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Critique de film
Le film

Avanti !

L'histoire

L'homme d'affaires pressé Wendell Armbruster III débarque inopinément à Ischia, Italie, pour récupérer la dépouille de son père, décédé pendant ses vacances. Il y découvre que son géniteur est mort avec sa maîtresse qu'il venait retrouver là-bas chaque été depuis dix ans. Maîtresse qui avait une fille, Paméla, une âme romantique qui désire que le couple soit enterré sur place. Wendell voudrait étouffer le scandale et rapatrier le corps pour des funérailles en grande pompe aux Etats-Unis. La lenteur de l'administration, des Italiens mal intentionnés, mais surtout l'amour, vont ajouter leur grain de sel...

Analyse et critique

« Se bastasse una bella canzone... » (air connu)

A sa sortie en 1972, Avanti ! est envisagé par de nombreux critiques comme - employons un terme poli - "un film de vieux" un brin inoffensif. Cette comédie romantique délicieusement balisée se révèle être l'autre joyau de la dernière période de Billy Wilder avec sa Vie privée de Sherlock Holmes. Un contraste savamment composé contre les mystères victoriens et brumeux, oui, mais un film au charme fou et solaire, tout aussi mélancolique.

Wilder et son complice I.A.L. Diamond adaptent Avanti ! d'une pièce de Samuel Taylor (un auteur que le cinéaste avait déjà adapté au cinéma avec Sabrina) assez vaudevillesque sur le papier : un huis clos dans un hôtel romain, avec épouse trompée, attaché d'ambassade et Italien bisexuel, pièce à laquelle Wilder va donner une bouffée d'air marin en transposant l'action sur l'île d'Ischia. Sous la plume des auteurs, le vaudeville touristique devient intimiste et sous les rires et les pleurs, on retrouve le thème cher à Henry James de la confrontation entre une Amérique simple et une Europe complexe. Et depuis l'époque des écrits de James, le malentendu semble persister entre une Amérique affairiste et une Europe chantre du bon vivre. Echaudé par la mutilation par les studios de son film sur Holmes, Billy Wilder confie avoir voulu tourner un film européen, plus libre : « Il y a une phrase de Renoir sur la différence entre les réalisateurs "européens" et les réalisateurs "américains", par exemple entre Lubitsch, Wyler, Siodmak, Zinnemann, Sirk et moi d'un côté, et Ford ou Hawks de l'autre : en Amérique, tout marche comme sur des rails, alors que les films européens comportent toujours de charmants détours inattendus. » Le vieux comparse de Wilder, Jack Lemmon, et l'Anglaise Juliet Mills (à qui le réalisateur demande de prendre du poids pour le rôle) forment le couple Wendell / Pamela.

Avanti ! apparaît de prime abord daté en cette période d'ébullition cinématographique des années 70 et dans le canon wilderien (si on le compare à la férocité d'Un, deux, trois). Par son rythme indolent et sa célébration d'une vie dans une bulle de champagne, Avanti ! peut paraître presque comme détaché, "réactionnaire" à la réaction dans ce contexte. Ou peut-être que non. Billy Wilder n'évite pas son époque, multipliant les allusions à une Amérique en récession (les frères Trotta refusant des dollars d'Armbruster comme paiement), à la Grèce des Colonels, aux Années de Plomb italiennes (par l'intermédiaire d'un employé d'héliport nostalgique de Mussolini) ou au Moyen-Orient avec son mauvais esprit familier et jubilatoire. L'époque est triste et Wilder semble dire : « Vivons heureux, vivons cachés (en Italie). » Le cinéaste-scénariste évoque le repli, mais au moins le repli à deux avant la fin du monde. Il refuse aussi toute concession au "jeunisme", n'hésitant pas afficher la nudité très peu sexy (quoique) de Pamela (invariablement traitée de « grosse » pendant les trois-quarts du film) ou du postérieur de Jack Lemmon. Un film libre, donc.

On est en terrain romantique connu : la prévisibilité du personnage d'Armbruster dont on sait qu'il va fondre pour Pamela, l'hôtelier comme bonne fée du couple, et surtout la vision de l'Italie et des Italiens avec des clichés à la pelleteuse. Piochez un stéréotype : ils y sont tous (bureaucratie, paresse, cupidité ou Sicilienne vengeresse et moustachue). En même temps, cette Italie selon Billy Wilder est aussi pensée comme un choc des civilisations, un parcours d'obstacles pour l'arrogant Armbruster et son impatience toute américaine stigmatisée par Pamela. La mise en scène de Wilder est ivre de la Dolce Vita locale, au point qu'il étire les scènes (la promenade de Pamela en calèche est un moment un peu gratuit) et joue patiemment avec le tempo des gags, refusant que le spectateur boive le flacon d'un trait mais en le dégustant. Les cinq premières minutes muettes - qui sont un long gag - du film annoncent l'humour ma non troppo d'Avanti !, offert par le cinéaste comme un apéritif, à prendre ou à laisser. Si le rythme fait néanmoins parfois défaut - pendant les scènes un peu bavardes de chambre d'hôtel où le caractère théâtral du matériau originel se fait sentir - Wilder prouve qu'une comédie peut fonctionner sur 2 heures 20.

Leur petit duo, leur heure d'illusion, leur chimérique bonheur

Avanti ! est paradoxalement bien un "film de vieux", mais au sens de mature : Wilder y retravaille un canevas proche de sa géniale Garçonnière mais aux conséquences opposées. Dans les deux films, on trouve un couple contrarié, des "méchants" autour (Sheldrake dans La Garçonnière, le valet de chambre dans Avanti !), un bon samaritain (le voisin de La Garçonnière, le directeur de l'hôtel d'Avanti !) ; mais à cause de l'âge, les choix sont tout autres. Si les jeunes Bud et Fran pouvaient se révolter contre le système arriviste dans La Garçonnière, Armbruster (1) et Pamela ont malheureusement suffisamment vécu pour faire davantage de concessions avec les convenances. Message ou testament du vieux renard à 66 ans : Wilder semble ici nous proposer onze mois en bonne société contre un seul mois de liberté. Celle qui n'en est que meilleure lorsqu'on en mesure le prix. L'heure est grave donc car il y a aussi mort au soleil. Les veines tragiques et comiques de Wilder convergent idéalement dans la scène de la morgue, probablement la plus belle du film. Ce passage sublime est à double sens : Armbruster et Pamela sont là pour reconnaître les corps de leurs parents respectifs, et à la demande du fonctionnaire local confirment leur identité par un « I do ». Ces mots magiques ont valeur d'un "oui", mais aussi d'un "je le veux" marital. Le fils et la fille scellent ainsi l'union de leurs parents par-delà la tombe, mais forment déjà un couple bien avant le final. (2) Armbruster et Pamela sont dès lors "condamnés" à reformer le couple de leurs parents, le scénario s'ingéniant à les replacer dans des situations que leurs géniteurs ont vécues (la chambre d'hôtel, le dîner et surtout la baignade d'anthologie). Wilder annonce ainsi élégamment la résolution du film tout en la plaçant sous la signe de la fatalité. Mais le métronome tend aussi vers le comique dans cette même scène, grâce au tamponnage chorégraphique de documents par le fonctionnaire (il faut voir cette scène !), pour s'achever sur un moment délicat de pudeur : Pamela laisse entrer par la fenêtre de la morgue un rayon de soleil, qui vient se déposer sur les cercueils des défunts. Ultime cadeau de mariage de l'Italie. Et d'adieu.

Billy Wilder n'était pas très satisfait de Avanti !, décortiquant ce qu'il aurait aimé réécrire : « La révélation aurait été beaucoup plus audacieuse et dramatique si le fils avait découvert que son défunt père passait ses vacances en Italie non pas parce qu'il avait une maîtresse mais parce qu'il était homosexuel. Alors, le film aurait été vraiment courageux. Tel quel, il est tout simplement trop pépère, trop sage, trop doux. » Peut-être. Mais ce qu'il nous offre est néanmoins tout à fait réjouissant de fraîcheur et de joyeuse mauvaise humeur. Campari pour tous !

(1) Le personnage d'Armbruster pourrait être le C.C. Baxter de La Garçonnière, dix ans après et s'il avait vendu son âme à Sheldrake. Au détour d'un dialogue dans la VO, Armbruster utilise l'expression "money-wise", que n'aurait pas reniée Baxter, friand de "cookie-wise" ou de "kubelik-wise"...
(2) Nous devons cette lecture au critique Glenn Erickson.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par John Constantine - le 29 novembre 2004