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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Planète des vampires

(Terrore nello spazio)

L'histoire

Argos et Galliot, deux vaisseaux voyageant dans l’espace, perçoivent un signal de détresse venue de la planète Aura. Durant l’atterrissage, son équipage est soumis à une force gravitationnelle étrange qui les pousse à s’entretuer. Le capitaine de l’Argos (Markary) résiste et réussit à sortir ses camarades de leur hypnose. Ils organisent alors une expédition vers Galliot, dans lequel ils ne découvrent que des cadavres. Les événements surnaturels s’enchaînent alors, tandis que le machiniste (Wes) répare le vaisseau. Peu à peu, l’équipage réalise que d’autres êtres vivants sont présents sur cette planète et cherchent à les tuer pour s’emparer de leur corps...

Analyse et critique

Adapté d’une nouvelle de Renato Pestriniero, publiée en 1960 sous le titre Une nuit de 21 heures, le film sort en 1965 en Italie et aux Etats-Unis où il fait partie d’un double programme, aux côtés du film Le Messager du diable de Daniel Haller. Il ne sortira dans les salles française qu'en 1995. La Planète des vampires reste donc assez ignoré du grand public avant de bénéficier, en 2016, d’une remasterisation 4K soutenue par le cinéaste Nicolas Winding Refn qui le décrit comme "un chef-d’œuvre de la science-fiction".  Ce film est, en effet, une expérience en termes de décors surnaturels et géométriques, de couleurs hypnotiques et, pour faire simple, d’une composition admirable qui tient de l’exploit, compte tenu du budget de 20 000 dollars dont dispose Mario Bava. Il lui faut faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour y rendre justice. Ce sont ces éléments qui distinguent La Planète des vampires de la masse gigantesque de films de série B ou Z touchant à la science-fiction, souvent ridiculement vieillis et dénués de toute sensibilité artistique. Malheureusement, le film demeure à certains égards très amateur et quelques éléments peuvent même rebuter le spectateur le plus averti. C’est pourquoi nous commencerons par voir ce que ce film n’a et n’est pas, avant de nous pencher de plus près sur ses qualités, ses réussites, voire ses prouesses.

Précisons tout d’abord que le titre français porte à confusion. Dans sa version originale, Terrore nello spazio n’évoque pas de vampires et c’est tout à fait justifié puisque, dans ce film, les seuls êtres maléfiques sont des esprits qui s’accaparent l’âme des morts. Nullement question de monstres assoiffés de sang, donc.

L’intrigue, résumée ci-dessus, est bien moins claire dans sa narration lorsqu’on visionne le film. Les nombreux personnages perturbent la compréhension de l’œuvre à ses débuts et l’intérêt scénaristique des péripéties laisse souvent perplexe. De ce fait, l’installation de la logique dramaturgique est chancelante et les morts déplorés sont souvent étrangers à notre empathie (absence probablement renforcée par le jeu plus qu’approximatif des acteurs, souvent trop expressifs ou manquant de coordination dans leurs expressions respectives). L'un des premiers cadavres, par exemple, se trouve être celui du frère du capitaine, sans histoire d’amour : ce lien familial aurait été celui le plus à même de provoquer notre empathie si la relation avait eu le temps de se développer. Sa mort aurait eu un impact bien plus fort si elle s’était située à la fin du film, où des personnages sans importance vont mourir dans l’indifférence plus ou moins totale des protagoniste - comme du spectateur. Ainsi, les nœuds dramatiques du récit sont souvent placés au mauvais moment.


A cela viennent s’ajouter les péripéties rythmant le film, qui font très peu progresser le récit et que l’on pourrait soustraire sans changer le cours de l’histoire. Une longue scène, par exemple, met en place la découverte, par le capitaine et son équipe, d’un ancien vaisseau, échoué comme le leur sur cette planète maudite. Le capitaine Markary et sa camarade Sanya partent explorer ce vestige, se retrouvent alors enfermés à l’intérieur de la pièce centrale et c’est à peine s’ils s’en inquiètent. Alors que les portes se sont refermées sur eux, Sanya trouve une sorte de diapason au sol et s’enquiert de faire partager sa découverte à Markary. « Look what I found ! », dit-elle pleine d’entrain. Pourtant cet objet n’a aucune importance et l’heure n’est pas tellement à l'émerveillement béat devant l’anecdotique. Il faut attendre quelques minutes (pendant lesquelles elle disparaît totalement de l’action tandis que Markary cherche comment sortir) pour qu’elle s’exclame enfin : « Mark ! I can’t breathe ! » La dramatisation paraît alors enfin se manifester mais quelques dizaines de secondes plus tard, le capitaine trouve le moyen de s’échapper. La tension contenue dans la réplique de Sanya n’aura eu aucun impact, sans compter qu’elle disparaît à nouveau de l’image pour n’y réapparaître que dans une position statique, sans signe de l’aggravation de sa condition.

On remarque par ailleurs dans cette scène que les initiatives sont mises en œuvre par les personnages masculins. Cette caractéristique peut se généraliser à l’entièreté du film dans lequel les femmes n’ont aucune action de poids, restent le plus souvent dans le vaisseau ou bien montent la garde et subissent des événements qui leur échappent (comme le manque d’oxygène), contre lesquels elles ne se débattent pas le moins du monde. Finalement, cette scène de presque dix minutes n’aura apporté qu’un faible élément à l’intrigue : des créatures se sont déjà échouées sur Aura et ont succombé. Pour les protagonistes, cette information leur permet de confirmer leur inquiétude sur la nature de cette planète. Mais pour nous, spectateurs qui savons déjà qu’elle est habitée par des créatures maléfiques, cet épisode n’apporte rien et le semblant de dramatisation ne peux provoquer ni d’inquiétude ni de soulagement.


Une fois de plus, le jeu des acteurs décrédibilise le rendu émotionnel. On peut néanmoins tenter d’en faire abstraction ou y trouver même un charme certain, drôle par moment, et inhérent à la catégorie de seconde zone du film. Ces "mauvais" acteurs sont bien sûr une conséquence directe du manque de budget. Malheureusement, à ce manque d’importance de certains éléments de l’intrigue et de la dramatisation (qui découle probablement des nombreuses réécritures subies par le scénario), qu’on ne peut imputer - contrairement à l’acting - au manque de budget, s’ajoute un montage hasardeux. Pour tenter, probablement, de pallier cette absence de dramatisation, Bava va insister sur les aller-retours entre gros plans et plans d’ensemble, parfois en dépit de la logique spatio-temporelle, donnant lieu à des incohérences assez désagréables et insistant, par ce montage, sur les visages des acteurs et leurs expressions, qui sont assez souvent mal exécutées. Ces incohérences sont aussi présentes par le nombre affolant de faux raccords, dans les proportions des vaisseaux par exemple, qui sont beaucoup trop petits de l’extérieur pour que les pièces immenses dans lesquelles fonctionnent les machines puissent réellement exister. Tous ces défauts sont, pour la plupart, attendus dans une œuvre de série B comme celle-ci. Malheureusement, certaines impactent plus directement sa qualité : le manque d’intérêt dramatique ou les faiblesses narratives sont parfois dérangeantes, tandis que le jeu ou les incohérences du montage apportent une touche singulière à l’œuvre de Mario Bava.

Vous devez à présent vous dire que La Planète des vampires n’a aucun intérêt particulier et qu’à moins de passer le temps, un soir d’hiver, lorsque une brume atmosphérique aura envahi votre jardin, visionner ce film est une perte de temps. Détrompez-vous ! Si ce film a été salué par Nicolas Winding Refn, Martin Scorsese ou encore Tim Burton, et reconnu comme l'une des sources d’inspiration principale de Ridley Scott pour la réalisation d’Alien, c’est qu’il possède d’autres secrets à nous dévoiler. Ses décors, aussi insolites qu’ils puissent paraître, et même si aujourd’hui on y reconnaît le papier-mâché, sont le premier élément qui permet au réalisateur d’instaurer une ambiance qui lui est propre et de créer un monde fantasmagorique dans lequel le spectateur se trouve immergé. Fantasmagorie renforcée par les costumes de cuir dans lesquels les corps moulés deviennent des objets de désir, souvent érotisés par leurs actions ou leurs postures (dans ces tenues réside aussi une des raisons du manque de capacité des acteurs à se mouvoir et donc à avoir un jeu convaincant). Les nappes de fumigènes omniprésentes, la lave bouillonnante ou les paysages de rochers biscornus, se déployant jusqu’à l’horizon, confèrent au monde extérieur sa géographie plastique. Les couleurs viennent renforcer ce monde minéralisé en s’incluant dans le paysage. Les brumes au-dessus de la lave deviennent d'un rouge flamboyant, des rochers plus humides sont éclairés par une lumière verte et vaseuse, sur les sables lointains s’ajoutent des spots jaunes et orangés, et enfin entre le ciel et le sol d’Aura, le bleu et le violet complètent la palette visuelle. Cette surcharge de couleurs saturées donne cet aspect surnaturel à la lumière, en constante mutation (les éléments naturels mouvants comme le sable, la brume ou bien la lave), soulignant l’incompréhension et l’égarement des personnages au sein d’une planète, par son essence même, vivante.


La couleur est partout. Même les fameux esprits, quand ils n’ont pu s’accaparer un corps, se manifestent par des sortes de points lumineux colorés qui échappent au regard dès qu’on les fixe. Ces aliens sont donc des hallucinations rétiniennes colorées et on ne peut que souligner l’originalité de Bava, ici, qui déconstruit les codes habituels de la représentation extraterrestre. C’est bien, au contraire, à l’irreprésentable que l’on a à faire. Cette obsession picturale contraste avec les intérieurs du film, intérieurs de vaisseaux à l’architecture épurée, aux couleurs peu présentes ou désaturées. Ces décors intérieurs sont tout à fait remarquables, la prolifération de commandes d’ordinateurs de bord et de boutons lumineux, surreprésentés dans un excès qui en devient comique, à l’instar de cette scène de Playtime réalisé deux ans plus tard (cf. image ci-dessous). On constate la ressemblance dans le traitement des couleurs, tout l’espace environnemental est gris, renforçant les touches de vert, rouge et jaune des commandes. Le résultat est peut-être plus convaincant chez Tati, mais l’équipe technique est bien plus qualifiée et le matériel onéreux. Bava réussit donc avec très peu à composer un espace qui n’a rien à envier aux "plus grands".


Cette importance dédiée à la couleur nous rappelle que Nicolas Winding Refn n’a sûrement pas choisi de participer à la promotion de cette œuvre sans raison. Mais l’intérêt du réalisateur de The Neon Demon vient aussi très probablement de l’utilisation des formes et de la mise en scène géométrique des espaces. Si nous revenons à cette séquence de la découverte d’un vaisseau abandonné, elle présente, en dépit d’un intérêt narratif, une puissance esthétique remarquable. Le décor est surréaliste, les personnages sont écrasés par les formes triangulaires ou bien perdus dans une perspective circulaire, laissés à l’arrière-plan, si bien qu’on ne les distingue quasiment plus. Bava y ajoute des inserts pour insister sur certaines formes, place ses personnages à l’intérieur de constructions géométriques précises et définit, une fois de plus, cet espace esthétique unique et hypnotique qui caractérise La Planète des vampires. Cette profusion de formes semble être un reliquat du genre gothique dans lequel Bava s’est illustré avec des films comme Le Masque du Démon. Malheureusement, pour compléter la synesthésie esthétique de la scène, voulant trop en faire, Bava glisse encore une incohérence en ajoutant de la brume stagnante au sol alors même que tout l’oxygène se trouve aspiré par une ouverture donnant sur l’extérieur.


La composition est souvent très symétrique et les décors prennent une ampleur considérable. Ils ont souvent les défauts de leur coût peu élevé et il devient difficile de les croire en fer ou en acier, mais plutôt en papier ou en plastique. Cela donne au film une certaine parenté avec des œuvres bien plus datées comme Le Voyage dans la Lune de Méliès, et un air trop enfantin pour être menaçant. Malgré tout, la composition des plans reste unique et admirable. C’est cette précision dans le décor qui fait dire à Tim Burton que Bava « avait un sens du design qui passait directement de votre esprit à votre âme. » Si l'on en garde le côté Méliès, ce « sens du design » passe probablement aussi bien par votre âme d’adulte que par votre âme d’enfant. Pour compléter cette ambiance atmosphérique s’ajoutent des bruitages très convaincants, à défaut d’une musique parfois plus stéréotypée qui vient encore et toujours tenter de renforcer le défaut de dramaturgie.

Finalement La Planète des vampires est une oeuvre à part, aussi bien dans la filmographie de Bava, qui s’essaie ici pour la seule et unique fois au genre de la science-fiction, que dans le paysage cinématographique. Elle est incontournable pour la trace qu’elle y laissera et les nombreuses influences qu’elle aura sur le septième art, d’Alien à The Neon Demon, en devenant, et notamment en Italie, une référence du genre. Le charme réside bien souvent dans l’imperfection, Mario Bava en fait la démonstration.

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La fiche IMDb du film

Par Victor Tarot - le 22 décembre 2017