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Critique de film
Le film
Affiche du film

Une affaire d'hommes

L'histoire

Louis Faguet (Jean-Louis Trintignant), riche promoteur immobilier, et Servolle (Claude Brasseur), commissaire divisionnaire à Paris, se rencontrent un soir sous un abri de bus. Leur amitié naissant de leur passion commune pour le vélo, ils se retrouvent depuis tous les week-ends à Longchamp au sein d’un club cycliste. Durant toute cette période, Servolle a enquêté sur le meurtre de trois femmes assassinées, semble-t-il, par un tueur en série utilisant un même mode opératoire, un coup de fusil dans la poitrine depuis les toits. Une quatrième victime va bientôt s’ajouter, celle de l’épouse de Faguet. Mais quelle n’est pas la surprise pour les membres du "peloton" de constater que la femme défunte de leur ami n’était pas celle qu’il leur avait présentée comme telle depuis un an, mais, en fait, sa maîtresse ! Ils y voient un manque de confiance qui va les faire désormais s’en méfier, Servolle y compris, même si leur amitié semble encore tenir le coup...

Analyse et critique

« J'avais demandé à George Conchon de faire un film sur l'amitié entre deux hommes. Il a fait un scénario sur la trahison de l'amitié entre deux hommes », explique Nicolas Ribowski dont Une affaire d’hommes est le premier long métrage. Le film eut à l’époque un joli succès d’estime puisqu’il fut même nominé aux Césars dans la catégorie "meilleure première œuvre", Diva de Jean-Jacques Beineix lui ayant cependant ravi la statuette. Depuis, à part une sortie en VHS et quelques rares diffusions télévisées, il était devenu quasiment invisible, faute en partie peut-être à la faible notoriété de son réalisateur. Nicolas Ribowski a commencé sa carrière en tant qu’assistant réalisateur pour Alain Cavalier (Le Combat dans l’île, sur le tournage duquel il rencontra Jean-Louis Trintignant), Jean-Paul Rappeneau (La Vie de château), René Allio (La Vielle dame indigne) ou encore Jacques Tati (Playtime). En tant que réalisateur, il débuta sa "filmographie" sur la petite lucarne avec des épisodes de Sam et Sally ou encore Médecins de nuit qui marqua toute une génération encore peu habituée des séries hospitalières. Pour le cinéma, hormis ce très sympathique Une affaire d’hommes, il ne tournera qu’un seul autre film, Périgord Noir en 1989, avec Roland Giraud et Jean Carmet, tous deux déjà au générique de son premier film.


Une affaire d’hommes est à la fois une enquête policière sur d’étranges meurtres de femmes ainsi qu’une histoire d’amitié entre un commissaire et un riche promoteur immobilier accusé d’avoir tué son épouse dans de mêmes circonstances que les crimes précédents. Un récit ambigu et plein de zones d’ombres qui se déroule également dans le milieu du cyclisme amateur, les deux amis s’étant rencontrés grâce à cette passion commune, allant désormais faire avec tout un peloton des sorties hebdomadaires à vélo et notamment sur le circuit de Longchamp. La réussite de ce polar n’est pas due à sa mise en scène, dont le réalisateur lui-même dit sans ambages qu’elle est purement fonctionnelle et totalement au service du scénario de George Conchon, mais à l’écriture efficace de ce dernier et aux interprètes, Claude Brasseur en tête. Belle occasion de rendre hommage à ce sympathique comédien qui vient de nous quitter, rejoignant ainsi au ciel ses trois autres camarades du célèbre et inoubliable dytique d’Yves Robert, Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis. En ce début des années 80, Claude Brasseur était au sommet de sa carrière en terme de valeur sûre au box-office, La Guerre des polices de Robin Davis et La Boum de Claude Pinoteau ayant tous deux fait se déplacer des millions de spectateurs. Dommage qu’il n’ait pas ensuite toujours su faire des choix de carrière plus judicieux ou qu’il ait accepté trop souvent de participer à des projets peu gratifiants, car dans la masse se sont ainsi perdus des films aussi honorables que celui qui nous concerne ici ou encore le très beau Josepha de Christopher Frank l’année suivante où il aura rarement été aussi émouvant, tout aussi inoubliable que ses deux partenaires, Miou-Miou et Bruno Cremer. Un film qu’il serait d’ailleurs bien de voir apparaitre aussi un jour sur galette numérique. Quoi qu’il en soit, malgré la médiocrité de beaucoup de films dans lesquels il jouera, dans ceux-là il restera cependant toujours égal à lui-même et continuera à attirer la sympathie.


Quelle chance de pouvoir ainsi le redécouvrir aujourd’hui dans la peau de ce commissaire dont la passion est le cyclisme (polar et vélo : deux univers qui se rejoignent pour la première fois au cinéma) et qui va devoir enquêter sur son meilleur ami accusé de meurtre. Jean-Louis Trintignant et lui forment un duo impérial qui rend parfaitement bien l’ambiguïté du film et de leurs relations au point que l’excellent scénario de Conchon aidant, les spectateurs que nous sommes allons sans cesse douter de l’innocence ou de la culpabilité de Faguet, et ce jusqu’à la dernière seconde, les auteurs ayant expressément voulu garder le flou afin de nous déstabiliser encore plus. Il faut dire qu’à l’époque Georges Conchon (qui interprète dans le film le rôle très court du médecin généraliste) n’avait pas son pareil pour écrire des scénarios incisifs et mordants pour Jacques Rouffio (7morts sur ordonnance, Le Sucre), Jean-Jacques Annaud (La Victoire en chantant) ou Francis Girod (L’Etat sauvage, La Banquière) sans oublier son formidable travail sur ce monument de noirceur qu’est le Judith Therpauve de Patrice Chéreau. Après Une affaire d’hommes, il ne travaillera plus que deux fois pour le cinéma. Lors de l’écriture du premier film de Ribowski, il pensera à Gérard Depardieu pour endosser le personnage du commissaire mais des problèmes de disponibilité feront que ce sera Claude Brasseur qui reprendra le flambeau, tellement intéressé par le rôle qu’il participera même grandement à la production.


Difficile de parler plus longuement de ce film sans en déflorer le suspense, les ramifications ou les surprises. Nous n’irons donc guère plus loin dans la description de l’histoire mais nous ne nous priverons cependant pas de dire que l’écriture se révèle un véritable modèle d’horlogerie, et que cela fait énormément de bien de voir un polar français prendre ainsi le temps de se recentrer sur les personnages et leurs relations sans nous abreuver de scènes d’action (d’ailleurs il n’y en a pas). Un film manipulateur qui interroge sur la loyauté, la confiance et le mensonge, avec d'une part un flic tiraillé entre devoir et amitié qui manque de péter les plombs (dans la séquence avec Jean Carmet), et d'autre part un accusé attachant qui joue de son charme et de sa rouerie, et entre les deux tout un groupe d’amis composé de cyclistes amateurs qui ne savent pas sur quel pied danser. Après avoir été déçus du manque de confiance ressenti à leur égard du fait que Faguet leur ait toujours menti sur sa maitresse, après de plates excuses de la part de ce dernier, ils se retournent vers Servolle qu’ils accusent de ne rien faire pour venir en aide à Faguet, lui reprochant même de s’être retiré de l’enquête à cause de leur amitié qui selon le commissaire aurait interféré sur son travail.


Une affaire d'hommes est un polar psychologique féroce et fascinant à la mise en scène de facture très (trop) classique mais au scénario formidablement bien ciselé et savoureusement ambigu avec des dialogues aux petits oignons, qui nous offre une intrigue constamment intéressante à défaut d’être palpitante. Une histoire d’amitié (« d’amour » supputera même le juge d’instruction) très bien décrite, les deux comédiens étant également parfaitement bien entourés par toute une flopée d’excellents seconds rôles d'Eva Darlan à Jean Carmet en passant par Jean-Paul Roussillon et surtout Patrice Kerbrat dans le rôle du commissaire qui reprend l’affaire à Claude Brasseur ; les deux hommes se détestant cordialement, il en découle quelques séquences assez croustillantes. On mentionnera enfin la composition de Vladimir Cosma, assez différente de la plupart de ses "tubes cinématographiques" les plus célèbres, les très belles images de cyclisme ainsi que le dénouement très ouvert qui en étonnera plus d’un. Crime parfait ou erreur judiciaire ? "Faut-il mieux se fier à la rumeur ou à la vérité de sa conscience" ? Autant de questionnements qui vous feront repenser au film quelques heures après l’avoir terminé.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 16 février 2021