990, le film touche le public par l’intermédiaire de l’émission Cinéma de Quartier de l’inénarrable Jean-Pierre Dionnet. Baron Vampire n’en reste pas moins un film particulier. Quelques facilités scénaristiques gâchent l’ensemble (le parchemin qui brûle, l’amulette et la résolution, la petite fille médium), les acteurs ne sont pas toujours bons, mais l’œuvre devient plus intéressante dans les mains de Bava que dans celle de n’importe qui. Par un savant mélange entre une narration de l’extérieur et de l’intérieur, une attention toujours marquée pour les couleurs primaires, Bava livre une œuvre à la poésie mortifère qui questionne le genre gothique. Genre qui avait lui-même été relégué au rang de vieillerie par le même Bava lorsqu’il réalisait La Baie sanglante, premier slasher ou presque de l’histoire de cinéma et qui accompagnera un genre toujours fécond aujourd’hui.


Mario Bava, d’une ironie moqueuse, questionne finalement la pérennité du genre gothique. Lorsque le promoteur qui cherche à transformer le château en hôtel est tué par le Baron tout juste revenu d’entre les morts, il s’offre... un Coca grâce à un distributeur présent au sein même du château. Objet complètement anachronique pour un décorum du 19ème siècle, remettant en cause la personnification du château mais accentuant également la distanciation du récit. Questionnant, aussi, la modernité du genre et la place du Baron. Qui est, alors, dans notre époque contemporaine le plus anachronique ? Un distributeur de Coca Cola ou un baron vampire ?

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La fiche IMDb du film

Par Damien LeNy - le 11 novembre 2020