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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ben-Hur

L'histoire

Un couple de juifs de Nazareth se rend à Bethléem, la ville d'où est originaire le mari, pour répondre à un recensement de l'administrateur romain Quirinus. La femme, enceinte, accouche lors du voyage dans une étable. Trois mages guidés par une étoile apportent des présents à l'enfant, qu'ils reconnaissent comme « le roi des juifs ». Des années plus tard, à Jérusalem, le tribun Messalla prend la tête de la garnison romaine. Il retrouve son ami d'enfance Juda Ben-Hur, prince de Judée. Ce dernier souhaite que son peuple vive libre et en paix. Les deux amis en viennent à se quereller, Messalla ne croit qu'en la puissance de Rome. Plus tard, alors que le nouveau gouverneur romain parade en ville, des tuiles se déchaussent de la villa de Ben-Hur et tombent sur le notable. Messalla, qui sait son ami innocent, pour éviter une rébellion, n'hésite pas à l'envoyer aux galères et à emprisonner sa mère et sa sœur. Sur la route qui le mène à son calvaire, Ben-Hur, assoiffé, est secouru par un jeune homme, celui-là même que les mages avaient reconnu comme « le roi des juifs »...

Analyse et critique


J'ai eu la chance de chroniquer, ici, les deux autres films mammouths régulièrement diffusés à la télévision pour les fêtes de fin d'année, à savoir Autant en emporte le vent et Les Dix Commandements. Certes, très différents, ces trois films sont les représentants d'une forme de production très hollywoodienne, pour certains commentateurs « trop » hollywoodienne. Si l'on ne décortique pas ces œuvres à la recherche de subtiles interprétations, comme on décortiquerait à l'infini les motivations de Scottie dans Vertigo, par leur envergure, leur puissance dramatique, leur universalité, ces films nous transportent à chaque vision, bien au-delà de leurs artifices « trop hollywoodiens » que le spectateur perçoit comme une gourmandise. Ce sont, comme disaient autrefois les gens modestes « de beaux films ».


Ayant perdu la source, je prends le risque d'une citation apocryphe : William Wyler dit un jour que la fameuse course de chars aurait dû être filmée hors champ, en montrant des spectateurs prendre des paris. Un traitement de l'action davantage à sa manière. Wyler voulait sans doute signifier par là que Ben-Hur était un film impersonnel. Que cette scène, la plus célèbre du film, était autant la sienne que celle de ses collaborateurs - elle a été réglée par le cascadeur vétéran Yakima Canutt (la célèbre doublure de John Wayne dans La Chevauchée fantastique) et le réalisateur de seconde équipe Andrew Morton. Œuvre de studio, œuvre collective, de facture académique, Ben-Hur ne manque pas pour autant d'âme. Charlton Heston est son principal atout et incarne à lui tout seul le film, de par son profil de statue antique, ses larges épaules, son regard bleu, humble et honnête. S'il paraît un peu écrasé par son rôle, cela ne fait que le rendre plus digne.


En comparaison aux deux autres superproductions citées précédemment, Ben-Hur apparaît comme moins bigarré, moins hétérogène, plus réaliste, plus moderne. Le film bénéficie de l'expérience de William Wyler, capable de préserver le drame intime au milieu de l'histoire monumentale. La photo de Robert Surtees est audacieuse, n'hésitant pas à plonger complètement l'image dans la pénombre, comme lors de la superbe séquence du retour à la villa des lépreuses. Le grand format permet à Wyler de jouer savamment sur la tension entre les extrémités du cadre, la netteté et la profondeur de champ. Des effets sonores sont produits en jouant de la résonance de vastes décors. Le réalisateur propose de belles idées formelles, comme lors des retrouvailles de Ben-Hur et Messala, où le motif des lances, la perspective, les mouvements évoquent la longueur - nombreux sont, d'ailleurs, les commentateurs à relever des connotations homosexuelles dans la relation entre Ben-Hur et son ami d'enfance, ce que confirme Gore Vidal, scénariste additionnel du film (pour l'anecdote, Stephen Boyd, oscarisé dans ce second rôle, porte des lentilles marrons pour ne pas voler le regard à Charlton Heston). La fameuse course de chars, séquence exceptionnellement longue, n'est pas accompagnée de musique et fait preuve d'un montage tendu et dynamique qui en fait le modèle de toutes les courses poursuites à venir. À condition de ne pas être allergique aux images pieuses, le film réussit autant à convaincre dans des moments spectaculaires - lorsque Messalla git sur le sol littéralement écrabouillé - que dans des moments plus impressionnistes - lorsque qu'un légionnaire est troublé par sa rencontre avec le visage du Christ, que le spectateur ne voit jamais. Un procédé qui trouve aussi ses limites dans la façon artificielle dont son visage est parfois caché. Le réalisateur a également choisi de ne pas faire entendre sa voix. La séquence du miracle sous l'orage, qui met l'intervention divine en interstice, est très réussie. De très belle facture, donc, Ben-Hur est surtout l'histoire d'une épreuve, celle de son héros, dont le corps est littéralement éprouvé.


Le film est l'adaptation d'un roman du XIXe siècle, le plus vendu alors aux États-Unis, écrit par le plus jeune général de l'armée de l'Union, l'avocat Lewis Wallace. Ben-Hur : A Tale of the Christ, son titre original, est écrit alors que son auteur est gouverneur du Nouveau-Mexique. Publié en 1880, c'est son second roman historique, après Le Dieu Juste qui conte le récit de la conquête du Mexique du point de vue des Aztèques. Ce procédé qui consiste à épouser le parti des vaincus lui inspire le projet de Ben-Hur, qui prendra une tournure religieuse après la rencontre, dans un train, avec le colonel Robert G. Ingersoll, un célèbre militant agnostique. Lewis Wallace, qui n'est alors ni croyant ni incroyant, est bousculé par une discussion au sujet de la croyance religieuse et prend conscience de ses lacunes sur le sujet. Il décide d'étudier de près le christianisme par le prisme historique. Au bout de ses recherches, lors de la rédaction de son livre, Wallace se dira convaincu de la « divinité du Christ ». La conversion de Ben-Hur fait donc écho à son propre cheminement. La version du film de 1959 ne rend pas la conversion explicite, afin que chacun, selon sa conscience, puisse s'identifier au héros : le message prend un tour humaniste.


Le sujet du livre articulé autour de l'amitié déchirée entre Juda Ben-Hur, un prince de Judée, et Messalla, un jeune tribun romain, évoque le passage des valeurs antiques fondamentalement aristocratiques aux valeurs chrétiennes, de charité et de pardon. Il existe une hiérarchie des hommes et des dieux dans l'Antiquité classique, chacun est selon sa mesure, alors que pour les Chrétiens, chacun fait selon ses dons naturels, selon son intention. Un thème profond, parfaitement illustré à l'aide de moyens dramatiques classiques. Wallace Lewis s'est plongé dans Flavius Joseph, l'historien judéo-romain du premier siècle, et a subi l'influence de l’œuvre majeure du britannique Edward Gibbon : Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain (1776 à 1788).


La première adaptation cinématographique du livre date de 1907, elle est plus importante pour le précédent qu'elle a créé concernant les droits d'auteur que pour ses qualités artistiques. Le film qui dure environ 15 minutes résume l'intrigue en 16 tableaux : la course de chars est tournée sur une plage du New Jersey avec le personnel et les chevaux d'une caserne de pompiers. William S. Hart, la futur vedette de western, interprète Messalla. (1) La seconde version date de 1925, réalisée par Fred Niblo avec Ramón Novarro dans le rôle titre. Cette version, d'une durée initiale de 194 minutes, coûta 4 millions de dollars quand un long métrage ordinaire n'en coûtait que 200 000. Cette version fut en son temps aussi légendaire que celle de 1959 aujourd'hui. Le film méritant une chronique, je me contenterai de préciser qu'il a été réalisé dans le goût des antiquités de l'époque, goût issu de Cabiria de Giovanni Pastrone (1915). Une influence que subit encore Cecil B. DeMille lorsqu'il tourne Les Dix Commandements trois ans avant le tournage du Ben-Hur de Wyler, un péplum qui s'écarte considérablement de la pompe de l'époque. (2) Le film affiche une certaine sobriété dans ses reconstitutions, il est plus réaliste au sens esthétique. Car évidement Ben-Hur n'arriverait pas à convaincre un historien. Le cirque immense de Judée, avec ses statuts monumentales, sont made in Hollywood, aucun cirque n'ayant peut-être jamais été construit en Palestine. En dehors de l'actrice qui interprète Esther, la femme aimée de Ben-Hur, l'Israélienne Haya Harareet, juifs et romains sont joués par des acteurs américains ou britanniques. Difficile de croire à la judéité de Cathy O'Donnell élevée aux grains en Alabama (la belle-sœur de William Wyler n'est pas une actrice toujours convaincante, par ailleurs). La production s'inscrit dans le renouveau hollywoodien qui, depuis l'arrivée du Cinémascope, mise sur le gigantisme pour concurrencer la télévision. Le film est tourné en 70mm (image 65mm anamorphosée). Sam Zimbalist, à qui la MGM a confié la production, propose d'abord à Paul Newman le rôle titre. Mais peu convaincu par sa propre interprétation dans le péplum Le Calice d'argent (1954), Newman ne souhaite plus porter la "jupette" et prétexte ne pas avoir de belles jambes. Marlon Brando est un moment envisagé, puis la production étudie d'autres pistes : Kirk Douglas, Burt Lancaster, Rock Hudson. Elle lance même des auditions libres. C'est William Wyler, qui vient de le diriger dans le western et la superproduction Les Grands espaces (1958), qui pense alors à Charlton Heston.


Le tournage s'étale sur  presque dix mois en Italie, après deux années de préproduction. La seule séquence de la course de chars a nécessité trois mois de préparation et de tournage - une dizaine de chevaux ont trouvé la mort. Le spectateur scrupuleux peut relever d'inévitables invraisemblances dans sa continuité et les traces de pneus des véhicules caméra. Il aura fallu 14 mois pour réaliser les 300 décors du films et rassembler un million d'accessoires. Les décors sont imposants avec une reconstitution de Jérusalem, la construction d’un lac artificiel pour la bataille navale et d’un immense stade en grès de 600 m sur 200. Une centaine de costumières ont réalisé plus de 8 000 croquis. Sans se lancer dans un compte rendu exhaustif, prenons juste la mesure d'une production de 15 millions de dollars de l'époque. Le film est célèbre aussi pour avoir réuni le plus grand nombre de rôles parlants et des centaines de milliers de figurants. Wyler reçut la somme record d'un million de dollars pour réaliser le film, puis pour achever sa production suite à la mort de Sam Zimbalist - qui, sous pression, succomba à une crise cardiaque au cours du tournage. Wyler, de confession juive, dit avoir accepté cette commande en pensant à la situation contemporaine des israélites proches, selon lui, de celle de l'Antiquité romaine. Wyler est un cinéaste important pour la critique française, qui fut durablement impressionnée par son utilisation de la profondeur de champ au cours des années 40. L'idée était, selon la critique, de multiplier les signes à l'intérieur de l'image, de ne pas mâcher le travail du spectateur. Comme si le cinéma classique ne proposait qu'un montage orienté, et qu'avec la profondeur de champ et le plan-séquence le cinéma donnait à penser. Des considérations très éloignées du travail de Wyler sur cette superproduction. Ben-Hur n'est d'ailleurs pas exempt de défauts. La lourde production n'a pas échappé à un certain statisme, à un manque de spontanéité, d'aspérité. (3) Malgré des tentatives d'effets de tableaux, Wyler, grand dramaturge, n'est pas un grand cinéaste contemplatif. Mais le film, à sa sortie, rencontre un succès publique considérable et reçoit le nombre record de 11 oscars. Ben-Hur, qui s'ouvre sur le centre du plafond de la chapelle Sixtine, touche au firmament de l'âge d'or Hollywoodien qui est sur le point d’entamer sa chute irrésistible.

(1) Disponible en ligne.
(2) Une autre adaptation du roman de Lewis Wallace est sortie en 2016. Plus fidèle au roman, selon ses auteurs, elle n'a pas réussi à convaincre de son intérêt.
(3) Certains spectateurs contemporains pourront trouver vieillies les maquettes de galères de la bataille navale.

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La fiche IMDb du film

Par Frank Viale - le 6 juin 2018