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Interviews

Pour ce nouvel entretien-fleuve consacré aux métiers de la restauration de films, nous avons retrouvé Audrey Birrien qui, après quelques années passés chez Eclair, travaille désormais pour le laboratoire Hiventy, en charge des restaurations de patrimoine. Elle est accompagnée de Jérôme Bigueur, l'un des étalonneurs-maison qui nous explique le déroulement de son travail, parle du HDR et en profite, au gré d'anecdotes sur des projets passés et à venir, pour nous éclairer sur quelques croyances tenaces sur son métier. Une conversation qui pourra s'aventurer brièvement dans les détails complexes de la technique (nous avons essayé d'expliquer au mieux certains acronymes réservés aux initiés) mais qui se révèle au final passionnante sur les difficultés et les enjeux de la restauration de films en 2021...

Audrey Birrien : Nous nous posons tellement de questions sur ces réadaptations en HDR qu'il nous a semblé intéressant de partager nos connaissances acquises sur les dernières années. En terme de patrimoine, nous sommes le laboratoire français qui en avons fait le plus, c'est d'ailleurs Jérôme qui les a quasiment tous faits. Nous avons travaillé sur La piscine, les cinq Gendarme à St Tropez, Fog, Double détente, Les trois jours du condor, Total Recall, Basic Instinct, Bleu, Blanc et Rouge, La double vie de Véronique...

DVDClassik : Lorsque vous restaurez un film en HDR, vous fournissez des fichiers SDR et HDR séparés ?

AB : Nous fournissons à nos clients tous types de fichiers pour leurs différentes exploitations. Il y a souvent un DCP pour les projections en salle et les finalités vidéo qui sont SDR ou HDR. Quand il y a des aides du CNC, il y a un "retour au film" [ndlr : le tirage d'une nouvelle copie argentique]. Généralement, quand nous sortons un UHD-HDR, nous faisons aussi des déclinaisons HD-SDR s'ils veulent sortir un Blu-ray classique ou tout simplement des ventes TV ou des ventes à l'étranger. A l'exception de certains pays comme le Japon ou les Etats-Unis qui commencent à plébisciter pas mal le format UHD – pas forcément HDR - pour des diffusions TV.

DVDClassik : Au Japon, la NHK expérimente le 8K depuis 10 ans...

AB : Nous ne leur fournissons pour l'instant que du 4K/UHD. Pour du patrimoine, d'après les études qui ont été faites, sur un beau négatif bien posé, nous sommes à 4K/4K et demi. En faisant une numérisation 4K, on peut capter l'intégralité de l'information. Après, nous savons que le scan 8K est utilisé...

DVDClassik : Vous avez testé le 8K ?

AB : Les constructeurs de scan nous ont contactés pour faire des essais, c'est en cours.


La piscine de Jacques Deray, restauré par Hiventy

DVDClassik : Concernant le patrimoine, l'utilisation du HDR est empirique. Vous testez le format au fur et à mesure...

Jérôme Bigueur : Oui, nous sommes en avance par rapport aux productions cinéma puisque très peu font pour l'instant du HDR.

DVDClassik : Parce qu'on ne projette pas encore en HDR ? Le projecteur que vous avez dans cette salle d'étalonnage n'est pas HDR....

JB : Seul Dolby Cinema les fabrique. En Europe, il n'y en a qu'à Londres.

DVDClassik : Dans ce cas, sans projecteur HDR, comment faites-vous pour travailler dans ce format ?

JB : J'ai un moniteur BVM-X300 de Sony. Pour l'instant, nous n'avons pas eu de demande de projection Dolby Cinema, comme au Pathé Beaugrenelle. Les demandes de restauration sont spécifiquement destinées à des Blu-rays UHD et des sorties en salle, en DCP. 

DVDClassik : Cela veut dire que vous effectuez d'abord un étalonnage en SDR, que vous transposez ensuite en HDR ?

JB : Il y a différentes façons de faire, cela dépend des étalonneurs, du film, du client. Pour certains films comme Bleu de Krzysztof Kieślowski, j'étalonne en grande salle. J'aime bien faire mes niveaux sur un très grand écran plutôt que sur un moniteur où on peut ne pas voir toutes les informations contenues dans l'image. Certains clients préfèrent commencer directement par l'étalonnage HDR, comme ce fût par exemple le cas sur les Gendarme. Je n'ai pas non plus eu beaucoup de choix, c'était pendant le confinement. Il n'y a pas une école qui dit de commencer par l'un ou l'autre, ce sont deux apports différents, surtout en remasterisation de films. Par exemple sur Bleu, j'ai travaillé avec le directeur de la photographie Sławomir Idziak, un très grand chef opérateur. Mais comme il ne pouvait pas venir en France à cause du confinement, nous avons travaillé à distance avec la plateforme frame.io, en se partageant des fichiers vidéo sécurisés.

AB : Avec la crise sanitaire, le particulier a découvert Zoom. Les milieux du cinéma ont vu l'émergence du partage d'images et la possibilité de faire valider des choix à des gens qui étaient bloqués chez eux ou dans leurs pays. On a donc mis en place des plateformes plutôt lourdes, avec des systèmes de commentaires, comme sur un tchat, qui nous ont permis de bien avancer...


La double vie de Véronique de Krzysztof Kieślowski

DVDClassik : Quelle a été la réaction de Sławomir Idziak face au HDR ?

JB : Il a commencé par me donner un document qu'il avait écrit pour Camerimage, un salon des chefs opérateurs en Pologne, une grosse thèse qui portait essentiellement sur La double vie de Véronique et Bleu. Je ne savais pas encore si j'aurais à ma disposition une copie 35mm en bon état, donc il m'a dit que je pouvais me baser sur ce document. Il s'avère que nous avons reçu une copie 35mm d'MK2 plutôt bien conservée, ce qui n'est pas souvent le cas car les copies virent beaucoup. J'ai ainsi pu travailler avec un petit projecteur 35mm avec lequel je peux m'arrêter sur l'image que je veux, et faire mon étalonnage avec, côte à côte, les images numérique et argentique. J'ai envoyé une première passe d'étalonnage à Idziak et il fût tout de suite ravi, d'autant qu'il avait été déçu par l'ancien master, qu'il n'avait pas supervisé. Comme il n'était pas avec moi en salle d'étalonnage, j'ai essayé de faire au mieux par rapport aux documents qu'il m'avait fournis, et en m'appuyant beaucoup sur la copie 35mm. Il était vraiment ravi de retrouver les couleurs qu'il voulait faire. Et que ce soit Bleu ou La double vie de Véronique, il y a beaucoup de couleurs ! Lorsque je reçois les images des négatifs, j'obtiens certaines couleurs et peux partir sur tout autre chose. Mais Idziak nuançait sa palette, utilisait des gélatines sur le plateau pour accentuer les contrastes. Je devais donc aller encore plus loin que d'habitude. Le HDR s'avère être une vraie représentation colorimétrique que le SDR REC709 ne permet pas pour les sorties Master. Slawomir en fût complètement satisfait car c'est très nuancé, il n'était pas question de pousser les curseurs au maximum.

DVDClassik : Comment procédez-vous lorsque vous commencez à travailler sur un film ? Utilisez-vous des LUT (1)  ou une base personnelle pour des tests ?

JB : Cela dépend. Pour les films couleurs, j'utilise souvent une LUT pour obtenir l'équivalent d'un "retour au film", un look pellicule.

AB : Si les ayant-droits sont aidés par le CNC, des copies argentiques peuvent potentiellement être tirées. Il faut donc que notre chaîne de fabrication fasse le grand écart, qu'elle soit capable de reproduire à la fois une copie 35mm et un master UHD-HDR.

JB : Il y a deux choses dans la LUT : les LUT techniques qui permettent de renvoyer des fichiers pour "reshooter" le film sur négatif sans perte d'informations, et la LUT qui permet d'obtenir une certaine esthétique. On combine les deux.


Jean-Pierre Boiget (Directeur d'exploitation de Studiocanal), Paul Verhoeven et Jérôme Bigueur

DVDClassik : Est-ce que Paul Verhoeven vous a imposé une LUT spécifique pour le look de Basic Instinct ? C'est vous qui proposez alors quelque chose ?

JB : Verhoeven ne m'a rien imposé, c'est moi qui ai proposé un étalonnage. Je n'ai même pas utilisé de LUT. Comme c'était il y a quelques années, et pour nous les débuts des travaux en HDR, j'ai travaillé dans un autre workflow et suis parti en ACES (2). J'ai travaillé tout seul puis j'ai eu un rendez-vous avec Verhoeven à Los Angeles, en condition de salle. C'était une grande montée d'adrénaline. J'avais fait une bonne partie du travail en me laissant encore un peu de latitude en cas de modification. C'était les mêmes machines mais pas ma salle habituelle. Est-ce qu'il va aimer ou pas ? Je l'avais derrière moi pendant la projection. On passe une bobine, une deuxième bobine, une troisième bobine... Il me dit "Stop !" et me fait : "Je n'ai jamais vu ma copie comme ça, je suis ravi. Je retrouve vraiment les lumières de Jan de Bont. Là on avait fait ça, cela ressort enfin..." Il m'a fait faire quelques petites rectifications mais très peu, en fait.

DVDClassik : Sur quoi se sont basés vos choix d'étalonnage ?

JB : On regarde d'abord la copie 35mm.

AB : On peut les préparer soit sur notre site de Joinville, qui est équipé d'un projecteur 35mm pour vérifier nos "retours au film", soit directement ici à Boulogne. On vérifie que cette copie est en bon état de projection et qu'elle ne soit pas virée. Ce n'est pas parce qu'on fait de l'UHD-HDR qu'on perd tous nos principes déontologiques de travail : la base reste une copie 35mm, en espérant qu'elle soit visible, avec de la documentation (comme sur Bleu et La double vie de Véronique) et parfois la présence du chef opérateur.

DVDClassik : Ces copies 35mm sont-elles vraiment fiables ? 

JB : Tout est sujet à interprétation. Quand on vit dans un laboratoire, on voit très bien que chaque tirage argentique n'est jamais parfaitement identique. Il y aura toujours des plans un peu plus denses, d'autres un peu plus clairs, ou avec un peu plus de magenta. Il n'y a pas de copie parfaite. A l'époque, il y avait la Copie Prestige.

AB : Nous demandons des copies de référence. Quand il existe des copies, nous sommes déjà contents car ce n'est pas systématique. Mais ce sont souvent des copies de série, où une ou deux ont été conservées. Plus le film est ancien, moins nous pouvons trouver d'informations du laboratoire qui peuvent nous renseigner sur la qualification des copies ("Prestige", "Brouillon", "Zéro"...). On peut parfois se retrouver avec une copie "Zéro" (3) qui ne va pas beaucoup nous aider, on s'en rend vite compte.


Basic Instinct de Paul Verhoeven

DVDClassik : Pour revenir à Basic Instinct, le film présente des contrastes chromatiques très tranchés, tantôt chauds tantôt froids. Le nouveau master est très plaisant à regarder. Je n'avais pas remarqué un plan extérieur, au bout d'une heure de film, un travelling en extérieur suivant Sharon Stone et Michael Douglas avec comme un soudain changement d'exposition. La carnation ne bouge pas, c'est parfait, par contre l'arrière-plan change. C'est un rattrapage que vous avez fait ici, pour corriger une surexposition accidentelle au tournage ?

JB : J'ai rencontré des difficultés sur quelques séquences, je dois parfois atténuer des accidents de tournage, et dans ce cas je privilégie toujours les visages. Il faut parfois trancher, le temps de travail imparti est limité. Ici, j'ai essayé de compenser un changement de diaph au milieu du plan. Et dès qu'on modifie la valeur du diaph, les couleurs changent. C'est comme cela que je l'ai compris, j'interprète aussi. Verhoeven était dithyrambique sur les effets qu'ils avaient créés au tournage, comme lorsque elle est assise sur son transat, devant chez elle, avec des effets de lumière... Il était ravi : "On l'avait fait claquer exprès pour que cela rende comme ça".

DVDClassik : Le film est magnifique et passe vraiment très bien en HDR. A propos des teintes, quelle est votre approche ? Vous vous appuyez beaucoup sur la copie 35mm ?

JB : Au début, oui. Mais je peux parfois avoir des demandes du client pour être un peu plus "vendeur" par rapport à un ancien master qui n'était pas assez "sexy". Mais dans ce cas, je le fais vraiment avec parcimonie. Comme la réduction de bruit : c'est quelque chose que je n'utilise quasiment jamais car il y a toujours une interprétation et une envie de valoriser qui n'est pas loin. J'aime beaucoup la couleur donc j'aurai peut-être tendance à en mettre un peu plus que d'autres étalonneurs qui travaillent avec une palette plus réduite. Quand il y a davantage de couleurs, on se met aussi plus en danger, on prend plus de risques par rapport au retour du client. J'essaie vraiment de respecter le plus possible le matériau d'origine tout en prenant en compte que nous sommes en 2021, avec un public habitué à du numérique qui "claque". Mon but n'est pas de dénaturer l'oeuvre, bien au contraire, et j'y fais très attention, mais une cohérence est quand même nécessaire. Pour un film comme Basic Instinct, datant du début des années 90, vu par des jeunes de 20 ans aujourd'hui, il faut quand même que cela "claque" un petit peu.

DVDClassik : A l'époque cela ne "claquait" pas comme ça ?

JB : On voit beaucoup de choses sur la copie 35mm. Un défaut de tournage va être compensé par des points de tirage en plus, on va tout réchauffer, on va tout refroidir. On va "monochromiser" un peu plus la copie parce que le tirage argentique ne permet de toutes façons que de travailler dans l'ensemble de l'image.

AB : La numérisation 4K apporte pour l'étalonnage, comme elle le fait aussi pour la restauration, la découverte de problèmes ou de décisions de tournage. Il y a parfois des effets de trucage avec des fils ou des câbles qu'on découvre en scannant le film en 4K, car la précision des images en fait ressortir les détails.


2001, l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick

DVDClassik : Comment définissez-vous les LUT ? Une sorte de preset par rapport aux différents types de pellicule ? Si vous aviez utilisé la LUT de la pellicule de Basic Instinct par exemple, y aurait-il une différence de rendu par rapport à la copie 35mm ?

JB : Le scanner est calibré par rapport à l'émulsion de la pellicule. On va par exemple scanner une pellicule 52 18 en utilisant les données constructeur pour de la pellicule 52 18. La LUT que j'utilise permet d'avoir un look 35mm d'une pellicule Kodak 83 ou 93, ou Fuji, comme si on projetait en 35mm, avec un certain contraste, des blancs qui vont être salis. C'est ce qui crée d'ailleurs de grosses polémiques sur les forums concernant la restauration de 2001, l'odyssée de l'espace par Christopher Nolan : l'ancien master était très numérique, avec des blancs bien blancs, alors que le parti-pris de Nolan est de restituer une émulation du blanc de la pellicule. Les comparatifs d'image sur internet montrent un blanc plus sale alors que, lorsque les copies sont projetées, l'oeil s'habitue et ne le remarque pas.

DVDClassik : Donc répétons-le une nouvelle fois : en pellicule, le blanc n'est jamais pur...

AB : Exactement. L'avantage avec les numérisations en 4K, c'est que l'on peut désormais capter toutes les informations inscrites sur le négatif. L'étalonnage en HDR permet de travailler avec une matière qui n'avait jamais pu être complètement exploitée jusqu'à présent. C'est ensuite le travail de Jérôme d'adapter tout en étant respectueux, en donnant un côté non pas "moderne" mais un peu plus contemporain, trouver le juste milieu. L'idée n'est pas de refaire le film. Nous avons de nouveaux outils qui permettent au film de revivre : nous livrons des masters UHD-HDR mais refaisons aussi en parallèle un étalonnage SDR pour une projection en salle dite classique. On ne le fait pas uniquement pour la modernité de l'UHD, on peut aussi faire un "retour au film" sur pellicule. Il y a toujours un aspect préservation de l'élément source.

JB : Quand on parle de HDR, l'espace colorimétrique est plus important, on récupère vraiment des nuances de couleurs. Les masters vidéo HD sont en REC709 avec des couleurs qui, une fois saturées, sont "clippées", on ne distingue plus rien. Sur un film comme La double vie de Véronique qui est ultra-coloré, au lieu de se dire que mon rouge s'arrête à tel niveau, je peux aller un peu plus loin et obtenir davantage de nuances. J'ai fait une démonstration à nos clients désireux de comprendre en leur montrant une projection cinéma en DCI-P3, avec un espace de couleurs plus grand que le master TV. Je leur ai montré le master TV harmonisé en REC709, avec un gain de couleurs par rapport au précédent master et je suis ensuite passé en HDR pour montrer l'apport de cette avancée technologique. On arrive à des gammes de couleurs qui sont beaucoup plus nuancées, beaucoup plus fines que le REC709. Pour moi, tout l'intérêt est d'être plus fidèle à la copie d'origine que ce qu'ont pu être tous les masters SDR-REC709.

Note de la rédaction :
Avant de poursuivre plus loin cet entretien, il nous parait important d'expliquer les notions de "Gamut étendu" à l'aide de quelques exemples concrets. Pour cela, nous avons extrait deux captures des Blu-rays HD et UHD de Basic Instinct et nous avons analysé leur signature chromatique dans un appareil de mesure. Ci-dessous et à droite, vous pouvez observer un diagramme CIE tel qu'il a été défini en 1931 par le Commission Internationale de l'Eclairage. Cette schématisation représente l'ensemble des couleurs visibles par l'oeil humain : à l'intérieur on peut distinguer deux triangles censés représenter l'espace colorimétrique reproductible en Vidéo HD (BT 709) et en vidéo UHD (BT 2020). L'espace P3 (DCP) évoqué précédemment dans l'entretien est un triangle plus restreint que BT2020 mais plus large que celui représentant BT 709. La croix au centre représente le blanc de référence D65.

Ci-dessous, nous voyons la réponse chromatique du plan ci-dessus et comment il s'inscrit à l'intérieur du diagramme CIE. A gauche, l'image issue du disque UHD (BT2020), à droite la même issue du disque HD (BT 709). On constate que les deux images ont sensiblement la même signature chromatique, et qu'aucune couleur ne s'inscrit en dehors du Gamut 709. Donc pour ce type de plan l'intérêt d'un Gamut étendu s'avère très limité.

Il en va tout autrement pour notre deuxième exemple :

90% des couleurs de cette image s'inscrivent dans un triangle 709, hormis les flammes qui le dépassent et flirtent avec les limites du Gamut BT2020 sur le Blu Ray UHD (la zone rouge/orangée dans la représentation ci-dessous et à gauche). A droite pour le Blu ray HD, ces mêmes couleurs s'écrasent contre le bord du Gamut. On dit qu'elles "clippent" et qu'elles saturent, perdent en détail et s'étalent vers le jaune.

Cette parenthèse fermée, reprenons le cour de notre entretien :

DVDClassik : Lorsque vous étalonnez dans cette salle, où nous nous trouvons, vous travaillez sur un DCP en espace colorimétrique P3, pour une valeur de 48 nits (la norme DCP pour la projection) (4). Lorsque vous passez en HDR, vous partez des fichiers étalonnés en DCP ou des fichiers antérieurs ?

JB : J'ai fait ma base d'étalonnage sur un panel Da Vinci Resolve. Je peux basculer mon fichier de sortie en espace colorimétrique P3 ou en HDR. Le transfert est fait automatiquement par la machine, je n'exporte pas mon fichier SDR depuis le DCP. Je travaille toujours à partir du fichier natif...

DVDClassik : … Qui est dans un espace colorimétrique différent du P3.

JB : Après, effectivement, je change de session. Si je suis satisfait de ma version DCP, je la sauvegarde en l'état. Je switche juste ma sortie en HDR et je refais alors une passe en améliorant tel détail, en baissant des hautes lumières, en en rajoutant d'autres. En HDR, il faut souvent diminuer des lumières latérales qui empêchent de voir les visages. Je peux aussi remonter le niveau de certains visages pour recentrer l'action sur l'acteur. Je pars toujours de ma base, c'est mon négatif, je ne pars pas du tout d'un export.

DVDClassik : Je pense que certains étalonneurs le font, repartent des valeurs du DCP pour refaire une passe en HDR. Ce qui n'est pas forcément idiot parce que les spécifications du DCP sont en DCI-P3 .

JB : Oui, tant qu'ils restent en P3. Après c'est toujours le même choix, remonter ou pas les hautes lumières sachant qu'on peut utiliser des LUT et que cela peut "clipper". Ce qu'on utilise ici arrondit les hautes lumières comme sur la pellicule, nous n'aurons donc jamais 1000 nits. Je sais de base que je veux rester fidèle à la copie 35mm, conserver quelque chose de plus harmonieux, plus modelé.


Logiciel d'étalonnage Da Vinci Resolve

DVDClassik : Qu'avez-vous montré à Paul Verhoeven ?

JB : Nous avons commencé par le DCP en projection, puis en HDR sur un moniteur. Il faisait de bonnes remarques, comme sur une séquence de nuit, dans l'appartement, où une lampe était trop forte à un moment. On a baissé le niveau pour mieux voir l'action : en tant que réalisateur, il sait pertinemment ce que le spectateur doit regarder.

DVDClassik : Est-ce qu'on n'aurait pas pu prendre ce nouveau format Blu-ray UHD-HDR comme une simple transposition du DCP en 10bits ? Pourquoi les gens n'auraient pas chez eux l'équivalent technique du rendu salle ?

JB : Ce sont des normes qui vont encore évoluer, les workflows sont déjà en train de changer. Aujourd'hui, les téléviseurs grand public s'arrêtent à 600 ou 700 nits et n'atteignent même pas les niveaux professionnels. Par contre, le Dolby Vision permet de conserver les données d'étalonnage et de sortie de signal dans le temps, pour qu'à n'importe quel moment on puisse travailler dans un espace colorimétrique beaucoup plus important. Ce qui va arriver dans peu de temps, peut-être d'ici cinq ans, ce que souhaite mettre en place Netflix, par exemple, c'est posséder ces données pour qu'elle soient envoyées dans les foyers, incrémentées et converties par un utilitaire de sortie propre à l'écran qui diffuse les images. Celui-ci se réglera automatiquement sur un certain contraste, selon sa puissance et ses capacités. Ce n'est pas le cas avec le HDR10 qui envoie le signal HDR sans qu'il y ait un quelconque contrôle par rapport à la puissance de l'écran, il peut se passer un peu ce qu'il veut. Certains détails vont bien ressortir, d'autres moins. C'est l'avantage du Dolby Vision : l'outil interprétera par rapport à la télé, par rapport au support.

DVDClassik : Quelle est votre préférence de scanner, le Arriscan ou le Scanity ?

JB : J'ai beaucoup travaillé avec le Scanity, que j'aime beaucoup. Mais c'est comme si on comparait les caméras Arri Alexa et Red Monstro. J'ai envie de dire que tel film ressortirait mieux avec le Arri quand tel autre serait mieux traité avec le Scanity. C'est en fait une chose que l'on fait plutôt pour les films très récents. Cela dépend aussi d'une économie, du temps que l'on peut potentiellement gagner avec le Scanity qui peut sortir davantage d'images qu'un Arriscan. Le scan par immersion (pour enlever ou diminuer des défauts survenus avec le temps sur la pellicule) sur le Scanity fonctionne très bien, également. Donc cela dépend vraiment de nombreux paramètres. On peut d’ailleurs en discuter en préparation avec un chef opérateur qui reprend la restauration.

DVDClassik :  La notion de HDR n'est pas vraiment nouvelle en ce qui concerne les scanner ? 

JB : Le scanner récupère toute la dynamique de l'image pour avoir toutes les nuances du signal, pour que l'on fasse ensuite ce que l'on veut, comme le font les caméras numériques.


Les trois jours du Condor de Sydney Pollack

DVDClassik : Vous aviez la caution Verhoeven pour la passe HDR mais par pour Les trois jours du Condor puisque Sydney Pollack est décédé en 2008. Comment avez-vous procédé ?

JB : Nous n'avions personne avec nous, en effet. C'était pendant le premier confinement et j'ai travaillé seul, avec mon expérience, depuis chez moi, à partir du matériel que j'avais ramené...

DVDClassik : Sans copie de référence ? Quel a été votre parti-pris sur cet étalonnage ?

JB : Le seul élément à ma disposition était l'ancien master Paramount, qui était très honnête. Je l'ai regardé, ensuite c'est de l'interprétation, de l'expérience...

DVDClassik : Vous testez des LUT par exemple ? Différents rendus de pellicule ? Ou c'est selon votre goût ?

AB : C'est aussi de la cinéphilie et de l'habitude. Jérôme fait beaucoup de HDR mais il a aussi effectué un étalonnage en photochimique il y a quelques années.

JB : Oui, c'est un avantage, j'ai un peu la double casquette. Je travaille sur des films de patrimoine et des films récents, je fais de l'étalonnage numérique aussi bien que photochimique. J'en faisais sur le site de Joinville et on m'a proposé, un jour, d'étalonner un film uniquement en argentique parce que le réalisateur ne voulait pas voir de copie numérique. Normalement, en "traditionnel", on étalonne les rushes pour les regarder le soir, pendant la période de tournage. Sauf que, sur ce film, ils ont effectué le montage en numérique à partir des télécinémas des rushes. Ils ont ensuite créé un négatif monté. Il a fallu faire après coup toutes les valeurs de tirage, ce qui était un exercice passionnant mais assez compliqué parce que ce n'est pas du tout la même façon d'étalonner entre l'argentique et le numérique. On est arrivés à quelque chose de satisfaisant, une copie faite à l'oeil, le réalisateur était content. Sauf qu'il n'était pas possible de projeter le film à Cannes en 35mm, le format n'était pas encore revenu à l'époque. Il demande alors une copie numérique. On a rescanné le négatif monté et j'ai appliqué une LUT qui me ramène un « look film » qu'on aurait eu en projection 35mm. De là, j'ai fait mon étalonnage par des points de tirage sur la machine numérique, comme si j'étais en photochimique, ce que je fais souvent pour créer mes bases. C'est une façon de faire un peu à l'ancienne, pour essayer d'être au plus proche de la pellicule. Lorsque le réalisateur est revenu voir sa copie numérique, il ne m'a plus jamais parlé du 35mm. En fait, il avait peur des blancs numériques, du côté "dur" du numérique. Ceux qui tournent en numérique aujourd'hui n'ont pas forcément cette référence au 35mm. La nouvelle génération peut ne pas avoir ce ressenti de pellicule, n'a pas forcément envie d'appliquer une LUT de "retour sur film" avec des blancs qui ne sont pas blancs. Ils n'ont pas vécu avec ça. Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, la majorité du public regarde des choses comme Youtube. Un blanc qui leur paraît sale est une esthétique qui était normale pour nous, à l'époque (je parle comme un vieux – rires !).


Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (restauré par Hiventy)

DVDClassik : On voit de nombreux masters HD qui ne sont sans doute pas étalonnés dans des conditions aussi luxueuses qu'ici, qui possèdent des blancs très blancs, des peaux magenta, et cela ne choque pas, bien au contraire.

JB : Après, l'oeil s'habitue tellement...

AB : C'est aussi une histoire de formation. Jérôme étalonne depuis plus de quinze ans, il a commencé par le numérique et fait régulièrement de la photochimie. Beaucoup de jeunes étalonneurs n'ont pas la chance, comme nous, de profiter du laboratoire 35mm, de rebasculer dans ce monde photochimique, avec cette assise du site de Joinville, toute la chaîne photochimique et des gens qui en ont la connaissance. On va parfois voir des défauts sur des films, on va s'appuyer sur les connaissances de nos collègues au tirage, à Joinville : "Ce défaut, tu penses que ça peut être quoi ?" Ils peuvent ensuite nous orienter pour traiter le problème. C'est pareil pour la connaissance de la pellicule. Savoir qu'une pellicule Agfa de tirage positif est différente d'une Fuji, connaître le rendu qu'on en obtient, savoir peut-être à quoi s'attendait le chef opérateur en faisant ce choix particulier de pellicule, pourquoi cette pellicule et pas une autre... Ce n'est jamais anodin, toute cette expérience et ce savoir-faire vont aider à retranscrire en numérique. Si vous n'avez pas cette base-là, si votre base est de la vidéo pure, du programme TV, vous avez finalement un autre historique dans l'oeil.

DVDClassik : C'est aussi faire l'éducation du spectateur. On voit des polémiques internationales sur les étalonnages de Le bon, la brute et le truand ou des films de Bruce Lee restaurés par L'immagine ritrovata. Le spectateur d'aujourd'hui n'est pas toujours prêt à accepter un rendu différent de ce qu'il connaissait auparavant... Comment entendez-vous ces critiques sans fin ?

JB : On ne pourra jamais satisfaire tout le monde. Après, nous dépendons aussi d'un client. Si le réalisateur est encore en vie, c'est lui qui décide. Je fais personnellement ce qui me paraît le mieux pour être le plus fidèle et le plus cohérent. Même s’il est toujours plus agréable d’échanger de point de vue dans ce travail, j'essaie d'adapter au mieux, mais sans jamais m'approprier le film. Malheureusement, il arrive (rarement pour nous, heureusement) que nous n’ayons pas les moyens financiers et techniques, que nous n'ayons pas à disposition des références et des supports authentiques pour permettre d’avoir les bonnes réponses pour étalonner un film. Demandez à un dessinateur de reproduire un même dessin en 10 secondes, 10 minutes ou 1 heure, le rendu sera complètement différent. Il en est de même ici. A la différence, sur un nouveau film comme j’ai pu le faire récemment avec Céline Sciamma et Claire Mathon sa directrice de la photographie, on travaille dès les essais, on se pose et on discute ("Explique-moi ton film") et on crée l’image en conséquent pour avoir une continuité artistique tout le long du processus. Pour un court-métrage par exemple où on n'a pas suivi l'étape des rushes, on se pose dans la salle, on discute : "Comment vois-tu ton film ?" Et j'apprends alors le langage du réalisateur, du chef opérateur. Il y a un très gros travail de compréhension mutuelle, de communication, il faut savoir de quoi on parle, les uns et les autres. Certains termes n'ont pas le même sens pour eux que pour moi. La densité, le contraste, ce n'est pas la même chose et peut être souvent mal interprété. Je sens qu'ils ne perçoivent pas les couleurs de la même façon que moi.

DVDClassik : Certains disent sur internet avoir trop l'impression de sentir l'identité d'un laboratoire, son approche, quel que soit le film...

JB : Encore une fois, l'étalonnage est une interprétation, avec des approches différentes. Cela reste ultra-subjectif. Ma collègue Pauline, qui étalonne aussi chez Hiventy, a un style. J'ai mon style. Lorsque nous choisissons de travailler sur un film, c'est en fonction de nos sensibilités. Telle ambiance sera plus nuancée avec Pauline. Je choisirai plutôt un autre film parce qu'il y a peut-être plus de couleurs, etc. C'est aussi un travail d'équipe.


Belle de jour de Luis Bunuel (restauré en 2017 par Hiventy)

DVDClassik : Vous discutez entre étalonneurs de vos travaux respectifs ?

JB : On parle beaucoup entre nous, on peut se donner des conseils et il faut avoir une veille technologique permanente. Nous ne sommes pas dans la simple critique mais dans une critique constructive. C’est un métier d’échange.

AB : Lorsque nous lançons des projets de restauration, on les délègue aux étalonneurs un peu au feeling car nous connaissons les affinités des techniciens avec qui on travaille. Lorsqu'un ayant-droit va venir à nous, je vais choisir le chef de projet qui va être le plus à même de gérer le client parce qu'ils n'ont pas tous la même manière de fonctionner, ne sont pas tous dans les mêmes attentes. Certains veulent du "clé en main" et ne souhaitent plus intervenir avant la fin des travaux, d'autres vont vouloir être présents à chaque étape. Face à eux, il faut des chefs de projets qui fassent en sorte que cela se passe bien. Et c'est pareil pour la partie étalonnage, en fonction du film, du client, si le réalisateur ou son chef opérateur viendra. Cela se passera mieux avec Pauline ou Jérôme en fonction des besoins. Ce n'est pas juste un trou dans le planning qu'il faut combler : cela ne marche jamais. 

JB : On a tous des affinités avec des gens, ça passe bien avec certains, moins avec d'autres. J'ai eu de la chance car cela s'est toujours bien passé, mais j'accepterais très bien d'être avec un directeur de la photographie ou un réalisateur qui me dise "Cela ne marche pas". C'est un challenge. 

DVDClassik : Quelles sont alors vos propres affinités ?

JB : Par exemple, je sais que j'irais plus vers un film de couleurs, par rapport à ma collègue. Sur les Kieślowski, elle pourrait peut-être plus hésiter dans les intentions du directeur photo alors que sur des films de Jacques Rivette, elle sera plus subtile, aura plus l'intuition de la lumière de la Nouvelle Vague.

DVDClassik : Audrey, vous qui avez travaillé à la fois chez Hiventy et chez Eclair, à la fois avec Jérôme Bigueur et Bruno Patin (étalonneur-maison de ce laboratoire), sauriez-vous définir leurs approches de l'étalonnage ?

AB : Le travail, c''est la personnalité de l'étalonneur et aussi, clairement, de la cinéphilie. C'est un passif professionnel, argentique, photochimique. Après, il y a le feeling qui se rajoute par dessus... Cela nous arrive parfois de faire des commentaires sur les étalonnages de Jérôme, parce que je n'ai pas les mêmes approches, les mêmes goûts. Je n'aime pas quand c'est trop contrasté, j'ai des habitudes de contrastes plus doux. Mais trop ce n'est pas bien non plus, donc il y a parfois débat. Sans dire qu'on se chamaille pour autant.

JB : C'est même constructif.


La fille du puisatier et Le salaire de la peur (restaurés par Hiventy)

DVDClassik : Beaucoup croient que l'étalonnage se fait en un claquement de doigts, avec quelques presets et des habitudes esthétiques. Or, répétons-le, les choix d'étalonnage ne sont pas faits par hasard.

AB : Si c'était comme ça, on ne travaillerait pas sur cent films par an seulement, mais plutôt sur cinq cents, et on ne les ferait pas avec la même qualité. Même si nous avons un temps imparti pour chaque projet, c'est aussi une question de prendre le temps. Ce n'est pas non plus open bar, il y a un devis et un délai à respecter, des tarifs pour chaque prestation. Nous nous adaptons quand il y a besoin mais pour tenir dans ce temps imparti, c'est là qu'il faut ce ressenti, cette expérience. On ne peut pas faire du patrimoine sans jamais avoir vu un film de patrimoine. Surtout quand l'étalonneur travaille seul sur le film, parce qu'il n'y a plus de survivant dans l'équipe technique ou qu'il n'y a pas de documents (contrairement aux écrits de Slawomir Idziak pour La double vie de Véronique, par exemple). Il faut être capable d'interpréter fidèlement, mais fidèlement à quoi ? A l'image d'Epinal que tout le monde a dans la tête ? On a, par exemple, travaillé sur un film de Jacques Rozier avec Pierre Richard. Dans ses films des années 80, on avait l'habitude de voir son visage plutôt rouge, avec ses yeux bleus qui ressortaient. Après avoir vu la copie 35mm, on a vite conclu que c'étaient les anciens masters vidéo qui nous avaient habitués à cela parce que les possibilités techniques de l'époque n'étaient pas les mêmes. Donc notre travail, c'est aussi casser pour revenir à l'original, en prenant peut-être le risque qu'on nous dise : "Mais cela ne ressemble pas à ça". Ben oui, pas dans ton souvenir à toi ! Un peu de la même manière, certains vont signaler sur des forums : "Vous n'avez pas mis la scène où le chat passe derrière !". Et là, on se met tous à chercher cette scène jusqu'au moment où on se rend compte qu'elle n'a jamais existé et qu'elle n'a été vue que sur des photos de plateau. Cela m'est arrivé une fois... Il y a donc l'inconscient collectif qui joue sur ces films multi-diffusés à la télévision, qu'on a l'impression de connaître par cœur. Sauf qu'en les numérisant en 4K, on trouve de nouvelles choses...

DVDClassik : On n'établissait pas de documents, à l'époque, pendant les travaux d'étalonnage? Il n'y a aucune trace écrite des réglages choisis au moment des sorties de films ?

JB : Il peut rester ce qu'on appelle les points de tirage des bandes d'étalonnage issues des internégatifs, mais cela ne nous sert pas, au final. Il existe peut-être de la documentation supplémentaire quelque part mais l'économie des plans de restauration ne permet pas d'approfondir les recherches.

AB : Si les bobines ont été conservées, c'est très rarement le cas des dossiers de production. Sur les trente dernières années, certains clients retrouvent des dossiers, ce qui peut aider. Mais au-delà de trente ans, les boîtes ont été stockées, déplacées de stock en stock, et les dossiers papier ont disparu depuis bien longtemps.


Le cercle rouge de Jean-Pierre Melville (restauré en 2020 par Hiventy)

DVDClassik : Parce que le négatif original avec lequel vous travaillez n'est pas un élément étalonné...

JB : Quand on utilise un internégatif, élément qui sert à la duplication de copies (positives), il est déjà étalonné. On rentre alors une valeur de réglage qui est censée être conforme à ce qui a été fait, mais en perdant au moins 2 générations, donc moins de détail. Le négatif, lui, est l'élément qui sort de la caméra : c'est une image brut, sans retouches. C'est la grosse difficulté car il y a tout à refaire. Un film récent s'étalonne en deux ou trois semaines quand un étalonnage en restauration ne durera que trois à cinq jours en moyenne, en fonction de la durée du film, du nombre de plans. Cela nous oblige à réagir vite.

DVDClassik : Une fois que vous avez établi votre base de réglage pour un étalonnage, est-ce qu'elle est utilisée telle quelle tout le long ou la modifiez-vous en cours de route ?

JB : Tout est tellement pointilleux en numérique que rien ne tient vraiment. Un changement d'objectif, un demi diaph en moins ou en plus à la prise de vues, tout cela peut faire varier le rendu des couleurs...

DVDClassik : Sauf que l'étape d'étalonnage il y a 50 ans, du fait des limitations techniques, était beaucoup moins complexe à élaborer et ne variait pas forcément autant en cours de film, non ?

JB : On ne jouait que sur la densité, un point de bleu, un point de rouge... Et on acceptait plus de choses, car peut-être noyées dans la copie 35mm qui, au fur et à mesure de sa projection, s’abîmait. La tolérance du passé a disparu. Aujourd'hui, l'oeil est plus exercé, on veut que tout soit "lissé" d'un plan à l'autre, alors on va faire davantage attention aux raccords. C'est d'ailleurs ce que j'ai aimé en faisant de la photochimie, en travaillant avec des gens comme Philipe Garrel, par exemple : il a beaucoup vécu sur des accidents d'étalonnage qu'il souhaitait conserver. En discutant avec des opérateurs comme Renato Berta ou Pierre-William Glenn, ils racontent qu’ils pouvaient modifier les tonalités de certaines séquences en fonction des sentiments pour accentuer l'émotion (refroidir à tel endroit parce qu'il y a de la tristesse).

DVDClassik : Quand les chefs opérateurs viennent vous assister pendant l'étalonnage, est-ce que vous notez des choses pour vous sur des carnets (lui travaille plus comme ça, tel autre est davantage comme cela) au cas où vous auriez un jour l'occasion de retravailler sur l'un de leurs films? Ou tout simplement pour garder des traces de certaines conversations ?

JB : Comme je disais précédemment, c’est un apprentissage d’une relation de confiance et de compréhension de goût qui, avec le temps, permet un travail plus rapide. Les attentes et exigences ne sont pas les mêmes. On peut travailler avec les mêmes personnes sur une restauration et un nouveau film, l’approche ne sera pas similaire. L’avantage des plus anciens est qu’ils étaient les seuls vraiment à maîtriser l’image sur un plateau alors qu’avec les outils d’aujourd’hui tout le monde sur le plateau peut donner son avis. Cela peut aussi, éventuellement, inciter certains à tourner en argentique.

DVDClassik : Et l'étalonnage numérique aujourd'hui se rapproche considérablement des effets spéciaux...

JB : Il faut être vigilant à déterminer qui fait quoi et dans quel temps imparti. On peut effectivement faire pas mal de rattrapages qui peuvent prendre du temps, mais ce sera temps que l’on aura en moins à consacrer à la partie étalonnage..

DVDClassik : Et remasteriser dans le futur un travail d’aujourd’hui...

JB : Dans dix, vingt ans quand on voudra retravailler un film récent, comme Petite maman, à partir des fichiers de base, l'étalonnage sera complètement différent parce que j'aurai modifié plusieurs parties de l'image d'une certaine manière, j'aurai changé telle couleur, et que ce sera beaucoup plus compliqué de reproduire tous ces détails.

DVDClassik : C'est une complexité qu'on ne trouve pas forcément sur les films anciens ?

AB : En tirage photochimique, il n'y avait que trois couleurs et on jouait sur toute l'image en même temps. On ne pouvait pas travailler sur des parties spécifiques de l'image, comme aujourd'hui.


Plan de Basic Instict avec de nombreux spéculaires (les lampes) justifiant l'utilisation du HDR

DVDClassik : Lorsqu'on corrigeait les blancs ou les noirs, cela impactait à la fois les blancs et les noirs... Le cauchemar de l'étalonneur ! Sur un module du DVD des Mariés de l'an II, on voit que Pierre Lhomme a pu corriger son étalonnage numériquement en réajustant certaines zones dans certains plans. Si des réalisateurs ou des opérateurs reviennent aujourd'hui sur leur travail, avec la tentation de modifier tel ou tel aspect...

JB : Ils le font déjà un petit peu.

AB : C'est tout le problème du numérique, c'est un peu la boîte de Pandore. A l'étalonnage, comme pour la restauration numérique, on peut enlever les poches sous les yeux des actrices qui étaient mal maquillées...

DVDClassik : Comment faites-vous dans ces cas-là ? Arrivez-vous à tempérer leurs décisions ?

AB : Nous serons plus dans le rôle de conseil, nous ne pouvons pas leur dire "Non, je ne le ferai pas" car nous restons d'abord prestataire. A nous, grâce à notre passif dans la restauration, de leur montrer que ce n'est pas forcément une bonne idée. Parce qu'il peut y avoir de nombreuses conséquences techniques, artistiques, de rendu aussi (cela va empirer le défaut). Donc mieux vaut laisser vivre le film, qui a de toutes façons toujours été vu comme ça. Mais le client fera son choix en ayant toutes les cartes en main. Pour certaines phases de restauration ou d'étalonnage, cela nous arrive aussi parfois de faire des tests, avec plusieurs degrés de traitement d'image, pour se faire une idée.

JB : On voit beaucoup de critiques sur internet qui concernent le dégrainage, par exemple sur Basic Instinct. Comme j'ai fait beaucoup de 35mm, de 16mm, j'aime beaucoup le grain et c'est très très rare de l'atténuer. Mais il y a parfois certaines séquences où on se pose la question d'en retirer un peu parce que le plan est sous-exposé et que le traitement en HDR va faire remonter le niveau de grain, au risque de faire sortir le spectateur du film. Que faire alors ?

DVDClassik : Le problème, c'est que ce sont des retours de personnes amateurs. L'effet loupe des réseaux sociaux donne à ces avis beaucoup d'importance...

JB : On peut vite y être méchant sans prendre en compte tout le travail qui est fait en amont.

AB : C'est facile de démonter sur une critique de trois lignes tout le travail de six mois. Même pour des films qui, de prime abord, ont l'air simples parce que les éléments de Basic Instinct étaient beaux, bien conservés, sans déteriorations.


séance d'étalonnage avec Jacques Rozier

DVDClassik : Vous êtes simplement soucieux de votre travail...

AB : Chaque étape est vérifiée et validée. Il y a l'inventaire du client, le choix du matériel, de quoi on part (on privilégie évidemment le négatif, l'image sortie de la caméra)...

DVDClassik : Mais qui valide ? Et avec quelle légitimité ?

AB : C'est vaste et varié. De nombreux cataloguistes ont leurs propres directeurs techniques qui connaissent pas coeur les films de leurs entreprises. Ce sont nos principaux interlocuteurs pendant les travaux de restauration proprement dits, ils représentent leurs entreprises, par exemple lorsqu'il y a des choix financiers à faire. Pour la partie artistique/étalonnage, quand cela est possible, ils vont s'appuyer sur le réalisateur ou le chef opérateur qui apportent une caution, donnent leur aval aux travaux. C'est important pour dire qu'on n'a pas fait n'importe quoi.

JB : Si la restauration de Basic Instinct n'était pas estampillée par Paul Verhoeven, le succès n’aurait peut-être pas été le même.

DVDClassik : Les choix peuvent dérouter mais ils ont été approuvés...

AB : Cela rassure tout le monde. Il ne faut pas oublier que ces oeuvres ont été fabriquées avec la sueur de certaines personnes, le réalisateur, son chef opérateur, son équipe technique. C'est tellement mieux s'ils sont présents et peuvent donner leur aval sur ce que nous faisons, au lieu que nous restions seuls à travailler dans notre coin.

DVDClassik : Cette participation des principaux concernés à la restauration de leurs films existe depuis longtemps ?

JB : Cela arrive de plus en plus mais c'est aussi une économie. Lorsqu'on fait venir un directeur de la photographie ou un réalisateur, ils sont souvent payés. Et cela peut aussi occasionner davantage de temps d'étalonnage selon l’implication, le jugement et le rapport de la personne au film. En même temps, ce travail est bien plus constructif car réfléchi et travaillé en amont. En travaillant seul je serais peut-être plus rapide en global, mais je me poserais plus de questions qu'un réalisateur ou un chef opérateur présent pourrait m’apporter. C’est un réel apport de pouvoir échanger dans ce métier.

AB : Il y a 10-15 ans, la question financière était plus importante. On se rendait compte que la venue d'un intervenant technique extérieur pouvait faire ralentir les process et faire monter les devis. Aujourd'hui, avec tous les colloques qui existent, Toute la mémoire du monde à la Cinémathèque Française, le Festival Lumière à Lyon, par l'Association Française des Directeurs de la Photographie (AFC), la philosophie a complètement changé. Quand on attaque une restauration, tous mes clients pensent désormais à contacter le chef opérateur ou le réalisateur, quand cela est possible. C'est un peu nécrologique mais l'une des premières choses que nous faisons est de regarder qui est encore vivant. Et malheureusement, lorsque nous l'avons fait sur Les trois jours du Condor, on est un peu tombés des nues car on s'est rendus compte qu'il ne restait clairement plus personne de l'équipe technique en vie, même le monteur. Ils ont pensé proposer la validation à Robert Redford mais on est tombés en plein confinement et le problème a été réglé...


Les trois jours du Condor de Sydney Pollack

DVDClassik : Nous avons lu quelques remarques sur Le dernier métro il n'y a pas si longtemps, sur les différences par rapport à la précédente restauration... 

JB : Quand nous avons repris la restauration en 2014, MK2 souhaitait au départ faire un DCP à partir de l'ancien master HD. On le visionne avec Guillaume Schiffman qui tombe des nues, en se demandant ce qu'il se passait. Quand on le regarde, l'étalonnage est joli, chaud, très coloré. Mais sur une scène en extérieur, il nous dit : "Vous allez m'expliquer pourquoi les tons sont chauds alors que les lampadaires étaient bleutés pour être moins visibles des avions allemands". Il y avait un contre-sens historique. C'est un exemple. Comme on part du négatif, nous n'avons pas forcément beaucoup d'informations. En cas de doute, on peut se référer à une copie 35mm d'époque. Même si elle a viré, on peut voir qu'une séquence a été étalonnée en nuit américaine, par exemple. Mais ne le sachant pas, je pourrais très bien l'étalonner en mode jour...

DVDClassik : L'anecdote des nuits froides est même citée par l'assistante de Nestor Almendros dans les suppléments de l'édition Carlotta, sortie récemment. Cela n'a pas empêché quelques remarques sur notre forum qui se demandaient qui croire...

JB : Pour le coup, Guillaume Schiffman était sur le tournage, à l'époque. Il était enfant (et apparaît même dans le film), se souvenait très bien des détails et vu son talent, je ne me permettrais pas de le remettre en cause.


Le dernier métro, Blu-ray TF1 (2013) et Blu-ray Carlotta (2021)

DVDClassik : Les procédés techniques de restauration sont également sont plus simples aujourd'hui...

AB : Quand on travaille avec des réalisateurs plusieurs décennies après la sortie du film, ils ne sont plus dans le stress de la post-production, ne viennent pas en séance d'étalonnage avec la pression du mixage en cours, du département marketing, de la sortie en salle imminente.

DVDClassik : La restauration 4K de La haine a été effectuée chez Hiventy...

AB : Pour la sortie UHD-HDR, nous avons en fait utilisé la précédente restauration 4K : nous avons redésarchivé le DSM 4K qui avait été restauré à l'époque pour une sortie Blu-ray HD-SDR, et avons ressorti les originaux qui avaient été faits en P3 pour refaire l'étalonnage avec l'étalonneur de l'époque.

DVDClassik : C'est un film tourné sur un négatif couleurs...

JB : Tout à fait. C'est marrant, ça titille beaucoup de monde, plein de gens voudraient le réétalonner en mode couleurs. Le film n’aurait surement pas la même puissance. Mathieu Kassovitz était présent pour valider la version UHD-HDR et il était ravi. Il a même fait de notre publicité sur les réseaux sociaux. Il a été enchanté de retrouver un vrai laboratoire photochimique au cours d’une visite.

AB : On ne s'en rend pas assez compte mais nous sommes des privilégiés. Nous passons quand même nos journées au cinéma à faire ce qu'on aime, et on peut ouvrir des boîtes de pellicule 35mm lorsqu'on va sur notre site.

JB : J'ai eu la chance de travailler aussi bien la pellicule que le numérique. Lorsque j'ai commencé, j'étais plutôt sur les plateaux de tournage car je voulais être directeur de la photographie. J'ai vécu le passage du 35mm au numérique, puis j'ai rebasculé plus tard dans la photochimie et le patrimoine. Aujourd'hui je travaille aussi bien sur des films de Méliès, que Pagnol, Renoir, Truffaut, Varda, Verhoeven, Sciamma... en touchant toutes les gammes du cinéma. C'est génial ! Qui a cette chance, aujourd'hui, de dire : j'ai travaillé sur toutes les époques du cinéma, avec toutes l’évolution des techniques. Alors oui, je n'ai pas tout le temps des copies de référence ou quelqu'un avec moi, à mes côtés, pour valider le travail, mais j'ai cette chance de toucher tout le cinéma, c'est extraordinaire.

DVDClassik : On parle toujours des avis négatifs des forums ou des réseaux sociaux. Vous avez aussi des retours positifs ? Qui, parmi les professionnels, peut vous faire des retours ?

AB : Le plus beau des compliments, comme disait Jérôme, c'est quand le réalisateur ou le chef opérateur nous dit : "Je n'ai jamais vu mon film comme ça, l'image ressemble exactement à ce que j'ai voulu faire à l'époque".

JB : Avec Paul Verhoeven, c'était ça. Pendant le visionnage, il était derrière moi, je stressais. D'un coup, il exprime sa joie, il est super heureux, ravi de retrouver ce qu'il avait fait à l'époque. C'était gagné mais je partais pourtant avec une sacrée pression. J'étais à Los Angeles et si mon travail ne lui avait pas plu, j'étais mal : il aurait fallu refaire tout l'étalonnage là-bas, louer un laboratoire à un prix exorbitant... Imaginez la pression !


La haine de Mathieu Kassovitz

DVDClassik : Avez-vous eu les mêmes contraintes pour Fog ? Avez-vous fait valider l'étalonnage aux Etats-Unis par John Carpenter?

AB : Non, personne n'est venu. A un moment, nous avons espéré Carpenter, il avait été sollicité mais il n'est jamais venu. J'avais pourtant allumé tous les cierges de Paris... (rires) On parle des compliments, mais on vit aussi de grands moments pendant les séances publiques de nos films restaurés. Grâce à notre travail, la moitié de la salle voit le film dans de bonnes conditions et l'autre moitié de la salle le découvre. Notre ego est un peu flatté parce qu'on se dit que grâce à nous, les films continuent de vivre, d'être projetés, distribués...

JB : J'ai vu une projection de Marius sur le Vieux port, à Marseille. De l'enfant jusqu'au grand-père, toutes les générations étaient là, c'était magique. Et on ne parlait pas de DNR !

AB : A la limite, le grand public qui va voir ces projections en plein air, comme celle du Gendarme de St Tropez, a juste envie de voir le film, pas notre travail. Et finalement, c'est tant mieux !

JB : Après, nous sommes aussi très contents de lire de bons avis sur les films et nos restaurations.

DVDClassik : Ce que vous dites est intéressant : l'étalonnage doit être invisible, ne doit pas se faire remarquer.

AB : Quand des articles disent que nos travaux sont respectueux, cela nous suffit car c'est finalement tout ce qu'on recherche.

JB : Nous avons refait récemment F for Fake d'Orson Welles, qui sera projeté à Cannes et qui fût difficile à étalonner. C'est un film vraiment spécial, très découpé, avec de nombreux plans qui ne sont pas tournés au même moment, parfois dans des conditions minimalistes de lumière, avec des émulsions différentes en 35mm, en 16mm, avec du "gonflage" dans tous les sens. Françoise Widhoff (épouse d'Alain Cavalier), qui avait produit le film, est venue valider l'étalonnage et nous a dit que Welles serait tombé des nues de voir son film comme ça. Qu'il aurait été très fier. Elle-même ne l'avait jamais vu ainsi. Et pourtant, je n'étais moi-même pas très convaincu de ce que j'avais fait, à cause des éléments d'origine limités. J'en ai bavé. Je n'ai pas pu le faire en trois jours seulement, cela n'aurait pas été possible. Et il y a cette fierté d'aller le montrer à Cannes Classics.

DVDClassik : L'éditeur Coin de Mire va reprendre des titres du catalogue TF1 et envisage de les sortir en Blu-ray UHD, notamment Le salaire de la peur qui a été restauré chez vous. Est-il prévu de refaire une passe HDR sur l'ancienne restauration ?

AB : Pas à notre connaissance, à moins qu'ils nous le demandent. Mais ils repartiront sans doute de la session 4K restaurée.


Manon des sources de Marcel Pagnol

DVDClassik : Vous avez restauré Manon des sources de Marcel Pagnol...

AB : Comme tout film de Pagnol sur lesquels nous travaillons, nous numérisons quasiment l'intégralité des bobines que nous avons, le négatif ainsi que toutes les versions intermédiaires ("marron", interpositif et même les copies) parce que les films ont été énormément retravaillés. Manon des sources et Ugolin, c'est un film en deux parties, ont été remontés pour des diffusions à la télévision. Les négatifs ont été retouchés, découpés, démontés, remontés, contretypés, il y a du sous-titrage incrusté pour traduire le patois  méridional. Nous sommes en train de rechercher les éléments neutres, il y a des bouts de négatifs dans des contretypes, il y a du contretype dans les négatifs... Pour avoir la palette de matériel la plus grande possible et qualitativement comparable, nous numérisons tout en 4K. Les comparaisons se feront ainsi en salle d'étalonnage où on repérera mieux les différents types d'éléments, les changements de grain. Les montages aussi ont un peu changé, des plans sont désormais plus courts à force d'avoir été modifiés, d'autres sont plus longs, certains sont moisis ou décomposés. Ce sera au final un savant puzzle de reconstituer le film dans sa version intégrale et dans la meilleure qualité possible.

DVDClassik : Combien y a-t-il d'éléments ?

AB : On ne doit pas être loin de la centaine de boîtes à numériser, pour commencer. On verra potentiellement ce qui nous manque une fois qu'on aura fait ce premier tri. Avec Nicolas Pagnol, nous avons récupéré sur site tout ce qui avait été déposé aux Archives Françaises du Film ou dans les stocks annexes, des laboratoires ou des stockistes. On s'assure qu'il n'y ait plus rien qui traîne, qu'on n'oublie pas un élément qui serait de meilleure qualité. On a eu le cas sur Jofroi où une bobine du négatif avait été détruite il y a une bonne dizaine d'années, à cause de l'instabilité du Nitrate. Or, nous n'avions plus qu'une seule copie de cette bobine, de quatrième génération. Mélangée au négatif, c'était... très compliqué. Nicolas Pagnol a retrouvé un "marron" dans un autre stock, on a ainsi gagné deux générations en qualité... et ça change tout !

DVDClassik : C'est l'avantage d'avoir un ayant-droit qui souhaite restaurer la version la plus complète...

AB : Nous travaillons sur Manon des sources depuis bientôt deux mois. Avant l'étape de la numérisation, on a passé un mois à préparer les bobines, collure après collure, encoche après encoche, pour être sûr de pouvoir les numériser. Sachant que beaucoup d'éléments que l'on prépare et que l'on scanne ne nous serviront pas. Mais, au moins, nous les aurons bien vérifiés. Dans le process établi avec Nicolas Pagnol, qui est la caution familiale, car ce sont des films de famille, nous lui montrerons d'abord la conformation du film, la version reconstituée, en scan brut, contenant des morceaux épars de différentes sources, avant d'attaquer la suite des travaux. A la fin de La fille du puisatier, il y a la fameuse scène du discours du Maréchal Pétain. Quand nous avons numérisé le négatif, elle n'y était pas et Nicolas est venu nous voir : "Il manque un bout, là, où est Pétain?" Cette scène avait été volontairement coupée, ôtée du négatif après la guerre, ce qui est expliqué dans le livre de Christine Leteux sur la Continental. La légende disait que cette scène avait été perdue, mais nous l'avons retrouvée aux Archives Françaises du Film où elle avait dû être re-déposée. Malgré le matériel à notre disposition (le négatif et une copie de référence), il n'était fait mention de cette scène nulle part. Mais elle faisait partie de l'histoire familiale de Nicolas Pagnol, qui n'a pas eu besoin de sortir un carnet pour signaler la coupure. C'est tout le problème de la restauration de films où la censure est intervenue entre-temps, qu'elle soit allemande, française, venue du producteur...


Bleu de Krzysztof Kieślowski

Jérôme Bigueur nous montre des images de Bleu, projeté en 4K dans une des salles d'étalonnage, avec une comparaison entre la nouvelle restauration 4K et l'ancien master HD.

JB : On gagne en nuances mais on trouvera ces blancs sales. (rires) Vous voyez ce plan-là, tout ce grain ? Qu'est-ce que je fais avec un plan comme ça pour un Blu-ray, avec la compression ?

DVDClassik : Il faut le laisser. Si la personne chargée de l'encodage est compétente, cela passera très bien. 

JB : Sur un grand écran, comme ça, cela ne me dérange pas. Sur un écran LCD, c'est moins évident.

DVDClassik : Mais il ne faut pas penser à cela. Certaines personnes ont aussi des projecteurs à la maison... (rires)

JB : Oui mais ce sont des questions d'éthique. La gestion du grain sera plus "choquante" sur un écran grand public.

DVDClassik : Mais ce que font Carlotta ou Potemkine en restitution de master HD est relativement compétent. Donc c'est tout à fait possible d'éviter les macroblocks. Ce qu'on voit sur votre écran en projection n'est pas du jpeg2000 : c'est bien sans compression, en vidéo plein débit ?

JB : Oui, en Full 4K. J'ai cette chance de voir cela tous les jours, de travailler dans une salle et pas sur un moniteur plus petit.

DVDClassik : Vous avez rencontré des difficultés particulières sur les Kieślowski?

JB : Je n'ai pas pu tout faire, nous nous sommes partagés le travail avec d'autres étalonneurs. Et nous avons beaucoup discuté pour travailler sur une base commune et une même façon de faire. Après, c'était à chaque fois des chefs opérateurs différents. Rouge a été fait avec les fils de Piotr Sobociński, décédé en 2001, qui sont eux-mêmes chefs opérateurs. Sur Blanc, nous avons utilisé une copie 35mm. 

DVDClassik : Nous voyons dans ces images le genre de contraste chromatique que certaines personnes vont croire non naturel parce qu'ils vont trouver que le bleu glisse vers le cyan. Et comme il existe sur internet des "LUT " qui reproduisent le look film et qui sont aujourd'hui beaucoup utilisés pour la pub et autres produits audiovisuels, la tentation de croire à un effet de mode est grande. C'est un étonnant retour de bâton...

JB : La LUT que j'utilise sert pour les DCP, pour les masters TV, mais je la retire pour le "shoot" sur pellicule, en fait. Comme je retire cette LUT, la machine va scanner "droit" sur le négatif. Mais après le tirage sur pellicule, en positif, le rendu sera transparent. La LUT dans cette salle restitue le rendu de la future copie positive 35mm. Je trouve que cela a vraiment du sens de travailler aujourd'hui en HDR car cela permet d'évoluer dans un espace colorimétrique plus important. On voit là, dans cette salle, des couleurs qui ne ressortiront pas sur un DVD ou un Blu-ray, en SDR. Le spectateur ne le ressentira pas mais le HDR possède une plus grande dynamique, cela crée un plus grand volume, ce qui est appréciable. Pourquoi s'en priver alors que c'est là? Et ce n'est pas juste une question de dire : "Ah, je vais faire péter mon signal HDR comme sur un match de football". Ce sont deux choses différentes.

DVDClassik : C'est là qu'intervient l'aspect préservation, puisque les informations imprimées sur la pellicule sont mieux conservées.

JB : C'est pour cela que quand on me dit : "Ce n'était pas comme cela à l'époque", je réponds : "Mais on parle de quoi? De la VHS des années 80 ou des DVD issus de copies positives, bas contraste, captés avec des télécinémas à tube ?"

DVDClassik : Peut-on parler de La règle du jeu dont vous êtes en train de terminer la restauration ? De quels éléments êtes-vous partis ?

AB : Nous sommes partis du contretype créé par les fondateurs des Grands Films Classiques au moment de la ressortie du film en 1959. Ils avaient rapatrié énormément de boîtes pour reconstituer le film tel qu'il avait été conçu, sachant qu'il avait subi pas mal de coupes dès sa première exploitation. C'est un contretype hybride composé d'élément Nitrate (datant d'avant les années 50, proches de la sortie du film), complété par des éléments "safety" issus des copies qui avaient circulé à l'époque, des duplications d'éléments Nitrate probablement en moins bon état. Ce contretype est le plus complet mais surtout celui de meilleure qualité. Nous avons également récupéré une copie Nitrate, espérant un miracle, mais qui était dans un état de dégradation tel que nous n'avons rien pu faire avec. Nous avons quand même décidé de la numériser au cas où elle aurait contenu des plans inédits, mais elle s'est avérée moins complète, avec moins de plans que dans le contretype.

DVDClassik : Ces deux éléments étaient en France ? Il n'existe pas d'autres sources dans le monde ?

AB : Oui, ce que nous avons récupéré était en France. C'est tout ce que l'on nous a fourni.

DVDClassik : Sur l'ancien master HD disponible depuis une grosse dizaine d'années en Blu-ray, de nombreux plans souffraient d'un flou important sur une partie de l'image. Ces flous seront-ils toujours présents ?

AB : Ce flou partiel n'est pas tout le temps présent, on a parfois des champs/contre-champs avec ou sans ce flou. On suppose que c'est un défaut de tirage d'une des copies utilisée pour la reconstitution de l'élément hybride. C'est un défaut inhérent à cette reconstruction faite dans les années 50, pas du tout à son tournage, mais nous avons réussi à l'atténuer, sans pour autant pouvoir rattraper la perte de détail. Nous avons fait ce choix pour que la gêne soit moindre sur certaines séquences.

DVDClassik : Comment avez-vous procédé ?

JB : Il y a du "refocus" par zone, de l'accentuation de détail. Et du "recontraste" pour dessiner un petit peu autour des formes et éviter de remettre du contour, ce qui se sentirait davantage. On crée une fenêtre d'étalonnage sur une partie de l'image pour rajouter un peu de contraste, ce qui permet de mieux voir les choses. Notre client était catastrophé au début, il croyait qu'on ne pouvait rien faire...

AB : Ce qui est flou est flou, on ne peut pas revenir dessus. En revanche on voit qu'en retouchant les contrastes, sur du noir & blanc, cela fait bouger les rendus et les textures.

DVDClassik : Combien de temps ont pris ces petites retouches ? Car, là, on est dans du minutieux...

JB : C'est minutieux mais c'est aussi de la rapidité. C'est un outil que je connais pas coeur, avec lequel je travaille tous les jours. C'est l'avantage d'être étalonneur-maison, d'avoir accès au même outil tout le temps, et d'avoir acquis une dextérité.

AB : On y a passé six ou sept jours, un peu plus que les cinq "habituels". Quand on a la chance de travailler sur La règle du jeu, je ne vais pas dire qu'on ne compte pas nos heures mais ce n'est pas le plus important. On a fait beaucoup d'allers-retours restauration/étalonnage, cela ne s'est pas fait de manière linéaire, comme c'est un peu l'habitude. Il y a eu un pré-étalonnage pour aligner les valeurs, puis c'est parti en première restauration. On a fait un premier rendez-vous avec le client pour jauger son avis, voir ce qu'il voulait. Ensuite on a étalonné, on a refait une passe de restauration puis on a re-finalisé l'étalonnage.

JB : Il y a des films où c'est important de tester l'étalonnage en premier, sans "clipper" le signal, juste aplatir les valeur pour pouvoir s'aider mutuellement avec la partie restauration. Essayer d'obtenir l'élément le plus fluide possible, qui ressemblera le plus à un négatif, afin d'obtenir un beau rendu final.

AB : Nous n'avons pas géré la partie son, qui a été restaurée en Belgique, et que nous attendons pour finaliser les masters.


La fille de d'Artagnan de Bertrand Tavernier

DVDClassik : Les crédits du CNC sont à la baisse, le COVID a un peu chamboulé l'économie. Vos plannings sont-ils toujours remplis ou sentez-vous un fléchissement, ces derniers temps ?

AB : Nous avons eu la chance de bien nous en sortir malgré la crise sanitaire. Il n'y a pas eu de baisse d'activité, contrairement à de nombreux secteurs de l'industrie du cinéma. Il y a bien évidemment une baisse d'activité sur les tournages, sur la partie photochimique de traitement des rushes. Mais sur la partie patrimoniale, on n'a eu aucun break, Jérôme peut en témoigner : il est épuisé et n'a même pas pris de vacances l'an passé. A l'époque, on avait déporté chez Jérôme une station d'étalonnage pour continuer d'avancer. Certains films étaient déjà dans les tuyaux avant le confinement. Dès la réouverture, le 15 mai, nous avons tout de suite repris nos activités de restauration image et son, et d'étalonnage sur site, avec en ligne de mire des projections aux festivals de Venise et Bologne. Soit nous n'avions pas encore attaqué les scans, ou les films étaient à peine commencés - comme Les trois jours du Condor qui a finalement été projeté à Venise. On l'attaquait tranquillement fin février, on se disait qu'on était large niveau planning, surtout qu'il y avait eu le déménagement d'une partie de nos locaux de Joinville à Boulogne. En ce moment, nous sommes sur toutes les urgences des sorties de la rentrée, sur Cannes Classics, sur Bologne. La règle du jeu ira à Venise Classics. On a un flot encore solide. Il y a bien sûr la baisse des aides du CNC, clairement, mais nous adaptons notre offre de restauration, aussi bien tarifaire que pour les prestations. Nous essayons de proposer des solutions moins chères aux ayant-droits qui souhaitent faire des restauration hors-CNC (pour les films qui ne rentrent pas dans les cases). Ce ne sont pas forcément des restaurations moins abouties mais plutôt où il y aura eu des choix, sans essayer d'atteindre le "zéro défaut" d'une restauration Prestige. Nous en proposons pas mal aujourd'hui, en incluant par contre de l'UHD de manière assez systématique.

DVDClassik : Cela vous apporte-t-il de nouveaux clients ?

AB : Cela commence petit à petit. Mais les grands cataloguistes sont toujours là. On commence quand même un peu à avoir restauré le "haut du panier" du cinéma français, beaucoup de grands chefs d'oeuvre ont déjà été restaurés. Il reste aujourd'hui à restaurer les autres, moins connus et qui se vendent donc moins cher, moins bien, ou moins à l'étranger aussi. On leur propose des restaurations sur lesquelles il n'y a pas de "retour au film", ce qui retire déjà un certain budget. On ne fera pas forcément l'accessibilité, l'Audiodescription et le sous-titrage Sourds et Malentendants. Là aussi, cela retire un peu de budget. En restauration, nous serons peut-être sur des oeuvres plus récentes : nous ne partirons donc pas sur 400 heures de travaux mais plutôt 80, 100, voire même moins si cela suffit. Nous avons aussi la chance d'avoir le laboratoire photochimique de Joinville et d'avoir accès à des marchés de numérisation, nous ne faisons plus forcément QUE de la restauration. Nous sommes actuellement sur des plans de numérisation de sauvegarde de l'ECPAD, du Fonds du Musée Albert Kahn, de l'UBFT, des Fonds Bouygues (des archives institutionnelles en 16mm et 35mm). Nous nous diversifions. Et les tournages repartent plus qu'à fond, ainsi du coup que le tournage pellicule, aussi bien en 16mm qu'en 35mm. Et les "retours au films" ne baissent pas, même pour les films qui sortent en ce moment dans les salles.

DVDClassik : Quel effet cela vous fait-il de travailler sur des films américains très connus, habituellement restaurés là-bas ?

JB : Je me rappelle, lorsque je débutais, j'étais assistant et j'étais frappé en voyant des chef-opérateurs français qui faisaient de la pub, incapables de prendre du temps pour partager. J'étais tombé sur un chef op américain, Harris Savides, qui était juste super généreux, dans le partage. Ce sont en fait des gens très accessibles. Il n'y a pas vraiment de peur à avoir, en fait, parce que ce sont majoritairement des gens passionnés, dans l’échange, avec qui on avance ensemble pour un même but. Que ce soit James Cameron ou un jeune réalisateur qui débute, on parle d'une même passion en général. Il y a évidemment un petit côté excitant quand on apprend qu’on va présenter son travail à un Paul Verhoeven à Los Angeles, ou collaborer avec Christophe Gans. Ce sont des nouvelles rencontres, des discussions, des échanges. J'ai beaucoup travaillé avec Agnès Varda depuis 2009. On me la décrivait tyrannique et elle est devenue ma grand-mère de cinéma, tellement elle m’a apportée dans mon travail. Je lui en serai éternellement reconnaissant. Ce sont des rencontres, de la passion, tout ce qui me sert aujourd'hui à faire aussi bien des films de Georges Méliès que le prochain film de...

DVDClassik : Vous avez travaillé sur des films de Bertrand Tavernier récemment ?

JB : Oui, les deux derniers sont La fille de d'Artagnan et Les enfants gâtés. Bertrand Tavernier est venu en février 2020, pour La fille de d'Artagnan. J'étais avec lui, et pareil : discussion avec Tavernier qui développe sur le cinéma français...

AB : Le genre de personne avec qui nous n'avons même plus envie de démarrer la séance d'étalonnage tellement on prend plaisir à l'écouter.

JB : C'est parfois une frustration, je devrais mettre un micro dans la salle car certains échanges sont extraordinaires. Je me souviendrai toujours de Philippe Condroyer et son directeur de la photo, deux petits papis de 84 et 86 ans qui n'avaient pas revu leur film La coupe à 10 francs depuis les années 70 et qui étaient là comme deux gamins. "Oh, tu te rapelles ça ! Ah, le producteur ! Et puis ça et ça..." Ou à d'autres moments, les discussions qui se transforment en nécrologie, les acteurs du film sont morts, certaines personnes qui assistent à l'étalonnage ressortent en larmes... Il y a parfois beaucoup d'émotion et on est juste derrière eux... Quelle chance, quelque part. On se sent privilégié. C'est pour cela qu'on a envie de donner le plus possible pour ces gens, pour faire vivre leur travail, le faire connaître aux générations futures. J'ai des filles de quatre et sept ans, je suis content qu'elles puissent aujourd'hui regarder un Pagnol tourné en 1930...


Fanny de Marcel Pagnol (restauré par Hiventy)

DVDClassik : Ce qui était fort pour les Pagnol, au-delà des améliorations d'image auxquelles nous sommes habitués, c'était le rendu tellement plus audible du son, grâce aux technologies actuelles...

AB : D'autant plus que les Pagnol ont essuyé les plâtres des premiers films sonores français. Cela s'entend et il faut le laisser, mais il faut aussi le rendre audible. Cela rejoint beaucoup les questions d'étalonnage : cela a toujours été comme ça mais si on peut le rendre un peu plus intelligible, c'est peut-être mieux. A l'image comme au son, nous sommes confrontés aux premières techniques du cinéma.

DVDClassik : Par rapport à l'authoring des Blu-rays, vous fournissez systématiquement un fichier en ProRes avant l'encodage ?

JB : Oui, un ProRes XQ pour du HDR ou ProRes444 pour le reste. Cela fait quand même mal au coeur d'entendre parler de Blu-rays avec macroblocks quand on travaille entre six mois et un an sur des fichiers de 75 Mb par image et des films de 16 To... Hiventy gère l'authoring de certains Blu-rays, mais pas tous.

AB : ... Tout comme nous n'avons pas le contrôle des projections en salle une fois les DCP sortis. On a parfois des retours du genre : "Le son était trop fort" ou "Les blancs de l'image étaient cramés". C'est possible s'ils viennent de changer la lampe... Mais ces cas de figure ont toujours existé. Quand on sortait une copie 35mm, cela dépendait de la salle. On demandait si le projecteur avait été nettoyé, si la lampe était neuve. Nous avons des exigences qualitatives hors du laboratoire mais cela dépend du système de projection ou des Blu-rays. Si on le regarde sur un LCD, un OLED, un vieux Plasma, un rétroprojecteur, un vidéoprojecteur, cinq personnes ne verront pas le même film.  Nous faisons au mieux de notre côté, avec une qualité Broadcast et une pérennisation, mais après le reste nous échappe... Cela rejoint aussi les problématiques du Dolby Vision avec un signal "Full" qu'il vaut mieux faire traiter par les téléviseurs eux-mêmes, qu'ils s'adaptent et gèrent eux-mêmes leur "moulinette".

JB : Nous sommes un gros groupe et avons l'avantage de travailler sur toute la chaîne de fabrication, c'est très rare. Il y a une maîtrise globale. Si en cours d'étalonnage, je trouve des défauts de restauration, je n'ai pas besoin d'appeler la personne à l'autre bout du monde pour retransiter 3 To de données parce qu'il y a un problème. Il me suffit d'aller dans la pièce à côté et faire la modification pour l'avoir tout de suite. C'est royal. C'est pareil pour l'encodage des DCP...

AB : Pour le son, aussi. On a parfois du son qui n'est pas forcément à la même longueur que l'image, plus ou moins court parce qu'il y a eu des coupes.

JB : Nous sommes présents à chaque étape. Il m'arrive parfois d'avoir des doutes sur des scans. Dans ce cas, nous retournons au scanner, nous ressortons les bobines, et quelqu'un me donnera les informations de pellicule dont j'ai besoin. Il ne m'est pas nécessaire de passer par le prestataire, on a tout sous la main. Et il y a des gens formidables, aussi...

Propos recueillis le 30 juin 2021. Tous nos remerciements à Audrey Birrien et Jérôme Bigueur pour leur passion communicative, leur franchise et leur disponibilité.

(1) LUT (Look-Up Table) est une table de conversion, essentielle pour par exemple transformer un espace colorimétrique XYZ en DCI P3 ou BT 2020 avec une fonction de transfert associée spécifique à la luminance. Il existe également des LUT spécifiques permettant de reproduire les tonalités d'un type de pellicule particulier (Fuji ou Kodak), ce sont des LUT constructeurs.
(2) ACES (Academy Color Encoding System) est un worflow de production et d'étalonnage créé aux Etats Unis par l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences.
(3) Première copie tirée du négatif, la base du travail d'étalonnage argentique qui va aider à calibrer les éléments de tirage.
(4) Le NIT est une unité d'intensité lumineuse exprimée également en Candela/cm2

Par Stéphane Beauchet et Jean-Marc Oudry - le 27 août 2021